Un ancien conseiller révèle que le plan d’immunité collective du gouvernement Johnson prévoyait 800.000 décès au Royaume-Uni

Dominic Cummings, ancien conseiller en chef de Boris Johnson, a confirmé que le gouvernement conservateur avait préparé une politique d’immunité collective qui aurait entraîné la mort de centaines de milliers de personnes.

Un exercice de Santé publique Angleterre [Public Health England – PHE, une agence du Département de la Santé] révélé par Cummings avait élaboré une politique basée sur le fait que jusqu’à 800.000 personnes mouraient du Covid-19.

Cummings affirme que les architectes du meurtre social à Downing Street avaient travaillé à huis clos sur un plan B supposant que plus d’un quart de millions de personnes mourraient, selon ses termes, «par étouffement», après avoir été forcés d’abandonner leur plan A quand on leur a dit qu’il en résulterait plus d’un demi-million de morts.

Sur cette photo d’archive du 24 mai 2020, Dominic Cummings, l’aide-principal du premier ministre britannique Boris Johnson, quitte le siège du gouvernement, à Downing Street, à Londres. (AP Photo/Alberto Pezzali, File) [AP Photo/Alberto Pezzali, File]

Dominic Cummings a été au cœur de toutes les décisions gouvernementales en matière de pandémie jusqu’au jour où il a quitté ses fonctions en novembre dernier. Johnson l’avait engagé comme principal conseiller après qu’il ait supervisé la campagne «Vote Leave» (votez pour quitter l’Union Européenne) au référendum sur le Brexit en 2016. Il témoigne actuellement devant la Commission parlementaire de la santé et des soins sociaux et celle des sciences et de la technologie, dans le cadre d’une enquête parlementaire sur «les leçons pouvant être tirées de la gestion de la pandémie, et appliquées maintenant et à l’avenir».

La semaine dernière, Cummings avait été aussi explicite qu’il était possible – fournissant aussi des preuves documentaires – en déclarant que le gouvernement Johnson avait mis en œuvre une politique d’immunité collective dès le début de la pandémie et avait effectué des exercices envisageant des décès massifs. C’est ce que révèle une série de tweets, 59 en tout à la date de lundi soir.

Cummings apporte à présent des détails et confirme ce qu’on savait déjà : que l’immunité collective était la politique officielle et publiquement déclarée par Johnson et ses principaux conseillers médicaux, jusqu’à ce qu’il fut contraint par l’indignation publique de mettre en place un confinement national le 23 mars 2020.

Un des tweet déclare: «L’immunité collective n’était pas une “stratégie secrète”, c’était LA STRATÉGIE OFFICIELLE PUBLIQUE EXPLIQUÉE À LA TÉLÉ/RADIO! Halpern, sur SAGE, l’a littéralement expliquée à la radio de manière explicite, le 11/3/20, comme l’ont fait d’autres.»

C’est là une allusion à la déclaration du Dr David Halpern, membre du Groupe consultatif scientifique pour les urgences (SAGE), qui a déclaré à la BBC qu’à un «moment» indéterminé, le gouvernement voudrait isoler «les groupes à risque afin qu’ils n’attrapent pas la maladie et qu’au moment où ils sortiraient de leur cocon, on aurait atteint l’immunité collective dans le reste de la population».

Le 5 mars 2020, Johnson est apparu dans l’émission «This Morning » de la chaîne ITV pour expliquer: «L’une des théories est que l’on pourrait peut-être encaisser le coup. Autrement dit, tout attraper en une seule fois et permettre à la maladie, pour ainsi dire, de se propager dans la population, sans prendre autant de mesures draconiennes.»

Le 12 mars, 11 jours avant que le gouvernement ne soit contraint à son premier confinement, Sir Patrick Vallance, le conseiller scientifique en chef du gouvernement, insistait: «Il n’est pas possible d’empêcher tout le monde de l’attraper et ce n’est pas non plus souhaitable parce que vous voulez une certaine immunité dans la population pour nous protéger à l’avenir.» Il a déclaré à Sky News: «Environ 60 pour cent est le genre de chiffre dont on a besoin pour obtenir une immunité collective».

Parmi les documents auxquels Cummings fait référence figurent des diapositives présentées au comité de crise gouvernemental Cobra (COBR). Il déclare dans un tweet (38), «L’immunité collective d’ici Sept.' [septembre] était *littéralement le plan officiel dans tous les documents/graphiques/réunions* jusqu’à ce qu’on le laisse tomber».

Le Tweet 46 montre un document officiel du «Secrétariat du Cabinet» marqué «Official Sensitive» ; Cummings y déclare: «Un document COBR de la semaine du 9/3/20 explique la pensée officielle derrière le Plan A: c-à-d, la suppression [du virus] soit ne fonctionnera pas, soit entraînera un deuxième pic pendant la crise hivernale du NHS (Service de santé national britannique), donc l’approche conseillée de l’immunité collective était ce que le [Département de la santé et des soins sociaux]/Bureau du Cabinet a décrit comme une “stratégie optimale à pic unique”».

Le secrétaire à la Santé Matt Hancock et le Bureau du Cabinet de Michael Gove avaient tardivement «compris les effets de l’immunité collective: des centaines de milliers de personnes mourant d’étouffement + pas de NHS pour *personne* pendant des mois + morts non enterrés + implosion économique; nous sommes donc passés au plan B: suppression + projet Manhattan pour les médicaments/vaccins + testez & tracez, etc.».

Le Tweet 40 indique: «Dans la semaine du 9/3 [9 mars], le No10 [Downing Street] fut informé par diverses personnes que le plan officiel conduirait à la catastrophe. On l’a alors remplacé par le plan B. Mais comment “l’immunité collective d’ici septembre” a pu être le plan jusqu’à cette semaine-là est une question fondamentale dans tout le désastre».

