Alors que le gouvernement colombien de droite organise une répression sauvage, le Canada critique la «violence» des manifestants appauvris

Les grèves et les manifestations en Colombie, déclenchées par une réforme fiscale régressive et alimentées par l’hostilité à la violence policière, la pauvreté généralisée, les inégalités sociales et la corruption politique, durent depuis plus d’un mois. Selon Amnesty International, la police paramilitaire du pays, qui avait commis 1876 actes de violence contre des manifestants au 9 mai, a fait disparaître au moins 400 personnes.

Les dernières estimations font état de plus de 60 morts depuis le début des manifestations. Ce chiffre a augmenté d’au moins 10 personnes le week-end dernier après que la police a sauvagement réprimé les manifestations dans la ville de Cali le vendredi 28 mai. Le président d’extrême droite Ivan Duque a répondu en faisant appel à l’armée.

Des manifestants se heurtent à la police à Madrid, dans la banlieue de Bogota, en Colombie, le vendredi 28 mai 2021. (AP Photo/Ivan Valencia)

Pourtant, pour le gouvernement libéral du Canada, les manifestants sont tout aussi coupables de «violence» que le régime brutal de Duque, soutenu par les États-Unis et le Canada. Dans une déclaration cynique publiée le mois dernier, le ministre des Affaires étrangères Marc Garneau a réussi à éviter de mentionner Duque ou son gouvernement d’extrême droite, sans parler des forces de police paramilitaires lourdement armées qui utilisent des armes de fabrication américaine et canadienne pour terroriser les manifestants.

Tout en condamnant l’usage «disproportionné» de la force par des «forces de sécurité» vaguement définies, Garneau a souligné: «Nous sommes également préoccupés par les actes de vandalisme et les attaques dirigées contre les fonctionnaires responsables de la protection de tous les citoyens colombiens. Le Canada demande à ceux qui ont érigé des barrages routiers de permettre le libre passage des biens et services essentiels à la lutte contre la pandémie de COVID-19.»

Il s’agit de la même propagande mensongère utilisée par le régime Duque pour qualifier toute opposition d’illégale et justifier ainsi sa répression brutale, et elle dissimule le fait que la principale raison de la situation désastreuse de la pandémie de COVID-19 est le refus des gouvernements successifs de financer adéquatement les soins de santé et les services sociaux. Soulignant qu’Ottawa est fermement du côté de son allié autoritaire de Bogota, Garneau a conclu sa déclaration en faisant l’éloge du faux «engagement du gouvernement Duque à enquêter pleinement et à tenir responsables ceux qui pourraient être coupables de violation des droits de la personne».

En d’autres termes, même si des preuves photographiques et vidéo ainsi que des témoignages oculaires confirment que des violences généralisées sont perpétrées par les forces de l’État à la demande du gouvernement Duque, Ottawa ne se contente pas de laisser les auteurs enquêter eux-mêmes, mais remet également en question la réalité des violations des droits de la personne.

La déclaration de Garneau, tout comme la répression brutale des manifestants colombiens par l’État, est passée presque sans commentaire dans les médias et l’establishment politique canadiens. Cela ne fait que démontrer l’hypocrisie des doubles standards de l’impérialisme canadien. Alors que la politique de l’establishment a débordé ces derniers mois d’allégations macabres sur un «génocide» perpétré par la Chine contre la population ouïghoure, pour lequel il n’existe aucune preuve, les meurtres et les violences sexuelles bien documentés des manifestants en Colombie ont à peine suscité la préoccupation des croisés des «droits de l’homme» dans les salles de rédaction du Globe and Mail et du Toronto Star, ou des parlementaires libéraux, néo-démocrates, verts, conservateurs et du Bloc Québécois.

Le NPD, qui soutient le gouvernement libéral depuis les élections fédérales de 2019, a choisi pour ses propres raisons d’ignorer totalement la défense par Garneau du régime répressif de Duque. Dans sa seule déclaration à ce jour sur la Colombie, publiée neuf jours après la déclaration de soutien de Garneau à Duque, le NPD a fourni une couverture au gouvernement Trudeau en le présentant comme un arbitre neutre en Colombie. «Les Canadiens sont très préoccupés par ce qui se passe en Colombie et veulent être assurés que le gouvernement libéral fait tout ce qu’il peut pour défendre les droits de la personne et les droits civils», a déclaré le NPD.

