Perspectives

Il y a quatre-vingts ans commençait la guerre d'anéantissement nazie contre l'Union soviétique

Il y a quatre-vingts ans, le 22 juin 1941, l'armée allemande envahissait l'Union soviétique. Une guerre commençait comme l'humanité n'en avait jamais connue jusque là. La barbarie du Moyen Âge s'y mêlait à la technologie la plus moderne du 20e siècle.

Il y avait eu auparavant des guerres horribles ayant fait des millions de victimes. Les canons de la Première Guerre mondiale ne s’étaient tus que 23 ans plus tôt. Les champs ensanglantés de Verdun et de la Marne, sur lesquels la fleur de la jeunesse allemande, française et britannique avait été fauchée à la mitrailleuse, étaient considérés comme un monument de la barbarie humaine.

Mais l'attaque de l'Union soviétique est allée beaucoup plus loin. Dès le début, elle a été planifiée comme une guerre d'anéantissement. Ce ne fut pas seulement une guerre pour les territoires, les matières premières et les marchés, mais aussi une guerre motivée par le racisme et l'idéologie. La destruction du bolchevisme, l'extermination des Juifs et la création d'espaces de vie à l'Est, annoncés depuis vingt ans par Hitler, étaient désormais mises en pratique.

« Contrairement à ce que beaucoup croyaient en Occident, Hitler n'est pas entré dans la guerre à l'Est par erreur », a écrit l'historien Stephen Fritz dans son ouvrage majeur Ostkrieg : La guerre d’extermination d’Hitler à l’Est. « Pour lui, la 'vraie' guerre a toujours été celle contre l'Union soviétique, car pour lui le destin de l'Allemagne dépendait de la conquête du Lebensraum et la résolution de la 'question juive'. Ces deux choses, à leur tour, dépendaient de la destruction de l'Union soviétique. Lequel de ces objectifs était le plus important ? Compte tenu des vues d'Hitler, il serait artificiel d'essayer de les hiérarchiser ou de les séparer. Pour lui, la guerre contre le « bolchevisme-juif » et pour le Lebensraum formait un ensemble indissociable. »

Exécution de partisans faits prisonniers ( Bundesarchiv Bild 101I-031-2436-05A / CC BY-SA 3.0)

Lorsque 3 millions de soldats allemands, 600 000 véhicules, 3 500 chars, 7 000 pièces d'artillerie et 3 900 avions ont envahi l'Union soviétique à 3 heures du matin, ils apportaient avec eux des ordres détaillés et des plans pour l’extermination physique de millions de personnes. L'invasion était accompagnée de quatre Einsatzgruppen (unités opérationnelles) qui avaient été soigneusement sélectionnés et entraînés par Reinhard Heydrich, chef de l' Office central de la sûreté du Reich. La tâche de ces unités de 3 000 membres de « Sturmtruppen du génocide » (Ian Kershaw) était de tuer immédiatement tous les communistes, partisans, Juifs et Sintis qui tombaient entre leurs mains.

« Les quatre Einsatzgruppen et leurs assistants ont tué plus de 500 000 Juifs soviétiques au cours des six premiers mois de [l’opération] Barbarossa, en plus de dizaines de milliers de partisans et de prisonniers de guerre soviétiques, et rien de tout ceci n’aurait été possible sans la coopération volontaire et active de la Wehrmacht », écrit Fritz.

La complicité active de la Wehrmacht dans les meurtres de masse, qui a été niée en Allemagne pendant des décennies et a conduit jusqu'en 1999 même à la censure de l'exposition « Guerre d'anéantissement. Crimes de la Wehrmacht », a été documentée de façon incontestable. Déjà en janvier 1941, Hitler avait annoncé comme objectif à un groupe sélectionné de dirigeants SS que la population slave de l'Est devrait être réduite de 30 pour cent. Des états-majors entiers et des théoriciens racistes ont ensuite traduit « la volonté du Führer » en des ordres précis sur qui devait être abattu et exterminé.

