Tandis que s’intensifie la campagne anti-Chine

Promotion par le gouvernement canadien de la théorie conspirationniste d’une fuite de virus depuis le laboratoire de Wuhan

Le gouvernement canadien, l’establishment politique et les médias du monde des affaires se sont rapidement rangés derrière les États-Unis et leurs autres alliés impérialistes en reprenant la théorie de la conspiration scientifiquement discréditée qui soutient que le virus de la COVID-19 ne provient pas de la nature, mais plutôt d’un laboratoire de l’Institut de virologie de Wuhan. Malgré l’absence manifeste de preuves à l’appui de ces affirmations, le gouvernement canadien les a adoptées car elles appuient son virage vers l’agression militaire contre la Chine, tout en fournissant un moyen de diriger vers l’extérieur la colère sociale suscitée par la réponse brutale de l’élite dirigeante à la pandémie, qui fait passer les profits avant les vies.

Le ministre canadien des Affaires étrangères, Marc Garneau, lors d’une réunion avec le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, au Harpa Concert Hall de Reykjavik, en Islande, le mercredi 19 mai 2021 (Photo: Saul Loeb/dossier via AP)

Le Canada s’est joint à ses alliés du G7 lors de leur sommet annuel, qui s’est tenu au début du mois au Royaume-Uni, pour «échanger leurs idées» sur la théorie discréditée de la fuite du virus depuis le laboratoire de Wuhan, qui a vu le jour dans les milieux d’extrême droite autour de l’idéologue fasciste Steve Bannon et de l’ancien président américain Donald Trump.

Dans la déclaration finale du G7, le premier ministre Justin Trudeau s’est joint aux dirigeants du Royaume-Uni, des États-Unis, de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et du Japon pour condamner la Chine en matière de commerce et de droits de l’homme et exiger une attitude plus ferme à son égard.

S’exprimant lors de l’émission Question Period sur le réseau CTV le mois dernier, alors que l’administration Biden et les médias américains menaient une campagne concertée pour relancer les allégations discréditées de Wuhan, le ministre canadien des Affaires étrangères Marc Garneau a révélé la nature non scientifique et explicitement politique de l’adhésion du gouvernement canadien à la théorie de la fuite en laboratoire en déclarant: «Il est important que nous fassions des recherches scientifiques pour déterminer d’où il (le virus de la COVID-19) provient, car cela peut se reproduire et nous soutenons donc l’annonce du président Biden... de mener une enquête plus approfondie.» La pression américaine pour «enquêter plus en profondeur» n’est pas le fait de scientifiques, mais des agences de renseignement américaines et de l’extrême droite, afin de développer un prétexte pour accroitre l’agression et les menaces de guerre contre la Chine.

Garneau, lui-même ingénieur et astronaute, sait très bien que «la science permettant de déterminer l’origine du virus» a été réalisée l’année dernière, sous la forme du séquençage génétique du virus de la COVID-19, et que les résultats de cette science excluent l’origine du virus par un accident de laboratoire. Biden, parlant au nom de Washington et de Wall Street, a déclaré que les États-Unis devaient «gagner le XXIe siècle», ce qui signifie qu’ils doivent empêcher l’émergence de la Chine en tant que puissance mondiale. La science n’ayant pas donné les résultats escomptés par l’impérialisme mondial dans cette lutte, on fait appel à la pseudoscience et à la diffamation.

Cette volte-face de l’ensemble de la classe dirigeante est reprise sans critique par les médias canadiens qui, il y a seulement un an, rapportaient: «Le président des chefs d’état-major interarmées (américains) a répété que le poids de la preuve continuait de suggérer une émergence naturelle plutôt qu’accidentelle du SRAS-CoV-2.» En 2020, le gouvernement canadien a rejeté la théorie du complot du laboratoire de Wuhan, dont le principal partisan était l’ancien président Donald Trump.

