Le nombre de nouvelles infections quotidiennes au COVID-19 et de cas actifs en Inde étant en baisse depuis près de deux semaines, le gouvernement d’extrême droite dirigé par Narendra Modi a commencé à se vanter de la «tendance à la baisse». Certains gouvernements d’État dirigés par l’opposition, dont celui de Delhi, ont annoncé vouloir assouplir leurs mesures de confinement limitées.
Pourtant, l’Inde est à tous égards au cœur d’une catastrophe sociale. Selon les chiffres officiels, au cours des huit semaines qui ont suivi le 1er avril, le nombre total d’infections a plus que doublé, passant de 12,1 à 26,9 millions, tandis que le nombre de décès a augmenté de 89 pour cent pour atteindre 307.231 mardi matin. Au cours de la semaine dernière, l’Inde a enregistré 1,73 million de cas supplémentaires de COVID-19 et 28.512 décès, soit plus de 4.000 par jour.
Aussi déchirants que soient ces chiffres, tous reconnaissent — à l’exception de Modi, de ses larbins du gouvernement du Bharatiya Janata Party (BJP) et de leurs apologistes — qu’il s’agit de sous-comptes grossiers. D’autant plus que la pandémie déferle sur l’Inde rurale, où les tests de dépistage sont limités dans le meilleur des cas et où les installations de soins de santé sont délabrées ou inexistantes.
Depuis des semaines, les crématoriums et cimetières d’une grande partie de l’Inde sont submergés par les morts, ce qui les oblige à travailler toute la nuit. Dans l’État natal de Modi, le Gujarat, la chaleur est devenue si intense dans certains fours crématoires qu’ils ont commencé à fondre. On a retrouvé des dizaines de cadavres flottant dans le Gange au début du mois. Selon NewsClick, qui citait des médias locaux, on en a trouvé quelque 2.000 autres «abandonnés ou enterrés à la hâte» le long de ses rives, dans plusieurs districts de l’Uttar Pradesh, l’État le plus peuplé de l’Inde.
Des études menées dans plusieurs villes et États ont montré qu’au moment où la «deuxième vague» de la pandémie a déferlé fin mars et en avril. Les crématoriums et les cimetières ont traité cinq à dix fois plus de cadavres selon les protocoles COVID-19 que ne l’indiquent les chiffres des autorités sur les décès dus à la pandémie. Si l’on extrapole ce chiffre à l’ensemble de l’Inde, cela signifie que des dizaines de milliers de personnes meurent actuellement du COVID-19 chaque jour.
L’ampleur de la tragédie en cours est inconnue, mais les estimations des experts scientifiques en donnent une indication. Au début du mois, alors que le bilan officiel de l’Inde était de moins de 250.000 morts, l’Institut de métrologie sanitaire et d’évaluation (Institute for Health Metrics and Evaluation – IHME) a déclaré penser que le COVID-19 avait déjà tué près du triple de ce chiffre, soit 736.000 personnes. Mardi, le New York Times, en «consultation» avec plus d’une douzaine d’experts scientifiques du monde entier, a publié trois estimations du nombre de victimes du COVID en Inde. Celles-ci vont d’une estimation «prudente» de 600.000 décès, soit près du double du bilan officiel actuel, à un scénario catastrophe qui situe leur nombre réel à plus de 4 millions. Selon le «scénario le plus probable» du Times, la pandémie serait responsable de 1,6 million de «décès estimés» en Inde.
Les gouvernements indiens coupables de meurtre social
Il convient de souligner qu’il s’agit d’une catastrophe provoquée par l’homme. Fin mars 2020, le gouvernement BJP a imposé un confinement calamiteux de six semaines. Celui-ci, mal préparé, n’a pas réussi à enrayer la propagation du virus parce qu’il n’était pas accompagné de mesures sanitaires élémentaires et de soutien social pour les centaines de millions de personnes qui ont perdu leurs moyens de subsistance du jour au lendemain. Depuis, Modi, à l’instigation des milliardaires et des entreprises indiennes et avec la complicité des partis d’opposition, a poursuivi sans relâche une politique d’«immunité collective» donnant la priorité au maintien de l’«économie» ouverte et à la protection des profits et de la richesse de l’élite capitaliste sur une lutte contre la pandémie et la sauvegarde des vies.
Cette politique a entraîné une longue vague d’infections et de décès au cours de l’été et de l’automne derniers. Puis une deuxième vague beaucoup plus dévastatrice, alimentée par de nouveaux variants a commencé à la mi-février et menace à présent de sévir pendant l’été et après.
