Douze ans depuis la fin de la guerre communautaire au Sri Lanka

Le 18 mai a marqué le 12e anniversaire de la fin de 26 ans de guerre communautaire sanglante au Sri Lanka menée par les gouvernements successifs de Colombo contre les Tigres de libération de l’Eelam tamoul séparatistes (LTTE) et plus largement la minorité tamoule de l’île.

S’exprimant au parlement ce jour-là, le premier ministre Mahinda Rajapakse a glorifié les forces armées pour la «libération du pays du terrorisme». Il a ajouté: «Nous avons mis fin à l’ère [de la guerre]», les réfugiés déplacés ont été «installés dans leurs villages» et «les représentants publics du Nord et de l’Est vivent aujourd’hui dans la dignité, la liberté et jouissent de la démocratie».

Des soldats sri-lankais patrouillent à Jaffna, à environ 300 kilomètres au nord-est de Colombo, au Sri Lanka, sur cette photo du mercredi 21 juin 2006. (Photo AP / Eranga Jayawardena, dossier) [AP Photo/Eranga Jayawardena]

L’histoire est ici présentée à l’envers, cachant la brutale vérité de la fin de la guerre. Les offensives militaires implacables des premiers mois de 2009 poussèrent le LTTE avec des centaines de milliers de civils tamouls dans une petite enclave de terre près de Mullaitivu sur la côte nord-ouest de l’île.

L’armée sri-lankaise a impitoyablement pilonné la zone avec des obus d’artillerie et, depuis les airs, ciblé délibérément des hôpitaux, des centres d’aide et des zones civiles désignées. Selon les estimations de l’ONU, au moins 40.000 civils ont été massacrés. Lorsque les défenses des LTTE se sont finalement effondrées, les militaires ont assassiné les chefs des LTTE qui se rendaient et ont parqué quelque 300.000 civils dans des camps de détention contrôlés par l’armée. Des centaines de jeunes furent emmenés pour «rééducation» dans des lieux inconnus.

Mahinda Rajapakse, qui était alors président sri-lankais, était directement responsable de ces crimes de guerre et de ces violations flagrantes des droits démocratiques. Son jeune frère, Gotabhaya Rajapakse, qui est maintenant le président du pays, a supervisé ces opérations militaires criminelles en tant que secrétaire à la défense. Il est directement impliqué dans le meurtre de dirigeants des LTTE qui s’étaient rendus, portant des drapeaux blancs de reddition.

Quant à la situation des Tamouls aujourd’hui, les personnes incarcérées dans les camps ont été «réinstallées» et beaucoup vivent encore dans une pauvreté abjecte dans des huttes dotées d’installations rudimentaires. Environ 90.000 veuves de guerre dans le nord et l’est de l’île luttent pour survivre. Les deux provinces déchirées par la guerre restent sous une forte occupation militaire, la population tamoule, en particulier les jeunes, constamment harcelée et intimidée. Des manifestations ont lieu pour exiger des informations sur les «disparus» et la libération des prisonniers politiques.

Alors qu’il célébrait sa victoire sur les LTTE dans le sud, le gouvernement a déclenché une répression de la police militaire dans le nord et l’est, arrêtant des dizaines de personnes pour avoir rendu hommage à leurs proches qui avaient été tués dans le massacre de Mullaitivu.

Le gouvernement a été contraint d’organiser des célébrations discrètes de la victoire ce mois-ci parce que la pandémie de COVID-19 monte en flèche dans le pays. Le régime de Colombo s’inquiète de la montée de l’opposition de masse parmi les travailleurs et les pauvres qui sont confrontés à des réductions de salaires et de pertes d’emploi et à la hausse des prix des aliments essentiels et autres produits de base.

La réponse du gouvernement aux troubles sociaux croissants est de renforcer les forces armées en vue de la guerre des classes. Dans le cadre des célébrations de la victoire, des milliers de soldats ont été promus à des grades supérieurs. Suite à la défaite des LTTE, l’armée a été élargie, non diminuée, ses dotations budgétaires augmentant encore cette année pour atteindre 440 milliards de roupies (2,2 milliards USD).

En opposition à la jubilation des cercles dirigeants en 2009, le World Socialist Web Site a écrit: «La défaite militaire des LTTE n’a rien fait pour résoudre les problèmes sous-jacents à la guerre civile. Il a simplement prouvé que l’unité de l’État sri-lankais sur une base bourgeoise ne pouvait être maintenue que par une répression sanglante et des atrocités.» (Perspective du WSWS le 21 mai 2009).

L’éruption de la guerre en 1983 était le résultat de la politique communautaire menée par la classe capitaliste sri-lankaise et les gouvernements successifs depuis l’indépendance formelle en 1948 de l’impérialisme britannique.

Incapables de répondre à aucune des questions démocratiques ou sociales auxquelles sont confrontés les travailleurs et les masses opprimées, les gouvernements de Colombo ont eu recours au suprémacisme cinghalais-bouddhiste et au chauvinisme anti-tamoul dans chaque crise politique pour diviser et affaiblir la classe ouvrière.

