50 ans depuis la fin du système monétaire de Bretton Woods

Il y a cinquante ans, dans la soirée du dimanche 15 août 1971, le président Richard Nixon annonçait à la télévision nationale que dorénavant les États-Unis n’honoreraient plus l’accord qu’ils avaient conclu lors de la conférence de Bretton Woods, dans le New Hampshire, en juillet 1944: le rachat de dollars américains contre de l’or au taux de 35 dollars l’once.

L’hôtel Mount Washington à Bretton Woods, New Hampshire, site de la conférence monétaire de Bretton Woods de 1944 (Photo: Wikimedia Commons)

La décision de mettre un terme à la convertibilité en or a fait voler en éclats le système monétaire international qui, avec le plan Marshall de 1948 et l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1950, avait été un fondement essentiel de l’essor capitaliste d’après-guerre.

Le capitalisme est sorti de la Seconde Guerre mondiale discrédité sur tous les fronts. Son économie, motivée par la recherche du profit, avait créé une misère indicible pour des centaines de millions de personnes lors de la Grande Dépression des années 30. Deux guerres mondiales impérialistes, menées pour des colonies et des ressources, ont engendré une barbarie indescriptible, comme l’Holocauste. La Seconde Guerre mondiale s’est terminée par le largage de deux bombes atomiques sur le Japon par les États-Unis. Les classes dirigeantes d’Europe avaient arraché le masque de la «démocratie» en collaborant avec le régime fasciste de l’Allemagne nazie.

Lorsque les chefs des puissances bientôt victorieuses se sont réunies à Bretton Woods, alors que la guerre touchait à sa fin – en grande partie grâce aux sacrifices héroïques des armées de l’Union soviétique – ils étaient parfaitement conscients que tout retour aux conditions économiques d’avant-guerre déclencherait une révolution sociale non seulement en Europe, mais aussi potentiellement aux États-Unis.

À la fin de la guerre, les économies des combattants étaient en ruines, à l’exception des États-Unis, qui avaient connu une expansion rapide. Ils réalisent désormais plus de 50 pour cent de la production industrielle mondiale et détiennent plus de 75 pour cent des stocks d’or du monde.

La base du système monétaire de Bretton Woods, en vertu duquel le dollar devient la monnaie mondiale, adossée à l’or, était que la force économique du capitalisme américain servirait de fondement à la reconstruction du capitalisme d’après-guerre. Mais aucun de ces plans ne pouvait être mis en œuvre sans la restauration de l’ordre politique bourgeois, dans des conditions de développement du ferment révolutionnaire.

Le porte-parole de l’impérialisme britannique, The Economist, notait à la fin de 1945 que la défaite du régime nazi et la fin de son «Ordre nouveau» avaient «donné un grand élan révolutionnaire à l’Europe. Elle avait stimulé toutes les impulsions vagues et confuses, mais néanmoins radicales et socialistes, des masses. Il est significatif que tous les programmes avec lesquels les différents groupes de résistance à travers l’Europe sont sortis de la clandestinité contenaient des demandes de nationalisation des banques et des grandes industries; et ces programmes portaient la signature de démocrates-chrétiens aussi bien que de socialistes et de communistes».

L’intégration de la bourgeoisie européenne dans la structure de l’«Ordre nouveau» nazi a été telle qu’elle était complètement discréditée. Cela a amené The Economist à noter que, si la maxime du socialisme français au XIXe siècle avait été «la propriété, c’est le vol», elle était désormais «la propriété, c’est la collaboration».

Dans des conditions révolutionnaires, le temps est toujours un facteur essentiel. Le facteur décisif qui a donné à la bourgeoisie le temps de contenir l’«élan révolutionnaire» d’après-guerre, puis de le faire dérailler, a été le rôle joué par les partis communistes staliniens, avec l’aide de la social-démocratie.

