Washington fait pression sur le gouvernement sri-lankais à propos du projet Ville portuaire de Colombo, financé par Pékin

Le mois dernier, le parlement sri-lankais a adopté la loi, modifiée du gouvernement Rajapakse, sur la Commission économique de la ville portuaire de Colombo (CPC), qui établit une zone économique spéciale sur des terres récupérées près du port de Colombo. La zone est construite par la Société chinoise de construction de communications grâce à un prêt de 1,4 milliard de dollars de Pékin, le plus gros investissement jamais réalisé au Sri Lanka.

Le projet est une composante majeure de l’initiative: «Nouvelle route de la soie» de Pékin, un plan géostratégique qui vise à assurer la libre circulation de ses importations et exportations via l’océan Indien et l’Asie centrale, en réponse aux efforts déployés par les États-Unis pour encercler militairement la Chine.

Les États-Unis, l’Union européenne et l’Inde sont hostiles à l’orientation du gouvernement Rajapakse vers Pékin pour l’obtention de prêts et d’investissements. Bien que ces pays n’aient pas publié de déclarations officielles sur le projet de loi du CPC, de nombreux éléments indiquent qu’ils intensifient leurs efforts pour saper l’influence chinoise à Colombo.

Le président sri-lankais Gotabaya Rajapakse, au centre. (AP Photo/Eranga Jayawardena)

Aux États-Unis, Deborah Ross, députée du Parti démocrate au Congrès, soutenue par Bill Johnson, député républicain, a présenté une résolution appelant à la mise en place d’un «mécanisme international efficace de responsabilisation» pour les «graves violations des droits de l’homme» au Sri Lanka.

Présentée le 18 mai, la résolution est maintenant entre les mains du président de la Commission des relations étrangères du Sénat. Elle demande instamment à Washington de travailler avec l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH) pour accroître la pression sur Colombo.

Bien qu’il ne soit pas certain que la Commission des relations étrangères approuve la résolution, les États-Unis sont farouchement opposés aux relations croissantes du gouvernement Rajapakse avec Pékin.

Les «crimes graves» mentionnés dans la résolution comprennent le meurtre de 40.000 civils au cours des dernières semaines de la guerre communautaire brutale de 26 ans avec les séparatistes des LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul), la disparition de centaines de personnes qui se sont rendues à l’armée, et de nombreuses autres violations citées par l’ONU.

L’ancien président Mahinda Rajapakse avait repris la guerre en 2006 et le conflit sanglant avait pris fin suite à la défaite des LTTE en mai 2009. Son frère cadet et actuel président, Gotabhaya Rajapakse, était secrétaire à la Défense pendant cette période.

Les États-Unis ont déjà co-parrainé une résolution présentée au CDH par un groupe de pays dirigé par le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et le Canada. La résolution demande une enquête, supervisée par un mécanisme international, sur les crimes de guerre commis par Colombo.

Washington, qui s'est rendu coupable de nombreux crimes de guerre à travers le monde rien qu'au cours des trois dernières décennies, ne s'inquiète pas le moins du monde des violations des droits de l'homme commises par Colombo. Il a soutenu la reprise de la guerre par Mahinda Rajapakse en 2006, et son régime antidémocratique.

Washington n’a commencé à faire pression sur Colombo qu’au cours des dernières années de la guerre, après que la Chine soit devenue la principale source d’aide financière et de matériel militaire du Sri Lanka.

Dans un premier temps, les États-Unis ont présenté une série de résolutions au CDH demandant une enquête sur les droits de l’homme pour faire pression sur Colombo. Lorsque celles-ci ont échoué, Washington a parrainé une opération de changement de régime en 2015 qui a évincé Mahinda Rajapakse de la présidence et a conduit à l’installation de Maithripala Sirisena, pro-américain.

Le Parti national unifié (UNP), l’Alliance nationale tamoule (TNA) et le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) ont soutenu les actions de Washington. Dénonçant le régime anti-démocratique de Rajapakse, une foule de radicaux, de groupes de pseudo-gauche et de syndicats se sont ralliés à cette opération, affirmant tous qu’un gouvernement Sirisena établirait une «bonne gouvernance».

Washington a réagi à l’élection de Gotabhaya Rajapakse à la présidence en novembre 2019, puis à la nomination de Mahinda au poste de premier ministre, en lançant des avertissements répétés sur les liens de Colombo avec la Chine.

Comme ses prédécesseurs, le président américain Joe Biden renforce l’agenda géopolitique anti-chinois de Washington et ne tolérera pas l’orientation du régime Rajapakse vers Pékin.

