Le président de l’UAW salue le partenariat entre les syndicats et la direction après la trahison de la grève chez Volvo

Moins d’une semaine après que le président du syndicat UAW (United Auto Workers) Ray Curry a conspiré avec la direction pour mettre fin à la grève de cinq semaines chez Volvo et imposer un contrat précédemment rejeté par les travailleurs, il a écrit une chronique dans le Detroit News intitulée «L’UAW travaille avec les employeurs pour les membres du syndicat»

Le Detroit News, journal aligné sur le Parti républicain et porte-parole de longue date des patrons de l’automobile, publie régulièrement des chroniques du président de l’UAW, du président des Teamsters James Hoffa et d’autres bureaucrates syndicaux du Michigan qui ont fait leurs preuves auprès des grandes entreprises.

Ray Curry à Chattanooga, au Tennessee, en 2015 (AP Photo/Erik Schelzig)

Dans son éditorial du 20 juillet, Ray Curry rejette toute suggestion selon laquelle les syndicats devraient avoir une relation «contradictoire» avec les entreprises et vante l’adhésion de longue date de l’UAW au corporatisme et au «partenariat» patronal-syndical.

«Au-delà du conflit et des demandes en grands titres des membres pendant les négociations collectives et les questions soulevées au lieu de travail comme les griefs», déclare Curry, les syndicats et les employeurs «doivent toujours s’associer pour faire tourner le moteur économique de cette nation».

Nulle part dans le billet de Curry, n’a-t-il fait mention de la lutte menée pendant des mois par près de 3.000 travailleurs de Volvo Trucks à Dublin, en Virginie, la plus importante bataille menée par les membres de l’UAW depuis des années, voire des décennies. C’est parce que cette expérience a démontré le conflit irréconciliable non seulement entre les travailleurs de Volvo et le géant multinational basé en Suède, mais aussi entre les travailleurs et l’UAW.

En tant que directeur du département poids lourds de l’UAW, Curry a élaboré les propositions de contrat que les travailleurs de Volvo ont rejetées à plusieurs reprises. Les accords recommandés par l’UAW garantissaient «le succès et les profits de l’entreprise» en imposant aux travailleurs de fortes augmentations des frais médicaux, en maintenant le système détesté de salaires à deux niveaux et en accordant une maigre augmentation annuelle de 2 pour cent aux travailleurs les mieux payés. Compte tenu du taux d’inflation actuel, cette dernière mesure se traduirait par une réduction de 20 pour cent des salaires réels au cours des six années du contrat signé par Curry.

Après que les travailleurs ont rejeté de façon décisive les propositions propatronales de l’UAW en mai, en juin et le 9 juillet, le syndicat s’est entendu avec la direction pour imposer sa «dernière, ultime et meilleure» offre. Lorsque Volvo a menacé de rouvrir l’usine avec des briseurs de grève, Curry a ordonné à la section locale d’organiser un nouveau vote sur le dernier contrat rejeté et de faire comprendre aux grévistes qu’ils seraient renvoyés au travail aux conditions de l’entreprise, quelle que soit l’issue du vote. Le 14 juillet, l’UAW a annoncé que l’accord avait été adopté avec une avance de 17 voix (0,3 pour cent des votes). Alors que les travailleurs de la base accusaient l’UAW d’avoir manipulé les résultats, Curry a cyniquement déclaré que le «processus démocratique s’était déroulé chez Volvo Trucks» et a mis fin à la grève.

Le contrat que Curry et l’UAW ont imposé garantira la poursuite de l’appauvrissement des travailleurs de Volvo. Et alors que le syndicat et Volvo ont faussement prétendu que chacun des contrats était «le meilleur qu’ils pouvaient offrir» et qu’une amélioration substantielle des salaires et des avantages sociaux était inabordable, Volvo a annoncé cette semaine des bénéfices d’environ 1,12 milliard de dollars pour le deuxième trimestre, ce qui porte ses bénéfices totaux pour 2021 à 2,5 milliards de dollars jusqu’à présent.