L’impérialisme canadien n’est pas en mesure de faire la leçon à qui que ce soit sur les droits de la personne en Amérique latine, surtout en Colombie. Ce pays, dont l’élite capitaliste a mené jusqu’en 2017 une guerre civile sanglante de cinq décennies contre le mouvement de guérilla des FARC, est l’un des plus proches alliés des impérialismes canadien et américain dans la région. La Colombie sert de base d’intrigue et est un allié solide dans les provocations orchestrées par l’impérialisme contre le régime de Maduro au Venezuela, et elle est jugée comme essentielle par l’alliance impérialiste américano-canadienne pour maintenir leur domination dans l’hémisphère contre des rivaux comme la Russie et la Chine. La Colombie abrite également des milliards de dollars d’investissements de la part des intérêts miniers et autres intérêts commerciaux canadiens.

Bogota a accueilli en février 2019 une réunion du Groupe de Lima au cours de laquelle le secrétaire d’État américain de l’époque, Mike Pompeo, a proféré des menaces belliqueuses à l’encontre du gouvernement vénézuélien et exigé que le régime Maduro reconnaisse le président intérimaire autoproclamé et chef de l’opposition Juan Guaido comme le dirigeant légitime du Venezuela.

Le Groupe de Lima est une coalition d’États d’Amérique du Nord et du Sud dirigée par le Canada qui travaille sans relâche depuis sa fondation en 2017 pour donner aux provocations militaires agressives de Washington contre le Venezuela un certain degré de légitimité diplomatique. Il a joué un rôle central dans l’opération de changement de régime soutenue par les États-Unis et menée par Guaido, qui s’est autoproclamé président du Venezuela en janvier 2019 après avoir reçu l’assurance du soutien de diplomates canadiens et l’appui du Groupe de Lima. (Voir: Le Canada mobilise ses appuis pour le coup d’État américain au Venezuela)

Une semaine seulement avant la réunion du Groupe de Lima à Bogota, le plus haut commandant militaire colombien se trouvait en Floride pour une réunion avec le Commandement Sud des États-Unis afin de discuter des opérations militaires contre le Venezuela. Six semaines plus tard, Guaido et ses partisans pro-impérialistes de droite ont lancé un autre coup d’État qui a été rapidement réprimé.

Tout au long de la guerre civile colombienne et jusqu’à aujourd’hui, Washington a fourni des armes à feu et d’autres équipements militaires à l’armée et à la police, toutes deux sous le contrôle du ministère de la Défense du pays. Au début du mois, Amnesty International a publié une déclaration dans laquelle elle indiquait avoir des preuves visuelles de l’utilisation d’armes de fabrication américaine pour réprimer les manifestants.

«Le rôle des États-Unis dans l’alimentation des cycles incessants de violence à l’encontre du peuple colombien est scandaleux», a déclaré Philippe Nassif, directeur du plaidoyer d’Amnesty USA. «Le gouvernement des États-Unis a participé de manière inquiétante aux meurtres, aux disparitions, aux violences sexuelles et autres tortures, ainsi qu’à l’horrible répression de dizaines de manifestations pour la plupart pacifiques.»

On connaît beaucoup moins, cependant, le commerce florissant du Canada qui fournit des armes mortelles au régime meurtrier de Bogota. Sous le gouvernement libéral Chrétien-Martin, le Canada a expédié ses hélicoptères militaires CH-135 excédentaires en Colombie en passant par les États-Unis, afin d’échapper aux contrôles des exportations de matériel militaire vers les pays engagés dans des conflits armés. Dans un document d’information publié en 2001, Amnesty International Canada et le Comité interéglises sur les droits de l’homme en Amérique latine ont noté que les entreprises canadiennes effectuaient de nombreux travaux d’entretien et de réparation sur l’équipement militaire colombien, y compris les hélicoptères. Les interdictions de réaliser de tels travaux sur du matériel militaire destiné à des pays engagés dans un conflit armé ont été contournées en classant les hélicoptères comme des engins «civils».

