Un travailleur de Maruti Suzuki emprisonné à vie après avoir été piégé meurt à cause de la négligence des autorités: une victime de la justice de la classe dirigeante

Le World Socialist Web Site (WSWS) a récemment été informé de la mort de Jiyalal: l’un des 13 travailleurs de l’usine d’assemblage de voitures de Maruti Suzuki à Manesar qu’un tribunal indien a condamné à la prison à vie en mars 2017 sur la base d’accusations de meurtre montées de toutes pièces.

Les autorités indiennes sont directement responsables de la mort du militant ouvrier Jiyalal à seulement 35 ans, car elles ont refusé de lui fournir des soins médicaux appropriés, même après qu’un cancer lui ait été diagnostiqué.

Jiyalal, victime d’un coup monté, décédé

Jiyalal et 12 autres travailleurs ont été jugés coupables de la mort par inhalation de fumée d’Awanish Kumar Dev, un responsable des ressources humaines décédé dans un mystérieux incendie qui a éclaté à l’intérieur de l’usine automobile lors d’une altercation provoquée par la direction le 18 juillet 2012.

Ils sont victimes d’une vendetta juridique montée par la police, les tribunaux et les deux principaux partis indiens, le Parti du Congrès et le Parti Bharatiya Janata (BJP), sur ordre de Maruti Suzuki, le plus grand constructeur automobile indien. Leur seul «crime» est d’avoir été à la tête d’une lutte militante contre un régime de travail brutal, des salaires de misère et des emplois contractuels précaires, et qui est devenue un pôle d’opposition ouvrière dans la gigantesque ceinture industrielle de Gurgaon-Manesar, en banlieue de Delhi.

Jiyalal et ses 12 collègues de travail ont été condamnés à l’issue d’un procès bidon, au cours duquel l’accusation a présenté des preuves fabriquées, la police s’est parjurée et le juge a délibérément déformé la loi afin de transférer la charge de la preuve sur l’accusé. Le WSWS a beaucoup écrit sur la lutte des travailleurs de Maruti Suzuki au cours de la dernière décennie et, en collaboration avec le Comité international de la Quatrième Internationale, a organisé une campagne mondiale pour obtenir leur libération immédiate et inconditionnelle.

Jiyalal a été pointé du doigt et désigné comme le «principal accusé» lors du procès des 13, car c’est suite à une sanction disciplinaire arbitraire qu’il a subie de la part d’un directeur de Maruti Suzuki qu’a été déclenchée, le 18 juillet 2012, une grève sur le tas par ses collègues ouvriers, auquel l’entreprise a réagi en lançant ses gorilles de sécurité dans une attaque brutale.

Jiyalal, sa femme Sonia et son fils de 9 ans Vivek dans des moments plus heureux

L’incident a commencé lorsque Jiyalal a insisté, à juste titre, pour qu’un superviseur, qui avait interrompu sa pause thé de 7 minutes pour lui donner son «feedback quotidien» sur la réalisation des objectifs de production, le fasse pendant son temps de travail. Le superviseur a alors proféré d’ignobles injures à l’encontre de Jiyalal, le rabaissant parce qu’il était un Dalit (descendant d’«intouchables»), puis l’a suspendu.

Jiyalal est décédé le soir du 4 juin d’un cancer de la colonne vertébrale à son domicile de Dhakal, un village de l’Haryana situé à environ 200 km au nord-ouest de Manesar. En raison de la pandémie de COVID-19 qui fait rage, les autorités ont libéré temporairement certains prisonniers, dont les ouvriers de Maruti Suzuki accusés.

La maladie de Jiyalal est passée inaperçue pendant une grande partie de la dernière décennie, au cours de laquelle il a été soumis à une incarcération presque continue, à partir de la troisième semaine de juillet 2012, lorsqu’il a été arrêté pour la première fois par la police et jeté en prison. Avec environ 150 autres travailleurs de Maruti Suzuki qui ont été pris dans la rafle de la police, il a été brutalement battu et torturé pendant sa garde à vue.

Après le verdict du tribunal de mars 2017, Jiyalal a été expédié en prison pour purger sa peine de prison à vie avec les 12 autres travailleurs. Il était le seul des 13 à ne pas faire partie des 12 membres de l’exécutif du Syndicat des travailleurs de Maruti Suzuki, (Maruti Suzuki Workers Union – MSWU), que les travailleurs de Manesar avaient créé au cours d’une lutte acharnée d’un an en 2011-2012 pour s’opposer au syndicat pro-entreprise soutenu par le gouvernement.