«L’UAW nous a menti en disant que c’était le mieux que l’entreprise pouvait offrir», a déclaré un travailleur de Volvo au WSWS après la publication du rapport sur les bénéfices mardi. «Ils sont en train de faire des bénéfices records. Lorsque les gens verront ce que l’UAW a négocié, lorsque ces salauds sur la colline publieront enfin notre contrat, ça va éclater».

Curry fait partie d’une longue lignée de présidents de l’UAW – à commencer par Douglas Fraser, nommé au conseil d’administration de Chrysler en 1980 – dont toute la carrière dans l’appareil de l’UAW a été fondée sur la doctrine du «partenariat» patronal-syndical, c’est-à-dire qu’il y a identité d’intérêts entre les sociétés et les travailleurs. Cette politique a entraîné à la fois une intégration toujours plus étroite des syndicats avec le patronat et l’État capitaliste et une grave détérioration du niveau de vie des travailleurs.

Dans sa chronique, Curry déclare: «L’UAW a prouvé depuis ses débuts que le succès d’un employeur ouvre la porte au succès d’un membre de l’UAW à la table des négociations. Nous avons travaillé sur un front uni à la construction d’une économie forte, à l’amélioration de la création d’emplois et au développement de meilleurs niveaux de vie. Cela est vrai, que nous travaillions ensemble dans l’usine, à la table des négociations ou que nous soyons en concurrence dans cette économie mondiale».

En fait, le «front uni» entre l’UAW et les sociétés est dirigé contre les travailleurs.

Malgré les affirmations de Curry, le partenariat «patronal-syndical» et le corporatisme n’ont pas été le principe directeur de l’UAW «depuis ses débuts». Les travailleurs à l’esprit socialiste et les militants de gauche qui ont mené des luttes industrielles de masse comme la grève et l’occupation de Flint en 1936-1937 avaient compris que la classe ouvrière avait des intérêts totalement distincts et antagonistes à ceux des propriétaires capitalistes des industries géantes.

Les purges antisocialistes menées par Walter Reuther, alors président de l’UAW, dans les années 1940, ont toutefois conduit à la consolidation de l’UAW sur la base de la défense du capitalisme, du soutien nationaliste aux intérêts géopolitiques de l’impérialisme américain et de la subordination politique de la classe ouvrière au Parti démocrate. Un processus similaire se déroulait au sein des autres syndicats.

La mondialisation de la production capitaliste dans les années 1970 et 1980 a révélé la faillite du programme nationaliste de l’UAW et d’autres syndicats, qui ont abandonné toute résistance aux employeurs. Les syndicats se sont joints à la réduction sauvage de larges sections de l’industrie et à la réduction implacable de la part des travailleurs dans le revenu national au nom de la «compétitivité» du capitalisme américain.

Au cours de cette période, la bureaucratie de l’UAW a développé de nouvelles sources de revenus qui provenaient de la propriété d’actions d’entreprises, des postes au sein de conseils d’administration d’entreprises, des programmes de «formation» conjoints entre syndicats et direction (ainsi que les pots-de-vin qui y sont versés) et des investissements qui provenaient de fonds de soins de santé et les fonds de retraite s’élevant à plusieurs milliards de dollars. Cela a permis aux cadres supérieurs et à l’armée d’employés du syndicat de se protéger de l’impact de leurs politiques anti-ouvrières et de s’enrichir grâce à une part de la richesse extraite de la classe ouvrière.

Avec l’apparition de la pandémie de COVID-19, l’UAW a non seulement sacrifié les moyens de subsistance de ses membres au profit des sociétés, mais aussi leur vie. Dans un effort de dissimulation, Curry fait l’éloge du rôle de l’UAW dans le prétendu groupe de travail COVID-19 des trois constructeurs de Detroit mis en place en mars 2020.

«Face à une pandémie mortelle et sans test pour déterminer s’il y a eu exposition ni vaccin pour protéger les travailleurs et leurs familles, l’UAW et les Trois de Detroit ont collaboré et fermé des usines pour sauver des vies américaines», affirme Curry dans la chronique du Detroit News. «Ces actions du groupe de travail et le rôle qu’il a joué dans l’identification des protocoles de retour au travail ont sauvé des vies et conduit d’autres industries à adopter ces mêmes protocoles et politiques.»

