Le président de l'UAW, Rory Gamble, quitte ses fonctions et ouvre la voie à l'ascension du secrétaire-trésorier Ray Curry.

Vendredi, le président du syndicat UAW (United Auto Workers) Rory Gamble a annoncé qu’il quitterait son poste à la fin du mois. Gamble avait déjà indiqué dans des commentaires à la presse en avril qu’il envisageait une retraite anticipée, avant la fin d’un mandat qui sinon aurait duré jusqu’en juin 2022.

Rory Gamble s’exprime au Ford Rouge EV Center à Dearborn, Michigan, le 18 mai 2021 [Crédit: AP Photo/Evan Vucci, Dossier].

Le départ de Gamble ouvre la voie à l’avancement probable, sauf bouleversement important, de l’actuel secrétaire-trésorier Ray Curry à la tête de l’UAW. Il serait le quatrième président du syndicat en un peu plus de trois ans, période au cours de laquelle l’UAW a été plongé dans une crise profonde par un vaste scandale de corruption et par la colère et l’agitation croissantes des travailleurs de la base

Curry dirige actuellement les efforts de l’UAW visant à isoler et saboter la deuxième grève menée cette année par près de 3.000 travailleurs de Volvo Trucks en Virginie. Comme directeur du département Poids lourds du syndicat, Curry a mené des «négociations» qui ont abouti à deux contrats ‘de concession’ pratiquement identiques avec le fabricant multinational de camions basé en Suède. Ces deux accords auraient augmenté les coûts des soins de santé, maintenus sous le taux d’inflation les plus hautes tranches de salaires et gardé le système des salaires et prestations sociales à deux vitesses, si les travailleurs de Volvo ne s’étaient pas rebellés contre les tentatives de l’UAW pour imposer les conditions de l’entreprise.

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Légende: Ray Curry, le secrétaire-trésorier de l’UAW [Source: UAW]

Ray Curry a supervisé la décision de mettre fin unilatéralement à la première grève des travailleurs de Volvo à la fin du mois d’avril ; l’UAW les avait alors renvoyé au travail sans organiser de vote sur l’accord ni même révéler son contenu. Les travailleurs ont rejeté l’accord par une majorité écrasante de 91 pour cent, l’opposition à ce contrat de capitulation ayant à sa tête le Comité de la base (VWRFC) récemment formé par eux. Curry, ainsi que des responsables régionaux et de la section locale 2069, sont revenus dans les semaines qui ont suivi avec un deuxième accord qui ne comportait que des changements superficiels, et que les travailleurs ont de nouveau rejeté à 90 pour cent.

L’UAW a ensuite autorisé une seconde grève le 7 juin, estimant qu’elle n’avait pas le choix étant donné l’opposition généralisée des travailleurs aux exigences de l’entreprise. Mais Curry et le syndicat font depuis tout ce qu’ils peuvent pour isoler la grève et forcer les travailleurs à se soumettre.

À ce jour, l’UAW n’a rien publié sur la grève sur son site Web ou sa page Facebook, essayant délibérément de maintenir ses centaines de milliers de membres dans l’ignorance sur la lutte chez Volvo. Ce silence s’accompagne d’un black-out sur la grève dans les médias nationaux, ce qui reflète les préoccupations plus générales des milieux de l’establishment quant au potentiel de propagation de cette rébellion des travailleurs.

Les pourparlers entre l’UAW et l’entreprise en vue d’un troisième accord ont officiellement repris mercredi dernier, mais les travailleurs ont déclaré au Bulletin des travailleurs de l’automobile du WSWS que le syndicat ne leur a rien dit sur le contenu de ses prétendues négociations.

L’UAW ne verse que 275 dollars par semaine d’indemnités de grève, sur un budget de près de huit cents millions de dollars. En même temps, elle donne carte blanche à l’entreprise pour prendre des mesures agressives à l’encontre des grévistes. Le syndicat n’a rien fait pour s’opposer à la suppression par l’entreprise de la couverture médicale et d’autres assurances ni aux efforts de celle-ci pour maintenir la production grâce à des briseurs de grève.

«Nous avons reçu nos lettres de résiliation d’assurance aujourd’hui», a déclaré un travailleur en grève au WSWS. «Apparemment, cela va coûter des milliers de dollars par mois pour me couvrir, moi et les personnes à ma charge. Ils ont également annulé toutes mes assurances-vie. La raison invoquée est la cessation d’emploi. Salauds!» D’autres travailleurs ont exprimé à plusieurs reprises sur Facebook leur frustration quant au caractère dérisoire de la couverture médicale temporaire du syndicat, beaucoup signalant des problèmes lorsqu’ils cherchent des médicaments sur ordonnance.

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Légende: Des travailleurs de Volvo Trucks en grève en Virginie [Source: UAW Local 2069/Facebook].

Le rôle perfide de Curry chez Volvo est conforme à tout ce qu’il a fait en grimpant les échelons de l’appareil de l’UAW. Il a tenté cette année, jusque là sans succès, de refaire son bradage de la grève de 2019 chez Mack Trucks, une autre entreprise du groupe Volvo.

Tant la déclaration de Gamble que les articles de presse mentionnent le souhait de l’UAW d’avoir un président capable d’effectuer plusieurs mandats de quatre ans et d’assurer une plus grande stabilité. Suivant les termes de son accord avec la justice, l’UAW organisera un référendum avant son congrès de l’été prochain sur une modification des statuts devant permettre une élection directe de ses dirigeants. La nomination de Curry en tant que successeur de Gamble garantirait l’existence d’un titulaire avant une élection, un qui jouisse de la confiance du patronat et celle de la faction dominante de l’UAW.

