Le 6 janvier 2021: le complot de Donald Trump contre les États-Unis

Introduction

La conférence suivante a été prononcée lors de l’université d’été 2021 du Parti de l’égalité socialiste (É.-U.) qui s’est tenue du 1er au 6 août, par Eric London, journaliste du World Socialist Web Site et auteur d’«Agents: L’infiltration du mouvement trotskiste par le FBI et la GPU». Tous les principaux rapports de l’école seront publiés sur le WSWS dans les prochaines semaines.

Le 6 janvier 2021, le président des États-Unis a transformé la Maison-Blanche en centre de commandement d’un complot fasciste visant à renverser les résultats de l’élection.

Ce fut le crescendo réactionnaire d’une administration présidentielle sans équivalent dans l’histoire américaine. Pendant les trois premières années de son mandat, Donald Trump a dansé d’avant en arrière sur la ligne floue qui sépare les attributs formels du parlementarisme bourgeois de la dictature personnaliste. Il a tenté de forcer ses rivaux démocrates et républicains à se plier à sa volonté en menaçant de déchainer ses partisans et de déclencher le chaos social.

Le président Donald Trump s’exprime depuis la pelouse au sud de la Maison-Blanche au quatrième jour de la convention nationale républicaine, le jeudi 27 août 2020, à Washington. (AP Photo/Alex Brandon)

Il a été toléré et même encouragé par le capital financier parce que son mouvement était un bélier pour la réaction politique extrême contre la classe ouvrière. Il est passé d’une crise à l’autre comme un pyromane fou assis sur une montagne de dynamite, conduisant l’ensemble de l’establishment politique de plus en plus vers la droite.

Au cours de sa dernière année de mandat, Trump a cessé de danser sur la ligne de la dictature et a décidé de la franchir définitivement. La pandémie de coronavirus a déclenché une série de crises qui lui ont forcé la main. Sa popularité, qui n’a jamais été très élevée, a atteint de nouveaux planchers.

Du printemps 2020 à janvier 2021, tandis que les décès s’accumulaient, l’économie s’arrêtait et le mécontentement social explosait dans les rues, Trump tentait d’invoquer la loi sur l’insurrection, d’imposer la loi martiale et de supprimer toutes les contraintes juridiques et politiques qui pesaient encore sur ses actions.

Il vise maintenant à transformer le Parti républicain en un parti fasciste sous sa direction personnelle. Les démocrates, en alliance avec l’armée et les agences de renseignement, s’efforcent de maitriser l’opposition sociale à ses politiques tout en faisant pression sur lui depuis la droite en matière de politique étrangère. Ce que le World Socialist Web Site a écrit pendant toute cette période s’est avéré exact.

Le complot de Trump a été stoppé, pour l’instant, non pas par les démocrates, mais par l’intervention de l’armée, qui a déclaré qu’elle n’accepterait pas la loi martiale, pas tout de suite. Le Parti démocrate s’est opposé à tout appel de masse, car cela déclencherait des demandes de réformes sociales. Même lorsque l’ensemble de la délégation du Parti démocrate au Congrès s’est réunie dans les sous-sols du Capitole, ses seuls appels au secours étaient lancés en privé, adressés uniquement à l’armée. Ils ne défendront pas les droits démocratiques même si leur vie en dépend.

Les militaires, quant à eux, ne sont pas intervenus pour défendre la démocratie, mais pour maintenir la stabilité et l’ordre public. L’institution qui se retire d’Irak et d’Afghanistan ayant versé le sang de plus d’un million de civils devient le faiseur de rois chez elle. Lorsque le président des chefs d’état-major interarmées, Mark Milley, a déclaré: «Nous sommes les gars avec les armes», il ne s’agissait pas seulement d’une déclaration de fait sur l’équilibre actuel des forces, mais d’un avertissement pour l’avenir. Les démocrates ont fait de l’armée le principal arbitre du pouvoir politique.

Devant un tribunal, il ne serait pas difficile de prouver que Trump a l’intention – la mens rea – de perpétrer un coup d’État. Après tout, il déclare ouvertement et régulièrement ses objectifs. Néanmoins, après avoir vu ces événements se dérouler sous leurs yeux et après avoir écouté les propres paroles de Trump, les représentants politiques de la classe moyenne aisée se moquent de la suggestion que la dictature soit une possibilité même lointaine. Ils ne voient ni n’entendent le mal, mais cela ne les empêche pas de dire du mal.

Il y a vingt ans, ils ont ignoré le scandale de la mise en accusation de Clinton et décrit la crise électorale de 2000 comme une «tempête dans un verre d’eau». Aujourd’hui, ils avancent un certain nombre d’arguments pathétiques: l’État est bien trop fort, l’ordre social bien trop stable pour qu’un coup d’État puisse avoir lieu. Trump est trop stupide, trop improvisateur pour en organiser un.

Un coup d’État n’a lieu que s’il suit à la ligne le scénario des coups d’État passés, comme une mise en scène. Le décor doit comporter des chars dans les rues, l’assassinat de chefs d’État, une marche sur Rome. Dans leur complaisance pathologique et leur désir désespéré d’être sauvés de la lutte des classes, ils deviennent hostiles à l’idée d’alerter la classe ouvrière des dangers d’un coup d’État et cela, même lorsque les metteurs en scène, les producteurs et la vedette elle-même recyclent des scènes du théâtre d’Hitler et récitent ses soliloques.

C’est la réponse d’une couche sociale qui n’a rien à ajouter au développement progressiste de l’humanité. Il y a trente ans, la «gauche» petite-bourgeoise déclarait «adieu à la classe ouvrière» et concluait que la dissolution de l’Union soviétique prouvait la non-viabilité du marxisme à tout jamais. La classe dirigeante américaine a proclamé avec une assurance radieuse «la fin de l’histoire», que le capitalisme avait vaincu le socialisme et que l’impérialisme américain ouvrait la voie à un nouvel ordre mondial de stabilité sociale fondé sur les principes de la démocratie libérale.

Aujourd’hui, il est universellement compris, même par les représentants de la grande bourgeoisie, que cette déclaration était positivement délirante. Le garant de l’ordre mondial est maintenant sa principale source de chaos. La «démocratie» américaine, qui se présentait comme un modèle pour le monde, est aujourd’hui à l’origine d’une résurgence mondiale du fascisme. Le gendarme du monde n’a pas apporté l’ordre et l’harmonie, mais la guerre et une résurgence des conflits interimpérialistes.

L’impérialisme américain a détruit des sociétés entières en quête de domination mondiale, pour ensuite affaiblir sa propre position et déchirer sa propre société. Des sections de la petite-bourgeoisie américaine qui croyaient autrefois à son rêve américain sont maintenant sensibles aux cauchemars hitlériens. Ce qui était autrefois le rempart confiant de la réaction mondiale contre le socialisme à l’étranger promeut maintenant un homme fort pour écraser le danger du socialisme chez lui.

Comme seul le mouvement trotskiste l’avait prévu, l’impérialisme américain a rendez-vous avec le désastre. La conjoncture actuelle présente de réels dangers, mais a également des implications profondément révolutionnaires. C’est l’intervention de notre parti qui va déterminer la tendance qui prévaudra. Alors, comment en est-on arrivé là?

Qui est Donald Trump?

Donald Trump a été craché après un demi-siècle de réaction politique pendant le déclin du boom d’après-guerre du capitalisme américain. Si Théodore Dreiser devait décrire la vie de Trump, il expliquerait que ce dernier personnifie une classe dirigeante incroyablement riche, extrêmement impitoyable et scandaleusement arriérée. C’est logique que l’histoire de la fortune familiale de Trump commence dans un bordel du Yukon, que son grand-père Friedrich, un émigré de Rhénanie-Palatinat, dans le sud-ouest de l’Allemagne, a ouvert à la fin des années 1890 pour fournir de l’alcool et des prostituées aux mineurs de la ruée vers l’or du Klondike. Tout s’est dégradé à partir de là.

Le grand-père de Trump s’est installé à New York, là où le père de Trump, Fred, un fasciste qui a fait l’éloge d’Hitler et a défilé avec le KKK, a gagné les premiers millions de la famille. Né en 1946, Donald Trump a connu une ascension fulgurante grâce à son évasion de la conscription, l’argent de son père, des dons importants et réguliers aux deux partis politiques, une armée d’avocats, et des décennies d’autopromotion désespérée et de mauvais goût. Il a idolâtré son mentor Roy Cohn, son seul véritable ami, qui a été l’avocat de Joe McCarthy et qui a joué un rôle moteur dans les chasses aux sorcières anticommunistes des années 1950. Trump s’est frayé un chemin jusqu’à l’âge adulte grâce à la manne dont ont profité les sociétés des années 1980, à l’époque de Ronald Reagan. Il a été présenté par l’establishment médiatique comme l’icône vivante du dieu de l’argent américain à l’époque du triomphalisme capitaliste.