Lors des conférences de guerre des «Trois Grands» – les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Union soviétique – à Téhéran, Yalta et Potsdam, les staliniens de Moscou ont accepté la répression de la révolution à l’Ouest en échange de la reconnaissance impérialiste des sphères d’influence soviétiques en Europe de l’Est. En appliquant cet accord, les partis staliniens ont bloqué la poussée révolutionnaire de la classe ouvrière, surtout en Italie et en France, où ils sont entrés dans des gouvernements capitalistes.

Avec la stabilisation du régime politique bourgeois, les arrangements économiques d’après-guerre ont créé le cadre du plus long boom de l’histoire du capitalisme mondial, généré par une augmentation du taux de profit qui résultait de l’extension des méthodes plus productives du capitalisme américain aux autres pays capitalistes avancés.

Mais contrairement aux illusions si assidûment promues durant cette période selon lesquelles, d’une manière ou d’une autre, le capitalisme pouvait maintenant être régulé par la gestion keynésienne de la demande et d’autres formes d’intervention de l’État, ses contradictions n’avaient pas été surmontées mais seulement temporairement réprimées. De plus, le développement même du boom allait les faire remonter à la surface une fois de plus.

Alors même que le système monétaire de Bretton Woods devenait pleinement opérationnel à la fin des années 1950, lorsqu’on a rétabli la convertibilité totale des monnaies, les contradictions qu’il contenait ont commencé à apparaître. Une analyse publiée par l’économiste belgo-américain Robert Triffinet les a mises en évidence.

Ce qui fut connu sous le nom de paradoxe de Triffin était le suivant: le fonctionnement de l’économie mondiale, son besoin de liquidités internationales, dépendait d’une sortie continue de dollars des États-Unis, et plus l’expansion de l’économie mondiale était grande, plus cette réserve de dollars devait être importante.

Mais cette croissance, si nécessaire à l’expansion du commerce et des investissements, signifiait que la capacité des États-Unis à racheter ces dollars contre de l’or au taux de 35 dollars l’once était compromise.

Dans une certaine mesure, cette divergence pouvait être gérée tant que les États-Unis maintenaient une balance commerciale largement excédentaire. Mais le développement même du boom de l’après-guerre avait compromis aussi cette balance commerciale. Le renouveau économique des économies avancées, en particulier de l’Allemagne et du Japon, que les États-Unis avaient encouragé afin de fournir un débouché à leur propre production industrielle, a sapé la position du capitalisme américain sur le marché mondial.

Cela s’est traduit par une forte baisse de l’excédent de la balance commerciale américaine. Il est passé de 6,8 milliards de dollars en 1964 à seulement 600 millions de dollars en 1968, avant de passer à un déficit de 2,71 milliards de dollars en 1971. Les réserves d’or et de devises étrangères ont chuté et, en 1971, elles s’élevaient à 13,91 milliards de dollars, alors que le passif américain était de 67,81 milliards de dollars.

Au cours des années précédentes, il y avait eu plusieurs tentatives de maintenir le système, mais elles se sont avérées vaines, et après une réunion de haut niveau à Camp David pendant le week-end, Nixon a annoncé que le nœud gordien avait été tranché.

La fin de la convertibilité dollar-or signifiait que la monnaie papier n’avait plus de fondement en valeur réelle. Par conséquent, l’inflation s’est rapidement installée dans les années 1970, à mesure que la valeur du dollar sur les marchés monétaires internationaux diminuait.

Un autre processus était à l’œuvre. En dernière analyse, le boom avait été soutenu non pas par les mesures des gouvernements capitalistes, mais par une hausse du taux de profit dans les années 1950 et 1960. Mais du milieu à la fin des années 1960, il a commencé à baisser, conformément à l’analyse faite par Marx de cette loi tendancielle du capitalisme.

La classe capitaliste a réagi en intensifiant son offensive contre la classe ouvrière pour augmenter le taux d’exploitation. Mais cela n’a produit qu’une montée en puissance de la classe ouvrière, dont la force et le militantisme avaient augmenté à la suite du boom de l’après-guerre.