Les deux prédécesseurs de Gamble, Dennis Williams et Gary Jones, ont tous deux été récemment condamnés à plusieurs années de prison après avoir plaidé coupable pour leur participation à un complot visant à détourner plus d’un million de dollars de fonds syndicaux. Gamble avait lui-même remplacé Jones à titre «intérimaire» fin 2019 après que celui-ci se soit retiré dans l’attente d’une inculpation imminente.

Dans la déclaration qui annonçait sa retraite, Gamble a tenté de manière ridicule de se présenter comme celui qui avait mené une réforme réussie de l’UAW: «J’ai dit le premier jour qu’en remettant les clés de ce trésor d’institution je laisserais un syndicat propre… après avoir examiné les progrès que nous avons réalisés et quel était le meilleur intérêt des membres de l’UAW pour un transfert de pouvoir stable, il s’agit du bon moment pour moi de passer les rênes».

Le «trésor d’institution» que Gamble quitte reste cependant inchangé dans les aspects les plus fondamentaux. Depuis le début, l’enquête de justice sur la corruption de l’UAW, commencée sous Obama et poursuivie sous Trump, ne visait pas à le transformer en organisation représentant véritablement les travailleurs, mais plutôt à empêcher l’effondrement total de l’autorité de l’UAW.

Alors que les escrocs les plus flagrants de la direction de l’UAW ont été évincés cérémonieusement et condamnés à des amendes et des peines style « tape sur les doigts », le «syndicat» a en fait approfondi ses relations incestueuses avec les entreprises.

L’UAW continue de servir de représentant bien rémunéré des directions, chargé de discipliner les travailleurs et de supprimer l’opposition. En témoigne son rôle dans le bradage des grèves de 2019 chez General Motors et Mack Trucks, les contrats ‘de concessions’ imposés chez les trois grands constructeurs automobiles cette année-là, et la liquidation des grèves des étudiants diplômés des universités de Columbia et New York au début de l’année ; sans oublier ses tentatives actuelles de saboter la lutte des travailleurs de Volvo Trucks. Plus important encore, son rôle en assurant production et profits pendant la pandémie, au dépens de la santé et de la vie des travailleurs.

De manière obscène, Gamble conclut en écrivant qu’il espère qu’on se souviendra de lui pour avoir «affronté de front une pandémie unique et sauvé des vies». En fait, Gamble – comme les dirigeants de l’UAW dans leur ensemble – sont responsables de la mort d’au moins plusieurs dizaines de travailleurs de l’automobile par le COVID-19. Après que les travailleurs – en défiant l’opposition de l’UAW – ont forcé la fermeture de l’industrie automobile dans une vague de grèves sauvages en mars 2020, l’UAW s’est entendu avec les entreprises pour rouvrir les usines seulement deux mois plus tard, alors que la pandémie, alors à son premier stade, faisait toujours rage.

L’UAW n’a jamais rendu public le nombre de ses membres infectés par le virus ou qui en sont morts.

Une description plus précise du rôle de Gamble et de sa relation avec les constructeurs automobiles a été donnée par le président exécutif de Ford, Bill Ford, lorsqu’il a déclaré «Rory a été un bon ami au fil des ans, et c’est quelqu’un en qui j’ai toujours eu confiance».

Gamble a été récompensé grassement pour avoir guidé l’UAW dans les dernières étapes des négociations avec la justice fédérale, recevant plus de 460.000 dollars de rémunération en 2019 et 2020. Dix-sept dirigeants de l’UAW ont perçu plus de 200.000 dollars selon les déclarations fiscales de l’année dernière, tandis que des centaines d’autres reçoivent plus de 100.000 dollars par an.

L’UAW a dépensé près de 3 millions de dollars en frais juridiques pour le seul cabinet d’avocats chargé de sa défense lors des poursuites judicaires, ainsi que des dizaines de milliers de dollars pour les frais juridiques individuels des dirigeants. Curry lui-même a eu plus de 10.000 dollars de frais juridiques payés par l’UAW depuis 2019 et dont le syndicat n’a pas expliqué le but.

Il n’y a pas de pression si forte soit-elle qui puisse réformer cette institution qui existe en tant qu’entreprise de main-d’œuvre bon marché, dirigée par des cadres de la classe moyenne supérieure. Pour aller de l’avant les travailleurs doivent construire de véritables organisations ouvrières à partir d’en bas, étendre le Comité de base des travailleurs de Volvo et les comités de solidarité de la base dans toutes les entreprises de Volvo et de l’industrie automobile, aux États-Unis et dans le monde.

Les travailleurs de Volvo reconnaissent de plus en plus leur pouvoir et le soutien potentiel qu’ils ont au sein de la classe ouvrière internationale. «J’ai entendu des déclarations selon lesquelles le monde entier observe ce qui se passe dans cette grève», a déclaré un travailleur en grève au WSWS vendredi. «Si nous obtenons des gains dans un contrat, cela peut être le début d’un grand mouvement dans le monde entier. Je suis très fier de penser que je suis peut-être une toute petite partie de ce mouvement.»

(Article paru d’abord en anglais le 26 juin 2021)

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