Trump était un représentant approprié du capitalisme américain dans sa période de déclin. Il a démoli des bâtiments historiquement protégés, les a remplacés par des monstruosités et a apposé son nom au sommet. En 1987, les staliniens l’ont invité à Moscou pour construire un hôtel au nom de la perestroïka. En 1989, Trump a demandé le retour de la peine de mort pour tuer les Central Park Five, de jeunes Noirs innocents accusés par la police d’un meurtre qu’ils n’avaient pas commis. Dans les années 1990, il se lie d’amitié avec les Clinton, les Giuliani et les Epstein. Il s’est construit un public national avec l’aide de NBC, qui a diffusé 15 saisons de son émission «The Apprentice».

De sa propre opinion, Trump est sans aucun doute un admirateur d’Hitler. Dans le récent livre intitulé «Frankly, We Did Win This Election» (Franchement, nous avons gagné ces élections), le journaliste Michael Bender décrit une discussion entre Donald Trump et son ancien chef de cabinet, John Kelly, en 2018.

Trump a dit à Kelly: «Eh bien, Hitler a fait beaucoup de bonnes choses». Bender explique que «le chef de cabinet a dit au président qu’il avait tort, mais Trump ne s’est pas laissé décourager. Trump a souligné les gains économiques de l’Allemagne une fois qu’Hitler a pris le pouvoir en tant que chancelier».

Selon une interview de 1990 avec sa femme de l’époque, Ivana, Trump gardait un livre des discours d’Hitler dans sa table de chevet. Vanity Fair a écrit que «Ivana Trump a dit à son avocat Michael Kennedy que de temps en temps, son mari lit un recueil de discours d’Hitler, «My New Order». Il garde ce volume dans une armoire près de son lit.» William Shirer, auteur de «The Rise and Fall of the Third Reich», a expliqué: «Dans ces discours, Adolf Hitler parle de son opinion sur les Juifs et les autres races, de son programme intérieur, de sa politique étrangère et de la race aryenne dominante».

Ivana a également déclaré que lorsqu’un dirigeant de l’Organisation Trump venait rencontrer Trump, il faisait toujours claquer ses talons et disait «Heil Hitler» en entrant dans le bureau de Trump. Dans la même interview, l’avocat de Trump a déclaré à Vanity Fair: «Trump est un adepte de la théorie du gros mensonge. Si vous dites quelque chose encore et encore, les gens vous croiront».

Rien de tout cela n’empêche Trump d’être depuis longtemps une figure incontournable des milieux du Parti démocrate new-yorkais, et des mêmes politiciens qui se cachaient dans un bunker sous le Capitole le 6 janvier et qui étaient, il y a pas si longtemps, dans son bureau à quémander de l’argent. De 1989 à 2009, Trump a donné des centaines de milliers de dollars aux démocrates, bien plus qu’aux républicains. Il a été membre démocrate de 2001 à 2009. Mais, en s’associant au mouvement Tea Party, Trump a lancé la campagne «Birther» en 2011 où il insistait sur le fait que Barack Obama était un musulman et n’était pas un citoyen américain. Quatre ans plus tard, il annonçait sa candidature à la présidence.

Les racines objectives du «trumpisme»

Donald Trump, nous l’avons souvent fait remarquer, n’est pas tombé du ciel pour atterrir dans le bureau ovale. Il est la personnification politique des tendances les plus dangereuses de près de 200 ans de réaction bourgeoise américaine. La classe dirigeante américaine, dans sa lutte existentielle pour sa survie, a rassemblé toute son expérience historique de la contre-révolution et l’a recrachée dans la présidence de Donald Trump.

Il emprunte la stratégie du putsch contre-révolutionnaire préventif aux propriétaires d’esclaves du Sud, qui considéraient la guerre civile comme préférable à une présidence de Lincoln. Ses menaces impérialistes font écho au voyou raciste Teddy Roosevelt, qui proclamait que l’Amérique avait le droit de dominer ce qu’il appelait «les espaces vides du monde», une version plus polie des «pays de merde» de Trump.

Trump idolâtre Andrew Jackson pour avoir passé outre la Cour suprême afin de forcer l’expulsion des Amérindiens. Il se languit des jours d’antan, lorsque les shérifs prenaient la direction d’une foule en colère pour pendre les criminels présumés. Il met en garde contre le péril jaune et les hordes d’immigrants en maraude, en construisant des centres de détention sur les lieux mêmes où se trouvaient autrefois les camps d’internement japonais. Il emprunte le slogan «l’Amérique d’abord» aux sympathisants nazis qui entourent Charles Lindbergh. Il parle du communisme et du socialisme dans un langage plus violent et sans retenue que celui utilisé par Joseph McCarthy lui-même.

Sa vision du monde est ancrée dans un darwinisme social fasciste qui a toujours été présent dans la conscience de l’impitoyable classe capitaliste américaine. Ce qui était contenu dans la période de sa croissance explosive se déchaine dans la période de son déclin. Les programmes sociaux et les réglementations sur l’exploitation des sociétés doivent être éliminés afin que la société puisse revenir à son état naturel, la survie du plus apte. C’est le rêve de Ronald Reagan déchainé. La réponse bipartisane à la pandémie de coronavirus a été de laisser la population mondiale tomber malade et mourir pour le bien des marchés. Aux yeux de la classe dirigeante, le virus nettoie la société des faibles pour que les forts puissent en profiter. Si les masses se plaignent, alors «qu’elles boivent de l’eau de Javel».

Il y a deux processus historiques fondamentaux qui sous-tendent l’accession de Trump au pouvoir. Premièrement, il y a le déclin insoluble de l’impérialisme américain, la perte de sa position de domination géostratégique et l’impact catastrophique de 30 ans de guerre permanente sur tous les niveaux de la société américaine. Deuxièmement, c’est l’extraordinaire croissance des inégalités sociales, qui a brisé ce qui restait de la démocratie bourgeoise américaine, renforcée par la répression artificielle de la lutte des classes menée par le Parti démocrate et l’AFL-CIO. Ces deux processus poussent la classe dirigeante à aller toujours plus loin dans la réaction, motivée par la peur de la perspective de plus en plus réelle d’une révolution sociale.

Au cours des 30 années qui ont suivi la dissolution de l’Union soviétique, l’impérialisme américain a transformé de larges pans du monde en ruines fumantes, tout en saccageant les programmes sociaux nationaux et en transférant des billions de dollars aux riches. La lutte des classes a été impitoyable, mais unilatérale. Le pays est devenu une oligarchie. Les syndicats se sont pliés à leur propre destruction et sont devenus croupions. Le pays est en état d’effondrement social et la détresse sociale n’a pas d’issue progressiste dans le cadre du système capitaliste. Des fusillades de masse et autres explosions de désespoir et d’arriération ont lieu régulièrement.

En 2000, en pleine crise entourant l’élection présidentielle américaine, le Comité international de la Quatrième internationale (CIQI) a expliqué que la démocratie bourgeoise ne pouvait pas survivre sur des fondations aussi pourries. En décembre de la même année, alors que la Cour suprême délibérait sur l’opportunité d’arrêter le comptage des votes en Floride, David North a déclaré:

La décision qui sera rendue par le tribunal révélera jusqu’où la classe dirigeante américaine est prête à aller dans son rejet des normes démocratiques bourgeoises et constitutionnelles traditionnelles. Est-elle prête à sanctionner la fraude électorale et la suppression des votes pour installer à la Maison-Blanche un candidat qui y ferait son entrée par le biais de méthodes carrément illégales et antidémocratiques? Une section substantielle de la bourgeoisie, et peut-être même une majorité à la Cour suprême des États-Unis, est maintenant prête à franchir ce pas. Le soutien des formes traditionnelles de la démocratie bourgeoise au sein des élites dirigeantes aux États-Unis s’est érodé énormément.

La décision a entériné le vol des élections de 2000, et les démocrates s’y sont pliés sans broncher. Il n’y avait pas de groupe d’intérêt au sein de la classe dirigeante pour la défense des droits démocratiques. La voie était ouverte pour Bush, Cheney et leurs alliés du Projet pour un Nouveau Siècle américain pour utiliser les événements obscurs du 11 septembre dans le but de lancer les guerres en Afghanistan et en Irak.

