L’Université Laurentienne de l’Ontario se déclare insolvable et supprime des centaines d’emplois et des dizaines de programmes

La direction de l’Université Laurentienne, qui sert de plaque tournante de l’enseignement postsecondaire dans le nord de l’Ontario, a demandé la protection contre ses créanciers en février et a passé les trois derniers mois à imposer des coupes sauvages au corps enseignant et au personnel de l’établissement. Le recours à la procédure d’insolvabilité pour la première fois dans un établissement d’enseignement postsecondaire canadien a été approuvé par le gouvernement conservateur de droite de l’Ontario et par de larges sections de l’élite dirigeante. Ils y voient la création d’un précédent pour une attaque plus large contre les travailleurs de l’éducation et une volonté de réorganiser le secteur postsecondaire pour mieux répondre aux besoins de la grande entreprise.

Un quart du corps professoral permanent, soit environ 110 professeurs, a été licencié sans cérémonie le mois dernier, sans préavis, lors d’une conférence téléphonique avec l’administration de l’école. Des dizaines de postes contractuels ont également été supprimés, surtout parce que la Laurentienne a mis fin au statut fédéré de trois petites universités régionales: l’Université Huntington, l’Université Thorneloe et l’Université de Sudbury.

(Photo: Greying_Geezer/Flickr.com)

Ces coupes sont particulièrement dévastatrices dans une région qui ne compte aucun autre établissement postsecondaire important. De plus, la Laurentienne était l’une des rares institutions de l’Ontario majoritairement anglophone qui permettait aux étudiants d’étudier en français, une option qui a maintenant été sévèrement réduite avec l’élimination de programmes clés comme la langue française et les études culturelles.

Cinquante-huit programmes de premier cycle et 11 programmes de deuxième cycle ont été entièrement éliminés, ce qui représente environ un tiers des cours offerts par l’université. Les programmes supprimés comprennent des diplômes de premier cycle en anthropologie, en sciences de l’environnement, en géographie, en italien, en mathématiques, en langues modernes, en musique, en philosophie, en physique, en sciences politiques et en espagnol.

Il semble également probable que le programme d’études autochtones de la Laurentienne, l’un des plus anciens au Canada, cessera d’exister.

La destruction sauvage d’une grande partie de l’offre de cours de l’université, combinée au licenciement d’une partie importante du corps professoral permanent, était la politique souhaitée et voulue par l’administration.

Comme d’autres universités ontariennes, la Laurentienne était confrontée à des pressions financières croissantes dues à des années de sous-financement gouvernemental et aux coupes que le gouvernement provincial dirigé par Doug Ford a mises en œuvre peu après son arrivée au pouvoir en 2018. Ces pressions ont été exacerbées par la pandémie et l’incapacité de la Laurentienne, en tant que petite institution du Nord, à recruter un grand nombre d’étudiants internationaux et à développer des partenariats lucratifs avec des entreprises.

Cela dit, le président de la Laurentienne, Robert Haché, avec l’appui tacite de Ford et peut-être des grandes banques, a fabriqué une crise financière et a ensuite présenté sa décision de demander la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) comme un fait accompli. La LACC, destinée aux entreprises privées, a permis à Haché et à ses collègues gestionnaires de l’université de rédiger leur plan de décimation de l’université à huis clos, sans aucune participation du personnel ou des étudiants et en violation flagrante de toutes les conventions collectives avec le corps enseignant et le personnel.

Après avoir licencié sans ménagement un quart de la main-d’œuvre permanente, la direction a ensuite intimidé le reste du corps professoral, terrifié et démoralisé, pour qu’il accepte des concessions radicales dans les nouvelles conventions collectives qui ont été adoptées en quelques heures. Avec le pistolet proverbial pointé sur leur tête, les professeurs ont voté pour une réduction générale de 5 % de leur salaire à partir du 1er mai, suivie d’un gel des salaires pendant deux ans. Les professeurs licenciés ont été informés qu’ils devraient demander une indemnité de départ par le biais du processus de la CCAA. En d’autres termes, ils auront de la chance de recevoir un centime d’indemnité de départ une fois que les banques très rentables auront reçu leur butin, avec les intérêts en sus.