Un facteur majeur de cette volte-face est le désir d’Ottawa, partagé par tous les grands gouvernements capitalistes, de trouver un bouc émissaire pour leur propre échec désastreux face à la pandémie. Au moment où nous écrivons ces lignes, plus de 1,4 million de Canadiens ont été infectés par la COVID-19 et plus de 25.800 en sont morts. D’autres mourront encore à mesure que l’économie sera forcée de rouvrir ses portes. La grande majorité de ces infections et de ces décès était totalement évitable, tout comme les effets de la pandémie sur l’ensemble de la société. Des millions de travailleurs canadiens ont perdu leurs revenus ou les ont vus fortement réduits, et sont contraints de retourner dans des conditions de travail dangereuses. L’inflation grignote le peu qu’il reste. Pendant ce temps, les milliardaires du monde entier ont utilisé la pandémie pour accroitre massivement leur richesse déjà répugnante. Cette situation intolérable s’exprime aujourd’hui par une recrudescence de la lutte des classes.

Cette recrudescence a pris la forme de grèves et de protestations dans l’industrie automobile, les usines industrielles et les mines. 2400 travailleurs de l’entreprise Vale à Sudbury ont massivement rejeté un contrat de capitulation cousu de fil blanc, que le Syndicat des Métallos (USW) a cherché à leur imposer à la demande des patrons. Ce regain de militantisme ouvrier se heurte aux syndicats, sur lesquels le gouvernement libéral et la classe dirigeante s’appuient depuis des décennies pour étouffer la lutte des classes et subordonner la classe ouvrière aux objectifs de l’impérialisme canadien.

La classe dirigeante canadienne craint que ses échecs manifestes pendant la pandémie n’ouvrent un espace politique pour une contestation de son pouvoir par la classe ouvrière. En déployant le «gros mensonge» – accusant la Chine d’être responsable des 25.000 morts reliées à la COVID-19 au Canada – la classe dirigeante canadienne cherche à échapper à la responsabilité de sa propre indifférence criminelle face aux morts en masse.

L’adoption par le gouvernement canadien de la théorie de la conspiration de la fuite du virus depuis le laboratoire de Wuhan fait partie d’une campagne plus vaste menée par l’impérialisme américain en vue de mener une guerre contre la Chine, à laquelle la classe dirigeante canadienne s’est ralliée, comme on pouvait s’y attendre. Une telle campagne nécessite une combinaison de diabolisation et de mensonges pour exciter les couches sociales les plus arriérées de la société, et pour délégitimer et salir les opposants à la vaste campagne de réarmement du Canada, qui a vu le gouvernement Trudeau s’engager à dépenser des dizaines de milliards de dollars pour de nouveaux avions de guerre, navires de guerre et autres systèmes d’armes. À chaque occasion, les politiciens canadiens et les médias dépeignent la Chine comme un mal monstrueux, à savoir «la plus grande menace» à laquelle nous sommes confrontés. Dans cet effort, les libéraux ont le soutien des conservateurs, ainsi que des autres partis supposés «progressistes»: les néo-démocrates, les Verts et les bloquistes. Les fruits amers de cette campagne immonde sont déjà récoltés. Le Chinese Canadian National Council (Conseil national des Canadiens-chinois) a signalé plus de 500 incidents de harcèlement à l’encontre d’Asiatiques au cours des seuls premiers mois de 2021.

À son arrivée au pouvoir en 2015, le gouvernement Trudeau a tenté d’ouvrir les opportunités d’investissement en Chine pour les entreprises canadiennes. Il a vu dans le clivage croissant entre la Chine et les États-Unis une occasion de faire avancer les intérêts économiques d’une partie de la classe dirigeante canadienne. L’exemple de l’Australie, qui a développé une énorme relation économique avec la Chine tout en restant totalement intégrée aux opérations militaro-sécuritaires américaines en Asie-Pacifique, a sans doute servi de modèle. La Chine est un marché principal pour le canola, le porc et d’autres exportations agricoles canadiennes, et elle est le troisième partenaire commercial du Canada derrière les États-Unis et l’UE. De 2015 à 2017, le Canada a tenté des négociations de libre-échange avec la Chine, mais celles-ci n’ont pas abouti à un accord, car elles ont été de plus en plus agitées par les vents contraires générés par le conflit croissant entre les États-Unis et la Chine.

