Le lanceur d’alerte de la guerre des drones Daniel Hale condamné à 45 mois de prison

Daniel Hale, le lanceur d’alerte et ancien analyste du renseignement militaire qui divulgua les détails du programme américain de guerre des drones à l’Intercept en 2014, a été condamné mardi à 45 mois de prison fédérale pour avoir enfreint la loi sur l’espionnage. Dans un commentaire hypocrite sur l’importance des révélations de Hale, le juge de district américain Liam O’Grady a déclaré que la divulgation de documents par l’homme de 33 ans allait au-delà de son opposition «courageuse et de principe» à l’utilisation meurtrière des drones par l’armée.

Le juge O’Grady a ajouté: «Vous n’êtes pas poursuivi pour avoir dénoncé le programme de drones tuant des innocents. Vous auriez pu être lanceur d’alerte […] sans prendre aucun de ces documents». Parmi les documents que Hale a obtenus et remis au journaliste Jeremy Scahill, il y avait la preuve qu’un programme d’assassinat ciblé était mené depuis la Maison-Blanche par le président de l’époque Barack Obama, dans le dos du peuple américain.

Daniel Hale

Les révélations de Hale contenaient également une analyse du programme de guerre des drones qui a montré que – loin de l’affirmation d’Obama de la précision chirurgicale des attaques de véhicules aériens sans pilote – près de 90 pour cent des personnes tuées dans les frappes de missiles n’étaient pas les cibles visées. Hale a également révélé les critères utilisés par la Maison-Blanche d’Obama pour placer un individu sur la liste de surveillance du terrorisme, puis l’autorisation de son assassinat par des militaires à partir d’opérations télécommandées à des milliers de kilomètres.

Dans une brève déclaration avant que le juge O’Grady ne prononce la sentence, Hale a déclaré qu’il avait copié les documents classifiés parce qu’il pensait qu’il «était nécessaire de dissiper le mensonge selon lequel la guerre des drones nous protège, que nos vies valent plus que la leur». Le courageux lanceur d’alerte a poursuivi: «Je suis ici parce que j’ai volé quelque chose qui m’était interdit: une vie humaine précieuse. Je ne pouvais pas continuer à vivre dans un monde dans lequel les gens prétendent que des événements bien réels ne se sont jamais produits. S’il vous plaît, Monsieur le juge, pardonnez-moi d’avoir pris des documents au lieu de vies humaines.»

Bien que la peine de près de quatre ans d’O’Grady soit bien inférieure au maximum de onze ans réclamés par les procureurs fédéraux, toute peine de prison, si minime soit-elle, témoigne d’une parodie de justice et fait partie d’une attaque continue contre les droits démocratiques et les droits des lanceurs d’alerte qui révèlent les crimes de l’impérialisme américain.

La vendetta contre Daniel Hale dure depuis sept ans. Sous Obama, les autorités fédérales ont perquisitionné le domicile de Hale en 2014 avant la publication des documents par l’Intercept. Il a ensuite été inculpé par un grand jury de quatre chefs d’accusation de violation de la loi américaine sur l’espionnage de 1917 et d’un chef de vol de biens du gouvernement, et arrêté en 2019 sous l’administration Trump. Hale fut accusé d’avoir imprimé 36 documents à partir de son ordinateur, dont 23 sans rapport avec son travail pour un sous-traitant de l’Agence nationale du renseignement géospatial et d’en avoir donné 17 à Scahill, dont 11 étaient marqués «secret» ou «top secret».

Bien qu’il ait initialement plaidé non coupable de toutes les accusations, Hale a finalement plaidé coupable le 31 mars 2021 au sujet de l’une des accusations en rapport avec la loi sur l’espionnage afin d’éviter une peine probable de plusieurs décennies de prison. Il a admis devant le tribunal qu’il était l’auteur d’un chapitre intitulé «Pourquoi j’ai divulgué les documents de la liste de surveillance» inclus dans le livre de 2017 de Scahill, The Assasination Complex. Après son plaidoyer de culpabilité, Hale fut laissé initialement en liberté dans l’attente de sa condamnation, mais a été de nouveau arrêté le 5 mai et emprisonné sur ordre du juge O’Grady au motif qu’il avait violé les conditions de sa libération provisoire.

Au cours de la requête préalable au procès pour rejeter les accusations, les avocats de Hale ont fait valoir que la loi sur l’espionnage violait le premier amendement parce que le droit du public d’être informé des crimes de guerre du gouvernement américain est au-dessus de tout engagement à préserver les documents classifiés dans l’intérêt de la sécurité nationale en tant qu’agent du service ou entrepreneur pour le compte du ministère de la Défense. L’accusation a cherché à exclure la défense d’intérêt public de Hale – une tactique juridique qui a été utilisée dans de nombreux cas d’espionnage qui ont été intentés sous Obama et poursuivis par l’administration Trump – et cette demande a été accordée par le juge O’Grady.

Pleinement conscient qu’il risquait des années, voire une décennie de prison, Hale n’a jamais hésité à expliquer sa motivation ainsi que le bilan émotionnel que son expérience dans l’armée de l’air avait eu sur lui. Comme il l’a expliqué dans la lettre manuscrite de 11 pages au juge O’Grady le 18 juillet, Hale a déclaré qu’il souffrait d’état de stress post-traumatique (ESPT) et de dépression et que son exposition au combat dans l’armée de l’air «a transformé de manière irréversible mon identité en tant qu’Américain» et qu’il a été contraint de «violer la loi sur l’espionnage».

Dans sa déclaration au tribunal avant l’annonce de la peine mardi matin, Hale a déclaré: «Avec la guerre par drones, parfois neuf personnes tuées sur dix sont innocentes. Vous devez tuer une partie de votre sens moral pour faire votre travail.»

Après la condamnation, l’équipe de soutien de Hale a publié une série de tweets disant: «#DanielHale a déjà vécu des années d’enquête et a été exposé à un long processus judiciaire. Malgré le fait que le gouvernement n’a même pas réussi à prouver que sa divulgation avait causé un préjudice, il est maintenant passible de peines sévères réservées aux espions purs et simples.

«Mais tout le monde s’accorde à dire que #DanielHale n’est pas un espion. C’est un homme profondément honorable qui est puni simplement pour avoir agi selon sa conscience et dit la vérité.»

L’utilisation continue de la loi sur l’espionnage, à la fois par les démocrates et les républicains de la Maison-Blanche, contre les lanceurs d’alerte et les journalistes qui fournissent des preuves irréfutables des crimes de l’impérialisme américain est une expression importante de la dégradation de la démocratie et de la dérive vers l’autoritarisme aux États-Unis. Depuis 2010, dix personnes ont été poursuivies en vertu de la loi sur l’espionnage pour avoir divulgué des informations classifiées aux médias, tels que Chelsea Manning et Edward Snowden, ou «à la recherche» d’informations classifiées, comme dans le cas du fondateur et éditeur de WikiLeaks, Julian Assange.

Avec la condamnation de Hale, l’administration Biden rejoint désormais celle d’Obama et Trump en ayant elle aussi la distinction d’avoir fait emprisonner quelqu’un qui par son honnêteté, son courage et sa détermination a décidé de tenir tête à l’appareil militaire le plus puissant de l’histoire du monde.

(Article paru en anglais le 28 juillet 2021)

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