La classe dirigeante a inauguré une période de propagande nationaliste implacable et de répression policière. Des crimes incroyables ont été justifiés par la guerre contre le terrorisme. L’armée et les agences de renseignement ont été élevées au-dessus de la vie civile, placées au-delà de toute critique, et leurs pouvoirs ont été considérablement renforcés par le PATRIOT ACT. L’État s’est transformé en une vaste opération secrète, comme Edward Snowden, Chelsea Manning et Julian Assange allaient bientôt le révéler. Les deux partis ont présenté Rudy Giuliani comme le maire de l’Amérique, certainement un grand leader, peut-être un futur président. Giuliani a lui-même tenté d’annuler les élections de la ville de New York cette année-là, une expérience qu’il mettra plus tard à profit en tant que complice de Trump dans le mensonge de la fraude électorale de 2020.

Le Parti démocrate a soutenu le gouvernement Bush dans l’inauguration de cette période de réaction extrême. Choqué par les manifestations antiguerre de masse de 2002-2003, le Parti démocrate a viré encore plus à droite. Il a soutenu la guerre en Irak et il a sanctionné les crimes du gouvernement Bush dans les rares cas où l’exécutif daignait informer le Congrès de ses plans. Le Parti démocrate a coulé la course aux primaires d’Howard Dean après que le gouverneur du Vermont soit apparu comme un point de ralliement du sentiment antiguerre grandissant en 2004.

La guerre permanente et la répression étatique ont eu un impact toxique sur la société américaine. La guerre s’est infiltrée dans toutes les veines sociales. Dans l’essai «Militarisme et polarisation sociale» de 2004, alors que les mots Bagram, Guantanamo et Abu Ghraib entraient dans le discours populaire, David North expliquait l’impact que ces guerres auraient sur la société américaine:

Nous n’avons pas affaire à un simple processus de dégénérescence intellectuelle. L’accumulation incessante de richesses dans une très petite strate de la population américaine a pour effet inévitable de réduire la base sociale réelle sur laquelle repose le pouvoir bourgeois. La classe dirigeante est obligée de créer une autre base, constituée d’éléments qui se trouvent en dehors de la grande masse de la population et qui sont, dans une large mesure, indépendants de celle-ci. C’est le rôle de l’armée de volontaires, qui est complétée par des gangs de tueurs et de tortionnaires engagés par l’armée pour renforcer les forces de répression en Irak et en Afghanistan. L’expérience de la guerre urbaine en Irak, où les soldats américains s’habituent à tuer et réprimer des civils à grande échelle et même, dans certains cas, y prennent goût, crée un type social dangereux dont l’élite dirigeante dépendra de plus en plus pour maintenir «l’ordre public» aux États-Unis.

En 2007-2008, une crise financière mondiale d’une ampleur comparable à celle de la Grande Dépression a jeté des millions de personnes dans la rue, entraîné un chômage généralisé et des niveaux de souffrance sociale jamais vus depuis les Trente Glorieuses. George W. Bush était le président le plus détesté de l’histoire et la majorité de la population considérait les guerres comme des crimes perpétrés avec des mensonges. Barack Obama s’est fait connaître en promettant «l’espoir» et «le changement» et a remporté une élection écrasante qui a eu lieu quelques semaines après l’effondrement de Lehman Brothers et d’AIG. Un sauvetage massif a été organisé pour les banques et rien n’a été fait pour les masses populaires. La classe dirigeante américaine a annoncé au monde entier que cette fois-ci, il n’y aurait pas de Nouvelle Donne (New Deal), de Donne juste, voire pas de donne du tout.

L’inégalité sociale a fini par dominer tous les aspects de la vie politique, bien qu’elle n’ait pratiquement pas été admise par les politiciens ou la presse bourgeoise. Le gouvernement Obama a été un bélier pour l’aristocratie financière et une section privilégiée de la classe moyenne supérieure qui constitue les «neuf prochains» pour cent derrière les aristocrates des 1 pour cent supérieurs. Le gouvernement a répondu aux manifestations d’Occupy Wall Street en 2011 en ignorant toutes leurs demandes. Sous le gouvernement Obama, la rupture définitive du Parti démocrate avec tout programme de réforme sociale a été solidifiée. Il a expulsé trois millions d’immigrants et étendu les guerres au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Afrique de l’Est.

Le 30 avril 2015, Bernie Sanders a annoncé sa candidature à l’investiture du Parti démocrate pour la présidentielle. Bien que l’on ait supposé que Sanders jouerait le rôle des «outsiders» de gauche comme Dennis Kucinich, Sanders gagnerait 13 millions de voix en tant que «socialiste» en appelant à une révolution politique au pays de l’anticommunisme. Le Parti démocrate l’a privé de l’investiture en 2016 et lui a fait comprendre qu’il n’adopterait jamais de politiques susceptibles de remettre en cause la richesse de l’aristocratie.

Le 15 juin 2015, Trump a annoncé qu’il se présentait à la présidence dans un discours fasciste qui commençait par les mots «Notre pays a de sérieux problèmes» et se terminait par «Make America Great Again». C’était un cri de ralliement pour les tendances les plus sombres de la société américaine: racisme, nationalisme extrême, militarisme et xénophobie anti-immigrée. Les démocrates ont qualifié les partisans de Trump de «déplorables», mais ce sont les démocrates eux-mêmes qui avaient qualifié ces sentiments de noblement patriotiques pendant la guerre contre le terrorisme.

Les médias se sont moqués du lancement de la campagne de Trump et l’establishment politique a sagement convenu qu’il n’avait aucune chance. Mais lui aussi allait dépasser largement leurs attentes. Ses adversaires dans la primaire républicaine ont exprimé l’un après l’autre leur indignation morale face aux appels racistes de Trump, pour ensuite se transformer en ses gauleiters sénatoriaux les plus serviles.

En novembre 2016, après une campagne violente au cours de laquelle il a menacé de se déclarer vainqueur même s’il perdait le vote, Trump était la deuxième personne la plus détestée d’Amérique. Mais la personne la plus détestée était Hillary Clinton, qui a passé une grande partie de la campagne à dénoncer la classe ouvrière, disant aux mineurs de charbon qu’elle allait les mettre au chômage pour toujours, et laissant entendre que les Blancs étaient tous racistes.

En 2016, pour la première fois de son histoire, les démocrates ont remporté la majorité des voix des 10 pour cent des électeurs les plus riches. Le Parti démocrate a eu le soutien de la pseudogauche, qui a appelé à soutenir Clinton. L’enrichissement pendant des décennies de la classe moyenne supérieure privilégiée avait poussé sa politique encore plus à droite.

Les critiques sociales de l’ère Bush comme Jon Stewart et Steven Colbert sont devenues des porte-parole souriants de l’establishment. Sous Obama, des groupes comme l’Organisation socialiste internationale (International Socialist Organization – ISO) et Alternative socialiste (Socialist Alternative – SA) ont rejeté l’«anti-impérialisme aveugle» et ont soutenu les guerres des démocrates à l’étranger. Au sein des 10 pour cent les plus riches, la politique identitaire est devenue une arme dans la lutte pour les postes et les privilèges. Les partisans des politiques raciales et de genre sont devenus plus zélés et plus proéminents à mesure que les inégalités se creusaient et que la classe dirigeante cherchait à diviser les travailleurs et à protéger ses intérêts.

Mais les démocrates ont perdu le Collège électoral. Leur appui s’est effondré dans les villes industrielles démocrates comme Milwaukee, Detroit et Philadelphie. Les démocrates ont mené une campagne belliqueuse, dénonçant Trump comme un suppôt de la Russie, et ont perdu le plus de soutien dans les comtés où le nombre de victimes des guerres en Afghanistan et en Irak était élevé.

Pendant plusieurs heures le soir de l’élection, Clinton a refusé de reconnaître sa défaite. Son avance en termes de vote populaire grandissait à mesure que les États du Pacifique se prononçaient massivement contre Trump. Des conseillers de longue date de Clinton l’ont exhortée à se battre. Mais ensuite, Barack Obama l’a appelée, deux fois, s’adressant à elle en tant que représentant des agences de renseignement et commandant en chef des forces armées. Il lui a dit qu’il était nécessaire qu’elle admette sa défaite pour éviter l’instabilité sociale. Elle a obtempéré. Barack Obama a accueilli Trump chaleureusement à la Maison-Blanche, a déclaré que l’élection était une «mêlée interne» entre deux camps de la même équipe et, après avoir déclaré que c’était «le meilleur moment pour être en vie», a quitté poétiquement le continent pour des vacances dans les Caraïbes avec le milliardaire Richard Branson.