La politique canadienne à l’égard de la Chine est devenue nettement plus hostile avec l’élection de Donald Trump, qui a dissout l’Accord de libre-échange nord-américain et l’a remplacé par l’ACEUM (Accord Canada-États-Unis-Mexique). Le nouvel accord contient une clause de «pilule empoisonnée» dirigée contre la Chine, obligeant chaque pays signataire à informer les autres s’il «a l’intention d’entamer des négociations commerciales avec une économie non marchande.» Plus fondamentalement, l’ACEUM jette les bases économiques protectionnistes permettant aux puissances impérialistes jumelles de l’Amérique du Nord de défier des rivaux comme Beijing pour une position dominante sur le marché mondial. La volonté de la classe dirigeante canadienne de subordonner la poursuite du commerce avec la Chine à sa relation économique avec les États-Unis reflète le fait que l’économie canadienne dépend massivement de l’accès au marché américain. La relation commerciale bilatérale entre le Canada et les États-Unis est en effet la plus importante au monde.

De plus, le Canada, une puissance impérialiste de second rang, s’appuie depuis près de huit décennies sur son partenariat militaro-stratégique avec Washington pour poursuivre ses ambitions prédatrices mondiales. Ces dernières années, le Canada a joué un rôle croissant dans les offensives militaro-stratégiques menées par les États-Unis dans le monde entier, notamment au Moyen-Orient, riche en pétrole, et en Asie-Pacifique, où les États-Unis et leurs alliés constituent des forces capables de mener un conflit militaire avec Beijing, doté de l’arme nucléaire.

Le Canada est totalement imbriqué dans l’appareil militaire américain. L’Accord sur le partage de la production de défense traite les fabricants d’armes canadiens de la même façon que les entreprises américaines. La collaboration entre les deux forces armées est si étroite que l’intégration des structures de commandement militaire canadiennes et américaines a même été évoquée.

La campagne de l’establishment canadien contre Beijing est motivée à la fois par la crainte que la montée en puissance de la Chine ne menace l’hégémonie mondiale nord-américaine, et par son besoin de maintenir et d’étendre le partenariat militaro-sécuritaire américano-canadien afin d’exercer une influence et de «s’assurer un siège à la table» à Washington.

En 2018, le gouvernement canadien a bloqué la vente de la grande entreprise de construction Aecon à une entreprise chinoise et, en décembre de la même année, il a ordonné l’arrestation, sur ordre de Washington, de Meng Wenzhou, la directrice financière du géant technologique Huawei, sous l’accusation bidon d’avoir défié les sanctions punitives américaines contre l’Iran. La Chine a répondu en détenant deux Canadiens, l’ancien diplomate Michael Kovrig et l’«expert» nord-coréen Michael Spavor. En 2020, les télécoms canadiennes, anticipant un ordre du gouvernement d’exclure Huawei de leurs réseaux de technologie 5G, ont annoncé qu’elles le feraient de leur propre initiative.

En mars, le gouvernement libéral a rappelé l’ambassadeur du Canada en Chine, Dominic Barton, pour des «consultations stratégiques». Barton, l’ancien directeur général du cabinet de conseil international McKinsey & Co, avait été nommé ambassadeur en raison des liens étroits qu’il avait noués avec les responsables chinois alors qu’il aidait les grandes entreprises occidentales à utiliser la Chine comme centre de production à main-d’œuvre bon marché. Dans un autre développement qui souligne la rapidité avec laquelle les relations se détériorent entre les États-Unis et le Canada, d’une part, et la Chine, d’autre part, Barton a fait l’objet d’attaques soutenues, notamment de la part du New York Times, de membres du Congrès américain, ainsi que d’Erin O’Toole et de ses conservateurs, pour être «trop proche» de Beijing.

La promotion par Ottawa de la théorie de conspiration discréditée de la fuite du virus depuis le laboratoire de Wuhan n’est qu’une des nombreuses récentes provocations canadiennes:

Depuis des semaines, les médias et les partis d’opposition insinuent que la Dre Xiangguo Qiu et son mari, Keding Cheng, des scientifiques sino-canadiens anciennement employés au laboratoire de niveau de biosécurité 4 de Winnipeg, sont des espions à la solde de Beijing. À l’instigation du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Qiu, une experte de premier plan sur le virus Ebola, et Cheng se sont vus retirer leur habilitation de sécurité en 2019 et ont été licenciés en janvier de cette année. Récemment, le réseau anglais de Radio-Canada, la CBC a publié un reportage dans lequel Christian Leuprecht, un «expert en sécurité nationale» du Collège militaire royal du Canada, a pratiquement déclaré que les deux Chinois étaient des agents, tout en ajoutant que «Leuprecht n’a aucune information privilégiée sur le cas du couple.»

