Au moins 70 morts et 47 disparus dans les inondations du nord de la Turquie

Les autorités ont annoncé que 70 personnes étaient décédées en Turquie à la date de lundi suite aux inondations massives survenues mercredi dernier à Bartın, Kastamonu et Sinop, dans la région occidentale de la mer Noire. La Présidence de la gestion des catastrophes et des urgences (AFAD) a indiqué que 47 personnes étaient portées disparues.

La récente catastrophe en Turquie est survenue alors que des centaines de millions de personnes sont touchées par les inondations, des États-Unis à l’Allemagne et à la Belgique, de la Grande-Bretagne à la Chine, en passant par la Corée du Nord et le Japon. Elle soulève l’urgente nécessité d’une réponse coordonnée au niveau mondial, menée par la classe ouvrière, au changement climatique et aux politiques criminelles des gouvernements capitalistes.

Les inondations catastrophiques dans la région de la mer Noire ont eu lieu alors que les feux de forêt en Turquie ne sont toujours pas complètement maîtrisés. Si la réponse du gouvernement du président Recep Tayyip Erdoğan aux feux de forêt, en particulier dans les régions égéenne et méditerranéenne, a déjà été inadéquate, la catastrophe des inondations a conduit à une colère sociale et à des critiques encore plus dures envers le gouvernement.

Citant des données de la Direction générale de la météorologie d’État, l’agence Anadolu a rapporté que dans certaines régions touchées par les inondations, les précipitations étaient bien supérieures à la moyenne annuelle. Cela met en évidence la responsabilité de la classe dirigeante et de ses représentants politiques à plusieurs égards.

Tout d’abord, les fortes pluies et inondations sont le résultat direct du changement climatique produit par le capitalisme. L’augmentation des pluies soudaines et abondantes de ces dernières années n’a pas été prise au sérieux par le gouvernement et les administrations locales. Aucune mesure n’a été prise dans les zones habitées traversées par des cours d’eau, et les gouvernements ont fait la sourde oreille aux avertissements des scientifiques.

Ensuite, les responsables ont ignoré les limites de crue des cours d’eau et ont autorisé les constructions à forte densité dans ces endroits. Le Dr Ramazan Demirtaş, spécialiste retraité en paléosismologie, a déclaré au quotidien Sözcü: «On a réduit la largeur de 400 mètres du lit de la rivière à 15-20 mètres. Ensuite, ces zones sont affectées à la construction. Mais on modifie aussi le débit du cours d’eau. Une grande masse d’eau arrive alors. Comme cette masse entre dans un espace étroit, l’eau commence à monter. C’est alors que des catastrophes comme celle-ci se produisent. Les lits des cours d’eau ne devraient en aucun cas être affectés à la construction.»

Troisièmement, l’impact de l’ouverture de centrales hydroélectriques et de mines du secteur privé, qui s’est intensifié sous le gouvernement du Parti justice et développement (AKP) d’Erdoğan, dans la région de la mer Noire a été énorme. Malgré les protestations des résidents locaux, avec l’ouverture des zones minières et la construction des centrales, les zones forestières ont été supprimées, les lits des cours d’eau modifiés et, par conséquent, la structure naturelle de la région a été détériorée au nom du profit capitaliste.

Enfin, le fait que la Direction générale de la météorologie d’État ait averti les autorités trois jours à l’avance dénonce l’indifférence et la responsabilité du gouvernement. À ce sujet, le Dr Demirtaş a déclaré: «La météorologie a fait sa part. Mais après cette alerte, on aurait dû faire quelque chose». Il a ajouté: «Nous devons évacuer les gens trois jours avant ou les emmener sur des terrains plus élevés. Nous aurions pu éviter ces pertes en vies humaines. Des plans auraient dû être élaborés avant la catastrophe. Mais nous faisons des plans après que la catastrophe se soit produite».

Alors que les scientifiques tentent de soulever ces questions et appellent à des mesures pour les inondations futures, le gouvernement Erdoğan cherche à se décharger de sa responsabilité, se cachant comme d’habitude derrière un fatalisme religieux. En assistant aux funérailles de Fatih Keşaplı, qui s’est noyé dans les inondations du quartier de Bozkurt à Kastamonu, Erdoğan a déclaré hypocritement: «On ne sait pas où et comment cette [inondation] se produira. Tout comme la situation de notre frère Fatih».