La décision de Nixon sur le dollar s’est accompagnée de la déclaration d’une limite salariale de 5,5 pour cent. Elle a échoué. L’inflation a alimenté le développement de luttes salariales militantes aux États-Unis et dans le monde entier. En 1974, la grève des mineurs britanniques a fait tomber le gouvernement conservateur de Heath. En Australie, 1974 est l’année de la plus grande vague de grèves depuis 1919 et des plus fortes augmentations de salaire de l’histoire.

Cette période a été marquée par d’intenses bouleversements politiques: la démission de Nixon en 1974 à la suite du Watergate, la chute de la junte grecque en 1974 et la fin du régime de Salazar au Portugal, qui était arrivé au pouvoir dans les années 30, pour ne citer que quelques exemples.

La montée des luttes de la classe ouvrière aux États-Unis n’a pas été arrêtée ni par la récession de 1974-1975 – la plus profonde depuis les années 1930 – ni même par la stagflation qui l’avait suivie, c’est-à-dire la combinaison d’un chômage élevé et de la hausse des prix. En 1977-78, les mineurs américains ont défié la loi antigrève Taft-Hartley invoquée par le gouvernement Carter, et en 1979, la classe ouvrière britannique était entraînée dans un «hiver de mécontentement» contre le gouvernement travailliste de Callaghan.

À la fin des années 1970, il était devenu évident pour les cercles dirigeants aux États-Unis qu’il était impossible de surmonter la chute des taux de profit et de contrer le militantisme de la classe ouvrière dans le cadre industriel et politique de l’après-guerre, et que rien de moins qu’une restructuration complète de l’économie américaine et des relations de classe était nécessaire.

C’est la signification de la nomination de Paul Volcker à la tête de la Réserve fédérale en 1979 par le président démocrate Jimmy Carter.

Le mandat essentiel de Volcker était de procéder à une purge de l’économie américaine, couplée à une offensive contre la classe ouvrière. Le moyen d’y parvenir était de porter les taux d’intérêt américains à des niveaux sans précédent dans l’histoire. Ils ont atteint 20 pour cent à un moment donné au début des années 1980.

Ce programme, qui a entraîné la destruction de pans entiers de l’industrie américaine, a été mené sous la bannière d’une guerre contre l’inflation. Cette guerre était avant tout dirigée contre la classe ouvrière, comme Volcker lui-même l’a reconnu en déclarant que le licenciement de masse des contrôleurs aériens par Reagan en août 1981 et la destruction de leur syndicat, la PATCO, avaient été d’une aide cruciale dans la lutte contre l’inflation.

Le démantèlement du syndicat des contrôleurs aériens, point de départ d’une offensive qui devait se poursuivre sans relâche au cours de la décennie suivante, n’a été rendu possible que par la collaboration de la bureaucratie syndicale. Lors de la lutte cruciale contre la PATCO, la direction de l’AFL-CIO a déclaré à Reagan qu’elle ne lèverait pas le petit doigt pour s’opposer, une position qu’elle a maintenue dans tous les conflits qui ont suivi.

La restructuration de l’économie américaine comportait deux volets principaux. Tout d’abord, elle a favorisé la reconstruction de l’industrie américaine à l’échelle mondiale, en forçant le développement de nouvelles technologies et méthodes de gestion pour tirer parti des sources de main-d’œuvre moins chères disponibles à l’échelle internationale, d’abord dans des endroits comme le Mexique et l’Asie de l’Est, puis ailleurs par la suite.

Un deuxième aspect était le rôle de plus en plus important du capital financier dans l’économie américaine en tant que source d’accumulation de bénéfices. Cela impliquait, dans une mesure toujours plus grande, l’accumulation de profits par le biais de ce que l’on appelle l’ingénierie financière, c’est-à-dire l’utilisation de méthodes financières parasitaires plutôt que l’accumulation de profits par l’investissement dans l’économie réelle.