Même après que le personnel médical de la prison ait détecté le cancer de Jiyalal, les autorités pénitentiaires lui ont refusé sans ménagement tout traitement approprié, se contentant de lui fournir des analgésiques pour soulager son mal de dos.

Après de nombreux efforts de Jiyalal, de sa famille et de ses partisans, des tests détaillés ont été effectués dans un institut médical de la ville de Rohtak. Mais le rapport médical n’a pas été remis à sa famille, car le personnel de l’institut, agissant sans doute sur ordre officiel, a insisté sur le fait qu’il ne pouvait être communiqué qu’à Jiyalal – qui avait été renvoyé en prison – ou aux autorités pénitentiaires.

Ansh, le fils de Jiyalal, âgé de 2 ans

Malgré la maladie mortelle de Jiyalal, la haute cour de l’Haryana a rejeté à plusieurs reprises sa demande de libération temporaire (caution) pour qu’il puisse se faire soigner. Lorsqu’il a commencé à recevoir le traitement nécessaire, son cancer avait atteint le stade 4 fatal.

Même pendant sa dernière année atroce passée à la maison, la police venait régulièrement et menaçait ses parents, leur disant qu’ils pouvaient toujours ramener Jiyalal en prison. Le père de Jiyalal était si épuisé par toutes les tragédies dont il a été témoin et qu’il a subies tout au long de sa vie, en particulier les procès monumentaux menés contre son fils aîné innocent et bien-aimé, qu’il est lui-même décédé il y a plusieurs mois.

Jiyalal laisse derrière lui sa mère, ainsi que sa sœur et son frère cadets, de même que sa femme et ses deux jeunes fils âgés de 2 et 9 ans seulement.

Ce jeune travailleur était originaire d’un petit village du nord de l’Haryana réunissant 1500 familles et comptant 8000 habitants environ, selon le recensement de 2011. Comme la plupart de ses collègues, Jiyalal était un prolétaire de première génération faisant de son mieux pour échapper à la pauvreté et aux conditions de vie marginales de son village natal.

Après avoir terminé ses études secondaires, Jiyalal s’est inscrit à une école de métiers réputée gérée par le gouvernement indien, l’Industrial Training Institute (ITI). Après avoir obtenu son diplôme, il est devenu ouvrier à l’usine automobile Maruti Suzuki située dans le canton de Manesar, qui abrite de nombreuses sociétés transnationales.

Lorsqu’il a commencé à travailler à l’usine automobile, il était le seul à subvenir aux besoins de sa famille. Aujourd’hui, cette charge incombe entièrement à son jeune frère, Sandeep. Après l’arrestation de Jiyalal en 2012, Sandeep a dû interrompre sa scolarité pour aider à soutenir la famille.

Dans une nécrologie émouvante écrite par son ancien collègue et militant du MSWU, Ram Niwas, Jiyalal est décrit comme une personne sincère, tenace et dotée d’un grand sens de l’humour. Ram Niwas, qui travaillait à ses côtés sur la chaîne de montage, explique que Jiyalal s’était élevé jusqu’à devenir un leader ouvrier, restant toujours calme malgré les épreuves extraordinaires qu’il traversait.

Jiyalal est décédé le 4 juin, le jour du dixième anniversaire de la grève sur le tas menée par les travailleurs de Maruti Suzuki à l’usine de Manesar en 2011 pendant 13 jours. Jiyalal a pris part à cette lutte historique. Les travailleurs s’étaient rebellés contre leurs conditions de travail brutales, notamment la nécessité d’assembler une automobile toutes les 45 secondes et les violences quotidiennes de la direction, et ils se battaient pour la reconnaissance d’une nouvelle organisation indépendante du syndicat pro-entreprise officiellement sanctionné.

Jiyalal est une victime de la justice de la classe dirigeante. La police, les tribunaux et les gouvernements de l’État de l’Haryana, dirigé par le Parti du Congrès, et de l’Inde, dirigé par le BJP, ont travaillé main dans la main avec la direction de l’entreprise pour imposer une punition exemplaire à ces travailleurs. Lors de leur procès, l’État a demandé que les 13 dirigeants du MSWU soient condamnés à mort par pendaison.