En 2012, le gouvernement Harper a ajouté la Colombie à la liste des pays pouvant recevoir des exportations d’armes d’assaut de forte puissance de fabricants canadiens. Parmi les armes que cette décision permettait aux producteurs canadiens de vendre à Bogota figuraient des pistolets électriques paralysants, des armes à feu entièrement automatiques et des chargeurs à grande capacité. À l’époque, la Colombie était le seul pays d’Amérique latine à recevoir une telle désignation d’Ottawa.

En 2017, le gouvernement Trudeau a annoncé le déploiement d’un petit contingent de policiers canadiens pour aider à former la police colombienne, celle-là même qui abat aujourd’hui sauvagement les manifestants.

Le soutien ferme d’Ottawa au gouvernement colombien répressif exprime les intérêts prédateurs de l’impérialisme canadien, qui jouit d’une importante présence économique et financière en Amérique latine et dans les Caraïbes depuis plus d’un siècle. Au cours des deux dernières décennies, la Colombie est devenue le deuxième marché d’exportation du Canada en Amérique du Sud, après le Brésil. Les entreprises canadiennes ont investi plus de 5 milliards de dollars en Colombie, notamment dans les secteurs des mines et de l’énergie, les services financiers et les lucratifs contrats de partenariat public-privé pour des projets d’infrastructure.

Ottawa a finalisé un accord de libre-échange (ALE) avec la Colombie en 2011. En 2019, les échanges commerciaux entre les deux pays avaient augmenté de 50 %. Exportation et développement Canada, un organisme gouvernemental qui aide les entreprises canadiennes à établir et à maintenir une présence sur les marchés étrangers, s’est enthousiasmé dans un communiqué de 2019 que le marché colombien avait été «revigoré» pour les grandes entreprises canadiennes. «L’ALE procure aux entreprises canadiennes un avantage concurrentiel en protégeant notre propriété intellectuelle et nos investissements», a noté l’EDC. «Aujourd’hui, plus de 100 entreprises canadiennes exercent leurs activités en Colombie.»

Les méthodes que ces entreprises utilisent pour «protéger leurs investissements» en Colombie sont impitoyables. La société torontoise Grand Colombia Gold (GCG), qui a acheté le titre de propriété d’une mine d’or près de la ville de Ségovie pour 205 millions de dollars en 2010, s’est empressée d’inverser la politique de l’ancien propriétaire qui autorisait les habitants à exploiter des puits secondaires sur le site, une pratique qui existe depuis des siècles.

GCG a qualifié ces mineurs, qui n’ont aucun autre moyen de gagner leur vie, de «mineurs illégaux» qui «volent l’or» de l’entreprise. Lorsque le gouvernement colombien a refusé de faire respecter le titre de propriété de l’entreprise, craignant une explosion sociale à Segovia, une ville de 42.500 habitants, dont 80 % sont employés par le secteur de l’exploitation minière traditionnelle à petite échelle, GCG a utilisé l’ALE pour poursuivre Bogota et obtenir au minimum 250 millions de dollars de dommages et intérêts.

À Marmato, un village situé au sommet d’une montagne à environ sept heures de route de Ségovie, GCG a proposé de raser le village de 8000 habitants afin de construire une mine d’or à ciel ouvert sur des terres qu’il a rachetées aux mineurs locaux.

Il n’est pas surprenant qu’une classe dirigeante capable d’employer des méthodes d’exploitation aussi brutales pour augmenter les profits des sociétés ferme les yeux sur le massacre de dizaines de manifestants et la disparition de centaines d’autres, surtout lorsque le gouvernement responsable de ces crimes scandaleux est un partenaire volontaire de l’impérialisme canadien qui pille les ressources naturelles de la Colombie.

(Article paru en anglais le 3 juin 2021)

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