Commencé sous le gouvernement Reagan, ce mode croissant d’accumulation du profit a atteint un tournant crucial lors du krach boursier d’octobre 1987, lorsque le Dow a enregistré la plus forte chute de l’histoire en une journée, soit plus de 22 pour cent.

L’intervention de la Réserve fédérale dans la crise a marqué l’alignement de la division financière centrale de l’État capitaliste sur le nouveau mode d’accumulation du profit. En réponse à l’effondrement du marché boursier, le nouveau président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, a déclaré: «La Réserve fédérale, conformément à ses responsabilités en tant que banque centrale de la nation, a affirmé aujourd’hui qu’elle était prête à soutenir le système économique et financier».

Cette déclaration a été brève, mais ses implications étaient de grande portée. Auparavant, la politique de la Réserve fédérale avait été, selon les termes de son président d’après-guerre, William McChesney Martin Jr, de ranger le bol de punch quand la fête commençait. Désormais, elle consistait à verser davantage de vodka.

Greenspan a élaboré la nouvelle orientation dans les années qui ont suivi. Il a insisté sur le fait que la tâche de la Réserve fédérale n’était pas d’empêcher la formation de bulles financières, mais de nettoyer le désordre lorsqu’elles éclataient en fournissant de l’argent très bon marché pour permettre à la spéculation de se développer davantage.

Depuis 1987, on a assisté à une série de crises financières, toutes plus graves les unes que les autres, suivi de nouvelles injections d’argent par la banque centrale: la crise des obligations mexicaines de 1992, le gel des marchés de mars 2020 au début de la pandémie de coronavirus en passant par le krach dot.com de 2000-2001 et la crise financière mondiale de 2008. La crise financière de la pandémie de COVID-19 en 2020 a touché le fondement même du système financier américain et mondial: le marché du Trésor américain d’une valeur de 21.000 milliards de dollars.

Lors de cette dernière crise, la Réserve fédérale a doublé ses avoirs de quatre à huit mille milliards de dollars pratiquement du jour au lendemain et, à un moment donné, elle injectait de l’argent au rythme d’un million de dollars par seconde. Elle est devenue le garde-fou de tous les secteurs du système financier.

Ces mesures ont maintenant créé une montagne d’actifs financiers, c’est-à-dire du capital fictif. Le terme «fictif» signifie que ces actifs ne représentent pas une valeur en soi. En dernière analyse, ils constituent plutôt une revendication sur la plus-value présente et future qui sera extraite de la classe ouvrière au cours de la production capitaliste.

C’est là que se trouvent l’origine objective et la force motrice de la volonté meurtrière de réouverture de l’économie par tous les gouvernements capitalistes, alors même que la pandémie de COVID-19 continue de répandre la mort. Toutes les mesures qui pourraient entraver les exigences vampiriques du capital financier – des mesures significatives pour arrêter la pandémie, telles que l’arrêt de la production non essentielle avec une compensation complète pour les personnes touchées, combiné à la fermeture des écoles – sont exclues.

La société entière et ses besoins fondamentaux sont subordonnés aux exigences de l’oligarchie financière. «Que les cadavres s’empilent», comme l’a déclaré le premier ministre britannique Boris Johnson, afin que l’accumulation de la plus-value soit maintenue et que la bourse puisse poursuivre sa hausse.

La question qui se pose à la fin de ce rappel historique est la suivante: où cela nous mène-t-il maintenant? Le passé n’est qu’un prologue. Quelles sont les implications de la crise au cœur même du système financier mondial, 50 ans après la fin du système de Bretton Woods?

La réponse ne peut être trouvée qu’en considérant les questions fondamentales enracinées dans l’ADN même de l’économie capitaliste de marchandises. La nécessité d’une base matérielle du système monétaire sous forme d’or découle de la nature même de la production de marchandises. La monnaie n’est pas un dispositif technique qui a été inventé à un moment donné pour surmonter les difficultés rencontrées dans le troc, et qui peut être constamment réinventé à mesure que les circonstances changent.

