Les Morénistes chiliens répandent des illusions sur la Convention constitutionnelle

Maria Rivera, leader d’un groupe connu sous le nom de Mouvement ouvrier international (MIT), section chilienne de l’organisation moréniste Ligue internationale ouvrière-Quatrième internationale (LIT-QI), est promue par les grands médias dans le contexte d’une situation politique et sociale volatile.

Rivera a remporté un siège à la Convention constitutionnelle comme candidate indépendante sur la Liste du peuple – un regroupement hétéroclite et anti-parti. Elle a bénéficié d’un temps d’antenne extraordinaire durant les deux derniers mois. Elle est apparue dans plusieurs débats et talk-shows, ce qui ne se serait jamais produit avant les manifestations anticapitalistes de 2019 et le gouffre politique qu’elles ont révélé.

Capture d’écran de Maria Rivera dans l’émission «Mentiras Verdaderas» diffusée sur La Red

Elle a participé à un débat avec des électeurs de droite et du Parti social sur CHV Noticias, et elle est apparue dans l’émission «Mentiras Verdaderas» de la plate-forme de télévision «La Red». On l’a vue dans l’émission «Aquí se Debate» retransmise par CNN Chili. Elle a donné une interview de trois quarts de page à l’archi-conservateur El Mercurio, s’est exprimée dans La Nación, le périodique « de gauche » El Ciudadano et plusieurs autres périodiques.

Derrière cette attention médiatique il y a les calculs de la bourgeoisie chilienne qui tente, par la mise en place de la Convention constitutionnelle, de redonner une légitimité à un État capitaliste profondément discrédité. De nouvelles forces politiques sont créées et d’autres renforcées pour faire face à l’anéantissement électoral subi par la vieille caste politique, profondément détestée, qui avait émergé lors de la transition du régime militaire au régime civil il y a trois décennies. Toutes les institutions de l’État et les partis politiques traditionnels restent profondément impopulaires.

Cette crise du pouvoir n’a fait que s’accentuer depuis la pandémie de COVID-19. La coalition de partis de droite du gouvernement de Sebastián Piñera n’a pratiquement rien fait pour atténuer l’impact de la pandémie sur la classe ouvrière au milieu d’une crise sanitaire, sociale et économique qui est la plus grave depuis des décennies.

L’ancienne coalition de centre gauche – comprenant le parti socialiste, les démocrates-chrétiens, les radicaux et le Parti pour la démocratie – étant elle-même en lambeaux, la bourgeoisie promeut activement toute une série de forces dites indépendantes ou non alignées sur un parti, apparues pour avoir une position de force dans l’assemblée constituante. Nombre d’entre elles sont devenues politiquement actives pour la première fois suite aux manifestations historiques et de l’horrible répression qui a suivi. Non testés et relativement inconnus, la classe dirigeante est en train de les jauger pour déterminer lesquels seront utiles pour piéger la classe ouvrière dans la politique parlementaire.

Cela est d’autant plus urgent que la classe ouvrière s’est jusqu’à présent abstenue en grand nombre de participer au processus électoral. Le taux de participation moyen n’a été que de 22 pour cent lors des primaires organisées en juillet en vue des élections présidentielles de cette année.

Le Frente Amplio (FA), ou «Front large», a formé une alliance électorale avec le Parti communiste stalinien (PCCh) et a présenté deux candidats aux primaires de la pseudo-gauche. Le FA a présenté Gabriel Borić, ancien leader étudiant et député à la Chambre basse, qui a obtenu un million de voix contre 692.862 pour Daniel Jadue, membre du PCCh et maire de Recoleta, une commune de Santiago.

À droite, la coalition Chile Vamos a organisé des primaires le même week-end, à la mi-juillet. Aucun des quatre candidats n’a égalé les votes de Borić ou Jadue. Sebastián Sichel, un candidat relativement inconnu qui a été ministre du Développement social de Piñera, est arrivé le plus près, remportant 659.570 voix.

La coalition du FA est elle-même un amalgame instable, en constante évolution, de partis radicaux, féministes, écologiques et libertaires petits-bourgeois, issus des rébellions étudiantes de la dernière décennie. Nombre de ses leaders étudiants occupent depuis des postes dans le monde universitaire, la bureaucratie syndicale, la fonction publique et le corps législatif. D’où l’importance de leur vote auprès d’un électorat plus aisé, composé principalement de jeunes de la classe moyenne professionnelle.

