Notre-Dame : la plainte pour contamination au plomb met en évidence la criminalité des autorités parisiennes et la complicité du syndicat CGT

Deux ans après que les flammes ont englouti et détruit de grandes parties de la cathédrale du XIIIe siècle Notre-Dame de Paris, y compris sa flèche en bois du XIXe siècle, les ouvriers chargés de la restauration continuent de travailler soumis à des taux de plomb dangereux. L’incendie a projeté dans l’air 400 tonnes de plomb provenant du toit de la cathédrale. Lorsque la fumée s’est refroidie, le plomb a recouvert les rues qui entourent le bâtiment, où il est resté en grande partie jusqu’à ce jour.

Depuis l’incendie, des centaines de restaurateurs travaillent sans relâche sur le site. En outre, des dizaines de milliers de familles dont les maisons se trouvent à moins d’un kilomètre de la cathédrale ont vécu dans un danger constant d’empoisonnement au plomb. Tout au long de l’année 2019, on a fermé les écoles et les crèches proches de la cathédrale après la détection de niveaux dangereux du métal sur les surfaces extérieures. Jusqu’en mars de cette année, la place était même ouverte aux visiteurs et aux touristes.

Un ouvrier dirige une pelle mécanique saisissant des morceaux de revêtement détruit pour ramasser les particules de plomb dans la cour de l’école primaire Saint-Benoît à Paris, jeudi 8 août 2019. (AP Photo/Francois Mori)

Chez les adultes, l’intoxication au plomb peut provoquer l’infertilité, des pertes de mémoire et l’hypertension artérielle. Chez les enfants, elle peut entraîner un retard de développement grave, des difficultés d’apprentissage, des crises d’épilepsie et une perte d’audition. En outre, l’empoisonnement au plomb peut survenir lors de n’importe quel contact avec une surface chargée de plomb, ce qui signifie que la contamination autour de Notre-Dame constitue un danger pour toute personne passant dans cette zone.

Le 6 juillet, François Lafforgue, du syndicat régional de la Confédération générale du travail de Paris (CGT-75), l’association Henri Pézerat et deux familles vivant près de Notre-Dame ont déposé plainte pour «mise en danger de la vie d’autrui». Aucun défendeur n’a été formellement désigné. Toutefois, le texte de la plainte vise la maire de Paris, Anne Hidalgo, arguant que «la Ville de Paris s’est abstenue d’alerter les parents d’élèves sur les risques encourus par leurs enfants.»

Le danger sur le site de Notre-Dame et dans ses environs était bien connu des responsables syndicaux et municipaux immédiatement après l’incendie de 2019. Dans les semaines qui ont suivi l’incendie, Mediapart avait publié une enquête montrant des concentrations de plomb aux environs de la cathédrale 400 à 700 fois supérieures au seuil autorisé. On a fini par refermer de nouveau le parvis en mai dernier, après qu’une nouvelle série de tests ait détecté des taux dangereux de plomb. Malgré cette incapacité à décontaminer le site, les travaux de restauration se poursuivent.

Il y a deux ans, «Robin des bois», un groupe de défense de l’environnement, avait intenté un procès similaire, accusant les autorités parisiennes de mettre délibérément en danger la vie de personnes exposées au plomb. La plainte a finalement été rejetée. En août 2019, la CGT elle-même a proposé que le site soit fermé et scellé dans une couverture hermétique jusqu’à ce qu’il soit décontaminé, mais n’a rien fait d’autre.

Benoît Martin, responsable de la fédération CGT de Paris, a déclaré au Monde que l’objectif du procès de mardi était de «prouver que les travailleurs ont été exposés à des risques qui auraient pu être évités, non seulement sur le chantier, mais aussi autour de la cathédrale, dans toute l’île de la Cité».

Le soutien de la CGT à ce nouveau procès est une tentative cynique de dissimuler son propre rôle criminel dans la violation des droits des travailleurs à des conditions de travail sûres à Notre-Dame pendant les deux dernières années. Malgré les preuves évidentes de la présence de taux mortels de plomb immédiatement après l’incendie, ce que la CGT a reconnu à l’époque, le syndicat n’a mobilisé aucune partie de ses membres pour s’opposer aux conditions dangereuses dans la cathédrale et ses environs.

