"Nous combattons à la fois l'entreprise et le syndicat UAW"

Les travailleurs de Volvo Truck en Virginie entament une troisième semaine de grève

Hier, les 2 900 ouvriers de Volvo Trucks à l'usine de New River Valley à Dublin, en Virginie, ont entamé leur troisième semaine de grève. Les travailleurs de la plus grande usine de fabrication de camions de la multinationale suédoise ont rejeté deux accords appuyé par le syndicat United Auto Workers (UAW) et sont déterminés à obtenir des améliorations substantielles et à rattraper plus d'une décennie d’abandons imposés par l'UAW.

Selon l'UAW et les responsables de l'entreprise, des négociations formelles devaient reprendre mercredi à Charlotte, en Caroline du Nord. Dans des lettres aux travailleurs en grève à la fin de la semaine dernière, le secrétaire-trésorier et négociateur en chef de l'UAW Ray Curry et le président de la section locale 2069 de l'UAW, Matt Blondino, avaient déclaré que l'UAW négocierait un « contrat équitable ». Mais ni l'un ni l'autre n’ont voulu dire quelles revendications l'UAW poserait, s’il en posait du tout, et en quoi leur prochain accord serait différent des deux autres, que les travailleurs ont rejetés à 90 et 91 pour cent.

Légende : Grévistes chez Volvo (Source: UAW L. 2069)

Les « pourparlers » entre l'UAW et Volvo ne se tiendront pas entre deux parties antagonistes. Ils se tiendront au contraire entre deux entités commerciales, toutes deux déterminées à repousser la résistance des travailleurs et à imposer un accord de travail qui sera mutuellement bénéfique pour l'entreprise et les dirigeants corrompus de l'UAW.

Loin de proposer une stratégie pour gagner la grève, l'UAW isole délibérément les travailleurs de Volvo, leur impose une ration de famine de 275 $ par semaine en indemnités de grève et impose un black-out pour cacher la grève aux autres membres de l'UAW et les empêcher de venir en aide aux travailleurs de Volvo.

Dans cette grève, les travailleurs ont cependant déjà formé le Comité de base des travailleurs de Volvo (VWRFC), afin de contrer le sabotage et les mensonges de l'UAW et pour mobiliser tous les travailleurs de Volvo et des secteurs plus larges de la classe ouvrière, et parvenir ainsi à briser l'isolement de la grève.

« Nous sommes en grève depuis plusieurs semaines et nous restons solidaires en vue d’une longue grève », a déclaré un membre du VWRFC au WSWS. « Il n'y a pas que Volvo. Nous combattons aussi l'UAW. C'est la partie difficile. Nous les combattons tous les deux. Nous avons essayé d'anticiper quelle sera leur prochaine attaque et de trouver notre propre riposte avant qu'ils ne puissent attaquer.

« Les trois derniers accords que l'UAW a négociés étaient vraiment mauvais. Les travailleurs réembauchés après avoir été licenciés ont subi une baisse de salaire de 6 à 7 dollars de l'heure dans le cadre de l'accord de 2008, qui a introduit le système de rémunération à deux niveaux. Il a fallu 15 ans à certains travailleurs pour enfin intégrer le groupe principal de l’échelon supérieur et maintenant ils essaient à nouveau de remettre l'échelle des salaires à zéro. L'UAW a dit qu’il n’y aurait plus deux niveaux. Mais selon leur proposition, les travailleurs embauchés après 2011 plafonneraient à 27 $ l'heure et ceux entrés avant cette date dans l’échelon supérieur, plafonnerait à 31 $.

