Le gouvernement Modi rejette avec colère une étude qui montre que le COVID-19 a tué des millions de personnes en Inde

Le gouvernement indien d’extrême droite du Bharatiya Janata Party (BJP) a rejeté avec colère une étude scientifique qui démontre que le nombre réel de victimes du COVID-19 dans le pays est jusqu’à 10 fois supérieur au chiffre officiel actuel de 419.000 morts.

Dans une déclaration publiée jeudi, le gouvernement dirigé par Narendra Modi a rejeté avec colère l’étude du Center for Global Development, basé aux États-Unis, la qualifiant de «non fondée sur des faits» et de «totalement fallacieuse».

Un agent de santé prélève un échantillon par écouvillonnage de la bouche d’un garçon du Cachemire pour effectuer un test de dépistage du COVID-19 à Srinagar, dans le Cachemire sous contrôle indien, le samedi 8 mai 2021. (AP Photo/Dar Yasin)

En fait, en confirmant que le nombre de morts en Inde est exponentiellement plus élevé que le chiffre officiel, l’étude, publiée le 20 juillet, ne fait que confirmer les conclusions de multiples enquêtes antérieures menées par des épidémiologistes, des journalistes et d’autres chercheurs.

Sur la base d’un examen complet de multiples ensembles de données, l’étude estime qu’il y a eu entre 1,5 et 3,4 millions de «décès excédentaires» au cours de la «première vague» de la pandémie, entre avril 2020 et mars 2021. Au cours de la deuxième vague, encore plus dévastatrice, d’avril à juin – qui était alimentée par le variant Delta, identifié pour la première fois en Inde en octobre dernier – le COVID-19 a tué environ 1,4 à 2,4 millions de personnes. Au total, cela signifie qu’en seulement 15 mois, entre 3,4 et 4,7 millions d’Indiens sont morts du virus.

«Les véritables décès», conclut l’étude, «sont probablement de l’ordre de plusieurs millions et non de centaines de milliers, ce qui en fait sans doute la pire tragédie humaine de l’Inde depuis la partition et l’indépendance.»

Le COVID-19 est un agent pathogène naturel, mais la perte catastrophique de vies en Inde est le produit d’une politique d’État et constitue un véritable crime contre l’humanité. À la demande de l’élite capitaliste indienne, le gouvernement national et les gouvernements des États, y compris ceux dirigés par les partis d’opposition, ont systématiquement placé la protection de la richesse des investisseurs et des profits des sociétés avant le sauvetage des vies humaines. Ils ont refusé de mobiliser les ressources nécessaires pour combattre le virus et ont maintenu en activité les entreprises non essentielles pendant la quasi-totalité des 15 derniers mois.

Le seul «confinement» jamais imposé par Modi a été mis en œuvre de manière désordonnée à la fin du mois de mars 2020, avec un préavis de moins de quatre heures, sans aucun plan de test de masse systématique et de recherche des contacts, et sans aucune aide pour les dizaines de millions d’Indiens laissés sans ressources du jour au lendemain. En l’espace d’un mois, le gouvernement BJP a commencé à réduire de façon spectaculaire les restrictions sur le fonctionnement des installations de production non essentielles et, début juin, il a déclaré que l’Inde était en «déconfinement», alors même que les cas de COVID-19 montaient en flèche et que le taux quotidien d’infections allait demeurer en hausse continue jusqu’à la mi-septembre.

De même, les autorités ont allègrement ignoré l’émergence de la deuxième vague, à partir de la mi-février de cette année. Puis, en avril, alors que le système de santé indien s’effondrait en raison d’un tsunami sans précédent d’infections et de décès, Modi a pris la parole sur les ondes pour déclarer que l’objectif de son gouvernement était de «sauver l’Inde du confinement», et non du virus.

La pandémie a mis à nu la réalité de la «montée» capitaliste de l’Inde, si souvent célébrée par les médias occidentaux. Alors que des millions d’Indiens sont morts et que des dizaines de millions d’autres ont été rendus malades par le COVID-19 et que 230 millions de personnes supplémentaires ont été poussées dans l’extrême pauvreté et luttent pour survivre avec moins de 375 roupies (5 dollars américains) par jour, les milliardaires indiens ont vu leur richesse combinée presque doubler en 2020 pour atteindre 597 milliards de dollars.