Cumming continue dans le tweet 49. «Jenny Harries nous a dit, la même semaine [9/3/20] que l’immunité collective était le plan officiel. Selon elle, les masques étaient une “MAUVAISE idée”, “nous ne voulons pas perturber la vie des gens”, agissant “trop tôt nous allons juste avoir brusquement un autre pic épidémique plus tard”.» Harries conseillait le gouvernement en tant que médecin en chef adjoint pour l’Angleterre. Faisant référence à sa promotion ultérieure, en avril de cette année, au poste de directrice générale de l’Agence britannique de sécurité sanitaire et de responsable Tests et Traçage du NHS, Cummings termine le tweet: «Donc Whitehall [le gouvernement] l’a promue, évidemment».

Le tweet 51 montre un document COBRA qui date de début mars dans lequel le seul mot: «Morts» (Deaths) est écrit dans un encadré gris à côté d’un graphique dans lequel un bilan de 259.000 morts et plus de 4.000 décès par jour est présenté comme la «stratégie optimale à pic unique». Sur le même graphique, une ligne «ne rien faire» estime que le nombre de morts serait de 510.000 – et jusqu’à plus de 14.000 morts par jour – si aucune mesure n’était mise en place. Cummings déclare à propos de ce document: «C’est dans la semaine du 9/3 que nous avons commencé à élaborer le plan B pour esquiver l’immunité collective jusqu’aux vaccins. Même APRÈS que nous soyons passés au Plan B, les documents COBR présentaient les graphiques de la “stratégie OPTIMALE à pic unique” qui envisage 260.000 morts parce que le système était tellement confus dans le chaos…»

Des décès à plus grande échelle encore étaient activement envisagés à Downing Street. Dans le tweet 31, Cummings révèle: «Il y a eu un exercice PHE appelé Exercice NIMBUS dans un futur hypothétique le 14/4/20 avec des diapositives COBR simulées».

Le tweet indique qu’il y aurait une semaine supposée de pic le 13 mai 2020 et 33 millions de cas de Covid-19 dans la population sur une «vague de 16 semaines». Il déclare à propos de ce scénario que les hôpitaux seraient pleins dès le 14 avril 2020 et qu’il y aurait plus de «800K morts» et «les écoles devaient rester ouvertes (!!)» L’exercice s’est déroulé en mars 2020, dit-il, c’est-à-dire avant ou autour du moment où le gouvernement a été contraint d’imposer un confinement.

Cummings cherche sans doute à prendre ses distances avec une politique d’immunité collective meurtrière dans laquelle il est impliqué et affirme maintenant que pratiquement aucun décès n’aurait eu lieu en Grande-Bretagne avec des «personnes compétentes aux commandes». Le Sunday Times avait rapporté en mars 2020 que quelques semaines avant, fin février, Cummings avait exposé la stratégie du gouvernement lors d’une réunion privée. Un observateur a décrit la politique comme suit: «immunité collective, protéger l’économie et si cela veut dire la mort de quelques retraités, tant pis».

Cummings indique que le gouvernement conservateur n’aurait jamais pu faire passer ses plans de meurtre de masse si les médias avaient ne serait-ce que questionné la dénégation du secrétaire à la Santé Matt Hancock, le 13 mars 2020, qui avait déclaré: «Nous avons un plan, basé sur l’expertise de scientifiques de renommée mondiale. L’immunité collective n’en fait pas partie».

Dans le tweet 38, Cummings déclare: «Les médias sont généralement lamentables sur le covid, mais même moi j’ai été surpris d’une chose : combien de plumitifs ont répété comme des perroquets la ligne de Hancock que ‘l’immunité collective n’était pas le plan’ alors que ‘l’immunité collective d’ici sep’ [septembre 2020] était *littéralement le plan officiel dans tous les documents/graphiques/réunions* jusqu’à ce qu’il soit abandonné».

Il ne dit cependant pas que le gouvernement a survécu à la fois au programme d’immunité collective prévu et aux politiques désastreuses de la suite, grâce surtout à l’opposition, au Parti travailliste – d’abord avec Jeremy Corbyn, puis son successeur Sir Keir Starmer, qui ont tous deux annoncé une politique de «critique constructive». En effet, Corbyn a révélé en août dernier, après avoir gardé le secret pendant des mois : «Nous avons participé à des réunions avec le gouvernement tout au long du printemps de cette année et [le secrétaire d’État fantôme à la Santé] Jon Ashworth et moi nous rappelons distinctement d’avoir assisté à une réunion au Bureau du Cabinet où nous avons reçu un cours sur l’immunité collective».

Les Torys (Conservateurs) sont revenus plusieurs fois à leur politique d’immunité collective préférée chaque fois qu’une baisse des cas pouvait servir à le justifier, et ont mis fin au premier confinement l’été dernier, avec le soutien des travaillistes et des syndicats. La plupart des travailleurs ont été forcés de retourner dans les usines, les bureaux et les magasins.

C’est au cours de cette période, fin octobre, que Johnson aurait déclaré à Downing Street: «Plus de p**ain de confinement, laissez les corps s’empiler par milliers». Le confinement temporaire et extrêmement limité qui a suivi n’a eu que peu ou pas d’effet. En fait, il a créé les conditions d’une deuxième vague de la pandémie entre décembre 2020 et février 2021. Celle-ci a fait encore plus de victimes que la première – même pendant un troisième confinement – avec 2.500 hospitalisations par jour à son apogée.

Ce confinement a pris fin et la politique révélée par Cummings rétablie, avec des conséquences mortelles en pleine propagation du variant indien hautement contagieux.

(Article paru d’abord en anglais le 25 mai 2021)

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