Les généraux approuvèrent ces plans et s'assurèrent qu'ils furent exécutés. Pendant la guerre, « les responsables de l'armée ont même inauguré un échange d'idées et d'expériences entre l'armée et les officiers SS », selon Fritz. « Comme les événements sur le terrain l'ont démontré, les ordres criminels d'en haut et les impulsions vengeresses d'en bas ont créé un climat de violence qui devait éliminer toute inhibition quant à assassiner. »

Des professeurs allemands ont pourvu les plans meurtriers d'arguments pseudo-scientifiques. En juin 1942, le Generalplan Ost (Plan général Est) est publié s’appuyant sur les travaux de nombreux universitaires. Il prévoyait le meurtre de millions de Slaves pour faire de la place aux colons allemands. La Société allemande de recherche (DFG), une coalition d'universitaires renommés, finançait déjà des études pendant la République de Weimar qui « affirmaient une supériorité générale de la population allemande à l’égard des Slaves » et d'autres qui « comprenaient la recherche raciale comme une science appliquée ».

Les plans opérationnels de l'opération Barbarossa, le nom de code de l'invasion de l'Union soviétique, ont été élaborés au cours de plusieurs tables rondes au début de 1941 entre le cabinet du chancelier, la SS, l'Office central de la sûreté du Reich et le Haut commandement de la Wehrmacht [l ‘armée allemande]. L'objectif formulé à maintes reprises était la destruction des « chefs et commissaires bolcheviques », « des intellectuels judéo-bolcheviques » et « de l'idée socialiste ».

Le 2 mai, plusieurs secrétaires d'État et principaux commandants de la Wehrmacht discutèrent des conséquences de l'opération Barbarossa pour l'économie de guerre. Selon une note d'information, ils sont arrivés à la conclusion que « sans aucun doute des dizaines de millions de personnes mourront de faim si nous prenons au pays ce qui nous est nécessaire ».

Le 13 mai, Wilhelm Keitel, chef du haut commandement de la Wehrmacht, a promulgué le décret sur l’application de la juridiction de guerre. Il ordonnait que les délits commis par des civils contre la Wehrmacht ne soient plus traités par les tribunaux, mais que les accusés puissent être immédiatement fusillés sur ordre d'un officier. Des actes violents de punition collective contre des zones entières étaient également autorisés. Cela a souvent eu pour résultat que des femmes et des enfants (les hommes étaient au front) étaient regroupés dans de grands bâtiments et abattus à la mitrailleuse, avant que les bâtiments ne soient incendiés et que ceux qui étaient encore vivants ne soient brûlés vifs.

Le 6 juin, deux semaines avant l'invasion, le haut commandement, sous la direction du lieutenant-général Alfred Jodl, promulguait l'ordre sur les commissaires. Celui-ci demandait que les commissaires politiques civils et militaires soient identifiés et que les forces d'invasion «les éliminent en principe immédiatement avec une arme ». En raison de cet ordre seul, il existe des preuves d'au moins 140 000 exécutions, certaines estimations allant jusqu'à 600 000.

Cela montre que le 22 juin, c’est une machine à tuer bien préparée qui fut mise en marche. Les dernières inhibitions morales étaient déjà tombées deux ans plus tôt en Pologne, que la Wehrmacht avait envahi et où elle avait déclenché une orgie de violence. C’est aussi là que furent construits plus tard les notoires camps de la mort. Mais avant que des millions de Juifs de toute l'Europe ne soient envoyés dans les chambres à gaz d'Auschwitz et de Majdanek, les troupes allemandes en avaient déjà massacré des centaines de milliers en Union soviétique.

L'un des massacres les plus connus a eu lieu les 29 et 30 septembre 1941, dans le ravin de Babi Yar près de Kiev, où une unité d'opérations spéciales a abattu 33 771 Juifs de la capitale ukrainienne, hommes, femmes et enfants, en l'espace de deux jours. Au cours des mois suivants, 70 000 autres civils ont été exécutés dans le même ravin.

Le bilan de la guerre d'anéantissement fut épouvantable. Au total, 27 millions de citoyens soviétiques ont été victimes de cette guerre. Une commission organisée par le ministère soviétique de la Défense et l'Académie des sciences de Russie, qui a examiné les chiffres entre 1987 et 1991, a conclu qu’elle avait fait 37 millions de morts. Parmi eux, seuls 8,6 millions étaient des soldats, 27 à 28 millions des civils, dont beaucoup ont perdu la vie dû à la faim et aux conditions de vie insupportables. Le blocus de 28 mois de la ville de Leningrad, que la Wehrmacht a intentionnellement affamée, a coûté la vie à 470 000 personnes.