L’élite dirigeante indienne voulait ainsi rassurer les entreprises étrangères avides de profits en leur montrant qu’elles pouvaient compter sur l’État indien pour réprimer toute opposition des travailleurs à l’exploitation dans les ateliers de misère. Comme l’a tristement déclaré le procureur spécial de l’État, Anurag Hooda, lors de l’audience de condamnation des travailleurs en mars 2017, «Notre croissance industrielle a chuté, les IDE (investissements directs étrangers) se sont taris. Le premier ministre Narendra Modi fait la promotion du 'Make in India', mais de tels incidents sont une tache à notre image.»

La responsabilité de la mort douloureuse et prématurée de Jiyalal incombe à ceux qui l’ont envoyé en prison par le biais d’une monstrueuse machination. Les autorités pénitentiaires qui lui ont refusé des soins médicaux sont directement coupables. Mais il faut également souligner que les coups qu’il a reçus, notamment sur le dos, au cours de ses premières semaines d’arrestation pourraient bien avoir entraîné des blessures et des traumatismes internes à son dos qui, non traités, auraient pu causer ou contribuer au développement ultérieur du cancer qui a causé sa mort.

La mort de Jiyalal est la deuxième parmi les 13 victimes du coup monté de Maruti Suzuki. En février, Pawan Dahiya, 37 ans, est mort dans sa ferme après avoir été électrocuté par une pompe de puits submersible apparemment défectueuse.

Des milliers d’autres travailleurs qui ont été licenciés en masse par la direction de Maruti Suzuki en août 2012, lors d’une purge de la main-d’œuvre de Mansar soutenue par le gouvernement, luttent toujours pour gagner leur vie. Au moins deux d’entre eux se sont suicidés.

Le Parti communiste indien (marxiste) stalinien ou CPM, le Parti communiste indien (CPI) et leurs appareils syndicaux affiliés, le CITU et l’AITUC, tout comme le reste des syndicats indiens, ont complètement abandonné les travailleurs de Maruti Suzuki. Bien qu’ils soient très présents dans la zone industrielle de Manesar, les syndicats dirigés par les staliniens ont refusé de mener la moindre lutte pour dénoncer le coup monté et obtenir la libération des travailleurs de Maruti Suzuki.

Cependant, la montée croissante de la lutte de la classe ouvrière en Inde et au niveau international crée les conditions pour briser l’isolement imposé par les syndicats et les partis staliniens et pour renouveler la lutte pour la libération immédiate et l’exonération de ces prisonniers de guerre de classe. Les travailleurs, qui ont connu des décennies d’austérité capitaliste et une aggravation radicale de leurs conditions de travail et de vie en raison de la pandémie, contestent de plus en plus ouvertement la priorité accordée par l’élite dirigeante de chaque pays aux profits des sociétés au détriment de la vie et des moyens de subsistance des travailleurs.

Récemment, les travailleurs de Toyota dans l’État du Karnataka ont organisé une grève de quatre mois contre des conditions de travail brutales. Les travailleurs de Hyundai et de Renault-Nissan dans l’État voisin du Tamil Nadu ont mené des actions de grève le mois dernier pour demander l’arrêt de la production, alors que la COVID-19 se répandait largement. Aux États-Unis, 3000 travailleurs de l’usine de camions Volvo de New River Valley à Dublin, en Virginie, se sont rebellés contre le syndicat United Auto Workers (UAW) et la direction de l’entreprise qui tentent de leur imposer des reculs draconiens et en sont maintenant à leur deuxième semaine de grève.

Afin de fournir à la classe ouvrière un moyen de coordonner ses luttes dans différentes usines et industries, au-delà des frontières et des continents, en opposition aux grandes entreprises, à leurs mercenaires politiques des gouvernements et en opposition aux syndicats propatronaux, et de développer une contre-offensive basée sur un programme socialiste-internationaliste, le Comité international de la Quatrième Internationale a lancé l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC).

L’une des tâches essentielles de l’ IWA-RFC et de toutes les véritables organisations de travailleurs de la base doit être de redoubler la lutte pour développer un mouvement mondial visant à obtenir la libération immédiate des 11 travailleurs de Maruti Suzuki emprisonnés et de tous les autres prisonniers de guerre de classe.

(Article paru en anglais le 15 juin 2021)

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