Selon le récit intéressé présenté par la direction, la Laurentienne devait 91 millions de dollars sur trois lignes de crédit non garanties différentes auprès de RBC (71,1 millions de dollars), TD Canada Trust (18,5 millions de dollars) et la Banque de Montréal (1,3 million de dollars). À un moment où la ligne de crédit RBC n’était pas utilisée, la Laurentienne a ouvert une ligne de crédit supplémentaire de 14,4 millions de dollars auprès de Desjardins, selon les documents judiciaires. Cette ligne a été remboursée en totalité l’automne dernier lors de la réception des frais de scolarité. Pour des raisons qui demeurent obscures, RBC et Desjardins ont annulé leurs lignes de crédit à l’institution l’été dernier. La Laurentienne a mené ses opérations financières en gérant son budget d’exploitation et ses fonds affectés (ceux destinés aux subventions de recherche, etc.) à partir d’un seul compte bancaire, ce qui a encore compliqué la comptabilité.

Même les experts de l’industrie ont souligné la nature douteuse des opérations financières de la Laurentienne. Alex Usher, président de la société d’experts-conseils Higher Education Strategy Associates, basée à Toronto, a fait remarquer: «La banque a-t-elle réellement retiré la ligne de crédit?» écrit Usher. «Si oui, pourquoi ? Ou encore, le président de l’Université Laurentienne a-t-il réellement choisi de renoncer à la ligne de crédit afin de provoquer une crise (la formulation prudente de la déclaration sous serment du [président] Haché est ambiguë sur ce point). S’il y avait des alternatives non-CCAA qui auraient pu être prises et qui ne l’ont pas été, c’est probablement impardonnable.»

La direction cherche depuis longtemps à réduire drastiquement les coûts de l’université. Dans les documents judiciaires de la Laurentienne pour la procédure de la LACC, on se plaignait amèrement du fait qu’il en coûte en moyenne 2000 $ de plus que la moyenne provinciale pour éduquer les étudiants à la Laurentienne. L’association des professeurs était également connue pour son militantisme.

Les mesures sournoises et impitoyables prises par la direction de l’université avaient la bénédiction du gouvernement provincial conservateur. La province aurait pu facilement faire parvenir l’argent pour éviter la procédure de faillite, ne serait-ce que pour le récupérer plus tard à même les subventions provinciales. La Laurentienne, cependant, est le proverbial canari dans la mine de charbon.

Les grandes entreprises sont déterminées à restructurer l’enseignement postsecondaire, à la fois pour le lier plus étroitement aux besoins du marché du travail et pour développer de nouvelles sources de profits par la sociétisation et la privatisation de l’éducation. En permettant à la Laurentienne de restructurer brutalement ses opérations aux dépens du personnel et des étudiants, l’establishment politique a envoyé le message qu’une vague de réduction des coûts et de licenciements est imminente dans tout le secteur.

Pour les apôtres du marché, les idéaux des Lumières concernant la valeur d’une éducation complète et d’une citoyenneté éduquée sont des obstacles à surmonter. Ils veulent également aller de l’avant en modifiant le mode de financement des universités.

Durant les décennies qui ont immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale, il y a eu une expansion importante des universités canadiennes et, dans les années 1960, des collèges communautaires. Cette expansion était liée au boom de l’après-guerre et aux besoins de l’industrie et de l’État-providence en expansion d’une main-d’œuvre plus qualifiée et plus techniquement formée, ainsi qu’aux préoccupations de l’élite politique – telles qu’exprimées dans le rapport de 1951 de la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences au Canada (communément appelée la Commission Massey) – concernant la promotion d’une identité canadienne en tant que rempart de la domination capitaliste.