Parmi les nombreux crimes de guerre de la Wehrmacht figure le meurtre de 3 millions de prisonniers de guerre soviétiques. Le 8 septembre, le haut commandement prononçait un ordre plaçant les soldats de l'Armée rouge hors de la protection du Droit international: « Le soldat bolchevique a perdu tout droit au traitement comme un soldat honorable en vertu de la Convention de Genève […] L'utilisation d'armes contre les prisonniers soviétiques de la guerre est en général légitime ».

Environ 60 pour cent des prisonniers de guerre ont perdu la vie. S'ils n'étaient pas assassinés ou affamés, ils étaient emmenés dans les camps de concentration où ils effectuaient des travaux forcés dans des conditions inhumaines pour l'effort de guerre allemand.

Le cours de la guerre

Au cours des premières semaines de la guerre, la Wehrmacht avança rapidement en Union soviétique. Ses succès initiaux furent dus avant tout à la politique criminelle de Staline et de la bureaucratie privilégiée dont il incarnait le pouvoir. Ils avaient laissé l'Union soviétique totalement à découvert et sans aucune préparation.

Au cours de la Grande Terreur qui a coûté la vie à presque toute la direction de la Révolution d'Octobre et à des centaines de milliers de communistes et d'intellectuels loyaux, Staline avait également décapité l'Armée rouge. Sur les 178 000 dirigeants de l'Armée rouge, 35 000 ont été arrêtés et une partie exécutés. Deux fois plus de généraux furent tués que pendant la Seconde Guerre mondiale, y compris des commandants militaires exceptionnels comme Toukhatchevski, Yakir, Gamarnik et Uborivitch, qui accédèrent à la direction de l'Armée rouge sous Trotsky pendant la guerre civile.

Il s'agissait de la génération qui avait connu le baptême du feu pendant la guerre civile, qui « s'éleva soudainement au-dessus de la masse, révélant des talents d'organisation et des capacités de commandement militaire », « affermit sa volonté dans une lutte à grande échelle » et bénéficia par la suite d’une formation militaire supplémentaire, comme l'a fait remarquer Trotsky en 1934. « La théorie militaire leur a permis de discipliner leur esprit, mais n'a pas tué l'audace qui avait été trempée dans les manœuvres impétueuses de la guerre civile. » Ils furent remplacés par des officiers moins expérimentés qui se caractérisaient avant tout par leur soumission à Staline.

Pour sa part, Staline a été totalement surpris par l'invasion allemande, alors même qu’il avait été averti par les agences de renseignement occidentales et les siennes propres. L'espion communiste Richard Sorge a même fourni l'intégralité du plan d'attaque depuis le Japon, y compris le calendrier. Mais Staline ignora tous les avertissements et fit confiance au pacte de non-agression, qu'il avait conclu avec Hitler en août 1939. Il était convaincu que l'Allemagne, qui était déjà en guerre avec la Grande-Bretagne, ne risquerait pas une guerre sur deux fronts. Après l'invasion, Staline a disparu de la scène pendant des jours, laissant l'Union soviétique pratiquement sans direction.

Mais la Révolution d'Octobre était restée vivante dans la classe ouvrière soviétique. Staline a peut-être assassiné ses dirigeants, mais il n'a pas détruit ses acquis: la propriété étatique des moyens de production et l'économie planifiée, qui s'avérèrent alors avoir d'énormes avantages. La Wehrmacht s'est vite rendu compte qu'elle ne combattait pas cette fois contre l'armée du tsar composée de paysans demi-serfs, recrutés de force, mais contre l'armée motivée d'un État ouvrier qui, malgré la terreur, ne capitulait pas et développa une énergie et une abnégation remarquables.

Trotsky, qui avait construit l'Armée rouge, l'avait également prédit en 1934. Le guerrier rouge diffère fortement du soldat tsariste, écrit-il. « Le culte de la passivité et de la capitulation soumise devant les obstacles a été supplanté par le culte de l'audace politique et sociale et de l'américanisme technologique. [ …] Si la Révolution russe, qui a connu des flux et des reflux pendant près de trente ans – depuis 1905 – était forcée d’entrer dans le canal de la guerre, elle déclencherait une force terrible et écrasante ».