Peu de temps après l’indépendance, le gouvernement de l’époque a aboli les droits de citoyenneté d’environ un million de travailleurs tamouls des plantations amenés d’Inde comme main-d’œuvre bon marché par les dirigeants coloniaux britanniques. En 1956, à la suite d’une profonde crise du gouvernement qui a conduit à un soulèvement des travailleurs et des masses rurales en 1953, le Sri Lanka Freedom Party a remporté les élections sur la base d’une politique exclusivement cinghalaise qui a fait du cinghalais la seule langue officielle et a relégué les Tamouls au statut de citoyens de seconde zone.

Le Parti Lanka Sama Samaja, qui se prétendait trotskyste, avait initialement agi comme un frein au communautarisme, promouvant l’unité de la classe ouvrière cinghalaise et tamoule. Mais sa dégénérescence et sa trahison en 1964, quand il est entré dans le gouvernement capitaliste de Sirima Bandaranaike et a adopté le populisme cinghalais, a conduit à la formation d’organisations radicales petites-bourgeoises basées sur la «lutte armée» et la politique communautaire: en particulier, le LTTE parmi la jeunesse tamoule dans le nord et le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) parmi les jeunes Cinghalais ruraux du sud.

Le gouvernement de droite du Parti national uni (UNP) de JR Jayawardene, arrivé au pouvoir en 1977, répondit à la crise économique du pays en mettant en œuvre une restructuration favorable au libre marché et en encourageant les investisseurs étrangers à profiter de sa main-d’œuvre bon marché. Alors que l’opposition ouvrière éclatait, Jayawardene réécrivit la constitution pour établir une présidence exécutive autocratique et s’engagea dans une série de provocations anti-tamoules qui aboutit aux pogroms anti-tamouls dévastateurs en 1983, provoquant le déclenchement d’une guerre ouverte.

Le Socialist Equality Party, SEP (Parti de l’égalité socialiste) – et son précurseur la Ligue communiste révolutionnaire (RCL) – est le seul parti qui s’est systématiquement opposé à la guerre communautaire sur la base de la lutte pour unir la classe ouvrière. Nous avons exigé le retrait inconditionnel des militaires du Nord et de l’Est et avons défendu les droits démocratiques de la minorité tamoule. Dans le même temps, le RCL / SEP s’est opposé au séparatisme du LTTE qui a favorisé la division communautaire de la classe ouvrière.

En 1987, le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) et la RCL ont avancé la perspective de la République socialiste Sri Lanka-Eelam dans le cadre de la lutte pour une Union des États socialistes en Asie du Sud. Ce programme était basé sur la théorie de la révolution permanente de Trotsky qui soulignait que seule la classe ouvrière peut fournir la direction aux pauvres des campagnes et aux masses opprimées dans la résolution des tâches démocratiques dans le cadre de la lutte pour le socialisme.

La guerre prolongée et dévastatrice a démontré l’incapacité de toutes les sections de la bourgeoisie sri-lankaise, toutes profondément embourbées dans la politique communautariste, à répondre aux aspirations démocratiques et aux besoins sociaux des travailleurs. Alors que les gouvernements de Colombo sacrifiaient la vie des jeunes cinghalais pour maintenir le pouvoir et les privilèges de l’establishment cinghalais majoritaire, les partis bourgeois tamouls recherchaient une plus grande autonomie ou un État capitaliste tamoul séparé pour exploiter la classe ouvrière tamoule.

Le SEP a expliqué que la défaite des LTTE en 2009 n’était pas avant tout une question militaire mais était le résultat de sa perspective nationaliste bourgeoise. Le LTTE était organiquement incapable de faire appel aux travailleurs tamouls et encore moins à la classe ouvrière ailleurs au Sri Lanka et dans le monde. Pendant que les dernières offensives dévastatrices de l’armée étaient en cours, il a lancé des appels pathétiques à la «communauté internationale»: c’est-à-dire aux puissances mêmes, y compris les États-Unis et l’Inde, qui soutenaient la guerre de Colombo et fermaient les yeux sur ses atrocités.

Les douze années qui se sont écoulées depuis la fin de la guerre n’ont conduit qu’à une crise politique de plus en plus profonde alors que le Sri Lanka a été englouti dans l’aggravation des tensions géopolitiques, en particulier la confrontation des États-Unis avec la Chine, et l’aggravation de la situation économique mondiale, l’ensemble étant aggravé par la pandémie COVID-19. L’armée et ses méthodes brutales utilisées pendant la guerre sont maintenant en cours de préparation pour être utilisées contre la classe ouvrière à mesure que les troubles s’intensifient liés à l’aggravation des conditions sociales auxquelles sont confrontés les travailleurs.

La fin de la guerre coïncida avec la crise financière mondiale de 2008-2009. L’économie sri-lankaise déjà plombée par les lourds coûts de la guerre et sa dévastation fut durement touchée. Le gouvernement du président Mahinda Rajapakse se tourna vers le Fonds monétaire international (FMI) pour obtenir une aide financière, mit en œuvre ses diktats d’austérité et eut recours à la répression militaire et policière contre l’opposition des travailleurs et des pauvres.