Elle est enracinée dans la marchandise, la forme cellulaire du capitalisme. La valeur de chaque marchandise est déterminée par la quantité de travail humain abstrait homogène qu’elle contient. Mais ce travail social abstrait n’est pas perceptible par les sens. On peut tourner et retourner une marchandise autant qu’on veut, on ne peut pas discerner un atome de valeur. La marchandise ne révèle la valeur qu’elle renferme que lorsqu’elle est en relation avec une autre marchandise.

L’équation x Marchandises A = y Marchandises B est le germe de la forme monétaire, dans laquelle la valeur de la marchandise A est représentée par la forme matérielle corporelle de la marchandise B. Le développement du système d’échange de marchandises se poursuit jusqu’à ce qu’une marchandise – historiquement l’or – devienne le représentant universel de la valeur du monde des marchandises.

Lorsque Nixon a été confronté à la crise du système de Bretton Woods, la seule façon pour lui de conserver l’ordre monétaire existant était de provoquer l’effondrement de l’économie, en faisant reculer la croissance qui avait eu lieu au cours du quart de siècle précédent. Craignant les conséquences économiques et révolutionnaires d’une telle mesure, il a cherché à esquiver la loi de la valeur et a lancé le système de la monnaie fiduciaire – des dollars en papier non adossés à de l’or – qui est en place depuis 50 ans.

Cela a conduit beaucoup de gens, y compris certains qui se considèrent comme des marxistes, à conclure que l’analyse de Marx sur la centralité de l’or dans le système de valeur a été réfutée par les événements, qu’elle a pu s’appliquer au 19e siècle ou même jusqu’en 1971, mais plus maintenant en raison de l’expansion massive du crédit.

Mais un examen plus attentif révèle que la loi de la valeur que Nixon a tenté d’écarter il y a 50 ans est en train de se réaffirmer. Marx n’a pas ignoré le rôle du crédit dans le système monétaire. Il expliquait que l’expansion du crédit était la façon dont «la production capitaliste s’efforce constamment de surmonter cette barrière métallique [l’or], qui est une barrière à la fois matérielle et imaginaire à la richesse et à son mouvement, et à laquelle elle se heurte sans cesse».

Le crédit, écrit-il, usurpe constamment le rôle de l’or comme base du système de valeur, et «l’économie éclairée regarde l’or et l’argent avec le plus grand dédain.» Et ce, jusqu’à ce que la confiance dans le système de crédit soit ébranlée, comme cela se produit inévitablement.

L’or remplit une fonction vitale en tant que mesure ultime et réserve de valeur. Ce rôle ne peut être perpétuellement remplacé par le crédit et le papier-monnaie. D’énormes quantités de monnaie fiduciaire peuvent être créées en appuyant sur un bouton d’ordinateur. Mais l’État capitaliste – la banque centrale – ne peut pas faire apparaître de la valeur à partir de rien. Elle ne peut être créée que par le travail de la classe ouvrière.

Même les économistes bourgeois qui soutiennent que l’analyse de Marx n’est pas pertinente à l’heure actuelle reconnaissent que des limites existent à l’expansion de la monnaie fiduciaire; que si elle est trop utilisée, elle ne sera plus socialement acceptable comme mesure et réserve de valeur. Mais cette reconnaissance même indique qu’en arrière-plan se cache la question de savoir quelle est la réserve de valeur ultime. Jetée par la porte d’entrée, la question de la valeur revient par la fenêtre.

Pendant ce temps, l’expansion continue de la monnaie fiduciaire entraîne le développement des expédients les plus fantastiques pour tenter de transformer l’argent en plus d’argent par le biais de la spéculation. Le marché boursier continue d’atteindre des sommets dans un contexte de mort et de dévastation sociale, tandis que de nouvelles formes de spéculation sont développées sous la forme du «bitcoin», du «dogecoin» et d’une myriade d’autres cryptomonnaies.

