L’effondrement mortel d’une grue à Kelowna met en évidence les conditions de travail brutales dans le secteur de la construction au Canada

Une grue s’est effondrée sur un chantier du centre-ville de Kelowna, en Colombie-Britannique, tuant 5 personnes dans la matinée du 12 juillet. Quatre des victimes travaillaient sur le site d’une future tour résidentielle de 25 étages et 178 logements lorsque le bras de la grue est tombé au sol.

Les travailleurs décédés ont été identifiés par leur famille et leurs amis comme étant les frères Eric Stemmer, surintendant, et Patrick Stemmer, grutier, pour l’entreprise familiale Stemmer Construction, le grutier Jared Zook, 32 ans, et Cailen Vilness, 23 ans. La cinquième victime, Brad Zawislak, technologue en génie civil, travaillait dans un immeuble de bureaux voisin.

Un porte-parole de la police a déclaré aux médias que la grue était en cours de démontage lorsque «quelque chose de catastrophique» s’est produit. «Il y a un problème. Quelque chose ne va pas. Cela n’aurait jamais dû se produire.» En raison du danger pour le public, de nombreux bâtiments adjacents au chantier ont dû être évacués pendant plus d’une semaine, le temps de démonter le reste de la grue.

L’effondrement de la grue a tué cinq personnes

La mort des cinq personnes et la cause de l’effondrement de la grue font maintenant l’objet de trois enquêtes distinctes menées par le BC Coroners Service, la GRC et WorkSafeBC.

Le montage et le démontage d’une grue sont généralement effectués dans des délais serrés, dans des zones très fréquentées et encombrées, ce qui en fait un travail extrêmement dangereux. Chaque section d’une grue pèse des tonnes, souvent suspendue à des dizaines de mètres du sol. L’intégrité de l’équipement lui-même peut également être compromise en raison de défauts de fabrication, de l’âge et de conditions météorologiques extrêmes.

Il y a 80 grues à tour en service dans la ville de Vancouver et 200 autres dans la province. Bien que la certification des opérateurs de grues à tour soit obligatoire en Ontario, en Alberta et au Manitoba, elle ne l’est pas en Colombie-Britannique. Dans l’ensemble du pays, il n’y a pas de certification pour les travailleurs qui montent et démontent les grues.

La Colombie-Britannique stipule que les personnes qui construisent et démontent des grues à tour doivent être «qualifiées» pour le faire. Cependant, il n’y a aucune stipulation quant aux qualifications requises. La province indique simplement que les personnes travaillant au montage et au démontage de grues doivent suivre les instructions du fabricant de la grue, ou celles d’un ingénieur professionnel si l’installation diffère des instructions du fabricant.

L’année 2020 a été marquée par un boom massif de la construction en Colombie-Britannique. En mars de cette année, la valeur des grands projets proposés et en cours de réalisation a atteint le chiffre impressionnant de 349 milliards de dollars.

Ces projets, dont beaucoup sont motivés par la spéculation et une vague de migration en provenance des grandes villes, ont été une bénédiction pour l’industrie de la construction dans les petites communautés. À Kelowna, une ville de 130.000 habitants située dans la vallée de l’Okanagan, la construction atteint actuellement des niveaux records, avec des permis d’une valeur moyenne de 200 millions de dollars par mois et des ventes de logements en hausse de 253 % par rapport à 2020. Les projets de construction sont de plus en plus élaborés dans le centre-ville, notamment un condominium de 46 étages approuvé – quatre fois la hauteur précédemment autorisée – qui serait le plus haut bâtiment de Kelowna.

Dans ces conditions, partout au Canada, ainsi qu’au sud de la frontière, les accidents de grue sont de plus en plus réguliers. En 2019, une grue s’est effondrée dans le centre-ville d’Halifax, en Nouvelle-Écosse, pendant un ouragan. Quelques jours avant la tragédie de Kelowna, une grue de service s’est effondrée au sommet d’une tour à condos à Toronto, en Ontario, où 208 grues de construction sont actuellement en activité. Dans les deux cas, il n’y a eu aucun blessé, ce qui est remarquable.

De l’autre côté de la frontière, aux États-Unis, on dénombre en moyenne 42 décès liés aux grues par an. En avril 2019, une grue à tour utilisée pour la construction d’un immeuble de bureaux de Google à Seattle, dans l’État de Washington, s’est effondrée dans la rue en contrebas, tuant quatre personnes et en blessant quatre autres.

Les municipalités qui engrangent d’importants revenus grâce à la délivrance de permis n’ont aucun intérêt à renforcer la réglementation pour améliorer la sécurité des travailleurs.

