Huit mois de prison pour le journaliste Craig Murray, une atteinte majeure aux droits démocratiques

Le Parti de l’égalité socialiste s’oppose à l’emprisonnement du journaliste et blogueur Craig Murray et demande l’annulation de sa condamnation et sa libération immédiate. Sa peine est massivement disproportionnée et constitue une attaque dissuasive contre les journalistes, la liberté d’expression et les droits démocratiques.

Craig Murray s’exprimant lors d’une réunion publique pour la défense de Julian Assange (crédit: WSWS Media)

Jeudi, Craig Murray a été informé que la Cour suprême du Royaume-Uni avait refusé d’entendre son appel contre sa condamnation à une peine punitive de huit mois par un tribunal écossais.

Murray, ancien diplomate britannique en Ouzbékistan âgé de 62 ans et en mauvaise santé, commencera sa peine de manière imminente. Sa campagne de défense a indiqué dans un communiqué jeudi soir qu’il allait «se rendre à la police sous peu et commencer à purger la peine privative de liberté qui lui a été infligée».

Vendredi, il a écrit: «Ce blog va s’éteindre pendant quelques mois… Je suis bien conscient que ces dernières semaines, j’ai posté très peu d’articles, en raison de l’inquiétude constante d’avoir une peine de prison imminente au-dessus de ma tête, qui est devenue très oppressante. Pendant les derniers vendredis après-midi, j’ai regardé l’horloge jusqu’à ce que vienne le moment où j’étais sûr qu’il n’y aurait pas de mandat d’arrêt et que je pourrais passer un autre week-end avec mes enfants». L’un des enfants de Murray est âgé de 12 ans et l’autre de cinq mois seulement.

Le mois dernier, Nadira, la femme de Murray, a écrit sur son blog que son état de santé signifiait qu’il n’était «pas adapté à la prison». Il souffre, entre autres, «d’hypertension pulmonaire, d’APS et de fibrillation auriculaire».

Après avoir appris que son mari était condamné à la prison, Nadira a écrit jeudi: «Aujourd’hui est le jour le plus déchirant. Mon mari, dont l’état de santé a été jugé inapte à la prison, doit se rendre en détention dans les heures qui suivent, suite à la décision de la Cour suprême britannique de ne pas entendre son appel… Ce n’est pas une punition juste, c’est une tentative délibérée de briser l’esprit de toute personne assez courageuse pour faire usage de la liberté d’expression.»

Murray a été reconnu coupable en mars pour son reportage du procès de l’ancien premier ministre écossais Alex Salmond en 2020. On reproche à Murray d’avoir publié des articles qui ont «sérieusement entravé ou porté préjudice» au procès de Salmond en enfreignant la loi sur l’outrage au tribunal «empêchant la publication des noms et de l’identité et de toute information susceptible de révéler l’identité des plaignants» contre Salmond. Salmond a été acquitté des 13 accusations de délits sexuels, y compris de tentative de viol.

Murray est un défenseur de l’indépendance de l’Écosse et un partisan de Salmond. Sur son blog, il affirme que l’affaire Salmond est le résultat d’une guerre de factions acharnée entre la direction du Scottish national party (SNP), les échelons supérieurs de l’État écossais et Salmond même.

Comme le nota le WSWS, «Dans son blog, Murray a tenté d’attirer l’attention sur la proximité des plaignants avec [la première ministre du SNP, Nicola] Sturgeon, et d’indiquer la nature orchestrée des actions contre Salmond, sans citer de noms. Il a clairement indiqué à plusieurs reprises qu’il soutenait le droit légal à l’anonymat dans les affaires sexuelles et, dans ses articles, il a cherché à rester dans les limites de la loi».

Il a été condamné le lendemain de l’élection écossaise, le 7 mai, la décision finale étant annoncée par le ‘Lord Justice Clerk’ [le deuxième plus haut magistrat écossais] Lady Leeona Dorrian. Dorrian avait également été la juge du procès de Salmond. Elle et deux autres juges, Lord Menzies et Lord Turnbull, ont jugé que les articles de Murray, lus avec d’autres documents du domaine public, permettaient d’identifier «en puzzle» un certain nombre de plaignants dans le procès Salmond.

Murray aurait dû se retrouver en prison peu après le prononcé de la sentence en mai, puisqu’on lui avait demandé de se rendre dans un commissariat de police dans les 48 heures. Son avocat a réussi à prolonger ce délai à trois semaines pour donner à Murray le temps de préparer un appel.