Les primaires ont également démontré que le soutien du Frente Amplio faiblit dans les secteurs pauvres et marginalisés de la classe ouvrière de Santiago. Alors que les communes orientales de la classe moyenne supérieure de Las Condes, Vitacura, Lo Barnechea ont enregistré entre 40 et 55 pour cent de participation à ces primaires, dans les communes ouvrières de Santiago où la pauvreté multidimensionnelle atteint 25 pour cent, moins d’un quart des électeurs ont voté. Cette fracture de classe se répète dans tout le pays.

Elle a également été révélée par un coup de pub qui aurait pu finir bien plus mal qu’il n’a fini. Fin juillet, Borić a rendu visite à des manifestants anti-gouvernementaux qui croupissent au pénitencier de Santiago 1 depuis 22 mois, en attente de leur procès ou purgeant de lourdes peines. Le candidat présidentiel de la pseudo-gauche entendait profiter des demandes croissantes d’amnistie pour des milliers de prisonniers, principalement de la classe ouvrière, détenus sur la base d’accusations forgées de toutes pièces pour avoir participé aux manifestations de 2019.

Au lieu d’être traité en héros, Borić s’est fait chahuter et railler par les proches des manifestants incarcérés. Impassible, il s’est rendu à l’intérieur de la prison – sans y avoir été invité – et s’est fait accoster avant que les gardiens n’interviennent et le fassent sortir. Le lendemain, un groupe se faisant appeler «Prisonniers politiques de la révolte» a publié un communiqué réprimandant le candidat.

«Nous, prisonniers, n’avons pas été informés de sa visite. Qu’une personne qui a joué un rôle actif dans la promulgation de lois répressives et le durcissement des peines liées à l’éruption sociale, ait rendu visite, nous semble être un profond manque de respect», ont déclaré les prisonniers.

«L’agression (subie par Borić) est une conséquence de ses actions et de son dilettantisme politique qui l’a conduit à conclure des pactes… qui ont mené aux terribles conditions de vie ayant forcé le peuple à se soulever contre tant d’injustices ; parmi ceux-ci il y a : l’Accord pour la paix, la loi anti-barricades, la loi anti-sabotage.»

Les manifestations étudiantes, initiées en octobre 2019 à propos des frais de transport public, sont devenues un mouvement anticapitaliste de masse impliquant des millions d’étudiants, de jeunes, de travailleurs et de gens de la classe moyenne, dirigé contre des décennies d’inégalités sociales extrêmes, de violence policière et en particulier en réaction à la répression autoritaire du président Piñera. L’état d’urgence avait été décrété pour la première fois depuis la dictature militaire, les forces armées patrouillant dans les rues.

Les manifestations sont devenues de plus en plus conflictuelles alors que l’ensemble de l’appareil répressif se déchaînait contre les travailleurs et les jeunes. Des dizaines de personnes ont été tuées ou ‘disparues’, des centaines ont subi des traumatismes graves, des blessures et des mutilations. Des passages à tabac, violences sexuelles, viols et tortures ont commencé à être commis en toute impunité. 34 de ces cas, qui reposent aujourd’hui sur des accusations de «crimes contre l’humanité», ont été présentés à la Cour pénale internationale par le juge Baltasar Garzón en croisade contre Piñera et les autorités civiles et militaires.

C’est dans ces conditions que Borić et un certain nombre d’autres parlementaires du FA se sont joints aux partis d’extrême droite, de centre et de gauche pour un «Accord pour la paix sociale et une nouvelle Constitution», comme moyen cynique de désamorcer la situation et de détourner le sentiment anticapitaliste vers des appels à réformer la constitution autoritaire. Dans le même temps, ces forces de pseudogauche ont également apporté leur soutien à une série de projets de loi autoritaires criminalisant la protestation sociale.

Le MIT apporte son soutien à l'État capitaliste

Maria Rivera, du MIT Moréniste, est avocate et fondatrice du groupe de défense «Défense populaire» qui s’occupe de la défense juridique de prisonniers de groupes de guérilla maoïste, comme le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) et le Front patriotique Manuel Rodríguez (FPMR), ainsi que de plusieurs anarchistes. Anciennement membre du MIR, Rivera a été capturée et torturée par la police secrète avant d’être exilée en Argentine en 1983. Elle y a rejoint le Mouvement pour le socialisme (MAS) moréniste, qui faisait alors partie d’une coalition de front populaire avec le Parti communiste stalinien d’Argentine, avant de retourner au Chili en 1990, lors de la transition vers un régime civil. Elle est restée au sein de la LIT-CI depuis lors, formant le MIT comme sa section chilienne.