Bien que la guerre ait continué pendant plus de trois ans et demi et que plus de 6 millions de soldats aient été tués ou grièvement blessés du côté allemand, il était déjà clair après plusieurs semaines que la Wehrmacht n'avait aucune chance de victoire. « Bien avant que les premières neiges de l'hiver ne commencent à tomber, cependant, et même avant que les premières pluies d'automne n'arrêtent la plupart des mouvements, en fait dès l'été 1941, il était évident que Barbarossa était un exercice épuisé, inévitablement voué à l'échec », a écrit l'historien militaire David Stahel.

Un Ilyushin Il-2 soviétique (RIA Novosti / archive Fyodor Levshin / CC-BY-SA 3.0)

Dans le secteur de la production d'armes, si décisif pour la guerre, l'économie planifiée soviétique s'est avérée bien supérieure à l'économie allemande fondée sur la propriété privée. En 1941, l'industrie allemande produisit 5 200 chars, 11 776 avions et 7 000 pièces d'artillerie de plus de 37 mm. Au premier semestre 1941, l'économie soviétique ne produisit que 1 800 chars, 3 900 avions et 15 600 pièces d'artillerie. Mais au second semestre, elle porta sa production d'armes, malgré le déplacement d'usines entières et les destructions causées par la guerre, à 4 740 chars, 8 000 avions et 55 500 pièces d'artillerie. En 1942, l'Allemagne fabriqua 15 409 avions, tandis que l'Union soviétique en fabriqua 25 436. Si l'Allemagne produisit 9 200 chars, l'Union soviétique elle en fabriqua 24 446.

Malgré sa dégénérescence stalinienne, l'Union soviétique, issue de la Révolution d'Octobre, a constitué une barrière décisive contre la plongée de l'humanité dans la barbarie. Les historiens sérieux ne laissent aucun doute sur ce qu'aurait signifié une victoire d'Hitler.

Stahel a remarqué: « L'importance de la nouvelle guerre d'Hitler à l'Est a été comprise par toutes les parties à l'époque comme le moment décisif dans les fortunes futures de la guerre mondiale en expansion. Soit Hitler serait bientôt presque intouchable à la tête d'un énorme empire, soit sa plus grande campagne vacillerait (ce qu'aucun gouvernement à l'époque ne croyait probable) entraînant le dangereux encerclement allié qu'Hitler cherchait à éliminer pour toujours. Il n'est donc pas exagéré de dire que l'invasion allemande de l'Union soviétique représente un tournant extraordinaire dans les affaires mondiales, central non seulement dans notre compréhension de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi comme l'un des événements les plus profonds de l'histoire moderne. »

Les origines de la guerre

Après la défaite de l'Allemagne, personne ne voulait être responsable en Allemagne de la guerre d'anéantissement. Il n'y avait que des victimes et des gens qui suivaient les ordres, pas d'auteurs. Hitler était responsable de tout. La Seconde Guerre mondiale était « la guerre d'Hitler ».

Adolf Hitler, qui s'est suicidé peu de temps avant la capitulation inconditionnelle de la Wehrmacht, disposait de pouvoirs extraordinaires et était personnellement impliqué dans toutes les grandes décisions politiques et militaires. Malgré cela, il ne faisait que fournir un produit demandé par la société capitaliste. La réponse à la question de savoir comment cet artiste autrichien raté et vétéran de guerre aigri avait pu atteindre la position de « Führer » allemand conduit inévitablement à la conclusion qu'il avait de puissants soutiens parmi les élites des affaires, de la politique, de l'armée, de l'aristocratie, de la culture et des universités.

L'un de ses promoteurs des premières années les plus connus était le général Erich Ludendorff, commandant en second de l'armée allemande pendant la Première Guerre mondiale, qui a codirigé avec Hitler la tentative de coup d'État de 1923 à Munich. Parmi d’ autres, il y avait les industriels Fritz Thyssen et Erich Kirndorf, le prince héritier Guillaume de Prusse et la veuve du compositeur Wagner, Cosima. L'empire médiatique de l'industriel nationaliste allemand Alfred Hugenberg, qui fut ministre de l'Économie dans le premier cabinet d'Hitler, a joué un rôle majeur dans son ascension. En janvier 1932, une intervention d'Hitler au club des industriels de Düsseldorf lui assure le soutien politique et financier des plus importants cercles du grand patronat.