Le gouvernement Trump assume le pouvoir

Trump est entré à la Maison-Blanche en janvier 2017 après avoir perdu le vote populaire avec un plus grand écart que tout autre candidat victorieux précédent dans l’histoire. Il était conscient que la grande majorité des électeurs qui l’avaient soutenu l’avaient fait parce qu’ils étaient en colère et confus, et non parce qu’ils étaient des fascistes comme lui. Mais il a utilisé le pouvoir de la présidence pour cultiver une base fasciste et pour obtenir un soutien au sein de l’armée et de l’appareil répressif de l’État, là où se trouvent les racines du pouvoir. Il a ciblé les soldats du rang, la police et les fonctionnaires de l’immigration, qu’il a tous visités lors de visites officielles de type campagne.

Lors de son discours d’investiture, il a ordonné aux officiers militaires de se tenir derrière lui, mais les soldats ont ensuite reçu l’ordre de se retirer. Dans un appel aux gradés militaires et à l’élite financière, Trump a nommé un cabinet composé de généraux et de banquiers. Le Parti démocrate et les médias bourgeois n’ont pas tari d’éloges sur Trump pour ces nominations «raisonnables», et les démocrates du Sénat ont voté pour confirmer son cabinet composé d’«adultes dans la salle».

Mais Trump a également nommé Steven Bannon comme stratège en chef et Stephen Miller comme conseiller principal, les deux postes non ministériels les plus puissants après celui de chef de cabinet. Et ce sont ces deux fascistes – en particulier Miller – qui allaient guider la stratégie politique de la Maison-Blanche.

Pour la classe moyenne radicale, le fait que Trump n’ait pas eu le pouvoir absolu de faire ce qu’il voulait dès le premier jour est la preuve que Trump ne peut pas être un fasciste ou un dictateur en herbe. Cela montre à quel point ils connaissent mal l’histoire. Le cabinet Trump reflétait le caractère instable de l’alliance forgée par ses circonscriptions sociales réactionnaires. Dès le départ, c’était un bloc de l’armée et des banques avec des fascistes dans l’ombre et Trump à la tête. En janvier 1933, Hitler ne pouvait former un gouvernement que sur la base d’une alliance avec le Parti national du peuple allemand, le parti traditionnel ultraconservateur, et son chef, Alfred Hugenberg. Dans son essai de février 1933 intitulé «Devant la décision», Trotsky écrit:

Le gouvernement Hindenburg-Hitler recèle un ensemble complexe de contradictions: entre les représentants traditionnels des propriétaires fonciers d’une part, les représentants patentés du grand capital, de l’autre; entre les uns et les autres, d’une part, les oracles de la petite-bourgeoisie réactionnaire, de l’autre. La combinaison est extrêmement instable. Elle ne se maintiendra pas longtemps sous sa forme actuelle.

Trotsky a expliqué que même en tant que chancelier, l’action d’Hitler était limitée par ses opposants bourgeois. Écrivant quelques semaines avant l’incendie du Reichstag et la loi d’habilitation, Trotsky a déclaré qu’à moins d’un événement extraordinaire qui pousserait Hitler à un contrôle total, le caractère contradictoire de la coalition d’Hitler signifiait qu’il «doit provoquer un semblant de guerre civile (la véritable guerre civile, il en a lui-même peur)» pour conserver le pouvoir. Trotsky poursuit: «[Les] solides collègues du ministère, qui disposent de la Reichswehr et des Casques d’acier, préféreraient étouffer le prolétariat par des moyens “pacifiques”. Ils sont beaucoup moins enclins à provoquer une petite guerre civile, par peur d’une grande».

À un certain niveau fondamental, Trump a compris cela à propos de ses rivaux au sein de la classe dirigeante, bien qu’il ne fut pas à la tête du type de mouvement dont Hitler disposait en 1933. À chaque étape, il a provoqué des tensions sociales jusqu’au point de rupture, sachant qu’un semblant de guerre civile et la croissance de l’instabilité renforceraient sa coalition d’en haut. Plus l’opposition aux politiques de Trump était grande en bas, plus la classe dirigeante s’appuyait sur les méthodes peu recommandables de ses partisans pour protéger leur richesse. Trump leur garantissait un marché boursier en hausse, des réductions d’impôts et la fin de toutes les restrictions sur les bénéfices, et promettait d’écraser l’opposition sociale qui s’ensuivrait inévitablement. Trotsky a écrit dans «Devant la décision»:

En associant Hitler au pouvoir, on poursuivait un double objectif: en premier lieu, rehausser la camarilla des propriétaires par la présence des dirigeants du «mouvement national», en deuxième lieu, mettre à la disposition immédiate des possédants, les forces combattantes du fascisme.

Ce n’est pas d’un cœur léger que la clique dirigeante pactisa avec ces fascistes qui sentent mauvais. Derrière les parvenus déchainés, il y a beaucoup, beaucoup trop de poings: c’est là le côté dangereux des chemises brunes; mais c’est là aussi leur principal avantage, ou, plus exactement, leur unique avantage. Et c’est cet avantage qui est décisif, car nous vivons une époque telle aujourd’hui, que la défense de la propriété ne peut être assurée qu’à coups de poing. On ne peut pas se passer des nationaux-socialistes.

La stratégie politique du gouvernement Trump, 2017-2019

Pendant les trois premières années de son gouvernement, Trump a cultivé une atmosphère de pogrom contre les immigrants, qu’il a désignés comme boucs émissaires des maux sociaux, et a utilisé les attaques contre les immigrants comme principal levier idéologique pour construire un mouvement fasciste indépendant des deux partis. Il a fait appel à des groupes fascistes et a inspiré une culture de la violence politique contre ses opposants. Il a testé et étendu le pouvoir de l’exécutif en déclarant l’urgence nationale. Il a évoqué la possibilité d’arrêter ses opposants, d’annuler les élections et de rester au pouvoir de manière permanente. Il a bafoué les décisions des tribunaux et attaqué le pouvoir du législateur.

L’objectif de Trump était de transformer le Congrès en un organe à consulter lorsqu’il était d’accord et à ignorer lorsqu’il ne l’était pas, et le pouvoir judiciaire en un organe d’approbation automatique composé de personnes nommées par lui. Au cours de son mandat, le Congrès et les tribunaux ont suivi la stratégie de Trump, se pliant à sa volonté et affirmant la «légalité» de ses mesures extraconstitutionnelles à chaque étape.

Sa première initiative en fonction, en janvier 2017, a été d’interdire les voyages en provenance de sept pays à majorité musulmane, sur les conseils d’assistants fascistes. En février, Trump et Miller ont affirmé que les immigrés sans-papiers avaient voté trois millions de fois illégalement pour Clinton. Lors d’un rassemblement en juillet, il a dit à la police de Long Island d’être «dure» avec les gens, qualifiant les membres de gangs d’«animaux» qui ont transformé «de beaux quartiers tranquilles en champs de bataille maculés de sang». En août, il a menacé de déclencher une éventuelle guerre nucléaire, avertissant la Corée du Nord qu’il ferait régner «le feu et la fureur» si elle contestait les sanctions. Plus tard ce mois-là, il a fait l’éloge des néonazis comme étant «des gens très bien» après qu’un fasciste ait assassiné Heather Heyer à Charlottesville, en Virginie.

En février 2018, il a déclaré lors d’un rassemblement à Cincinnati que les démocrates se livraient à une «trahison» lorsqu’ils ont refusé d’applaudir son discours sur l’état de l’Union. En mars, il a plaisanté sur le fait de rester «président à vie» lors d’un discours privé aux donateurs. En avril, il a signé une proclamation qui déployait la Garde nationale à la frontière et a ordonné aux services d’immigration de commencer à séparer des milliers d’enfants de leurs parents, dont beaucoup n’ont pas été et ne seront jamais réunis. En juin, il a proposé de mettre fin à la procédure régulière pour les immigrants. En juillet, il a menacé sur Twitter de détruire l’Iran. En août, il a commencé à traiter la presse d’«ennemi du peuple». En octobre, un fasciste a tiré et tué 11 personnes dans une synagogue de Pittsburgh. En novembre, avec le soutien de Trump, la police frontalière à la frontière de Tijuana a lancé une attaque sauvage contre une caravane d’immigrants d’Amérique centrale.

En février 2019, Trump a déclaré une urgence nationale à la frontière et a ordonné la construction d’un mur frontalier massif. En avril, il a menacé de fermer définitivement la frontière américano-mexicaine. En mai, il a ri lorsqu’un partisan lors d’un rassemblement en Floride a crié que les immigrants devraient être abattus. En juin, il a menacé de lancer des rafles massives contre l’immigration dans 10 villes dites «sanctuaires».

