La police de Toronto démantèle des camps de sans-abri dans une série de rafles de type paramilitaire

La police de Toronto a envoyé trois personnes à l’hôpital et en a arrêté 26 mercredi lors d’une attaque violente visant à expulser de force les résidents d’un camp de sans-abri au Lamport Stadium Park. Cette opération de style paramilitaire dans la capitale de l’Ontario, que les observateurs ont qualifiée de sauvage, n’était que la dernière d’une série d’expulsions forcées imposées par la police sur ordre des autorités de la ville au cours du mois dernier.

Capture d’écran d’une vidéo montrant des manifestants confrontés à la police en train de faire sortir de force des résidents d’un camp de sans-abri (Photo: Mark McAllister, @McAllister_Mark/Twitter)

Des barrières métalliques ont été utilisées pour confiner les résidents du parc et leurs partisans par des escouades de policiers, tandis que les résidents ont été physiquement retirés de leur camp pendant plusieurs heures. Dans l’attente, des manifestants se sont rassemblés pour aider les résidents à résister, ce qui a entraîné des échauffourées avec la police. L’opération a suscité des comparaisons avec la pratique du kettling des manifestants, une tactique rendue tristement célèbre par la police lors des manifestations contre les dirigeants des pays du G20 qui visitaient la ville il y a 11 ans.

La descente à eu lieu un jour après une rafle similaire effectuée mardi au parc Alexandra, où neuf personnes ont été arrêtées. Parmi les personnes détenues figurait un photographe de la Presse canadienne, qui s’est vu remettre une contravention pour intrusion lui interdisant de revenir dans le secteur pendant 90 jours.

La première descente de police dans le cadre de la dernière série d’expulsions forcées a eu lieu le 22 juin, lorsqu’une phalange de policiers appuyée par des services de sécurité privés est descendue sur un campement de fortune peuplé d’environ 20 à 25 Torontois sans abri dans le parc Trinity Belwoods, dans l’ouest de la ville. La ville a affirmé avoir demandé à plusieurs reprises aux personnes résidant dans le parc de quitter les lieux avant de dépêcher la police pour expulser de force les personnes présentes.

La ville a présenté toutes ces opérations comme des mesures de sécurité et de maintien de l’ordre contre le «camping» dans les parcs municipaux, après que les médias aient dénoncé les conditions physiques des parcs municipaux où se trouvent des campements improvisés de sans-abri.

Selon un décompte, 100 policiers ont participé au démantèlement du camp de Trinity Belwoods. La police a également admis avoir utilisé un drone pour surveiller les manifestants depuis le ciel. Les manifestants ont scandé «Honte» et «Qui protégez-vous?» à l’intention de la police pendant qu’elle évacuait les résidents. Les biens qu’ils ne pouvaient pas transporter ont été entreposés, et un jardin communautaire a été détruit au bulldozer.

Des dizaines de personnes ont été arrêtées lors de l’assaut qui a suivi et trois manifestants font face à des accusations. Parmi les personnes arrêtées se trouvait un photojournaliste de renom, une action condamnée par l’Association canadienne des journalistes. Il a ensuite été libéré sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.

Le maire John Tory a défendu l’expulsion forcée du parc Trinity Belwoods, reprochant aux résidents de ne pas avoir tenu compte des avertissements d’évacuation. Il a apporté son soutien à la conduite de la police en déclarant: «Je ne prends pas de décisions sur l’application des lois dans la ville, ces décisions sont prises par les responsables de l’application des lois, mais je soutiens ce qu’ils font.» Tory a reproché aux partisans des sans-abri d’avoir entravé l’opération, affirmant que la faute en revenait à ceux qui n’avaient «aucun lien» avec les résidents.

À la suite de la dernière descente au Lamport Stadium Park, le Globe and Mail, le «journal officiel» du Canada, s’est immiscé dans le débat en défendant à grands cris la brutalité policière. La ville a ordonné le nettoyage des camps «illégaux», écrit le journal, résolvant le problème avec «équité et bon sens».

Les résidents des camps ont souligné à plusieurs reprises leur sentiment que les campements en plein air sont plus sûrs que les abris intérieurs proposés par la ville. De nombreux résidents des camps souffrent de problèmes de toxicomanie et de santé mentale et ont exprimé l’avis que la ville souhaite simplement les faire disparaître du paysage. Un résident a fait remarquer à CBC News que «le gouvernement ne considère pas les sans-abri comme des êtres humains». Un ancien résident du site Trinity Belwoods a déclaré: «Chaque centime versé à la police pourrait être consacré au logement».

Des sondages menés auprès des sans-abri de Toronto ont révélé que l’inquiétude liée à la sécurité dans les refuges surpeuplés est la principale raison pour laquelle la plupart d’entre eux tentent leur chance dans la rue. Alors que le nombre de sans-abri augmente, le système de refuges de la ville atteint un point de rupture. Les cas de violence ont augmenté de 200 % au cours des cinq dernières années. Les décès dans les refuges sont passés de 16 pour la période janvier-avril 2020 à 36 pour la même période en 2021. Les sans-abri doivent également faire face aux vols de leurs biens déjà maigres lorsqu’ils séjournent dans des centres d’hébergement.