Le gouvernement Biden, les services de renseignement américains et les médias multiplient actuellement les allégations bidon que le virus COVID-19 a été développé et diffusé par l’Institut de virologie de Wuhan. Washington renforce également le dialogue quadrilatéral sur la sécurité, connu aux États-Unis sous le nom de Quad ; une alliance militaire de fait dirigée contre la Chine à laquelle participent les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde.

Dans un autre développement significatif, le Parlement européen a adopté le 10 juin une résolution appelant à faire pression sur le Sri Lanka. Elle cite des crimes de guerre et d’autres violations des droits de l’homme, comme les récentes arrestations et détentions en vertu de la loi sur la prévention du terrorisme (PTA).

La résolution invite la Commission européenne à utiliser le SGP (Système généralisé de préférences [commerciales]) comme «levier pour faire avancer les obligations du Sri Lanka en matière de droits de l’homme» et demande à Colombo de supprimer la loi PTA. Le Sri Lanka est fortement tributaire du SPG, qui prévoit d’importantes concessions fiscales sur ses exportations vers l’Europe et les États-Unis, ses principaux marchés.

Le point 18 de la résolution déclare sans détours sa «préoccupation quant au rôle croissant et à l’ingérence de la Chine au Sri Lanka». La résolution a été soumise à la Commission européenne, qui doit revoir le SPG du Sri Lanka en novembre.

L’UE, comme Washington, a un passé brutal de violations des droits de l’homme et de crimes de guerre. Son invocation hypocrite des crimes de guerre sri-lankais a pour but de soutenir les efforts menés par les États-Unis au Sri Lanka et de promouvoir ses propres intérêts géostratégiques.

Le gouvernement indien, un État de première ligne face à la Chine et le principal allié régional de Washington, n’a pas fait de déclaration directe sur la législation relative à la ville portuaire de Colombo. Les préoccupations de l’élite indienne trouvent toutefois un écho dans les médias, plusieurs organes déclarant que le projet de loi sur la ville portuaire de Colombo représente un renforcement des projets «pro-chinois» au Sri Lanka.

Dans un article intitulé «Avec la ville portuaire de Colombo, la Chine voit une colonie étrangère potentielle au Sri Lanka», le Wion News, basé en Inde, a déclaré : «le Sri Lanka est sur une autoroute pour devenir une colonie chinoise». The Hindu avertit que Pékin «accroît son empreinte dans la région».

Les partis officiels d'opposition sri-lankais – le Samagi Jana Balawegaya (SJB), l'UNP, le JVP et le TNA – ont intensifié leur campagne nationaliste et raciste réactionnaire contre la ville portuaire de Colombo, déclarant qu'elle trahissait la « souveraineté et l'intégrité territoriale » du pays et transformait l'île en colonie chinoise.

Le leader du SJB et de l’opposition parlementaire, Sajith Premadasa, a demandé au gouvernement de retirer le projet de loi, déclarant qu’il «vend la souveraineté, l’intégrité territoriale et la liberté politique du pays à des pays étrangers».

Le leader du JVP, Anura Kumara Dissanayake, a déclaré que la nouvelle législation conduirait à l’établissement d’une province chinoise au Sri Lanka.

M.A. Sumanthiran, député de l’Alliance nationale tamoule, a été encore plus explicite lors du débat parlementaire: «Vous donnez une masse terrestre à la Chine dans vos eaux territoriales et vous récolterez les conséquences de cet acte très bientôt».

Ces affirmations sont dans la ligne directe de l’agenda géostratégique anti-Chine de Washington. Elles sont également utilisées pour faire aller dans une direction réactionnaire et nationaliste la colère croissante des travailleurs et des pauvres devant la réponse criminelle du gouvernement Rajapakse à la pandémie de COVID-19 et ses attaques des droits démocratiques. Il est significatif que ces partis ont tous soutenu le changement de régime parrainé par les États-Unis à Colombo en 2015.

Le gouvernement Rajapakse est extrêmement nerveux face à la réaction des États-Unis et de l’UE à la nouvelle loi.

Le ministre sri-lankais des Affaires étrangères, Dinesh Guanwardena, a fait part des préoccupations de Colombo concernant la résolution du Sénat américain au chargé d’affaires de l’ambassade des États-Unis. Ravinath Ariyasinha, l’ambassadeur du Sri Lanka à Washington, a appelé le président de la Commission des relations étrangères des États-Unis à ne pas poursuivre la résolution, tandis que le gouverneur de la banque centrale du Sri Lanka, W.D. Lakshman, a exhorté les diplomates à sauver les concessions SGP de l’île.

Le président Rajapakse a affirmé à plusieurs reprises que son gouvernement menait une «politique étrangère neutre», mais les États-Unis ayant intensifié leurs actions provocatrices à l’encontre de la Chine, Washington est déterminé à faire rentrer Colombo dans le rang.

(Article paru d’abord en anglais le 14 juin 2021)

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