En juillet, il a félicité le criminel de guerre fasciste Eddie Gallagher pour son acquittement par un tribunal militaire. Le 4 juillet, il a fait circuler des chars dans les rues de Washington DC pour son «Salut à l’Amérique». Deux semaines plus tard, il a traité quatre membres démocrates du Congrès de «communistes» et leur a dit de «retourner dans les endroits infestés de crimes d’où ils venaient». Il a encouragé la foule à scander «Renvoyez Ilhan Omar» lors d’un rassemblement en Caroline du Nord. La Cour suprême a statué que Trump pouvait utiliser des fonds militaires pour construire son mur frontalier. En août, un partisan fasciste de Trump a tué 25 personnes dans un Walmart où se trouvaient beaucoup d’immigrants à El Paso, au Texas.

En octobre, le New York Times a rapporté que Trump avait déclaré vouloir tirer sur les migrants dans les jambes et les empêcher de franchir la frontière sud à l’aide d’une tranchée remplie d’eau, d’alligators et de serpents. Trump aurait également demandé une estimation du coût d’un mur électrifié avec des pointes qui pourraient percer la chair humaine. Le même mois, il a déclaré à une foule à Minneapolis que les troupes reviendraient de Syrie parce que «nous pourrions en avoir besoin pour autre chose», c’est-à-dire pour un usage national. En novembre, le secrétaire à la Défense de Trump, Mark Esper, a renvoyé le secrétaire à la marine Richard Spencer en raison du refus de ce dernier de revenir sur la rétrogradation du criminel de guerre, Eddie Gallagher. Trump a qualifié Gallagher de «l’un des combattants ultimes», déclarant à propos de Gallagher et de deux autres criminels de guerre: «Je me suis rangé du côté de ces trois grands guerriers contre l’État profond.»

De 2017 à 2019, Trump n’a cessé d’empiéter sur les normes démocratiques, les tribunaux et le Parti démocrate opposant peu de résistance. Alors que Trump construisait sa coalition extrajudiciaire, la stratégie du Parti démocrate consistait à minimiser le danger de sa stratégie fasciste, à ignorer ses attaques impitoyables contre les immigrants, et même à y participer, et à s’opposer à lui depuis la droite sur les questions de politique étrangère.

La stratégie des démocrates était dominée par la compréhension que tout appel aux besoins sociaux des travailleurs pouvait produire une explosion sociale. Ils ont adopté la méthode de la révolution de palais. Ils ont agressivement présenté Trump comme un larbin de la Russie et ont tenté de le mettre en accusation non pas pour ses violations constantes de la Constitution, mais pour un appel téléphonique avec le président ukrainien Zelensky. Dans la déclaration de juin 2017 «Révolution de palais ou lutte des classes», nous avons écrit:

La classe ouvrière affronte en Trump et son gouvernement un ennemi brutal, dédié à la destruction de ses droits démocratiques et à une nouvelle baisse de son niveau de vie. C’est un gouvernement qui poursuit un programme international basé sur le chauvinisme de l’«Amérique d’abord». La classe ouvrière doit s’opposer à ce gouvernement et chercher à le renverser. Mais cette tâche ne doit pas être confiée aux adversaires fractionnels de Trump au sein de la classe dirigeante.

Au fur et à mesure que Trump avançait dans son mandat, sa popularité chutait et l’opposition sociale augmentait. Trump a utilisé cette dynamique pour accroître le pouvoir de son bureau en incitant le grand capital à s’en remettre à ses méthodes. Cette stratégie allait arriver à un point critique en 2020.

Trump et Hitler

Pour caractériser la dernière année du mandat de Trump, il faut établir une comparaison historique. Dans la déclaration «Non au fascisme américain», nous écrivions:

Négliger, et encore plus nier, le fait que la présidence Trump se développe rapidement en un régime autoritaire de droite, aux caractéristiques nettement fascistes, revient à fermer les yeux sur la réalité politique. Le vieux refrain, «Cela ne peut pas arriver ici»: c’est-à-dire que la démocratie américaine est éternellement à l’abri du cancer du fascisme, est complètement dépassé.

Cela s’est avéré tout à fait exact. Nous savons maintenant que Trump et ses conseillers copiaient consciemment la stratégie d’Hitler et des nazis dans la période qui a précédé la nomination d’Hitler comme chancelier en janvier 1933.

Le rôle de Stephen Miller, en particulier, ne doit pas être sous-estimé ici. Il faisait partie d’une petite poignée de conseillers de confiance de Trump. Il est le seul membre du personnel que Trump n’a jamais attaqué publiquement. Il est clairement un fasciste et un élève attentif d’Hitler.

Miller est le fils de propriétaires libéraux de Santa Monica, en Californie. Son arrière-grand-père a immigré aux États-Unis depuis la Biélorussie pour échapper aux pogroms anti-juifs du tsar. Dans son album des finissants du lycée de Santa Monica, il citait Teddy Roosevelt: «Il ne peut y avoir d’américanisme à 50-50 dans ce pays. Il n’y a de place ici que pour un américanisme à 100 pour cent, que pour ceux qui sont américains et rien d’autre.»

Son ascension à la notoriété nationale était elle-même le produit du Parti démocrate et des partisans de la politique identitaire. Miller est devenu un habitué de CNN et Fox News alors qu’il était un étudiant de Duke âgé de 20 ans lorsque, en tant qu’éminent droitier du campus, il a défendu l’équipe de crosse de Duke contre les allégations selon lesquelles elle aurait violé deux femmes dans une maison de fraternité en mars 2006. Lorsque cela s’est avéré que les étudiants de l’équipe de crosse n’étaient pas, en fait, coupables de viol, Miller a utilisé son rôle d’opposant aux excès de la politique identitaire pour occuper des postes de collaborateurs pour des membres républicains du Congrès, notamment Michelle Bachman, membre de l’extrême droite du Minnesota, et Jeff Sessions, alors sénateur de l’Alabama.

Une fois à la Maison-Blanche, Miller a eu la responsabilité de la politique d’immigration de Trump. Sa stratégie était basée sur les écrits d’Hitler sur le système d’immigration américain. En 1928, Hitler a écrit en approuvant la façon dont la loi américaine sur l’immigration de 1924, promulguée par les deux partis avec la signature du président Calvin Coolidge, excluait les «étrangers de sang» non blancs des États-Unis. Hitler a fait à plusieurs reprises l’éloge de la loi de 1924 et de la loi américaine sur l’immigration en général, qu’il considérait comme un excellent outil de purification raciale.

Dans une série de courriels de 2015 et 2016 ayant fait l’objet d’une fuite et fournis au Southern Poverty Law Center par un ancien rédacteur de Breitbart qui correspondait avec lui, Miller s’est extasié à plusieurs reprises sur la loi sur l’immigration de 1924 dont Hitler était si friand, a fait l’éloge de Coolidge et a cité des sites web fascistes comme American Renaissance, VDARE et le Center for Immigration Studies comme base de ses projets à la Maison-Blanche.

Miller a fait la promotion du roman fasciste «Le Camp des Saints», dont l’intrigue met en scène une horde d’immigrants indiens qui envahissent la France et violent les femmes blanches avec l’aide des socialistes français. Lorsque Miller était étudiant à l’université de Duke, il a travaillé en étroite collaboration avec le néonazi ouvert Richard Spencer, qui a dit de Miller: «Je l’ai très bien connu lorsque j’étais à Duke».

La base anti-immigrée de la stratégie de Trump n’est pas la seule façon dont le président américain s’est modelé sur le Führer allemand. Trump promeut ses théories conspirationnistes du gros mensonge sur la «fuite du laboratoire de Wuhan» et la fraude électorale en imitant Goebbels. Ses discours, dont presque tous sont écrits par Miller, sont remplis de termes directement tirés d’Hitler, y compris des dénonciations des «intérêts spéciaux», du «marxisme culturel», des «médias menteurs» et même des références à des réseaux secrets de «trafic d’enfants» de type QAnon, un spectre qui était régulièrement évoqué par Hitler et ses partisans dans le cadre de leur propagande antisémite.