Le 20 avril, l’Inde connaissait l’augmentation la plus rapide des infections au COVID-19 observée à ce jour sur la planète. Cependant, Modi a proclamé dans un message à la nation que son gouvernement était déterminé à «sauver l’Inde du confinement», et non la population du virus. Ce redoublement de la politique de mort massive pour sauver le profit capitaliste fut accompagné de l’assurance par Modi et sa ministre des Finances Nirmala Sitharaman aux grandes entreprises que la deuxième vague ne retarderait pas la mise en œuvre d’une volée de mesures «favorables aux investisseurs». Ces mesures comprennent une vente massive d’entreprises du secteur public et des changements au code du travail qui favorisent plus encore l’emploi précaire et rendent illégales la plupart des actions des travailleurs pour se défendre.
Face à l’effondrement de leurs systèmes de santé en raison de l’afflux de patients atteints du COVID-19, les gouvernements de certains États sont allés au-delà de la préférence déclarée de Modi pour des mesures de «micro-contrôle» et ont imposé des fermetures partielles à l’échelle de l’État. Mais ils ont invariablement accordé de larges exemptions aux grandes entreprises, obligeant les travailleurs de l’industrie, de la construction, de la logistique et d’autres secteurs à continuer à travailler dans des conditions dangereuses. Et les gouvernements des États n’ont offert qu’une aide de famine aux dizaines de millions de travailleurs journaliers, vendeurs de rue et travailleurs des services qui, à la suite des confinements, ont une fois de plus perdu leurs moyens de subsistance.
Ainsi, parallèlement à la pandémie de COVID-19, il existe une deuxième pandémie, non moins dévastatrice, de chômage et de faim, qui touche des centaines de millions de travailleurs et d’ouvriers ruraux, dont les maigres revenus avaient déjà été comprimés. Selon une étude récente, l’année dernière 230 millions d’Indiens supplémentaires ont été poussés sous le «seuil de pauvreté» de 375 roupies (environ 5 dollars) par jour.
Signe de la colère et de l’opposition croissantes au sein de la classe ouvrière: les ouvriers de l’automobile de l’État du Tamil Nadu, dans le sud du pays, protestent contre le fait que les constructeurs automobiles transnationaux et le gouvernement DMK, dirigé par l’opposition, les obligent à travailler dans des conditions dangereuses. Hyundai a dû annoncer une fermeture de cinq jours à compter d’hier après que les travailleurs ont organisé un sit-in dans l’usine lundi. Les travailleurs d’une usine Renault-Nissan voisine ont menacé de se mettre en grève mardi.
L'Inde rurale ravagée par le COVID-19
La pandémie qui fait rage dans les zones rurales de l’Inde infecte une population pratiquement sans défense. Les taux de vaccination dans l’ensemble de l’Inde sont catastrophiquement bas ; seulement 11,1 pour cent de la population avaient reçu une première dose à la date de lundi. Mais ils ne sont qu’une fraction de ce chiffre dans les districts ruraux. Au 14 mai, on avait administré dans les zones semi-rurales la moitié des doses administrées dans les districts urbains ; et dans les zones rurales, seulement un tiers de ces doses.
Les zones rurales, qui abritent près des deux tiers de la population indienne (1,37 milliard d’habitants), ne disposent pas non plus des infrastructures sanitaires les plus élémentaires pour traiter les personnes malades du virus. C’est une conséquence du fait que l’État indien, à tous les niveaux, consacre l’équivalent d’une minuscule 1,5 pour cent du PIB, voire moins, aux soins de santé depuis des décennies.
Un rapport annuel de statistiques sur la santé rurale pour 2019-20, publié par la Mission nationale de la santé (qui relève du ministère de la Santé de l’Union Indienne) qui vient d’être publié, pointe l’état désastreux du système de soins de santé à trois niveaux de l’Inde dans les zones rurales. En raison d’un manque chronique de personnel, d’un sous-financement et de l’absence de ressources de base à travers le pays, les sous-centres, les centres de santé primaires (PHC) et les centres de santé communautaires (CHC) peinent à traiter les patients.
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RÉUNION PUBLIQUE EN LIGNE
La pandémie de Covid-19 en Inde et la nécessité d'une stratégie socialiste
Dimanche 30 mai, 18h00, heure de l'Inde (13h30 en Europe C.E.T.), en anglais
Sur la base des niveaux de population de 2020, l’Inde avait besoin de 191.461 sous centres, mais n’en avait que 155.400. De même, le nombre de centres de soins de santé primaires en activité était de 24.918, contre les 31.337 requis, et il n’y avait que 5.183 centres de santé communautaires, contre les 7.820 nécessaires.
