Après avoir saboté la lutte des travailleurs:

Les syndicats de la construction au Québec font entériner des ententes au rabais

L’Alliance syndicale, qui regroupe les cinq syndicats représentant l’ensemble des 190.000 travailleurs de la construction du Québec, a annoncé jeudi que les ententes de concessions négociées avec la partie patronale avaient été entérinées par les membres. Dans les faits, les votes ne signalent en rien un appui général pour les nouvelles conventions remplies de reculs. On peut dire qu’il s’agit, au mieux, d’un vote de dépit, voire de non-confiance.

Le fait que la plupart des syndicats refusent de dévoiler les pourcentages d’approbation ainsi que les taux de participation indique que les ententes ont été acceptées dans une faible proportion. Des travailleurs ont affirmé sur les réseaux sociaux que les taux de participation dans certaines sections locales étaient de 1 pour cent. De manière anti-démocratique, plusieurs syndicats n’appliquent effectivement plus les règles de quorum pour les votes.

Selon les bribes d’informations disponibles, plusieurs sections locales auraient voté en faveur du «tronc commun», qui comprend entre autres un affaiblissement du régime d’assurance médicaments, mais auraient rejeté l’entente sectorielle. C’est le cas des travailleurs affiliés au Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International), qui ont rejeté l’entente sectorielle à plus de 70 pour cent.

Au final, quatre nouvelles conventions collectives pour la période 2021-2025 sont entrées en vigueur pour les ouvriers et ouvrières des secteurs résidentiel, génie civil et voirie, industriel, commercial et institutionnel. Cependant, en rien est-ce que ces ententes ne vont régler les vastes problèmes dans la construction, une industrie des plus lucratives, gangrenées par la corruption et les liens incestueux entre patrons, gouvernement, crime organisé et chefs syndicaux. Ces ententes ne vont aucunement réduire la colère des travailleurs, qui se sont fait imposer recul sur recul à chaque convention à coup de trahisons syndicales et de lois spéciales gouvernementales comme en 2013 et 2017.

Tout au long des négociations, les travailleurs ont été maintenus dans le noir le plus complet par leurs dirigeants syndicaux. Conséquemment, les syndicats ont fait fi des normes démocratiques pour la tenue des votes. Un nombre important de travailleurs ont indiqué sur Facebook qu’ils n’avaient jamais reçu de lettre ni de courriel sur les offres et sur les assemblées générales. D’autres ont noté que les votes se sont déroulés de manière précipitée le jour même des assemblées, sans aucune discussion sérieuse sur les détails de l’entente. Certains se sont plaints, avec raison, de la tenue du vote via Zoom un mardi, à 19h30.

Un travailleur représenté par la FTQ-construction a expliqué au World Socialist Web Site qu’il avait simplement reçu un courriel avec les propositions. «On n’a eu aucun meeting, aucun appel-conférence, rien. Un courriel, et tu acceptes ou non.»

Dès le départ, l’Alliance syndicale a signalé son intention d’empêcher une lutte contre les patrons de l’industrie et de forcer l’adoption d’une entente pourrie. Bien que les travailleurs aient voté massivement en faveur de la grève en mai, les syndicats ont refusé de mener la moindre action, capitulant sans coup férir.

Si les taux de participation ont été vraisemblablement si faibles, c’est surtout le résultat de la campagne de démobilisation orchestrée par les bureaucrates syndicaux de la FTQ, la CSN, la CSD, le SQC, et de l’Inter. En fait, les travailleurs ont été confrontés à une campagne d’intimidation sur deux fronts. D’un côté, celle du patronat et du gouvernement caquiste de François Legault, qui a déclaré qu’il ne tolérerait pas une grève et laissé placer la menace d’une loi spéciale. De l’autre, les syndicats ont utilisé le prétexte de l’absence de rétroactivité des hausses salariales et la menace de l’arbitrage pour faire passer les ententes.

Malgré que plusieurs grèves et actions militantes ont eu lieu en même temps que se déroulait la lutte dans la construction, y compris parmi les travailleurs alimentaires d’Exceldor et Olymel, les ouvriers d’Arcelor Mittal ou les débardeurs de Montréal, les syndicats ont refusé d’unir les travailleurs au-delà des secteurs. Ils ont plutôt signé des ententes de concessions dans certains cas, capitulé devant la loi spéciale du gouvernement Trudeau dans le cas des débardeurs, ou isolé le conflit dans le cas d’Olymel.