Les rassemblements de Trump, qu’il a effectués régulièrement pendant son mandat, étaient également des spectacles de nationalisme, de violence et d’anticommunisme. Comme Trump, Hitler et Goebbels menaçaient régulièrement les chahuteurs et encourageaient leurs partisans à les malmener. Dans son livre «Unfathomable Ascent», Peter Ross Range écrit:

Dans la ville industrielle d’Essen, une ville de métallurgistes et de mineurs de charbon, Hitler a attisé la colère d’un public de laissés pour compte qui avait envie d’une vengeance corporelle contre les auteurs de tous les maux: les communistes, les juifs, les grandes entreprises. La foule a rugi lorsque Hitler a approuvé sans détour des tactiques de voyous. Si cinq cents communistes prennent d’assaut la salle remplie de huit mille partisans nazis, Hitler a affirmé qu’il dira simplement à la police: «Laissez-nous faire!» Tout le monde dans l’auditoire d’Hitler savait ce qu’il voulait dire, en particulier les jeunes hommes qui caressaient sans doute des poings américains dans leurs poches.

Même la toile de fond des rassemblements de Trump était un mimétisme bon marché de Leni Riefenstahl. Trump organisait des rassemblements dans des hangars à avions, arrivant à bord d’Air Force One au coucher du soleil et marchant du tarmac sur la scène avant de décoller pour son prochain arrêt.

Trump, comme Hitler, dénonçait régulièrement et pour la forme les excès de son propre mouvement. Ross Range écrit: «Hitler jouait sur les deux tableaux. Sa démonstration de respect pour l’armée et sa revendication d’adhésion à la “légalité” électorale envoyaient des messages apaisants aux militaires et à la société polie. Mais sa menace impitoyable de décapitations sur les places publiques alimentait en viande rouge sa base belliqueuse.» Pour les deux hommes, la politique électorale n’était qu’une méthode parmi d’autres pour ouvrir la voie à la dictature. Elle était privilégiée dans la mesure où elle présentait le risque le plus faible de déclencher une explosion sociale d’en bas, gagnant ainsi le soutien du capital financier, mais elle n’était qu’un moyen de parvenir à une fin autoritaire.

Dans l’un des événements les moins médiatisés de la présidence Trump, à un moment donné fin 2019, Stephen Miller a proposé d’invoquer la loi sur l’insurrection pour «enrôler des troupes dans [leur] guerre personnelle contre l’immigration illégale». Miller proposait de transformer la myriade de gangs fascistes en un détachement parrainé par le gouvernement, une force anti-immigrée composée de civils fidèles à Trump: des membres d’une SA américaine moderne. L’armée a stoppé cette proposition pour l’instant. À peu près à la même époque, Miller et Trump ont également proposé d’abolir la citoyenneté de naissance, inscrite dans le 14e amendement.

La défense par Trump de criminels de guerre tels qu’Eddie Gallagher est également tirée directement de la stratégie d’Hitler. Lorsque cinq membres de la SA avaient été jugés en Silésie pour avoir assassiné un communiste dans la ville de Potempa en 1932, Hitler en a fait des martyrs nationaux. Ross Range écrit: «Hitler était indigné. Il a envoyé très publiquement un télégramme de soutien aux cinq Storm Troopers. “Je me sens lié à vous par une loyauté sans limites”, écrit-il. “Obtenir votre liberté est à partir de ce moment un point d’honneur pour nous”». Cela se lit presque exactement comme les tweets de Trump.

Lors de la conférence CPAC à Dallas en juillet dernier, Miller a conclu son discours en proclamant qu’avec Trump à la tête de leur mouvement renaissant, «Nous triompherons!» C’était une répétition presque mot pour mot du slogan de propagande nazie «Wir warden siegen, weil uns Adolf Hitler führt.» («Nous triompherons, car Adolf Hitler nous dirige.»)

Et le mois dernier, Trump a donné un martyr à son mouvement. Il a fait l’éloge de l’émeutière du 6 janvier, Ashli Babbitt, qui avait été tuée par la sécurité du Capitole, disant qu’elle était une «jeune femme innocente et merveilleuse». Cela aussi est copié sur Hitler, qui a promu le membre de la SA, Horst Wessel, comme un martyr après sa mort en 1930. Le 6 janvier, sur lequel nous reviendrons plus en détail, ressemblait également au «Beer Hall Putsch» de 1923 en termes d’objectifs sous-jacents. Dans les deux cas, il s’agissait de plans qui visaient à enlever des opposants politiques et à exiger le pouvoir d’État par la rançon. Tous deux ont échoué sur le plan tactique. Mais dans les deux cas, ce n’était pas le dernier mot de leur auteur.

La pandémie et la physionomie sociale du «trumpisme»

L’apparition de la pandémie au début de 2020 a choqué une société déjà en crise. En janvier, la pandémie s’est répandue dans le monde entier. Au moment où le coronavirus a atteint les États-Unis, les démocrates étaient engagés dans une campagne de destitution hystérique qui visait à forcer une politique plus belliqueuse envers la Russie. Cette campagne s’est effondrée et a été oubliée presque immédiatement. Les deux partis ont lancé une politique de lutte contre la pandémie qui était fondamentalement fascisante. Des centaines de milliers de personnes devaient être sacrifiées sur l’autel de la production capitaliste.

En mars, ce qui était peut-être la première grève sauvage internationale s’est répandu sur toute la planète, les travailleurs exigeant des fermetures et la mise en place de mesures de sécurité. Aux États-Unis, une poignée de responsables démocrates et républicains – dont Gretchen Whitmer, gouverneur du Michigan, où se concentraient la plupart des débrayages – ont mis en place des restrictions modestes et temporaires. Les marchés boursiers se sont effondrés, enregistrant les plus fortes chutes de points de l’histoire.

La stratégie de la classe dirigeante, Trump en tête, a commencé à se développer et à acquérir une forme plus violente. Leur mantra était que les usines devaient fonctionner et que les marchés devaient grimper, quel qu’en soit le coût humain. Le capital financier a ordonné que l’opposition d’en bas soit réprimée et que milliers de milliards soient transférés aux banques. Une pression énorme, allant jusqu’à la violence, serait exercée sur tout politicien qui hésiterait à ouvrir immédiatement les entreprises et les écoles. Des morts et des profits, à toute vapeur.

Trotsky a clairement indiqué que la petite-bourgeoisie, à l’époque de la décadence capitaliste, peut être inspirée par la résolution révolutionnaire de la classe ouvrière et la suivre dans la lutte pour le socialisme. Mais en l’absence d’un mouvement de la classe ouvrière, comme Trotsky l’a écrit en août 1932: «La grande bourgeoisie, puissante du point de vue économique, ne représente, prise en elle-même, qu’une infime minorité. Pour asseoir sa domination, elle doit entretenir des relations bien définies avec la petite-bourgeoisie et, par l’intermédiaire de cette dernière, avec le prolétariat».

Il poursuit:

Et lorsque la crise revêt une gravité insupportable, un parti se met en avant, avec le but déclaré de chauffer à blanc la petite-bourgeoisie et de diriger sa haine et son désespoir contre le prolétariat. En Allemagne, cette fonction historique est remplie par le national-socialisme, large courant dont l’idéologie se forme à partir de toutes les exhalaisons putrides de la société bourgeoise en décomposition.

Au cours des mois qui ont suivi les premières fermetures, la base sociale du mélange de fascisme américain de Trump s’est cristallisée et son essence est apparue plus clairement. Le capital financier, à travers Trump, a mobilisé les propriétaires de magasins et les couches de la petite-bourgeoisie professionnelle comme troupes de choc contre la classe ouvrière. Bien qu’il ne s’agisse probablement pas de la majorité de ces couches, un ensemble profondément arriéré d’agents immobiliers, de propriétaires de salons de coiffure, d’anciens combattants, de soldats hors service et de restaurateurs est devenu de plus en plus enragé et violent. Le bilan des morts s’est alourdi, tout comme la colère sociale face à la politique de mort et de profits du gouvernement, et Trump a brandi ses gros mensonges pour faire de la Chine le bouc émissaire des crimes de la classe dirigeante américaine.

En avril, Trump a tweeté «LIBÉREZ» le Michigan, le Minnesota et la Virginie suite à l’imposition par les gouverneurs démocrates de ces États de légères restrictions pour arrêter la propagation de la pandémie. En avril et mai, les partisans de Trump et des milices fascistes ont manifesté devant les capitoles des États avec leurs fusils d’assaut, exigeant la fin de toutes les mesures d’atténuation du COVID-19 et le retour au travail.

Trump a haussé le ton en affirmant que les bulletins de vote par correspondance étaient frauduleux et que les démocrates, les immigrants illégaux et les socialistes complotaient pour voler l’élection. En mai, Trump a menacé de fermer Twitter après que l’entreprise a informé les utilisateurs que ses affirmations sur la fraude des bulletins de vote par correspondance étaient fausses. Les crimes haineux contre les Asiatiques sont devenus plus courants en raison des efforts déployés pour faire de la Chine un bouc émissaire. Ce fut une véritable célébration du meurtre social, de l’«Être-vers-la-mort» de Heidegger, du «Viva La Muerte» de Francisco Franco. Les marchés se sont réjouis lorsque Trump a déclaré en mai que les États-Unis rouvriraient leurs portes, «vaccin ou pas».