Hitler n'a pas eu à s'emparer du pouvoir par la violence; on le lui a servi sur un plateau. Au moment de l'accession d'Hitler au pouvoir, les nazis étaient dans une profonde crise politique et financière. Aux élections du Reichstag de novembre 1932, le parti n'obtint que 33 pour cent des voix, soit 4 pour cent de moins qu'en juillet et 4 pour cent de moins que les deux grands partis ouvriers réunis: les sociaux-démocrates et le Parti communiste. Hitler a même eu l’idée de se suicider.

La décision de nommer Hitler chancelier en janvier 1933 a finalement été prise par un petit cercle de conspirateurs, représentant les intérêts de l'État et de la grande entreprise, autour du très âgé président du Reich Paul von Hindenburg. Deux mois plus tard, alors que le Parti communiste était interdit et que les camps de concentration se remplissaient, tous les partis bourgeois votèrent la loi d'habilitation, faisant d'Hitler un dictateur.

Pendant la guerre, Hitler trouva des milliers d'assistants volontaires dans le corps des officiers qui exécutaient ses ordres meurtriers, chez les fonctionnaires de l'État qui terrorisaient la population et sélectionnaient les Juifs pour l'extermination, dans l'industrie qui augmentait ses profits grâce à la production de guerre et au travail forcé, parmi les professeurs qui ont donné à la théorie des races et à la justice arbitraire l'apparence de la science, et chez bien d'autres.

La guerre d’anéantissement n’est pas sortie de la “volonté du Führer”, qui sans aucun doute la voulait. Les élites dirigeantes ont promu Hitler et l’ont mis à la tête de l’État par ce qu’elles voulaient la guerre et en avaient besoin. La guerre avait de profondes causes objectives dans les contradictions insolubles du système capitaliste.

Trotsky parle aux soldats de l'Armée rouge

Léon Trotsky, qui a compris le danger du fascisme et de la guerre mieux que quiconque et a mobilisé la classe ouvrière contre lui, a écrit un an avant l'invasion de l'Union soviétique: « L'unique trait du fascisme qui ne soit pas une imposture, c'est sa volonté de puissance, de conquête, de pillage. Le fascisme est une distillation chimiquement pure de la culture de l'impérialisme […] Cet épileptique allemand, avec une machine à calculer dans le crâne et un pouvoir illimité entre les mains, n'est pas tombé du ciel ni surgi de l'enfer: il s'est rien d'autre qu'une personnification de toutes les forces destructives de l'impérialisme. Exactement comme Gengis Khan et Tamerlan apparurent aux peuples pasteurs plus faibles comme les fléaux destructeurs de Dieu, alors qu'en réalité ils ne faisaient qu'exprimer le besoin de toutes les tribus de pasteurs de plus de terres à pâturage et de pillages des régions habitées, de même Hitler, ébranlant jusqu'à leurs fondations les puissances coloniales, ne fait que donner une expression plus achevée à la volonté de pouvoir impérialiste. Par l'intermédiaire de Hitler, le capitalisme mondial, poussé au désespoir par sa propre impasse, a commencé à s'enfoncer dans les flancs une dague aiguisée ».

Déjà pendant la Première Guerre mondiale, l'impérialisme allemand avait cherché à subordonner l'Europe à ses intérêts et avait échoué. Il faisait à présent une deuxième tentative.

La Première Guerre mondiale a été une guerre impérialiste dans laquelle toutes les grandes puissances se sont battues pour un nouveau partage du monde et pour la subordination de l'économie mondiale à leur hégémonie. L'impérialisme allemand a joué un rôle particulièrement agressif, car son capitalisme s'est développé tardivement en raison de la révolution bourgeoise tardive, mais grâce à la technologie moderne, il a connu un formidable dynamisme. Confinée en Europe centrale, confrontée aux puissances coloniales britanniques et françaises, et à un rival américain encore plus puissant, il ne pouvait aspirer à devenir la puissance dominante européenne et s'assurer l'accès aux matières premières et aux marchés que par des moyens violents.

L'impérialisme allemand a perdu la guerre. Affaibli et lourdement endetté par le traité de Versailles, secoué par les luttes de classes, tous les problèmes qui l’avaient poussé dans la Première Guerre mondiale se sont posés à lui avec une acuité renouvelée. De plus existait désormais à l'Est, la zone principale d'expansion impérialiste de l’Allemagne, un État ouvrier qui servait d'inspiration révolutionnaire aux travailleurs allemands.