Il est également révélateur que les grandes centrales syndicales comme la CSN et la FTQ n’ont jamais levé le petit doigt pour unir les ouvriers de la construction et le demi-million de travailleurs du secteur public, qui sont en partie représentés par ces mêmes centrales. Pourtant, les employés de l’État font face aux mêmes attaques sur leurs salaires et conditions et se sont aussi fait menacer d’une loi spéciale par le gouvernement Legault, qui agit dans ce cas comme la partie patronale.

C’est dans ce contexte de division et d’isolement, marqué par un manque d’alternative, qu’une partie des travailleurs ont accepté les ententes.

Celles-ci comprendraient des «hausses» salariales de 8,2% sur quatre ans, soit un appauvrissement réel considérant une inflation galopante qui atteint déjà les 3,6%. Au niveau de l’assurance médicaments, appelée «Medic», l’employeur a réussi à transférer une partie du fardeau financier sur le dos des travailleurs sous prétexte d’assurer la pérennité du régime. Alors qu’ils payaient jusqu’ici la totalité des frais, les employeurs cotiseront dorénavant, pour chaque heure travaillée, 0,40$/h, et les travailleurs 0,25$/h, avec une augmentation annuelle de 0,06$/h chacun. L’association patronale n’a pas caché que son objectif ultime est de faire payer la majorité des frais aux travailleurs.

Pour assurer l’adoption des ententes, l’Alliance syndicale a convenu avec la partie patronale de reporter l’épineuse question du pointage électronique et de la géolocalisation. Les travailleurs sont fortement opposés à ces applications mobiles qui servent ultimement à surveiller et contrôler les travailleurs. Les parties vont tenter de faire passer ces mesures réactionnaires ultérieurement à travers un «comité paritaire» patronat-syndicat qui pourrait aussi se conclure par arbitrage.

La trahison des syndicats de la construction n’est que la dernière d’une longue série, qui démontre une fois de plus le caractère fondamentalement nationaliste et pro-capitaliste de ces appareils corrompus. Depuis les dernières décennies, le rôle premier de ce qui porte le nom de «syndicat» est d’assurer que rien n’entrave l’accumulation de profits de la grande entreprise. Les syndicats, ayant renoncé à la défense même des intérêts immédiats des travailleurs, se sont transformés en police industrielle dédiée à étouffer la lutte de classe. Les «négociations collectives» ne sont finalement qu’un mécanisme pour imposer les reculs exigés par le patronat.

Comme en témoignent les nombreux privilèges des hauts dirigeants de la bureaucratie syndicale et les riches fonds d’investissement qu’ils gèrent, les syndicats ont aujourd’hui des intérêts financiers qui dépendent de l’exploitation de la classe ouvrière et de la «paix sociale». Le corporatisme syndical est incarné par le Fonds de solidarité FTQ, un important fonds d’investissement en capital de risque dont la fonction est de faire croître des entreprises privées québécoises et leurs actionnaires par une exploitation accrue des travailleurs.

Tout au long du conflit dans la construction, le patronat a reçu le plein appui non seulement du gouvernement Legault, mais aussi de tous les partis de l’establishment, y inclut le parti soi-disant de gauche Québec Solidaire. Derrière sa démagogie pro-travailleurs, QS s’est rangé du côté de Legault pour empêcher une grève qui aurait eu des impacts majeurs sur l’économie.

Légalement, les travailleurs de la construction ne peuvent mener de grèves ou autres actions militantes jusqu’à la fin de la convention en 2025. Cependant, les tensions vont continuer de s’intensifier durant cette période. Les travailleurs doivent tirer les leçons de leur plus récente expérience ainsi que celles des luttes passées. Ils doivent prendre la lutte entre leurs mains en formant des comités de la base, indépendants des syndicats et opposés à leur orientation nationaliste et à leur politique de collaboration de classe.

En dernière analyse, une lutte même en apparence limitée à un secteur ne peut être victorieuse que si elle est orientée vers le reste de la classe ouvrière, partout au Canada et au-delà des frontières nationales. Elle doit être basée sur un programme socialiste, soit la réorganisation de l’économie pour répondre aux besoins de tous et non aux profits d’une minorité de super riches.

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