Le 25 mai, George Floyd a été assassiné par la police de Minneapolis. Huit pour cent de la population américaine totale devait participer aux manifestations qui ont suivi à travers le pays.

À partir de son discours de la Maison-Blanche du 1er juin, Trump a répondu à l’opposition croissante à ses politiques par une tentative de plusieurs mois d’invoquer la loi sur l’insurrection, d’imposer la loi martiale, d’annuler les élections si nécessaire et de déclarer que les manifestants étaient des terroristes sujets à une incarcération de masse sans procès. Une telle démarche aurait fermement établi sa direction sur l’armée.

La signification de la tentative de coup d’État du 1er juin

Dans la soirée du 28 mai, Trump a dénoncé les manifestations de masse qui s’étaient répandues dans tout le pays, qualifiant les manifestants de «VOYOUS». Il a averti: «Quand le pillage commence, les tirs commencent».

Le 30 mai, il a tweeté que les manifestants à la Maison-Blanche allaient être «accueillis par les chiens les plus agressifs, et les armes les plus imposantes», et qu’ils seraient «très gravement blessés, au minimum». Dans leur livre «I Alone Can Fix It», les journalistes Carol Leonning et Philip Rucker décrivent des délibérations internes qui confirment exactement ce que le WSWS écrivait au moment de la tentative de putsch de juin. Lors d’une réunion stratégique à la Maison-Blanche le 30 mai, Stephen Miller, toujours dans le cercle restreint, a plaidé pour l’invocation de la loi sur l’insurrection. «Monsieur le président, vous devez faire preuve de force. Ils sont en train de brûler le pays», a-t-il déclaré.

Le président des chefs d’état-major interarmées, le général Mark Milley, également présent à la réunion, a fait valoir que l’invocation de la loi sur l’insurrection conduirait à une escalade draconienne de la crise. Il ne s’est pas opposé à la loi martiale en tant que défenseur des droits démocratiques, mais en tant que défenseur des joyaux de la couronne de l’État américain. L’armée était prête à écraser une insurrection, disait Milley, mais le moment n’était pas encore venu.

Le 1er juin, Trump était enragé par la couverture médiatique de sa retraite dans le bunker de la Maison-Blanche alors que les manifestants affluaient dans la zone. Il a de nouveau envisagé d’invoquer la loi sur l’insurrection, mais Esper le lui a déconseillé.

Trump «a frappé sur le bureau inébranlable et a crié qu’Esper ne l’aidait pas à résoudre le problème». Il a suggéré à Milley de commander une opération militaire pour prendre le contrôle de Washington DC et réprimer les protestations. Les militaires ont refusé. «Maintenant rouge au visage, Trump a exigé que quelqu’un lui fournisse une solution parce que ce chaos dans les rues exigeait une réponse immédiate et écrasante». Trump a crié: «Vous êtes tous foutus, chacun d’entre vous est foutu».

Bien que Trump n’eut pas encore ordonné l’invocation de la loi sur l’insurrection, Leonning et Rucker écrivent qu’«Esper a senti que le président était sur le point de leur donner l’ordre direct de déployer les soldats». Pour devancer cet ordre, Esper a promis 5.000 soldats supplémentaires de la Garde nationale et 5.000 agents fédéraux chargés de faire respecter la loi. Trump était frustré, mais il aurait accepté.

Immédiatement après cette réunion, Trump, le procureur général William Barr, Esper et Milley ont tenu une conférence téléphonique avec les gouverneurs au sujet des manifestations. Lors de cette réunion, Trump a déclaré que Milley était «responsable» de l’opération, ce qui contredisait les demandes de contrôle civil formulées par les militaires. Néanmoins, Esper et Milley ont tous deux répété la nécessité de «dominer l’espace de combat».

Trump a exprimé son attitude à l’égard de toutes les formes d’opposition sociale. «C’est un mouvement», a-t-il déclaré, sans ambages. «Si on ne l’écrase pas, il deviendra de pire en pire». Le Parti démocrate a acquiescé et a déployé la police ou la garde nationale pour écraser les protestations dans presque tous les grands États et villes démocrates.

Après la réunion, les collaborateurs de plusieurs gouverneurs qui ont participé à l’appel ont cru que le président était sur le point d’imposer la loi martiale.

Plusieurs personnalités militaires de haut niveau se sont réunies l’après-midi même pour tenter d’empêcher Trump d’invoquer la loi sur l’insurrection. Il semblait probable que l’armée refuserait les ordres d’imposer la loi, et Trump craignait de faire tout geste qui pourrait entraîner une rupture définitive avec le Pentagone.

Cet après-midi-là, Trump a prononcé son infâme discours de la roseraie, déclarant qu’il «envoyait des milliers et des milliers de soldats, de militaires et d’agents des forces de l’ordre lourdement armées pour mettre fin aux émeutes, aux pillages, au vandalisme, aux agressions et à la destruction gratuite de biens». Il a ajouté: «Si une ville ou un État refuse de prendre les mesures qui s’imposent… alors je déploierai l’armée américaine et je résoudrai rapidement le problème pour eux».

Plus tard dans la soirée, Esper et Milley ont marché avec Trump à travers le square Lafayette, que la police fédérale venait de débarrasser des manifestants pacifiques avec une force brutale. Selon Leonning et Rucker, «certains assistants de la Maison-Blanche ont dit à Barr, Esper et Milley de se mettre à quelques pas derrière Trump, permettant à Trump de mener seul l’entourage». Trump s’est fait photographier tenant une bible devant l’église Saint-John. Ce soir-là, Esper s’est fait photographié en train de rencontrer des membres déployés de la Garde nationale.

Bien que des questions subsistent sur les efforts de Milley et d’Esper pour jouer sur les deux tableaux, les militaires ont considéré l’expulsion des manifestants du square Lafayette comme une tentative de Trump d’établir son contrôle sur l’armée par le biais du secrétaire à la Défense et du président des chefs d’état-major. Sous l’immense pression des forces armées, Esper a donné une conférence de presse le 3 juin dans laquelle il a tenté d’excuser son comportement, affirmant qu’il avait été induit en erreur pour apparaître avec Trump. Il a faiblement déclaré qu’il pensait inspecter une salle de bain à proximité et a explicitement déclaré que le ministère de la Défense s’opposait à l’invocation de la loi sur l’insurrection. «L’option d’utiliser les forces en service actif dans un rôle de maintien de l’ordre ne devrait être utilisée qu’en dernier recours, et seulement dans les situations les plus urgentes et les plus graves», a-t-il déclaré.

Peu après la conférence de presse d’Esper, Esper et Milley se sont rendus dans le bureau ovale pour rencontrer Trump. Ce dernier aurait crié à Esper: «Tu m’as trahi! Tu es un putain de faible! C’est quoi ces conneries? Je prends les décisions sur la loi sur l’Insurrection. Je suis le président, pas toi. C’est une question d’autorité présidentielle. C’est la prérogative présidentielle».

Le 10 juin, Trump a ciblé les manifestations sociales à Seattle et Portland. Il a affirmé que les manifestants étaient des «terroristes» et il a exigé à nouveau le déploiement de l’armée, bien qu’il y avait opposition au sein de son cabinet.

En août, Trump a de nouveau exigé le déploiement de l’armée à Portland pour expulser un camp de protestataires. La police fédérale, sans badge, a commencé à arrêter des gens dans la rue et à les emmener dans des voitures banalisées. Lorsque Trump a de nouveau exigé l’imposition de la loi sur l’insurrection, le procureur général Barr a expliqué que la loi martiale risquait de déclencher un massacre qui susciterait une réaction incontrôlable de la population. «Pour chaque loi qui fonctionne, il y a un Waco où des gens sont tués», a-t-il déclaré.

Le 25 août, le fasciste Kyle Rittenhouse a assassiné des manifestants à Kenosha, au Wisconsin, et a été félicité par le président pour avoir exercé ses droits. Cinq jours plus tard, l’antifasciste Michael Reinoehl a été assassiné par des agents fédéraux à Lacey, dans l’État de Washington, et dénoncé par Trump comme un communiste et un criminel qui méritait de mourir.