Le seul moyen de sortir de cette impasse était pour l'impérialisme allemand l'utilisation de méthodes plus brutales et barbares que tout ce qui était connu auparavant. La « destruction du bolchevisme », l’acquisition de « l'espace vital » à l'Est et l'établissement de l'hégémonie allemande sur l'Europe nécessitaient la concentration du pouvoir d'État entre les mains d'un seul individu, la subordination de toutes les ressources du pays à la production de guerre, la destruction du mouvement ouvrier organisé, et une guerre visant non pas la capitulation, mais l'extermination de l'ennemi.

Les nazis avaient la meilleure offre correspondant à cette demande de la société. Les dirigeants de l'État, des entreprises et de l'armée n'ont pas soutenu Hitler par aveuglement idéologique, mais parce qu'ils avaient besoin de lui pour réaliser leurs objectifs.

Ils n'ont réussi qu'en raison de la trahison et de l'échec gigantesques des dirigeants ouvriers. Le SPD refusa fermement de mobiliser ses membres contre les nazis. Il faisait confiance à l'État et soutint toutes les mesures dictatoriales – depuis les décrets d'urgence de Brüning jusqu’à l'élection de Hindenburg à la présidence – qui ont ouvert la voie à la prise du pouvoir par Hitler. La direction du KPD, qui était sous l'influence de Staline, cachait sa passivité et sa lâcheté derrière des phrases radicales de gauche. Elle a fermement refusé de se battre pour un front uni antifasciste avec le SPD, comme Léon Trotsky et l'Opposition de gauche l'avaient exigé, et ont dénoncé les travailleurs du SPD comme des « social-fascistes » qui n'étaient pas différents des nazis.

Les États-Unis, la Grande-Bretagne et les autres adversaires capitalistes de l'Allemagne dans la Seconde Guerre mondiale se sont également battus pour leurs intérêts impérialistes, et non « contre le fascisme » et « pour la démocratie ». Seule l'Union soviétique a combattu pour sa survie. Une victoire de l’Allemagne aurait signifié la destruction de l’État ouvrier et sa transformation en colonie d'esclaves.

Tant que le régime d'Hitler était dirigé principalement contre la classe ouvrière allemande et l'Union soviétique, il bénéficia d'un soutien international considérable. Parmi les admirateurs d'Hitler figuraient l'industriel américain Henry Ford, le roi d’Angleterre Édouard VIII et son épouse américaine Wallis Simpson. Après l'abdication d'Edward, le couple a rendu visite à Hitler dans son Berghof. La bourgeoisie française avait déjà avancé le slogan « Plutôt Hitler que Blum » (Léon Blum était premier ministre du Front populaire) durant le gouvernement du Front populaire en 1936. La victoire rapide de l'Allemagne sur la France était davantage le résultat du défaitisme des généraux français que de la supériorité technique et de l’armement de la Wehrmacht. Le régime de Vichy du général Pétain trouva aussitôt une entente avec Hitler.

Mais les impérialismes américain et britannique ne pouvaient permettre que l’Allemagne n’établisse sa domination de l'Atlantique à l'Oural. En alliance avec le Japon, il serait devenu un danger mortel pour l'impérialisme américain. Cela a conduit à l'intervention des États-Unis dans la guerre, qui n'a eu lieu qu'une fois que l'Allemagne se soit trouvé sur la défensive après la défaite de Stalingrad.

Le danger d'une troisième guerre mondiale

Les leçons de la guerre d'anéantissement contre l'Union soviétique sont d'actualité. Les mêmes contradictions du capitalisme mondial – l’inconciliabilité de l'État-nation capitaliste et de la propriété privée des moyens de production avec le caractère social et international de la production moderne – menacent de plonger le monde dans l'enfer d'une troisième guerre mondiale.

Les États-Unis sont le centre des préparatifs de guerre ; ils dépenseront 753 milliards de dollars pour leur armée au cours de la prochaine année budgétaire, plus que les 10 États qui suivent réunis. Quelque 25 milliards de dollars sont alloués aux armes nucléaires et 112 milliards de dollars à la recherche et au développement de nouveaux systèmes d'armes.