Ensuite on a les jetons non fongibles, les NFT, des images qu’on stocke, et une valorisation supposée qui atteint parfois des millions de dollars. On trouve même des actions – généralement basées sur des entreprises dont le modèle économique est dans une impasse – dont la valorisation boursière est augmentée par le nombre de «likes» qu’elles reçoivent sur les plateformes de médias sociaux. Et plus tôt cette année, il y a eu le cas du restaurant Hometown International du New Jersey, qui avait une capitalisation boursière de 100 millions de dollars avec des ventes d’un peu plus de 37.000 dollars en deux ans. Comme l’a dit un commentaire, «le pastrami doit être merveilleux».

Cette folie, où la valeur monétaire de prétendus actifs sans valeur intrinsèque peut bondir dans la stratosphère, nous rappelle le dicton: «Ceux que les dieux veulent détruire sont d’abord rendus fous.»

L’analyse bourgeoise s’embrouille dans tous les sens lorsqu’elle est confrontée à la question cruciale de la valeur. Adam Tooze, l’historien de l’économie, a publié un commentaire dans le New York Times lors de la crise de mars 2020: «Alors que la panique gagnait les marchés financiers au cours des deux dernières semaines, les investisseurs ont commencé à chercher la sécurité dans l’argent liquide – surtout, dans les dollars. L’économie américaine elle-même peut sembler faible, mais le dollar reste le moyen de paiement le plus universellement accepté et une réserve de valeur.»

Il s’agit, essentiellement, d’un argument circulaire. On recherche le dollar comme moyen de paiement parce qu’il est une réserve de valeur, et il est une réserve de valeur parce qu’il est le moyen de paiement universellement accepté.

Cinquante ans après la disparition du système de Bretton Woods, nous approchons d’un autre tournant décisif dans l’agonie du capitalisme et de la crise de la valeur qui a éclaté en 1971. Deux évolutions majeures terrifient les banques centrales, qui pompent des quantités toujours plus grandes de monnaie fiduciaire afin de soutenir la masse de capital fictif que leurs actions ont créée.

La première est la crainte que l’inflation augmente et entraîne des luttes majeures de la classe ouvrière qui peuvent rapidement prendre des formes de plus en plus puissantes, y compris un affrontement direct avec l’État lui-même. Mais cela déclenchera une crise de confiance dans tout le système financier. Ce n’est pas une question de spéculation, mais de l’histoire la plus récente. L’éruption des grèves sauvages et des débrayages des travailleurs en mars 2020 et la crainte que ce mouvement s’étende était un facteur important de l’effondrement des marchés ce mois-là.

Il y a plus de 160 ans, en pleine orgie spéculative en France qui a précédé la révolution de 1848, Marx notait que tout développement sérieux de la lutte des classes remet en question la confiance, fondée sur la croyance en la supposée permanence du système capitaliste, sur laquelle repose l’ensemble du système de crédit.

C’est la véritable préoccupation de ceux qui, comme l’ancien secrétaire au Trésor, Lawrence Summers, ont averti que les mesures de relance du gouvernement Biden, combinées aux actions de la Réserve fédérale, peuvent avoir des conséquences inflationnistes désastreuses. En effet, l’inflation peut propulser une éruption de la lutte des classes dans des conditions où l’ensemble du système financier a révélé à maintes reprises son extrême fragilité, depuis 1971.

La deuxième crainte est que le prix de l'or, seule réserve de valeur stable dans l'économie capitaliste, augmente rapidement, entraînant un effondrement de la confiance dans le dollar américain et déclenchant une nouvelle crise.

