«Si nous voulons répandre le variant Delta dans toute l'Europe, c'est la façon de le faire »

L’Euro 2020 de football lié à des milliers de cas de COVID-19 alors que le variant Delta s’étend en Europe

La coupe d’Europe de football 2020 de l'UEFA, commencée avec un an de retard le 11 juin 2021, a atteint le stade des demi-finales. Tandis que lors des précédentes coupes d'Europe, une seule nation accueillait tous les matches, l'Euro 2020 fait jouer 24 équipes nationales dans 11 villes différentes de toute l'Europe, depuis Séville en Espagne jusqu’à Bakou en Azerbaïdjan.

Les matchs du tournoi ont rassemblé plus de 800 000 fans malgré la résurgence du COVID-19. Beaucoup de spectateurs présents dans les stades ont parcouru des centaines ou des milliers de kilomètres pour assister aux matchs de leur équipe.

Le premier ministre Boris Johnson pose pour une photo à l'extérieur de sa résidence du 10 Downing Street, sur un drapeau géant à croix de St Georges, avant le match de quart de finale Angleterre-Ukraine, le 1er juillet 2021 (Photo de Simon Dawson/No 10 Downing Street/Flickr)

Les matches de demi-finales et de finale la semaine prochaine devraient réunir plus de 60 000 fans chacun au stade de Wembley à Londres, bien que la Grande-Bretagne soit plongée dans une troisième vague de coronavirus entraînée par un variant Delta plus mortel et plus contagieux.

La victoire de l'Angleterre en huitièmes de finale contre l'Allemagne au stade de Wembley, à laquelle ont assisté plus de 40 000 fans, a conduit à des célébrations déchaînées de la part de milliers de supporters pressés les uns contre les autres criant et chantant bras dessus bras dessous malgré l’application « officielle » de la distanciation sociale dans les stades. Le gouvernement a étendu sa politique de participation de masse aux matchs et les médias ont encouragé les célébrations violant les mesures de distanciation sociale, soutenant les efforts de la classe dirigeante pour promouvoir une attitude de « retour à la normale ».

Le gouvernement conservateur espère également profiter de la solide performance de l'équipe d'Angleterre, qui jouera demain une des demi-finale contre le Danemark au stade de Wembley. L'intention est de susciter la ferveur nationaliste et de détourner l'attention de la politique mortifère d'immunité collective du gouvernement, qui a conduit à plus de 152 000 décès dont le certificat mentionne COVID-19 comme l'une des causes. Samedi, Johnson s'est placé sur un immense drapeau anglais étendu devant sa résidence de Downing Street pour déclarer son soutien à l'équipe avant son quart de finale contre l'Ukraine.

Ce jour-là, le Royaume-Uni avait une moyenne sur sept jours de 23 115 cas, contre 13 835 une semaine plus tôt. Selon la British Medical Association, les hospitalisations liées au COVID-19 en Grande-Bretagne ont augmenté de 55 pour cent au cours de cette période. Le 30 juin, le Royaume-Uni a enregistré 331 nouvelles hospitalisations dues au COVID-19, le plus grand nombre depuis le 18 mars. La propagation du variant Delta dans ce pays est un avertissement de ce qui se produira sur le continent européen, qui a un taux de vaccination encore plus bas.

Londres utilise son taux de vaccination plus élevé par rapport à d'autres pays européens pour faire passer une fausse et anti-scientifique justification de sa politique d'immunité collective. Le nouveau ministre de la Santé Sajid Javid, qui va mettre fin prématurément à toutes les restrictions de distanciation sociale le 19 juillet, a répété le mantra meurtrier du président français Emmanuel Macron, affirmant dans un éditorial pour le Mail on Sunday, que la population britannique devait « apprendre à vivre avec le COVID. »

La résurgence du virus en Europe, entraînée en grande partie par la coupe d’Europe 2020, est une menace lourde de conséquence pour une population largement non vaccinée. Seulement 39,7 pour cent de la population de l'Union européenne (UE) ont reçu deux doses. Dans l'ensemble de la zone européenne, y compris la Russie et d'autres pays non membres de l'UE, dont beaucoup ont participé à l'Euro 2020, seuls 24 pour cent sont vaccinés, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). La moitié des personnes âgées du continent restent sans protection, ainsi qu'environ 40 pour cent des agents de santé.

Jeudi, le directeur régional de l'OMS pour l'Europe, le Dr Hans Henri Kluge, a averti: « D'ici août, la Région européenne de l'OMS sera « Delta dominante »; mais d'ici août, la Région ne sera pas complètement vaccinée (63 pour cent des personnes attendent toujours leur premier vaccin); et en août, [elle] sera toujours en grande partie sans restrictions, avec une augmentation des voyages et des rassemblements. »

Kluge a ajouté: « Les trois conditions d'une nouvelle vague d'hospitalisations et de surmortalité avant l'automne sont donc réunies: de nouveaux variants, déficit de vaccination, interaction sociale accrue. » Kluge a révélé que le nombre de cas avait augmenté en Europe de 10 pour cent la semaine dernière, après une baisse de 10 semaines des cas sur tout le continent.