« Il faudra six ans avant que les embauchés post-2011 obtiennent le salaire supérieur, qui sera de 3 à 4 $ de moins que pour ceux du groupe principal », a déclaré un autre gréviste et membre du Comité de base des travailleurs de Volvo au WSWS. « L'UAW n'a pas écouté notre demande de se débarrasser des différents niveaux de salaire et de porter tout le monde au salaire maximum plus tôt. Voilà maintenant où on en est et nous perdons encore plus de choses. Le salaire ne suffit pas à couvrir l'augmentation du coût de la vie, et les travailleurs n'atteignent pas le salaire maximum assez rapidement, voire jamais. »

Des travailleurs de Stellantis à l'usine de Warren Truck Assembly (WSWS Media)

La dernière chose que l'UAW veut, c'est que les travailleurs de Volvo fassent des avancées substantielles après avoir massivement rejeté deux accords précédents. Cela ouvrirait les vannes non seulement pour les travailleurs de la production automobile et de camions mais pour des millions d’autres qui lanceraient une contre-offensive pour récupérer les décennies de réductions de salaires et d'avantages sociaux qui ont enrichi les élites patronales et financières comme leurs serviteurs dans la bureaucratie syndicale.

Après le tollé des travailleurs suite à l'annonce de l'UAW qu’il ne payerait des indemnités de grève qu’à partir du lundi 21 juin [deux semaines après le début de cette grève et après une autre de deux semaines en avril, où les travailleurs n'ont reçu aucune indemnité], les responsables de la section locale 2069 ont déclaré vendredi dernier « à notre surprise les chèques [des indemnités de grève] sont arrivés cet après-midi. Nous mettons au point la logistique et commencerons à les distribuer aujourd'hui 18 juin, de 18h à 22h. »

Au cours du week-end, les travailleurs du piquet de grève ont affronté des responsables syndicaux locaux ; ils ont exigé que le syndicat augmente l’indemnité de grève payée par le fonds de grève et de défense de l'UAW, qui contient 790 millions de dollars. Les responsables syndicaux ont affirmé que c’était impossible ; toute augmentation devait d'abord être approuvée par une convention statutaire de l'UAW, qui ne se réunirait pas avant juin 2022.

Ce n'est là qu'une absurdité intéressée de la part d'une organisation dont les principaux dirigeants ont utilisé à mainte reprise les cotisations syndicales pour financer tournées de golf et villas de luxe à Palm Springs, en Californie et dans d'autres stations balnéaires. De plus, les conventions statutaires de l'UAW – remplies de bénis-oui-oui à la botte des principaux dirigeants de l'UAW – ont souvent voté pour détourner des centaines de millions du fonds de grève à des fins «administratives» ou autres fins douteuses.

La grève a déjà eu un impact sur la production des usines de Mack-Volvo à Hagerstown, Maryland et Allentown, Pennsylvanie. Les travailleurs de l'usine de Hagerstown, qui fabriquent des moteurs et des transmissions pour des véhicules assemblés à l'usine de New River Valley, ont déclaré au WSWS qu'un préavis d'« offre » de licenciement temporaire a été donné pour la période du 5 au 23 juillet.

Curry et l'UAW, qui ont trahi la grève de 2019 de 3 500 travailleurs de Mack-Volvo, sont catégoriquement opposés à une action commune de tous les travailleurs de Volvo. Commentant les trahisons de l'UAW, un travailleur de Hagerstown a déclaré au WSWS: « La direction internationale a tellement sapé les droits et capacités du travailleur syndiqué, pour leur gain personnel et mal acquis. Nous n'aurions jamais dû retourner au travail avec un contrat qui n'avait absolument pas à cœur l'intérêt des travailleurs syndiqués ». Il a déclaré que les responsables de l'UAW avaient fait passer l’accord de 2019 en force, avec la menace que l'entreprise fermerait l'usine et délocaliserait ses opérations si les travailleurs n’acceptaient pas plus d’abandons. « Ce n'est pas difficile de voir leur objectif; l'entreprise supprime progressivement le salaire syndical pour les intérimaires. Nous avons fait tellement de concessions au fil des ans pour assurer la rentabilité de Volvo que cela a été une cascade sans fin de pertes pour les salariés! »

Le World Socialist Web Site lutte activement pour briser la conspiration du silence de l'UAW et des grands médias sur la grève et pour informer les travailleurs de l'automobile et d'autres secteurs, aux États-Unis et dans le monde, sur cette lutte critique.