Le rapport indique également que plus de 44.000 sous-centres et plus de 1.000 PHC n’ont pas d’électricité ; près de 23.000 sous centres et près de 1.800 PHC n’ont pas d’eau ; environ 28 pour cent des PHC n’ont pas de salle de travail pour garantir des accouchements sans danger ; 65 pour cent des PHC n’ont pas de salle d’opération entièrement équipée comme le prévoient les normes. Enfin, 30 pour cent des PHC ne disposent pas du minimum de quatre lits pour les patients hospitalisés.
Le rapport souligne également la grave pénurie de personnel dans les PHC et les CHC. Dans le Bihar, alors que le gouvernement a approuvé 4.129 postes de médecins pour les PHC, seuls 1.745 se trouvent pourvus.
Les CHC manquent de spécialistes clés, notamment de chirurgiens, de pédiatres, d’obstétriciens et de gynécologues. Bien que les 5.183 CHC du pays aient besoin d’environ 20.732 spécialistes, seuls 13.266 ont été autorisés et 4.957 seulement sont en place. Ces lacunes sont particulièrement criantes dans certains des États les plus pauvres de l’Inde. L’Uttar Pradesh a besoin de 2.844 spécialistes, mais n’en a que 816; le Rajasthan a besoin de 2.192, mais en a 438; le Madhya Pradesh a besoin de 1.236, mais n’en a que 46; et le Gujarat devrait en avoir 1.392, mais n’en a que 13.
Les terribles conditions de vie au Gujarat sont révélatrices du fait que Modi a été ministre en chef de l’État pendant 12 ans. On a souvent présenté cet État comme un modèle pour l’essor capitaliste de l’Inde. Dans le district rural de Narmada, qui compte près de 600.000 habitants, il n’y avait jusqu’au début du mois d’avril qu’un seul hôpital spécialisé dans le COVID-19, avec 100 lits. Selon les Centres pour la dynamique et l’économie des maladies (Centres for Disease Dynamics and Economics – CDDE), le Gujarat compte moins de 100 lits d’hôpital pour 100.000 habitants. Le pays tout entier compte 138 lits pour 100.000 habitants — tous deux bien inférieurs à la norme minimale de 300 de l’Organisation mondiale de la santé.
En raison du refus criminel du gouvernement central et des États de fournir les ressources nécessaires au système de soins de santé, la tâche de prendre en charge les patients atteints du COVID-19 dans les zones rurales de l’Inde incombe en grande partie aux activistes sociaux de la santé accrédités (ASHA), une main-d’œuvre entièrement féminine de prestataires de santé communautaire bénévoles à la formation rudimentaire.
Malgré leur travail dangereux et exigeant, on paie les ASHA 2000 roupies (26,40 $) par mois. Elles ont reçu une misérable somme de 1000 roupies (13,20 $) en reconnaissance des tâches supplémentaires qu’elles accomplissent en raison du COVID-19. De nombreux travailleurs ne reçoivent même pas ce maigre salaire. Lundi, plus de 42.000 travailleurs ASHA déployés dans l’État méridional du Karnataka ont boycotté leur travail pour protester contre l’absence d’équipement de protection individuelle (ÉPI) adéquat et le fait que le gouvernement de l’État ne les a pas payés ces deux derniers mois. «Nous ne recevons même pas de masques appropriés, sans parler des kits d’ÉPI de bonne qualité», a déclaré à l’Indian Express Farhana, une ASHA de la capitale de l’État, Bengaluru (Bangalore). « Nous sommes souvent négligés, tout comme l’année dernière».
La calamité du COVID-19 qui ravage actuellement les zones rurales de l’Inde représente une grave menace pour les travailleurs du monde entier. La politique du gouvernement Modi, qui consiste à laisser le virus se déchaîner, crée les conditions parfaites pour l’émergence de nouveaux variants potentiellement plus résistants aux vaccins. En même temps, l’Inde, dont on attendait qu’elle fournisse des vaccins à faible coût à de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire d’Afrique et d’Asie — a interdit l’exportation de vaccins au moins jusqu’à la fin de l’année.
Pour maîtriser la pandémie et empêcher de nouvelles infections massives et de nouveaux décès, les travailleurs indiens et les travailleurs ruraux doivent s’unir avec leurs frères et sœurs de classe au niveau international. Le but est de mettre fin à la politique du «profit avant la vie» adoptée par tous les gouvernements et protéger la vie et les moyens de subsistance des travailleurs. Nous encourageons vivement tous ceux qui souhaitent participer à cette lutte à assister à la réunion en ligne «La pandémie de COVID-19 en Inde et la nécessité d’une stratégie socialiste». Elle sera tenue (en anglais) ce dimanche 30 mai à 18 heures, heure indienne, (13h30 CET Europe) par le Parti de l’égalité socialiste (Sri Lanka).
(Article paru d’abord en anglais le 26 mai 2021)