En d’autres termes, c’est là quelqu’un qui a une longue expérience de la politique opportuniste nationale centriste latino-américaine qui se fait passer pour du socialisme. Les politiciens de son acabit utilisent une phraséologie à consonance révolutionnaire et prétendent appartenir à la Quatrième Internationale trotskiste, mais leur fonction historique a été de lier la classe ouvrière à diverses formes de nationalisme petit-bourgeois et bourgeois.

Au cours de ses 70 ans d’existence, la tendance politique identifiée comme le pablisme, ainsi que sa variante latino-américaine, le morénisme, a semé des illusions dans les caudillos nationalistes bourgeois comme Juan Domingo Perón ou les réformistes bourgeois du type Salvador Allende. Le morénisme est passé du soutien à la guérilla castriste petite-bourgeoise à la formation de coalitions de type Front populaire avec les staliniens, avec des résultats désastreux dans les deux cas. Sa principale fonction est de maintenir la classe ouvrière subordonnée au nationalisme bourgeois et à l’État capitaliste en Amérique latine, ce qui a conduit à maintes reprises à des défaites sanglantes.

En participant à la Convention constitutionnelle, les actions de Rivera montrent que les Morénistes vont une fois de plus tenter de lier la classe ouvrière à l’État capitaliste. C’est pourquoi ses services sont tant demandés.

En novembre 2019, le MIT a affirmé être opposé à l’Accord de paix, a appelé à la chute du gouvernement Piñera, a lancé des appels à l’expropriation des familles les plus riches du Chili et déposé une plainte contre Piñera pour crimes contre l’humanité devant les tribunaux chiliens.

«Nous ne participerons à aucun processus constituant tant que les prisons sont toujours remplies de jeunes gens de la ligne de front (des protestations sociales)», a affirmé Rivera. Elle a demandé la libération immédiate de tous les prisonniers politiques, ajoutant que la mission était «de vaincre le gouvernement Piñera.»

Un an plus tard, dans une déclaration à la presse du MIT, Rivera affirmait qu’il était « important de participer au processus constitutif… il est crucial d’avoir des candidats qui représentent la révolution et qui refusent de vendre de fausses promesses, mais qui disent clairement que la seule façon de changer nos vies est de lutter».

Six mois plus tard, en mai de cette année, le MIT écrivait: «Nous allons à l’Assemblée constituante pour utiliser ce front davantage pour lutter, et non pour négocier des accords avec les mêmes vieux (partis)…»

Pourtant, à Resumen, elle a dit: «Il n’y a aucune possibilité de négocier avec les partis traditionnels, tant qu’ils n’adoptent pas ces demandes; cela n’a aucun sens, en tout cas je ne suis pas disposée à négocier la liberté des prisonniers politiques…»

Et à El Mercurio: «Si nous parvenons à ce qu’une majorité populaire fasse une mobilisation, une grève générale, nous pourrons exiger que la Convention décrète la libération des prisonniers politiques par les moyens discutés. Pour nous, c’est une lutte acharnée. Avec cette prison politique, je vous assure que les problèmes du Chili ne commenceront pas à être résolus».

Au deuxième jour de la Convention constitutionnelle, en juillet, les proclamations incendiaires de Rivera étaient parties en fumée.

«Je regrette que dans le discours (de la présidente de la convention, la dirigeante des Mapuches) Elisa Loncón n’ait pas pensé à rejeter ou répudier la répression et à exiger la liberté des prisonniers politiques… Sinon, c’est un discours progressiste; d’ailleurs elle parle d’approfondir la démocratie. La vérité est qu’on doit changer cet état de choses et non approfondir la misérable démocratie que nous avons.»

Malgré toute la crânerie révolutionnaire, le fait est que Rivera, le MIT et le reste de la pseudo-gauche sont aussi terrifiés que tout l’État capitaliste des eaux inconnues où ils pénètrent. L’appel à la libération des prisonniers de la révolte sociale est une tentative de dissiper une situation volatile qui peut facilement éclater et qu’ils pourraient ne pas être en mesure de contrôler.

En opposition à ce type de politique petite-bourgeoise réactionnaire, les véritables trotskystes du Comité international de la Quatrième Internationale se battent pour forger l’indépendance politique de la classe ouvrière par la lutte pour un programme socialiste et internationaliste. Il faut rendre les travailleurs conscients de leur immense pouvoir social et de leur mission historique, qui est de renverser le capitalisme et le système de l’État-nation.

(Article paru d’abord en anglais le 23 août 2021)

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