Les États-Unis ont émergé comme le véritable vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, et leur puissance économique, associée à la suppression des luttes révolutionnaires par la bureaucratie stalinienne et les partis sociaux-démocrates, leur a permis de stabiliser temporairement le capitalisme européen.

Mais le poids des États-Unis dans l'économie mondiale n'a cessé de diminuer depuis lors, et Washington tente de compenser ce déclin par la force militaire. Les États-Unis font la guerre presque sans interruption depuis 30 ans. En Irak, en Afghanistan, en Libye et en Syrie ils ont, avec leurs alliés, détruit des sociétés entières.

La machine de guerre américaine vise désormais la Chine, qu’on a officiellement définie comme un « rival systémique ». Les États-Unis veulent à tout prix éviter que la Chine ne les dépasse économiquement et ne devienne une puissance mondiale. Les stratèges américains considèrent désormais qu'une guerre avec la Chine est inévitable.

L'impérialisme allemand n'a pas accepté ses défaites dans les deux guerres mondiales. Le gouvernement allemand poursuit l'objectif officiel de faire de l'Europe une puissance politique et militaire mondiale, capable d'affronter tant la Chine que les États-Unis. Cela intensifie les conflits au sein de l'Europe, notamment avec la France, rivale de l'Allemagne pour l'hégémonie dans l'Union européenne.

L'Allemagne a augmenté ses dépenses militaires de 32 milliards d'euros en 2014 à 53 milliards, et ce n'est que le début. Un document stratégique du ministère de la Défense daté du 9 février indique que l'Allemagne a « une obligation particulière pour la sécurité de l'Europe en raison de sa position géographique centrale en Europe et de sa puissance économique », et doit apporter une contribution correspondante « dans les affaires militaires également. » Il était fondamental d’avoir « des capacités de dissuasion et de défense militaires crédibles dans toutes les dimensions – sur terre, en mer, dans les airs, dans l'espace et le cyberespace », et une « préparation et capacité de nos soldats de s’imposer également au combat ».

La banalisation et la révision historique de la guerre d'anéantissement est une partie intégrale du retour du militarisme allemand.

Au parlement allemand siège un parti, l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), qui décrit le régime nazi comme « une crotte d'oiseau dans plus de 1000 ans d'une histoire allemande réussie » et qui est courtisé par tous les autres partis établis.

L'historien berlinois Jörg Baberowski a déclaré publiquement dès 2014 qu'Hitler n'était « pas un psychopathe » et qu’il n’était « pas cruel ». Un an plus tard, il a affirmé que la guerre d'anéantissement avait été imposée à la Wehrmacht. Les soldats de la Wehrmacht sur le front de l'Est étaient « impliqués dans une guerre meurtrière contre des partisans ». Ils n'avaient « d'autre choix » que de « s'adapter à la façon de combattre des partisans »: « La guerre est devenue indépendante, elle s'est séparée des objectifs qui avaient initialement été le motif du conflit. » On peut trouver de nombreuses citations similaires dans les travaux du professeur d'extrême-droite.

Lorsque le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste en Allemagne) et son organisation de jeunesse IYSSE ont critiqué ces déclarations et d'autres, similaires, exprimant l'opposition généralisée de la population au retour du fascisme et du militarisme, les médias et l'establishment politique ont défendu le professeur d'extrême droite.

Une troisième guerre mondiale signifierait la fin de la civilisation humaine. Mais pas un seul parti établi ne s'oppose à la marche vers la guerre. A l'image de la situation d'avant la Première et la Seconde Guerre mondiale, ils se rangent d'autant plus derrière les bellicistes que les divisions inter-impérialistes s'approfondissent. Le soi-disant mouvement pour la paix s'est totalement effondré. Les Verts allemands, jadis issus de ce mouvement, sont devenus les pire vas-t-en guerre. Quatre-vingts ans après l'invasion de l'Union soviétique, ils sont en tête de l'agitation pour la guerre contre la Russie.

Une nouvelle rechute dans la barbarie ne peut être empêchée que par la classe ouvrière internationale. Celle-ci doit lier la lutte contre le militarisme et la guerre à la lutte contre leur source, le système capitaliste, et entreprendre la lutte pour un programme socialiste. C'est la perspective du Comité international de la Quatrième Internationale et de ses sections, les Partis de l'égalité socialiste.

(Article paru en anglais le 22 juin 2021)

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