La semaine dernière, le chef conservateur O’Toole a annoncé que son parti boycotterait les réunions du Comité national du renseignement et de la sécurité tant que les documents relatifs au licenciement de Qiu et Cheng n’auront pas été remis au Parlement, plutôt que seulement au comité. Il est allé jusqu’à établir un lien avec la théorie bidon de la fuite du virus depuis le laboratoire de Wuhan, notant que puisque Dre Qui travaillait avec des homologues en Chine, les faits entourant son cas pourraient faire la lumière sur les origines de la COVID-19.

Le gouvernement et les médias canadiens continuent de promouvoir la calomnie selon laquelle la Chine commet un génocide à l’encontre de sa minorité musulmane ouïghoure, un mensonge promu par les militants occidentaux du Congrès mondial ouïghour, un groupe séparatiste soutenu par la CIA. Le Parlement canadien, où les «progressistes» autoproclamés du NPD et des Verts jouent un rôle de premier plan, a récemment voté pour déclarer que le traitement des Ouïghours par la Chine était un «génocide».

Le Canada, comme Washington, cherche à resserrer ses liens avec Taïwan. En avril, le Parlement a voté à l’unanimité pour que le Forum sur la sécurité internationale d’Halifax, financé par le gouvernement, décerne son prix John McCain pour le leadership dans le service public à la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, qu’il a qualifiée de «fervente défenseuse de la démocratie dans le monde». Au début du mois, le National Post a publié un article de l’ancien ministre de la Défense Peter MacKay et de Winston Wen-yi Chen, un représentant du gouvernement taïwanais, qui proclamait que Taïwan était un allié essentiel pour faire face à la Chine «autoritaire» et a failli appelé à un appui à l’indépendance de Taïwan.

Le Canada continue de renforcer sa présence militaire dans la région Asie-Pacifique, les Forces armées canadiennes ayant déclaré le détroit de Malacca comme revêtant une importance stratégique vitale pour le Canada, et envoyant de façon provocante des navires de guerre dans le détroit de Taïwan et la mer de Chine méridionale.

À la suite d’une pétition soutenue par des législateurs de tous les partis représentés au Parlement canadien et à l’Assemblée nationale du Québec, y compris le NPD, les Verts et Québec Solidaire, le chef conservateur Erin O’Toole a demandé au Canada de faire pression pour que la Chine se voie privée de la tenue des Jeux olympiques d’hiver de 2022. De telles tactiques rappellent les jours les plus sombres de la guerre froide, lorsque les États-Unis et l’Union soviétique étaient au bord de la confrontation nucléaire.

La classe ouvrière canadienne doit fermement rejeter la campagne anti-Chine. Elle est fondée sur des mensonges, des calomnies et des fabrications, dont l’allégation de fuite du virus depuis le laboratoire de Wuhan n’est que la plus grotesque. Comme tant de fois dans le passé, la classe dirigeante impérialiste canadienne et ses alliés aux États-Unis cherchent à rallier le soutien populaire à la poursuite de leurs intérêts prédateurs en brandissant la bannière des droits de la personne.

La classe ouvrière canadienne affronte son ennemi mortel – non pas dans le détroit de Taïwan – mais ici, au pays. Comme la pandémie de la COVID-19 l’a démontré de façon si dévastatrice, c’est la classe dirigeante canadienne, et non la Chine, qui menace directement la vie et les moyens de subsistance des travailleurs. La classe dirigeante canadienne n’hésite pas à envoyer des enseignants et des étudiants dans des écoles où ils pourraient être infectés par une maladie mortelle, tout comme elle n’hésite pas à envoyer les travailleurs dans les mines pour travailler dans le noir pour des salaires de misère. De même, elle n’aura aucun scrupule à envoyer des Canadiens tuer et mourir dans une autre guerre impérialiste. L’exploitation et le pillage sont les sources de ses immenses profits. Dans la Chine, la classe dirigeante canadienne perçoit un concurrent sérieux à sa capacité d’extraire des profits à l’échelle mondiale. Et pour le Canada, aucun mensonge n’est trop ignoble pour protéger ces profits.

(Article paru en anglais le 22 juin 2021)

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