L’élection de 2020

En septembre 2020, les sondages ont montré que Trump perdait lourdement face à Biden, en grande partie en raison de la mort massive et de la souffrance sociale causées par la réponse du gouvernement à la pandémie. Trump a intensifié les allégations de fraude électorale et a ordonné à ses partisans de ne pas voter par courrier. Le 23 septembre, Trump a déclaré lors d’une conférence de presse qu’il n’accepterait pas le résultat de l’élection s’il perdait. «Nous allons devoir voir ce qui se passe… les bulletins de vote sont un désastre», a-t-il déclaré.

Le 24 septembre, il a déclaré lors d’un rassemblement en Caroline du Nord qu’il n’était «pas sûr» que l’élection serait équitable. Lors du premier débat présidentiel, le 29 septembre, on lui a demandé de condamner les Proud Boys, ce à quoi il a répondu: «Proud Boys, soyez proches et soyez prêts». Biden a continué à ignorer ces menaces, affirmant qu’elles n’étaient que la preuve de l’instabilité de Trump, et non une partie d’une stratégie fasciste qui visait à renverser l’élection. Au lieu de cela, Biden a demandé à ses partisans de rester calmes.

Début octobre, Trump a été déclaré positif au COVID-19 et a failli mourir. Le 5 octobre, il a exigé de quitter l’hôpital Walter Reed et de retourner à la Maison-Blanche pour être au centre de son complot en cours. Il a produit une vidéo de son retour qui imite presque exactement le film de propagande fasciste de Leni Riefenstahl pour Hitler, «le triomphe de la volonté» (Triumph of the Will), plan pour plan.

La nuit du 7 octobre, alors que la campagne électorale atteignait son paroxysme et que le nombre de morts du COVID-19 entrait dans sa deuxième vague, le FBI a arrêté les membres d’une unité paramilitaire fasciste qui prévoyait d’enlever la gouverneure démocrate Gretchen Whitmer et de faire une descente au Capitole de l’État du Michigan afin de déclencher un soulèvement. Leur principal grief était que Whitmer avait imposé des restrictions temporaires aux entreprises en raison de la pandémie et que les démocrates prévoyaient de voler l’élection. Ils s’étaient rencontrés et avaient organisé leur complot lors de manifestations appelées par Trump pour «libérer» l’État. Le 8 octobre, Trump a réagi à la nouvelle en attaquant Whitmer, affirmant à tort qu’elle avait fermé des églises pendant la pandémie.

Le 15 octobre, Trump a défendu la théorie fasciste du complot QAnon, déclarant que ses adhérents «sont très opposés à la pédophilie. Ils la combattent très durement». Lors d’un rassemblement dans le Michigan le 17 octobre, il a dénoncé les restrictions COVID-19 de Whitmer alors que la foule scandait «Enfermez-la!» Le 19 octobre, les associations de shérifs et de policiers du Michigan ont annoncé qu’elles ne feraient pas respecter une proposition d’interdiction des armes d’assaut dans les bureaux de vote. Le 27 octobre, Trump a de nouveau minimisé le complot et répété ses dénonciations de Whitmer. On sait maintenant que certains shérifs, dont celui du comté de Barry, Darr Leaf, avaient prévu de confisquer les urnes afin qu’elles ne puissent pas être comptées.

Le jour de l’élection, Trump s’apprêtait à déclarer sa victoire et à demander l’arrêt du comptage des bulletins de vote par correspondance, qui devaient être comptabilisés après le comptage des bulletins de vote en personne, qui pencheraient fortement en sa faveur. Il a transformé la Maison-Blanche en son quartier général de la soirée électorale, rompant ainsi avec la tradition.

L’armée se préparait à nouveau à l’éventualité d’une explosion sociale massive. Selon Leonning et Rucker:

À Washington, le triumvirat qui avait dépensé tant d’énergie cet été et cet automne pour empêcher Trump de déployer des troupes de service actif dans les rues des villes américaines – Esper, Milley et Barr – suivait les renseignements et les médias sociaux pour détecter tout signe d’agitation le jour de l’élection… Le trio était également sur ses gardes pour la possibilité que Trump invoque la loi sur l’insurrection d’une manière ou d’une autre pour réprimer les protestations ou pour perpétuer son pouvoir en intervenant d’une manière ou d’une autre dans l’élection… Si Trump gagnait, des troubles civils importants étaient attendus dans plusieurs villes».

Tard le soir de l’élection, Trump a tenu une conférence de presse et a déclaré qu’il avait gagné l’élection et que Biden commettait une fraude.

Malgré la campagne sclérosée de Biden en sous-sol, le 3 novembre 2020, plus de 80 millions de personnes ont voté pour chasser Donald Trump de la Maison-Blanche, dans un rejet populaire massif de sa vision brutale de l’avenir. Quinze millions de personnes de plus ont voté contre lui en 2020 qu’en 2016.

Mais pour l’État, ce n’est pas la différence de sept millions de voix qui a déterminé qui serait le prochain président. C’était l’armée, qui a clairement indiqué qu’elle ne soutiendrait pas Trump s’il tentait de rester au pouvoir, et elle est devenue la faiseuse de rois à Washington. Trump a licencié Esper et a tenté de promouvoir ses propres loyalistes à la tête de l’armée, du FBI et de la CIA. Il voulait également renvoyer Milley, mais n’a pas pu le faire, car les hauts gradés de l’armée lui ont dit qu’ils démissionneraient en masse s’il le faisait. Ces détails feront l’objet du prochain rapport.

Le rôle du Comité international et du WSWS

Tant le putsch que la réponse du Parti démocrate témoignent non pas de la force du pouvoir de la classe capitaliste, mais de sa faiblesse. Dans sa conférence de novembre 2020 prononcée en pleine crise électorale, David North a écrit:

Les événements qui prennent place actuellement aux États-Unis signifient la fin d’une longue période où les affaires du capitalisme mondial pouvaient être menées en toute sécurité des États-Unis. Les États-Unis ne peuvent désormais plus jouer ce rôle. La crise aux États-Unis a mis à l’ordre du jour la viabilité du système capitaliste et elle offre assurément l’occasion pour que la classe ouvrière agisse comme une force historique décisive. C’est ce qui se prépare. Bien qu’elle n’ait pas encore atteint ce point dans son développement, la classe ouvrière américaine fera sentir sa présence. Les gens ont maintenant leur mot à dire sur la façon dont la crise se réglera. Si ce n’est pas au cours de la semaine, du mois, des six mois ou même de l’an qui vient, nous n’aurons pas à attendre trop longtemps avant de commencer à voir un mouvement de cette force sociale immensément puissante qu’est le prolétariat américain.

Nous assistons actuellement au début de ce processus. Les grèves de la période récente montrent non seulement le développement objectif de la lutte des classes, mais aussi le rôle crucial que notre parti y a joué. L’effondrement ignominieux de l’occupation américaine en Afghanistan, après 20 ans de guerre et des centaines de milliers de morts, est une étape importante dans l’effondrement de l’empire américain. Cela aura un impact profondément révolutionnaire sur la conscience des travailleurs du monde entier. Les révolutions russes de 1905 et 1917 se sont déroulées dans un contexte de défaites militaires importantes des armées du tsar, tout comme les révolutions allemandes qui ont suivi la Première Guerre mondiale. Tout se résume à la crise de la direction révolutionnaire. Ce serait une grave erreur pour les camarades de sous-estimer l’importance de l’immense autorité politique dont le Comité international est porteur dans la situation actuelle.

Aujourd’hui, les déclarations des plénums du Comité international, les documents sur les perspectives et les livres comme «Un quart de siècle de guerre» (A Quarter Century of War), «La révolution russe et le vingtième siècle inachevé» (The Russian Revolution and the Unfinished Twentieth Century) et «La crise de la démocratie américaine» (The Crisis of American Democracy), ainsi que la couverture quotidienne du World Socialist Web Site, semblent étonnamment prophétiques. Ce n’est pas le produit de la clairvoyance, mais de l’effort constant, au cours de plusieurs décennies et de luttes internes critiques, visant à assimiler toutes les expériences politiques de la classe ouvrière et transformer cette compréhension en un programme combatif d’action révolutionnaire.

Nous n’avons pas seulement prévu la crise, la guerre et la catastrophe économique, nous avons également compris que plus les tremblements de terre produits par le déplacement des plaques tectoniques de la société capitaliste étaient intenses, plus un nouvel avenir socialiste émergerait avec force pour fracasser l’ordre ancien. Ce qui manquait, c’était une direction révolutionnaire. Il est maintenant de notre devoir historique de renforcer les liens de cette continuité historique et de porter les traditions du mouvement socialiste dans les luttes de la classe ouvrière. C’est la seule façon de préparer le parti et la classe ouvrière aux bouleversements révolutionnaires à venir.

(Article paru en anglais le 18 août 2021)

Loading