Une photo aérienne montre des bâtiments détruits après les inondations et les coulées de boue qui ont tué environ deux douzaines de personnes, dans la ville de Bozkurt dans la province de Kastamonu, vendredi 13 août 2021. (Ismail Coskun/IHA via AP)

Le gouvernement craint que la catastrophe n’intensifie la colère sociale dans la classe ouvrière. Face aux nombreuses protestations dans la région, le ministre de l’Intérieur Soylu a fait la déclaration suivante à Bozkurt, cherchant à détourner l’opposition en faisant appel au nationalisme: «Ce pays, cet État et cette nation appartiennent à nous tous. Alors que nous essayons de guérir les blessures des gens ici, il y a ceux qui pensent “comment puis-je nuire?” et “comment dois-je en faire un matériau politique?”».

Après la catastrophe des inondations, le gouvernement a appelé à soutenir financièrement la population en lançant une campagne d’aide, comme lors de la pandémie de coronavirus.

Un reportage du quotidien Evrensel révèle les crimes des élites dirigeantes, puisque cette catastrophe était évitable. Selon cet article, un rapport a été publié par la Direction de la gestion de l’eau du ministère turc de l’Agriculture et des Forêts en 2019 et des alertes aux inondations ont été émises. Les cartes établies en lien avec ce rapport montraient qu’en cas d’inondation, toutes les zones d’habitation, y compris l’école professionnelle de Bozkurt, la municipalité de Bozkurt et l’hôpital d’État de Bozkurt, seraient sous l’eau.

L’ingénieur en construction Umut Deveci a déclaré à Evrensel: «Cette catastrophe aurait pu être évitée avec beaucoup moins de dégâts si les travaux de réhabilitation avaient été effectués sur la base de ces cartes.»

Par ailleurs, le professeur Naci Görür, géologue, a expliqué les causes de cette catastrophe et les précautions à prendre. «C’est ce qu’on appelle les plaines inondables. Ce sont les zones agricoles les plus productives du monde. Les eaux de crue se calment dans ces plaines. Si vous perturbez ce système, c’est-à-dire si vous construisez des maisons, des centrales hydroélectriques, des barrages, des routes, etc. dans les cours d’eau et les vallées, si vous transformez les plaines inondables en zones d’habitation et réduisez la capacité de drainage naturel, vous provoquerez des inondations et vous ne pourrez pas les contenir».

Görür poursuit ainsi: «Les inondations et les eaux atmosphériques non drainées déclenchent des glissements de terrain. La réduction de la végétation augmente à la fois les inondations et les glissements de terrain. Le système de drainage de la mer Noire devrait être géré selon des principes scientifiques et contrôlé par la loi. Tout comme les tremblements de terre, vous ne pourrez peut-être pas empêcher les inondations naturelles et les glissements de terrain, mais vous pouvez les gérer et prendre des mesures pour minimiser les dégâts».

On ne sait toujours pas si la crue éclair s’est produite en raison de précipitations excessives ou de l’ouverture des couvercles de la centrale hydroélectrique située au-dessus de la vallée. La Société des Travaux hydrauliques d’État (DSİ) a affirmé que les centrales n’ont joué aucun rôle, dédouanant ainsi les entreprises en même temps, dans une déclaration intitulée «L’allégation selon laquelle les inondations causées par les centrales hydroélectriques ne reflètent pas la vérité».

Les récits de ceux qui ont vécu la catastrophe à Bozkurt réfutent cependant cette affirmation. Un résident local, Kübra Çelik, a déclaré qu’une heure avant l’incident, les employés de la centrale hydroélectrique avaient appelé les citoyens et la police pour les prévenir d’une explosion.

Que la cause immédiate de la catastrophe soit les centrales hydroélectriques, la destruction de l’environnement ou l’augmentation des précipitations, la classe dirigeante et ses représentants ont ouvert les zones non constructibles, rétréci le lit des cours d’eau et ignoré tous les avertissements des scientifiques. Cela montre qu’ils sont responsables des dommages et des pertes de vies humaines qui en résultent.

Après la catastrophe, le ministre de l’Environnement et de l’Urbanisation, Murat Kurum, qui s’est rendu à Bozkurt, dans le Kastamonu, avec le ministre de l’Intérieur, Süleyman Soylu, a regardé les personnes qui ont souffert et sont en deuil, et a annoncé d’autres plans de construction futurs. Il a déclaré: «Il y a des bâtiments effondrés sur le tracé du cours d’eau. J’exprime que nous allons guérir les blessures de nos citoyens dès que possible en construisant de nouveaux bâtiments après la fin des efforts de recherche et de sauvetage».

Bref, Kurum déclarait qu’ils allaient continuer les mêmes erreurs de construction et qu’ils n’avaient aucune politique concrète pour faire face aux futures catastrophes dues aux inondations.

(Article paru d’abord en anglais le 17 août 2021)

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