Le manque de sécurité physique a été aggravé par la pandémie de la COVID-19. Les sans-abri constituent déjà une population à risque en raison de leurs niveaux plus élevés de comorbidités, comme les maladies respiratoires et le diabète. Une étude publiée dans le Journal de l’Association médicale canadienne a révélé que le taux de positivité chez les sans-abri était de 75 % supérieur à celui des personnes logées. Au plus fort de la première vague, les nouveaux sans-abri testés positifs étaient cinq fois plus susceptibles de mourir dans les trois semaines suivant un test positif, 20 fois plus susceptibles d’être hospitalisés et 10 fois plus susceptibles d’être envoyés dans une unité de soins intensifs.

Bien que les sans-abri dans les rues du Canada soient généralement les plus démunis – en particulier ceux qui souffrent de l’épidémie d’opioïdes actuelle et les communautés autochtones gravement opprimées – l’itinérance a atteint des pans plus larges de la société si l’on considère ceux qui sont contraints de vivre dans leur véhicule ou de chercher un abri temporaire chez des amis ou des membres de la famille.

La crise des sans-abri est elle-même directement liée à l’escalade de la crise du logement à travers le pays, dont tous les partis politiques à différents niveaux de gouvernement sont responsables. Un rapport d’un groupe de réflexion a récemment révélé que Vancouver, Toronto et Hamilton – une ancienne ville sidérurgique ravagée et désindustrialisée où vivent maintenant de nombreux travailleurs expulsés de Toronto – sont les villes les moins abordables du Canada et des États-Unis. Alors que les salaires stagnent, la spéculation et les faibles taux d’intérêt ont fait grimper le coût des logements dans tout le pays. L’économie canadienne dépend de plus en plus de la hausse continue des prix de l’immobilier pour sa croissance.

Le 30 juin, le premier ministre libéral Justin Trudeau a dévoilé la deuxième série de mesures qu’il a présentées comme la contribution de son gouvernement à la lutte contre la crise du logement. Il s’agit de la création d’un maigre 3000 unités de logement abordable. Trudeau a indiqué que l’objectif initial avait été dépassé lors de la première phase avec la création de 4700 logements. Il a dévoilé des investissements supplémentaires de 1,5 milliard de dollars, qui iront en grande partie aux promoteurs immobiliers privés.

En réalité, même en supposant que ces investissements soient réalisés dans leur intégralité, ils sont loin de suffire à résoudre la crise du logement dans le pays. Des décennies de politiques menées par tous les grands partis bourgeois à tous les niveaux ont contribué à la pénurie de logements abordables.

Des années 1970 jusqu’au début des années 1990, des dizaines de milliers de logements sociaux étaient construits chaque année au Canada. Ottawa s’est largement retiré de la politique du logement au milieu des années 1990 sous le premier ministre libéral Jean Chrétien, se déchargeant de la responsabilité sur les provinces, qui ont mis en œuvre des mesures d’austérité qui ont contribué à l’effondrement du parc de logements publics. Tous les partis ont joué un rôle dans ce changement, y compris les néo-démocrates, qui ont cessé d’approuver les logements à loyer indexé sur le revenu en Ontario lorsqu’ils étaient au pouvoir dans la province dans les années 1990.

Dans la plus grande ville du Canada, le résultat est que des milliers de personnes ont été contraintes de se tourner vers le marché du logement à but lucratif, alors même que les loyers et les évaluations atteignent des sommets vertigineux. Les travailleurs consacrent couramment la moitié de leur revenu au loyer. S’ils espèrent économiser pour verser un acompte sur une maison, la famille moyenne doit économiser pendant plus de 23 ans. Les prix de l’immobilier à Toronto ont augmenté de plus de 40 % au cours de la seule année dernière. Pendant ce temps, la classe dirigeante s’engraisse grâce à l’inflation des actifs financés par les fonds publics, les milliardaires canadiens ayant ajouté des dizaines de milliards à leur fortune indécente au cours de la pandémie.

Comme nous l’avons écrit au début de la pandémie:

Il existe de nombreuses ressources pour répondre aux besoins des Torontois en matière de logement, mais il faut pour cela s’attaquer à la richesse de l’élite capitaliste. ... Peu enclins à entreprendre une redistribution des richesses, même modeste, tous les niveaux de gouvernement se relancent la balle en ce qui concerne la crise des sans-abri et du logement... en prenant pour boucs émissaires les personnes souffrant de toxicomanie et les immigrants et réfugiés récents.

Le déploiement de vastes ressources financières pour faire face à la crise du logement à Toronto devient d’autant plus urgent dans le contexte du danger de santé publique produite par la pandémie de coronavirus. Sans une action urgente pour tester les sans-abri, leur fournir des soins médicaux adéquats et s’assurer qu’ils disposent d’un logement et d’un revenu pour traverser la crise, ils risquent d’être ravagés par la maladie mortelle de la COVID-19.

(Article paru en anglais le 24 juillet 2021)

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