Depuis un an et plus, le prix de tous les actifs a augmenté en raison de l’expansion de la monnaie fiduciaire, à la seule exception de l’or. Cela indique une intervention sur le marché de l’or depuis les plus hauts niveaux qui vise à maintenir son prix à un niveau bas de peur qu’une hausse significative ne déclenche une crise du dollar.

La Réserve fédérale et d’autres banques centrales gardent leurs opérations sur le marché de l’or à huis clos, mais dès juillet 1998, lors d’un témoignage devant le Congrès, le président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, a admis que «les banques centrales sont prêtes à louer de l’or en quantités croissantes si le prix augmente».

L’or loué constitue la base des contrats à terme basés sur des ordres de vente qui font baisser le marché. En août 2020, le prix de l’or a atteint un niveau record de 2.067 dollars. Depuis lors, son prix a été maintenu dans une fourchette autour de 1.800 dollars.

Mais plus la Réserve fédérale injecte de la monnaie fiduciaire, plus la question de la valeur se pose, attirant même l’attention des journalistes financiers.

Rana Foroohar, membre du comité éditorial du Financial Times, a fait remarquer que les politiques du gouvernement Biden dépendent de taux d’intérêt bas et «du pouvoir du dollar pour permettre aux États-Unis d’emprunter». Mais, poursuit-elle, si «le paradigme actuel devait se briser rapidement et de manière inattendue, le dollar et tous les actifs basés sur le dollar pourraient être rapidement dévalués.»

Un autre chroniqueur du FT, Gillian Tett, a noté dans un commentaire récent que la crise à laquelle Nixon a réagi il y a 50 ans a soulevé une «question plus importante qui poursuit toujours la finance: quelle est la base sur laquelle l’argent commande la valeur et la confiance?»

Depuis 1971, la dette mondiale a inexorablement augmenté et représente aujourd’hui trois fois la taille de l’économie mondiale. Elle ne sera pas remboursée par la croissance, écrit-elle, mais tôt ou tard, «elle provoquera probablement une restructuration directe ou indirecte ou une implosion sociale ou financière».

Ou, pour le dire autrement, comme Marx, la loi de la valeur s’affirme de la même manière que la loi de la gravité le fait lorsqu’une maison s’effondre autour de nous.

Personne ne dispose d’une boule de cristal qui permet de prédire exactement quand et sous quelle forme cela se produira. Mais deux choses sont certaines: premièrement, elle est inévitable, car la crise de la valeur est enracinée dans la forme cellulaire même du capitalisme – la marchandise – et, deuxièmement, elle entraînera une éruption historique de la lutte des classes, dans laquelle les contradictions du mode de production capitaliste sont toujours combattues.

Il y a déjà une résurgence croissante de la classe ouvrière, après des décennies de répression par la bureaucratie syndicale, dans les conditions d’une crise économique de plus en plus profonde, à laquelle la bourgeoisie se prépare. C’est pourquoi, aux États-Unis et dans le monde entier, elle fait des efforts frénétiques pour intégrer totalement les syndicats dans l’appareil de l’État, afin de mieux servir de gendarme pour la répression de la classe ouvrière, tandis que la bourgeoisie cherche au même moment à organiser un mouvement fasciste.

La classe ouvrière doit maintenant organiser sa lutte en développant ses propres organisations, ses comités de base, afin de développer la lutte pour ses intérêts indépendants contre la bureaucratie syndicale et son partenaire financier, l’État capitaliste.

Surtout, la tâche cruciale est la construction du parti révolutionnaire pour diriger la classe ouvrière dans les luttes qui se développent actuellement afin qu’elle s’empare elle-même du pouvoir politique. Cela doit être fait pour s’assurer que la crise du capitalisme, déjà visible dans la politique de meurtre social menée en réponse à la pandémie, soit résolue par l’établissement du socialisme: une société dans laquelle les forces productives, développées par le travail de milliards de travailleurs, sont utilisées pour satisfaire les besoins humains, et non le profit.

(Article paru en anglais le 14 août 2021)

Loading