Si la négligence maligne de l’administration sociale-démocrate d’Hidalgo à l’égard de la santé des travailleurs et des résidents des quartiers touchés est sans aucun doute criminelle, les dangereux travaux de restauration n’ont pu se poursuivre que grâce au soutien critique de la CGT. L’objectif principal de son soutien à ce procès n’est pas faire juger les responsables, mais de sauver la face vu sa complicité dans l’attaque de la santé des travailleurs.

La réponse de la CGT à la contamination au plomb de Notre-Dame annonçait le soutien crucial qu’elle allait apporter à la politique d’immunité collective de l’UE et de Macron face au COVID-19 un an plus tard. Tout en offrant aux travailleurs des platitudes et en se présentant comme des adversaires de Macron et des banques, la CGT a appliqué ses directives de retour au travail irresponsables et politiquement criminelles ; elle a isolé les travailleurs qui s’y opposaient et supprimé les actions de grève. Cette politique a mené à la mort de plus de 111.000 personnes en France et de plus d’un million dans toute l’Europe.

Les écoles et crèches aux alentours de la cathédrale sont également devenues de dangereuses zones de contamination. En juillet 2019, Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, avait déclaré au Monde qu’une mesure de 5.000 μg/m2 relevée dans une école proche de la cathédrale était «gigantesque» et «créerait inévitablement des victimes».

Les tests effectués par l’Agence régionale de santé de Paris en août 2019 ont révélé que seize enfants avaient des taux de plomb dans le sang nécessitant une surveillance continue (entre 20 et 49 microgrammes de plomb par litre de sang) et que deux présentaient des taux supérieurs à 50 microgrammes, indiquant un risque d’empoisonnement au plomb.

Les effets secondaires immédiats étant peu visibles, il est possible que de nombreuses personnes aient déjà été empoisonnées au plomb, avec des conséquences dévastatrices sur leur santé à long terme.

Dès le début, des controverses ont entaché les efforts de réparation de Notre-Dame. Dans les jours qui ont suivi l’incendie, les médias bourgeois ont fait l’éloge des milliardaires français qui ont fait des dons pour sauver le monument. À l’époque, Bernard Arnault, qui a ajouté plus de 85 milliards d’euros à sa valeur nette depuis le début de la pandémie en mars 2020, avait promis au projet de restauration 200 millions d’euros, soit 0,1 pour cent de sa valeur nette actuelle.

La famille Bettencourt-Meyers (valeur nette actuelle: 74,1 milliards d’euros) avait également promis 200 millions d’euros, tandis que le géant de l’énergie Total qui s’est targué d’un bénéfice après impôt de 11,8 milliards d’euros en 2019, n’avait promis lui, que 100 millions d’euros.

Malgré ces promesses et la part infime de la fortune de ces milliardaires qu’elles représentent, la plus grande partie de cet argent n’a pas encore été reçue. En juin 2019, un porte-parole de la cathédrale a déclaré à AP: «Les grands donateurs n’ont pas payé. Pas un centime.»

Au lieu de cela, en septembre 2020, la majorité des 184 millions d’euros collectés provenait de plus de 300.000 petits donateurs individuels, dont un certain nombre de l’étranger. En juin 2021, le diocèse catholique de Paris a déclaré que les fonds manquaient toujours et qu’il recherchait 5 à 6 millions d’euros supplémentaires pour la rénovation de l’intérieur.

Alors que les ouvriers continuent de peiner sur le site contaminé de Notre-Dame, les fausses promesses de dons des milliardaires soulignent le conflit irréconciliable qui existe au XXIe siècle entre les intérêts de la classe des milliardaires et la préservation de la culture humaine. Et tout comme ils ont conspiré pour sacrifier la vie des travailleurs sur l’autel du profit durant toute la pandémie, les syndicats et la classe dirigeante refusent toujours de protéger les travailleurs et les familles parisiennes de l’empoisonnement au plomb.

(Article paru d’abord en anglais le 10 juillet 2021)

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