Si le gouvernement Modi a amèrement dénoncé l’étude du «Centre pour le développement mondial» (CGD) et si les médias bourgeois ne lui ont accordé qu’une faible couverture, c’est parce que l’élite indienne craint de devoir rendre des comptes. Elle est parfaitement consciente que l’indignation populaire est palpable face à la gestion criminelle de la pandémie par les autorités. Les ouvriers de l’automobile, les travailleurs des transports, les travailleurs du secteur public, les agriculteurs et bien d’autres ont mené des grèves et des manifestations ces derniers mois pour s’opposer à la priorité donnée aux profits des sociétés sur la protection des vies humaines et pour résister au programme d’austérité et de déréglementation propatronal du gouvernement.

Le gouvernement Modi et ses défenseurs ont eu recours à des tentatives maladroites pour discréditer l’étude du CGD, y compris en racontant des mensonges purs et simples.

«Compte tenu du système d’enregistrement des décès solide et fondé sur des lois en Inde, il est peu probable que des décès aient été oubliés», affirme la déclaration du gouvernement sur l’étude. Tout le monde sait que c’est un non-sens. Au plus fort de la deuxième vague, les crématoriums du pays traitaient les cadavres à un rythme plusieurs fois supérieur au nombre officiel de décès. Des centaines de corps ont été retrouvés enterrés dans des tombes de fortune sur les rives du Gange et d’autres flottant dans celui-ci.

De plus, l’Inde est reconnue depuis des années pour ses décès non déclarés. Même en temps «normal», avant la pandémie, seuls 22 pour cent des décès étaient enregistrés. Dans certains États, ce taux est tombé en dessous de 10 pour cent. Citant les conclusions d’un rapport sur la certification médicale de la cause du décès (MCCD) en 2019, le Times of India note qu’au cours des 27 années précédentes, «les progrès dans la mise en œuvre de la certification médicale des décès ont été lents, passant de 12,7 à 22 pour cent».

Selon les données du système d’enregistrement des faits d’état civil de janvier à mai de cette année, le Madhya Pradesh et l’Andhra Pradesh ont signalé un excès de décès respectivement 42 fois et 34 fois plus élevé par rapport à la même période l’année dernière. «En comparaison, le Tamil Nadu a rapporté 6,2 fois plus de décès d’avril de l’année dernière à mai 2021 et le Karnataka a rapporté cinq fois plus de décès déclarés en 2021», écrit l’Hindu. L’article poursuit: «L’excès de décès dans les quatre grands États a dépassé 0,5 million au cours des cinq premiers mois de 2021, contre environ 46.000 décès signalés par le COVID-19».

Même si tous ces décès ne sont pas directement liés au COVID-19, ils peuvent légitimement être décrits comme des décès liés à la pandémie. Comme l’explique Chinmay Tumbe, professeur adjoint à l’Indian Institute of Management (IIM) d’Ahmedabad et auteur de l’ouvrage «L’ère des pandémies» (The Age of Pandemics), «[ces décès] sont liés à la pandémie, dans le sens où nous ne les verrions pas si la pandémie n’existait pas». Calculant que le facteur de sous-déclaration pour ces quatre États (qui représentent 21 pour cent de la population indienne) est supérieur à 10, le professeur a estimé que la surmortalité pour l’ensemble de l’Inde était de 1,5 million de décès au cours des cinq premiers mois de cette année.

Après une levée de boucliers contre le sous-comptage des décès, plusieurs États ont été contraints de mettre à jour certaines statistiques de décès dus au COVID-19 le mois dernier. Dans un cas, le Bihar a augmenté son nombre de décès d’environ 4.000 en une seule journée au début du mois de juin après qu’un tribunal ait ordonné un audit.