Dans le sillage de la tragédie de Kelowna, divers syndicats du bâtiment réclament une amélioration des règles de sécurité, notamment une formation et une certification obligatoires des travailleurs qui montent et démontent les grues. «Nous sommes profondément attristés par cet accident catastrophique», a déclaré Frank Carr, directeur commercial de la section 115 de l’International Union of Operating Engineers (IUOE). «Nous devons faire ce que nous pouvons pour nous assurer que cela ne se reproduise plus jamais».

La déclaration de Carr n’engage l’IUOE, qui représente les opérateurs de machines lourdes et d’autres personnes de l’industrie de la construction de la province, à absolument rien. Les conditions de travail difficiles sont bien connues dans l’industrie depuis des décennies. En 2019, la construction a été responsable de 33 des 203 décès au travail officiellement reconnus en Colombie-Britannique, le plus grand nombre de tous les secteurs.

Carr lui-même affirme que son syndicat fait pression pour une formation et une certification appropriées des grutiers depuis deux décennies. Cela inclut les quatre dernières années, alors que le NPD, soutenu par les syndicats et prétendument «favorable aux travailleurs», a formé le gouvernement provincial et n’a rien fait pour améliorer la sécurité des grues.

Partout au Canada, les syndicats de la construction ont joué un rôle crucial pour étouffer les luttes des travailleurs sur les questions de santé et de sécurité au travail. Au Québec, lorsque les grutiers ont organisé une grève sauvage en juin 2018 pour s’opposer aux plans du gouvernement provincial visant à déréglementer leur métier – notamment en réduisant de manière draconienne le nombre d’heures de formation nécessaires pour obtenir la certification pour la conduite de grandes grues – les bureaucrates de la FTQ Construction, l’aile bâtiment de la Fédération des travailleurs du Québec, étaient livides. Ils se sont joints au gouvernement libéral provincial de l’époque pour menacer les grutiers de représailles sévères s’ils ne retournaient pas immédiatement au travail. Par la suite, la FTQ Construction et les autres syndicats de la construction du Québec ont accepté que les exigences de certification des grutiers soient légèrement modifiées par rapport au plan initial du gouvernement.

Pendant la pandémie de COVID-19, les syndicats ont collaboré avec les patrons de la construction et les gouvernements de la Colombie-Britannique et d’autres provinces pour désigner pratiquement tous les chantiers comme «essentiels» afin de maintenir les travailleurs au travail. Des épidémies majeures se sont produites sur des chantiers de construction dans tout le pays, les travailleurs déclarant avoir été contraints de travailler dans des conditions indignes qui les exposaient à un risque élevé d’infection.

Le gouvernement libéral fédéral est également complice des conditions de travail dangereuses dans le secteur de la construction. Il a pris des mesures pour assouplir davantage les règles de sécurité et supprimer la surveillance réglementaire. Le budget libéral de 2018 prévoyait des fonds pour examiner les réglementations qui entraînaient des «goulots d’étranglement à la croissance économique et à l’innovation», notamment dans l’industrie des infrastructures. Le véritable objectif de la campagne de déréglementation est de supprimer les protections des travailleurs et de fermer les yeux sur les employeurs criminellement négligents, facilitant ainsi leur exploitation intensifiée des travailleurs et augmentant la probabilité d’accidents industriels comme la tragédie du mois dernier à Kelowna.

La construction emploie plus de 1,4 million de personnes au Canada et génère une activité économique d’environ 141 milliards de dollars par an. La multinationale canadienne de la construction PCL a engrangé 8,4 milliards de dollars l’année dernière. Mais comme les coûts du bois, des produits métalliques et d’autres matériaux de construction ont doublé, voire triplé cette année, les promoteurs et les entrepreneurs s’efforcent de réduire les coûts de la main-d’œuvre en accélérant la production et en faisant appel à des travailleurs souvent inexpérimentés, mal formés et employés de façon précaire. L’industrie compte de plus en plus sur les travailleurs migrants, qui représentent un quart de la main-d’œuvre de la construction au Canada. Ils sont souvent contraints de travailler au noir, et leur permis de travail dépend généralement du maintien de leur emploi chez leur employeur actuel. Il est donc pratiquement impossible pour les travailleurs migrants de contester les mauvaises conditions de travail, même lorsque celles-ci mettent leur vie en danger.

La sécurité des équipes de construction ne sera assurée que lorsque l’industrie de la construction sera retirée des mains des spéculateurs et des promoteurs motivés uniquement par des niveaux obscènes de profit privé et placée sous le contrôle de la classe ouvrière, la seule force sociale capable d’organiser les ressources économiques et la capacité de production de la société de manière sûre et rationnelle au service des besoins sociaux.

(Article paru en anglais le 15 août 2021)

Loading