En même temps, les États-Unis étaient profondément hostiles aux relations de Rajapakse avec la Chine, qui avait fourni des armes et des financements pour la guerre. Dans une opération de changement de régime orchestrée à partir de Washington, il fut ignominieusement vaincu lors de l’élection présidentielle de 2015 qui porta Maithripala Sirisena au pouvoir avec le soutien de l’UNP, de l’Alliance nationale tamoule bourgeoise (TNA), de la Janatha Vimukthi Peramuna et des groupes la pseudo-gauche.

Le gouvernement d’unité nationale dirigé par le président Sirisena et le chef de l’UNP Ranil Wickremesinghe en tant que premier ministre abandonna rapidement ses promesses de «bonne gouvernance» et d’amélioration du niveau de vie. Profondément impliqués dans la guerre et ses atrocités eux-mêmes, Sirisena et Wickremesinghe ont veillé à ce qu’il n’y ait aucune véritable enquête sur les crimes du régime Rajapakse. Alors que la crise économique s’aggravait, le gouvernement se tourna de nouveau vers le FMI, imposa de nouveaux fardeaux à la classe ouvrière et aux pauvres, et utilisa des méthodes d’État policier pour réprimer les troubles sociaux.

Les groupes de la pseudo-gauche et les syndicats qui avaient promu Sirisena et Wickremesinghe les avaient aidés à accéder au pouvoir, défendirent jusqu’au bout le gouvernement d’unité nationale et l’aidèrent à réprimer une vague croissante de grèves et de manifestations. La TNA, le principal représentant de la bourgeoisie tamoule, était un partenaire de fait du gouvernement.

Le gouvernement d’unité nationale a également conduit à une nouvelle fragmentation de l’establishment politique: les deux principaux partis de la classe dirigeante, l’UNP et le SLFP, ont été réduits à des coquilles vides. Dans cette situation hautement instable, Gotabhaya Rajapakse, soutenu par l’armée et des sections importantes de la grande entreprise, a exploité la désaffection de masse pour remporter l’élection présidentielle de 2019 qui reflétait les profondes divisions communautaires. Alors que les Tamouls ne votèrent pas pour Rajapakse, responsable de crimes de guerre, les travailleurs cinghalais ne votèrent pas pour le candidat du Front national uni Sajith Premadasa qui avait imposé des coupes sociales dans le cadre du gouvernement d’unité nationale.

Rajapakse et le Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP) qui l’avait soutenu ont également pu exploiter les attaques terroristes du dimanche de Pâques 2019 par un groupe extrémiste islamiste local qui a tué 270 personnes et en a blessé beaucoup d’autres pour promettre un gouvernement fort et stable en termes de «la sécurité nationale».

Le fait que le Sri Lanka soit maintenant gouverné par les frères Rajapakse – les deux personnalités qui portent la plus grande responsabilité dans les crimes et les atrocités de l’armée durant les derniers mois de la guerre – doit être pris très au sérieux par la classe ouvrière. Au beau milieu d’une profonde crise sociale, la bourgeoisie compte sur Gotabhaya Rajapakse et sa promesse d’un «gouvernement fort» pour réprimer l’opposition croissante de la classe ouvrière.

Le président Rajapakse a installé des généraux à la retraite et en service à des postes clés du gouvernement, y compris le général de division à la retraite Kamal Gunaratne en tant que secrétaire à la Défense et le commandant de l’armée, le général de division Shavendra Silva, à la tête du centre d’opérations national COVID-19. Dans le même temps, il s’appuie fortement sur les groupes extrémistes cinghalais et contribue à attiser le chauvinisme anti-tamoul et anti-musulman.

Les travailleurs doivent tirer les leçons politiques nécessaires des catastrophes résultant de la politique communautaire. Gotabhaya et Mahinda Rajapakse qui ont supervisé le massacre de dizaines de milliers de civils tamouls n’hésiteront pas à utiliser les mêmes méthodes brutales contre la classe ouvrière et les pauvres des zones urbaines et rurales.

La classe ouvrière ne peut défendre aucun de ses droits démocratiques et sociaux sans rejeter toutes les formes de nationalisme et de chauvinisme – à la fois le suprémacisme cinghalais-bouddhiste et le séparatisme tamoul – responsables de la guerre. Ce n’est que par une lutte unifiée contre la classe capitaliste – leurs oppresseurs communs – et le système de profit sur lequel elle repose que les ouvriers peuvent gagner à leurs côtés les travailleurs ruraux et lutter pour un gouvernement ouvrier et paysan. Un tel gouvernement mettrait en œuvre des politiques socialistes pour répondre aux besoins pressants de la majorité et non aux besoins de profit de quelques riches, dans le cadre de la lutte pour le socialisme dans toute l’Asie du Sud et au niveau international.

Nous exhortons les travailleurs et les jeunes à rejoindre le SEP qui seul se bat pour ce programme.

(Article paru en anglais le 27 mai 2021)

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