Au départ, le gouvernement fédéral a joué un rôle de premier plan en accordant des subventions de fonctionnement aux universités et, au cours des années 1960, les provinces ont augmenté de plus de 85 % leur soutien par habitant aux étudiants. Objectivement, cela reposait sur le boom de l’après-guerre.

La fin de ce boom dans les années 1970 a entraîné des changements majeurs dans le financement des universités. Ottawa s’est en grande partie retiré du financement direct, à l’exception du financement de la recherche et des prêts canadiens aux étudiants, et a plutôt fourni aux provinces des transferts pour aider à financer l’enseignement postsecondaire sous forme d’espèces et de crédits d’impôt.

Ces transferts ont été regroupés avec les transferts de santé aux provinces par le gouvernement libéral de Jean Chrétien au milieu des années 1990, avec des réductions totalisant des milliards de dollars. Les provinces ont alors imposé des coupes sombres dans le financement des établissements d’enseignement postsecondaire et ont laissé les frais de scolarité augmenter de 7 à 8 % par an pendant près d’une décennie. L’aide aux étudiants a été démantelée, ce qui a donné lieu à un programme usuraire de prêts importants dont les taux d’intérêt sont supérieurs de plusieurs points de pourcentage au taux préférentiel. Cela a conduit à un doublement de la dette étudiante. Actuellement, l’étudiant moyen doit au moins 28.000 dollars à la fin de ses études, somme qu’il doit rembourser et pour laquelle il ne peut pas déclarer faillite. La part du financement public dans les revenus d’exploitation des universités est passée de 77 % en 1992 à 55 % en 2012.

Les frais de scolarité ont augmenté en conséquence, surtout pour les étudiants étrangers. Selon Statistique Canada, les frais de scolarité annuels moyens pour un étudiant international étaient de 29.712 $ pour l’année 2019-20.

Le régime de droite anti-travailleurs et anti-éducation de Ford est le partisan le plus ouvert et le plus arriéré de la vision de l’éducation basée sur le marché. En novembre dernier, le gouvernement provincial a institué une initiative de financement basée sur la performance. Dans un communiqué de presse daté du 26 novembre 2020, le gouvernement provincial a déclaré qu’il avait «signé des accords historiques avec les collèges et universités publics qui révolutionneront les établissements d’enseignement postsecondaire. Cette initiative aidera les étudiants à obtenir l’éducation, les compétences et l’expérience dont ils ont besoin pour trouver de bons emplois en veillant à ce que les établissements d’enseignement postsecondaire offrent des programmes qui correspondent aux exigences du marché du travail.»

Cette mesure vise clairement à franchir une nouvelle étape importante dans la direction de la marchandisation et de la sociétisation complètes de l’éducation postsecondaire. Jusqu’à 60 % du financement du gouvernement provincial dépendra de 10 paramètres de rendement, tels que les revenus des diplômés, une vague catégorie d’«apprentissage par l’expérience» (c.-à-d. les programmes coopératifs) et l’impact économique. Les établissements qui ne respectent pas ces paramètres verront leur financement réduit.

Il est significatif que cette mesure draconienne n’ait pas été contestée par l’opposition libérale. Le porte-parole de l’opposition néo-démocrate, Chris Glover, s’est contenté de déclarer que cette mesure «déstabiliserait les institutions et les empêcherait d’établir leur budget».

Les difficultés de la Laurentienne constituent l’exemple le plus clair à ce jour de la façon dont la classe dirigeante a l’intention de mettre en œuvre son plan de restructuration radicale de l’enseignement supérieur à travers le pays dans l’intérêt des grandes entreprises. Si l’on veut défendre et élargir l’éducation postsecondaire de qualité de manière à offrir une éducation gratuite pour tous, le corps professoral, le personnel de soutien et les étudiants doivent se tourner vers la classe ouvrière. C’est la seule force sociale qui a le pouvoir et l’intérêt de réorganiser la vie socio-économique pour placer les besoins humains, la science et la culture avant l’impératif du profit capitaliste.

(Article paru en anglais le 25 mai 2021)

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