Dorrian a refusé de permettre à l’affaire d’aller devant la Cour suprême du Royaume-Uni. Mais Murray a utilisé un mécanisme juridique qui permet aux appelants potentiels de faire appel directement devant la Cour suprême.

Il a fait appel devant la Cour suprême en invoquant le fait que son droit de divulgation avait été bafoué par une «application extraordinaire et incroyablement stricte de l’identification par puzzle» et que «la procédure équitable n’avait pas été respectée».

L’appel a été rejeté par la Cour suprême sans explication, une porte-parole se contentant de dire: «Nous pouvons confirmer que la demande a été rejetée».

La campagne « Justice pour Craig Murray» a souligné les graves implications de son emprisonnement. «Un précédent juridique sera créé demain, car Craig Murray sera la première personne emprisonnée sous l’accusation d’identification par puzzle au Royaume-Uni, voire dans le monde.» Elle note que «Murray est la première personne à être emprisonnée au Royaume-Uni pour un outrage à la presse depuis plus de 50 ans, et en Écosse depuis plus de 70 ans».

Murray a protesté: «Je vais en prison avec une conscience propre après un procès kafkaïen. Je ne sais sincèrement pas qui je suis censé avoir identifié ou quelles phrases que j’ai publiées sont censées les avoir identifiées, en combinaison avec quelles autres informations du domaine public. Ce jugement aura un effet dissuasif sur la présentation des arguments de la défense lors des procès, au détriment de la justice, et le traitement différent des blogs et médias approuvés est sinistre».

«Je protège soigneusement l’identité des accusateurs dans mon reportage».

Les juges d’appel écossais ont affirmé que les articles de Murray n’étaient pas dans l’intérêt du public, et qu’il devait être traité différemment en tant que «journaliste des nouveaux médias». Dans leur décision, ils ont insisté sur le fait qu’«il est pertinent de distinguer sa position de celle de la presse traditionnelle, qui est réglementée et soumise à des codes de pratique et de déontologie, ce qui n’est pas le cas de ceux qui écrivent comme le requérant».

Plusieurs reporters grand public de l’affaire Salmond ont publié des informations qui auraient pu, avec d’autres éléments, contribuer à l’identification des plaignants, mais seul Murray a été accusé d’outrage.

Murray purge une peine de huit mois de prison alors qu’il n’a identifié personne dans l’affaire Salmond dans ses écrits. En février pourtant, le militant indépendantiste écossais Clive Thomson avait été condamné à une peine plus courte de six mois pour avoir publié à deux reprises sur son compte Twitter les noms de femmes ayant témoigné au procès de Salmond.

L’incarcération de Murray est l’aboutissement d’une chasse aux sorcières à motivation politique. Depuis plus d’une décennie, il défend ouvertement les droits de l’homme et s’oppose à la torture sanctionnée par les services de renseignement. S’appuyant sur sa connaissance de première main des rouages criminels de l’État britannique, Murray avait déclaré, dans un rapport interne divulgué au Financial Times en 2004, que des fonctionnaires ouzbeks torturaient des prisonniers pour leur soutirer des informations. Selon Murray, ces renseignements avaient été utilisés par le [service de renseignement britannique] MI6 après transmission par la CIA.

Au cours de la dernière décennie, Murray a défendu de manière incisive le journaliste et fondateur de WikiLeaks emprisonné Julian Assange. Le communiqué de la campagne de défense de Murray indique qu’il «avait récemment été appelé à témoigner dans un procès intenté par des procureurs de l’État espagnol contre UC Global pour avoir censément agi au service de la CIA en espionnant secrètement Julian Assange à l’ambassade d’Équateur. Les documents présentés au tribunal espagnol comprennent plusieurs heures de vidéo de surveillance secrète qui montrent Murray en conversation privée avec Assange sur l’avenir d’Assange et de Wikileaks. Le tribunal écossais a retiré le passeport de Murray expressément pour l’empêcher de se rendre en Espagne pour témoigner».

Murray a déclaré à propos de sa propre persécution: «Je crois qu’il s’agit en fait de la vengeance longtemps recherchée par l’État pour mes dénonciations de la collusion des services de sécurité avec la torture et ma collaboration de longue date avec WikiLeaks et d’autres lanceurs d’alerte».

La campagne de défense de Murray fera appel de sa condamnation et de son emprisonnement devant la Cour européenne des droits de l’homme «par toutes les voies requises».

(Article paru d’abord en anglais le 31 juillet 2021)

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