Dans l’un de ses mensonges les plus grotesques, le gouvernement Modi a cherché cette semaine à nier que les pénuries d’oxygène dans les établissements de santé indiens avaient entraîné des décès dus au COVID-19 pendant la deuxième vague de la pandémie. En réponse à une question sur les décès liés à l’oxygène, le Dr Bharati Pravin Pawar, ministre junior de la Santé, a déclaré au Parlement: «Aucun décès dû au manque d’oxygène n’a été spécifiquement signalé par les États.» En réalité, le monde a été témoin avec horreur, en avril et mai, des reportages presque quotidiens sur des patients, parfois par dizaines, suffoquant à mort parce que les réserves d’oxygène étaient épuisées, y compris dans les principaux hôpitaux des deux plus grandes villes du pays, Delhi et Mumbai.

Les médias bourgeois ont volé au secours du gouvernement Modi en occultant largement l’étude du CGD. Le Times of India, pour sa part, a publié un éditorial déplorant la «politisation» du débat sur les décès dus au COVID-19 et a lancé un appel à une étude plus approfondie de la question. Le Times a été l’une des principales voix s’élevant contre les confinements et toute restriction des activités des grandes entreprises. À maintes reprises, il a invoqué avec cynisme la situation désespérée des centaines de millions de travailleurs et d’ouvriers abandonnés à leur sort par l’élite dirigeante indienne et ses gouvernements, pour insister sur le fait que l’économie devait rester «ouverte».

Bien que l’étude du CGD soit loin d’être la première à fournir des preuves que le nombre de morts du COVID-19 en Inde se compte en millions, elle est particulièrement significative et accablante pour deux raisons.

Premièrement, c’est une enquête exhaustive. Deuxièmement, l’un de ses coauteurs, Arvind Subramanian, était le conseiller économique en chef du gouvernement Modi de 2014 à 2018 et est un partisan inconditionnel de ses politiques pro-investisseurs.

L’étude a utilisé trois approches différentes pour compiler des informations sur l’augmentation de la mortalité pendant la pandémie. Premièrement, elle a comparé les décès officiels aux informations recueillies par des journalistes et d’autres chercheurs sur les décès dans les crématoriums et les cimetières. Deuxièmement, les auteurs ont comparé de nombreuses études de séroprévalence en Inde avec les données mondiales sur les taux de létalité de l’infection. Troisièmement, les chercheurs ont examiné les entretiens menés dans tout le pays par le Centre de surveillance de l’économie indienne, qui comprenaient des informations sur la mortalité. De manière significative, ces trois approches ont permis de trouver des preuves qui soutiennent la même conclusion essentielle: des millions de décès non comptabilisés liés au COVID-19.

Le nombre quotidien officiel de nouveaux cas de COVID-19 en Inde est passé de plus de 400.000 au début du mois de mai à environ 40.000. Mais les experts soulignent que les taux d’infection plafonnent à ce niveau depuis plusieurs semaines. Dans une entrevue avec The Wire, le professeur Ashish Jha, doyen de l’école de santé publique de l’université Brown, explique que cela est dû au fait que l’Inde «rouvre ses portes» et que «les choses se débloquent». Cela, a-t-il ajouté, va «exercer une pression sur la propagation», jetant les bases d’une «troisième vague». Jha a également souligné que le taux de positivité de 10 pour cent pour les tests COVID-19 dans certains districts est le signe que les infections vont encore augmenter.

Selon les dernières données de l’enquête sérologique nationale publiées le 22 juillet, deux tiers de la population indienne ont des anticorps contre le coronavirus. Certains apologistes du gouvernement suggèrent que cela indique que l’Inde est en bonne voie vers une «immunité collective». Il s’agit d’une parodie, tout à fait conforme aux politiques meurtrières du gouvernement. Même si l’on admet que l’enquête est exacte et que les anticorps se révéleront efficaces pour repousser le variant Delta et d’autres variants plus virulents et mortels – ce qui est une hypothèse totalement injustifiée – cela signifierait que plus de 400 millions de personnes sur les 1,37 milliard d’habitants de l’Inde, soit une population supérieure à celle des États-Unis, risquent d’être infectées et de mourir du COVID-19.

À ce jour, moins de 7 pour cent de tous les Indiens sont totalement vaccinés contre le COVID-19.

(Article paru en anglais le 24 juillet 2021)

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