Ce sont des mensonges grotesques. La vérité est que l’UAW a fait tout ce qu’il pouvait pour empêcher la fermeture des usines automobiles même si des centaines de travailleurs étaient infectés et que des dizaines de membres de l’UAW mouraient du virus dans les usines. Le seul élément qui a forcé la fermeture de l’industrie automobile et d’autres industries était une série de grèves sauvages des ouvriers dans multiples industries qui ont commencé en Europe et se sont étendues au Canada, aux États-Unis et au Mexique. Il s’agissait de rébellions de la base contre l’UAW, y compris les actions sauvages des travailleurs de Fiat Chrysler (aujourd’hui Stellantis) dans le Michigan, l’Indiana et l’Ohio.

Les protocoles de sécurité que l’UAW et les sociétés ont mis en place après la fermeture de deux mois n’étaient que de la poudre aux yeux pour ouvrir la voie à la réouverture des usines à la mi-mai 2020. Une fois que les usines ont redémarré, l’UAW s’est entendu avec la direction pour dissimuler aux travailleurs des informations sur les épidémies et les nouveaux décès. Plus récemment, le syndicat a accepté d’abandonner les exigences relatives au port du masque et à la distanciation sociale afin de permettre aux entreprises d’accélérer la production, alors même que le variant Delta, extrêmement dangereux, est en éruption et que des dizaines de milliers de personnes continuent d’être infectées chaque jour.

Pour justifier son appel à une collaboration encore plus étroite avec les sociétés et le gouvernement américain, Curry cite le défi que la Chine, les pays européens et d’autres concurrents posent aux entreprises américaines dans la course à la domination des véhicules électriques et d’autres technologies automobiles. «Le rôle des employeurs et de l’UAW est également de veiller à ce que les États-Unis ne prennent pas de retard dans l’adoption de cette nouvelle technologie», déclare Curry.

À l’instar des exigences de l’UAW, qui demandait aux ouvriers de l’automobile de faire des sacrifices sans fin pour concurrencer les travailleurs du Japon et d’autres pays dans les années 1980, la campagne de Curry sur les véhicules électriques entraînera des réductions de salaires et d’emplois encore plus douloureuses. Curry signale aux grandes entreprises que l’UAW souhaite être un partenaire à part entière dans la transformation des ouvriers de l’automobile en une main-d’œuvre temporaire mal payée et que le syndicat soutiendra l’élite dirigeante américaine dans ses futures guerres commerciales et confrontations militaires avec la Chine et d’autres concurrents dotés de l’arme nucléaire.

La trahison envers les travailleurs de Volvo n’est qu’une parmi de nombreuses autres que Curry et l’UAW préparent. Mais la rébellion chez Volvo cette année et l’émergence du Comité de base des travailleurs de Volvo (VWRFC) en tant que nouvelles voix et direction des travailleurs indiquent l’autre voie à suivre.

En opposition aux efforts du syndicat pour isoler la grève derrière une conspiration du silence, les travailleurs de Volvo, avec l’aide du WSWS, ont organisé le VWRFC et établi des liens avec les travailleurs de Mack Truck, les travailleurs de l’automobile à Detroit et dans d’autres villes, et les travailleurs de Volvo en Australie, au Canada et en Belgique.

Les analystes des groupes de réflexion de l’industrie automobile préviennent déjà que les travailleurs de Volvo vont inspirer d’autres travailleurs à renverser des décennies de reculs soutenus par l’UAW. Les défaites répétées des propositions contractuelles de l’UAW «modifient considérablement la dynamique», a déclaré Kristin Dziczek, vice-présidente senior du Centre de recherche sur l’automobile. «Si les membres ne considèrent pas le premier accord comme le meilleur qu’ils puissent obtenir, alors c’est une prophétie qui va se réaliser d’elle-même».

Les leçons de la lutte courageuse des travailleurs de Volvo contre à la fois l’entreprise et l’UAW doivent être transmises à chaque section de la classe ouvrière, afin de préparer la contre-offensive industrielle et politique nécessaire de la classe ouvrière contre le système de profit capitaliste mondial.

(Article paru en anglais le 22 juillet 2021)

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