Interrogé par un journaliste pour savoir si les matchs de l'Euro 2020 agissaient comme des événements « super-diffuseurs », Kluge a répondu avec prudence : « J'espère que non […] mais cela ne peut pas être exclu ».

En fait, il est déjà clair que les stades ont été des vecteurs majeurs de propagation du virus :

* L’agence de santé Public Health Scotland a déclaré qu'il y avait eu 1 300 cas parmi les fans écossais qui se sont rendus à Londres pour le match de l'Écosse contre l'Angleterre.

* Les autorités sanitaires finlandaises ont signalé près de 100 cas confirmés parmi les fans qui se sont rendus à Saint-Pétersbourg – qui a connu 115 décès dus au COVID-19 le 1er juillet – pour le match de la Finlande contre la Russie.

* Les autorités danoises tentent actuellement de retrouver 4 000 cas contacts après que trois supporters ont été testés positifs pour le variant Delta après un match à Copenhague.

Les équipes nationales de football anglaise, suédoise, espagnole, écossaise et slovaque ont toutes signalé des cas durant la préparation ou pendant le tournoi.

Bien que les stades soient une préoccupation majeure, ce ne sont pas les seuls endroits où des infections liées à l'Euro 2020 se produisent. Catherine Smallwood, responsable principale des urgences pour l'OMS Europe, a fait part de ses préoccupations concernant les déplacements jusqu'au stade: « Comment les gens s'y rendent-ils ? Voyagent-ils dans des convois de bus bondés ? Prennent-ils des mesures individuelles lorsqu'ils font cela ? » Les taux d'infection ont également été causés par de grands groupes de fans se rassemblant dans des bars, des «fan-zones» ou des habitations privées pour regarder des matchs.

S'adressant à l'AFP, Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale de l'Université de Genève, a déclaré à propos du tournoi: «Si nous voulons répandre la variante Delta dans toute l'Europe, c'est la façon de le faire».

Alors que les infections s'accélèrent, des sections de la classe dirigeante prennent leurs distances par rapport à la décision de poursuivre le tournoi avec des dizaines de milliers de spectateurs. Lors d'une conférence de presse conjointe avec Johnson, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré qu'elle était « très inquiète » que 60 000 fans à Wembley pouvaient « être un peu trop ».

Peu avant, le ministre de l'Intérieur de Merkel, Horst Seehofer, avait qualifié la décision de l'UEFA d'accueillir 42 000 supporters lors du match Allemagne-Angleterre le 29 juin d’« absolument irresponsable », ajoutant « je soupçonne qu'il s'agit à nouveau d’intérêts commerciaux. »

Merkel et Seehofer tentent cyniquement de se distancier de la politique effrontée « d’immunité collective » de Johnson, bien qu'ils aient eux-mêmes poursuivi cette politique meurtrière, sauf en nom, imposant en Allemagne une réouverture prématurée des écoles et des entreprises qui a fait jusque là plus de 91 000 décès.

La décision de l'UEFA d'aller de l'avant avec l'Euro 2020 a sans aucun doute été déterminée par les profits de médias et de conglomérats sportifs européens qui brassent des milliards d’euros. Selon insideworldfootball.com, les revenus de l'Euro 2020 devraient dépasser 2,5 milliards d'euros. Lors de l'Euro 2016, l'UEFA avait réalisé 847 millions d'euros de bénéfices sur un chiffre d'affaires plus modeste, de 1,92 milliard d'euros. Si les chiffres des ventes de billets ne sont actuellement pas disponibles pour l'Euro 2020, l'Euro 2016 organisé en France avait permis de réaliser 269 millions d'euros de recettes avec les spectateurs.

Des calculs financiers similaires ont motivé la décision de jouer le tournoi de football Copa América au Brésil, qui se déroule en même temps que l'Euro 2020,. Le président fascisant brésilien Jair Bolsonaro a justifié la décision mortifère d'accueillir le tournoi en déclarant « Je regrette les morts, mais nous devons vivre. »

Le Brésil a enregistré en moyenne 1 500 décès par jour tout au long du tournoi et a désormais un décompte officiel de plus de 523 000 décès liés au COVID-19.

La décision prise par l'UEFA de faire jouer l'Euro 2020, sans les mesures sanitaires nécessaires face à une résurgence massive du virus, montre le mépris de l'aristocratie financière envers la vie de millions de fans de football européens. Le soutien total que les gouvernements capitalistes de toute l'Europe ont apporté au tournoi souligne leur détermination à permettre au virus de continuer sa propagation sans contrôle dans la population.

(Article paru en anglais le 5 juillet 2021)

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