Une équipe de campagne du WSWS s'est rendue samedi à l'usine de montage Stellantis de Jefferson North à Détroit, où les travailleurs produisent des Jeep Cherokees et des Dodge Durangos, et a distribué des copies de la lettre ouverte à l'UAW.

Lorsque le WSWS a expliqué que les travailleurs de Virginie avaient rejeté un accord à deux reprises et formé un comité pour empêcher l'UAW de vendre leur grève, plusieurs d’entre eux ont déclaré: «Voilà une idée bien intéressante. » L'UAW ne leur avait pas parlé de la grève.

Une jeune travailleuse a demandé : « Vous êtes syndiqué ? » Lorsque le militant du WSWS a dit qu'ils n'étaient pas affiliés à l'UAW, elle a dit: « Ah, ça c'est bien. Ce syndicat n'a rien fait pour nous ». Elle a fait marche arrière avec sa voiture et a pris un tract. Certains travailleurs ont dit qu'ils avaient déjà entendu parler de la grève de Volvo parce qu'ils l'avaient lu dans Bulletin d'information des travailleurs de l'automobile du WSWS.

Après avoir lu la lettre ouverte, un ouvrier de l’usine de Ford Chicago Assembly a dit au WSWS: « Tous les membres de l'UAW devrait voir cela. Je suis très impressionné par les revendications. C'est comme ça que ça devrait être. L'UAW chez Ford à Chicago s’occupe uniquement de ceux qui leur conviennent. L'UAW et la société ne donnent pas aux syndiqués ce que nous devrions déjà avoir. Cet article devrait être entre les mains de chaque membre de l'UAW ».

Des travailleurs en Inde, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Turquie, au Sri Lanka, et dans d'autres pays, ont également fait des déclarations de soutien qui, selon ceux de Volvo, ont renforcé leur détermination à gagner cette bataille. S'adressant aux grévistes de Volvo, un ouvrier du complexe de fabrication de General Motors à Silao, au Mexique, a déclaré: « Allons-y, chers collègues. Nous luttons contre des géants. Ne vacillez pas. Plus l'adversaire est gros, plus il tombe fort. Pensons à l'avenir de nos enfants, ne leur laissons pas cette saleté. Nous grandissons; unis, nous ferons le changement. »

Pendant la grève de GM aux États-Unis en 2019, les travailleurs de GM Silao ont défié le syndicat pro-entreprise CTM (Confédération des travailleurs mexicains) et refusé de faire des heures supplémentaires, en solidarité avec leurs frères et sœurs de l'autre côté de la frontière. Pour avoir pris cette position courageuse, le constructeur automobile de Detroit a licencié plusieurs travailleurs avec la bénédiction de la CTM. En réponse, des travailleurs de GM et d’autres secteurs ont dénoncé les licenciements, donné de l'argent pour aider les travailleurs victimisés, et appelé à l'unité ouvrière contre les sociétés multinationales.

« Nous pouvons voir que tant de travailleurs, aux États-Unis et dans le monde, soutiennent notre lutte », a déclaré au WSWS un travailleur en grève de Volvo. « Leurs déclarations et les photos de travailleurs de l'automobile de Detroit brandissant des pancartes disant ‘Je soutiens les travailleurs de Volvo’ ont remonté le moral et fait une réelle différence. J'espère que nous pourrons nous entraider, ainsi que d'autres travailleurs en grève comme les mineurs de l'Alabama. Il y a des générations de travailleurs qui ne connaissent pas les grèves et partout les responsables syndicaux disent ‘on ne peut pas obtenir plus’, d'entreprises qui gagnent des milliards. Ils reçoivent leur ordre de marche pour prendre nos salaires et nos prestations de santé. Ils se comportent comme des milliardaires sur leur piédestal et pensent que nous devrions nous incliner devant eux. Mais ce que nous disons maintenant, c'est que ça, c’est terminé. »

(Article paru en anglais le 21 juin 2021)

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