Les experts préviennent que l’Inde se dirige rapidement vers une «troisième vague» du COVID-19

Alors que le gouvernement indien d’extrême droite du Bharatiya Janata Party (BJP) et ses homologues au niveau des États, qu’ils soient dirigés par le BJP ou par l’opposition, abandonnent de plus en plus les restrictions, même limitées, concernant le COVID-19, l’Inde continue d’enregistrer 30.000 à 40.000 nouvelles infections et 350 à 500 décès, en moyenne, chaque jour. Le virus continuant à circuler dans le pays à un rythme aussi élevé, les experts scientifiques préviennent qu’une troisième vague mortelle de la pandémie, alimentée par le variant Delta, beaucoup plus contagieux et mortel, pourrait bientôt frapper.

Le taux extrêmement faible de dépistage du COVID-19 en Inde rendra difficile l’évaluation de la rapidité et de l’étendue de la propagation du virus lorsqu’une troisième vague frappera. Le déploiement bâclé des vaccins dans le pays a laissé la grande majorité des 1,39 milliard d’Indiens sans aucune protection contre la maladie grave et la mort. En outre, le système de santé du pays, largement rudimentaire et appauvri, notamment dans les zones rurales où vivent les deux tiers de la population, n’est pas en mesure de traiter une autre vague de patients atteints du COVID-19 comparable à celle d’avril et mai. Même à cette époque, face à un tsunami de cas, les hôpitaux des plus grands centres urbains de l’Inde, Delhi et Mumbai, ont manqué de lits, d’oxygène et de médicaments essentiels, ce qui a entraîné une mortalité de masse.

Un agent de santé prélève un échantillon de la bouche d’un garçon du Cachemire pour effectuer un test de dépistage du COVID-19 à Srinagar, dans le Cachemire sous contrôle indien, le samedi 8 mai 2021. (AP Photo/Dar Yasin)

Lundi, un groupe d’experts réuni sous les auspices du ministère de l’Intérieur du gouvernement Modi a averti que la troisième vague pourrait être aussi importante que la deuxième. Si le rythme des vaccinations reste lent, le groupe d’experts a prédit qu’il y aurait jusqu’à 500.000 nouveaux cas par jour au pic prévu de la troisième vague, fin septembre ou octobre. Des projections encore moins spectaculaires, basées sur une meilleure couverture vaccinale, estimaient qu’entre 200.000 et 320.000 nouvelles infections seraient enregistrées chaque jour.

Soulignant la propagation mondiale continue du COVID-19, alimentée par le Delta et d’autres nouveaux variants, la Dre Pooja Khosla de l’hôpital Sir Ganga Ram de Delhi a récemment lancé un avertissement: «Les infections peuvent augmenter de manière exponentielle à tout moment.» S’adressant à l’Hindusthan Times, elle a ajouté: «Je pense qu’il ne faut rien présumer et faire tous les efforts possibles pour éviter une deuxième crise semblable à celle de la vague précédente, qui a été un cauchemar. (...) Tout rouvrir n’est pas approprié.»

Dans une enquête réalisée par Reuters en juin, 40 spécialistes des soins de santé, médecins, scientifiques, virologues et épidémiologistes du monde entier ont prédit qu’une troisième vague d’infections à coronavirus est susceptible de frapper l’Inde d’ici octobre. Les experts, rapporte Reuters, «ont mis en garde contre une levée anticipée des restrictions, comme l’ont fait certains États».

Ces mises en garde ont été renforcées par les résultats de la quatrième et dernière enquête sérologique du Centre indien de recherche médicale (ICMR). Menée entre le 14 juin et le 6 juillet, et basée sur des échantillons prélevés sur 29.000 personnes dans 70 districts de 21 États, elle a conclu que 67,6% de la population indienne a développé des anticorps au SRAS-CoV-2. Si les résultats sont exacts, cela signifierait que les autorités sanitaires indiennes sont passées «à côté» de l’écrasante majorité des cas de COVID-19, enregistrant même moins de 2% de toutes les infections dans des États densément peuplés comme l’Uttar Pradesh et le Bihar. Cela témoigne de l’état déplorable du système de santé indien et de l’échec catastrophique de la réponse de l’État à la pandémie. Cela donne également encore plus de crédibilité au nombre croissant d’études scientifiques qui estiment à plusieurs millions le nombre réel de décès dus à la pandémie en Inde.

Dans le même temps, l’enquête sérologique met en évidence la menace extrêmement grave que représente une troisième vague pour la population, dont la majorité vit dans des bidonvilles surpeuplés ou dans des zones rurales sans accès facile à des soins médicaux appropriés. Selon les résultats de l’enquête sérologique, 450 millions d’Indiens – une population plus importante que celle des États-Unis – ne sont pas immunisés contre le COVID-19, une perspective effrayante compte tenu du démantèlement systématique de toutes les mesures de santé publique visant à contenir et à supprimer le virus.

Les efforts déployés par l’Inde pour séquencer les génomes afin de détecter les variants émergents ont également été considérablement réduits. Et ce, bien que le gouvernement ait désigné un variant Delta-plus comme «variant préoccupant» le 22 juin. Les recherches préliminaires suggèrent que la souche Delta-plus du SRAS-CoV-2 est encore plus contagieuse et résistante aux vaccins que le variant Delta, qui, après avoir ravagé l’Inde, alimente désormais une résurgence mondiale de la pandémie.

Citant les données du Consortium national de génomique du SRAS-CoV-2 (INSACOG), un réseau de 28 laboratoires indiens équipés pour le séquençage du génome du coronavirus, le Hindu rapporte qu’en juillet, seuls 184 échantillons de génome ont été séquencés. Il s’agit d’une forte baisse par rapport à juin, où 4.381 échantillons avaient été séquencés. En avril et mai, lorsque la deuxième vague dévastatrice était à son apogée, 15.546 et 13.142 échantillons ont été séquencés respectivement. Un scientifique de l’un des laboratoires de l’INSACOG s’est plaint que de nombreux États n’envoyaient pas assez d’échantillons et que les «fonds mis à la disposition des laboratoires pour effectuer les séquences» ont été «retardés».

Le refus du gouvernement central et des gouvernements des États de financer les mécanismes de surveillance nécessaires pour suivre la propagation du virus et l’émergence potentielle de nouveaux variants est lié à la politique criminelle de l’élite dirigeante indienne, qui consiste à privilégier les profits des entreprises plutôt que de sauver des vies humaines – une politique qui a déjà entraîné des décès en masse. Le variant Delta a été détecté pour la première fois en Inde en octobre, mais faute de ressources, sa progression et sa puissance n’ont pas été examinées scientifiquement. Puis, en février et mars derniers, alors que les nouvelles infections se multipliaient, le gouvernement BJP dirigé par Narendra Modi a fait pression pour la «réouverture» de l’Inde. Le 20 avril, alors que les nouvelles infections au COVID-19 atteignaient 300.000 par jour, Modi a fameusement déclaré au peuple indien, lors d’un discours télévisé national, qu’il fallait «sauver l’Inde des confinements», et non du virus.

Une étude exhaustive publiée le mois dernier par le Center for Global Development (Centre pour le développement mondial), basé aux États-Unis, a corroboré des rapports antérieurs qui estimaient que le véritable bilan de la deuxième vague de pandémie en Inde, d’avril à juin 2021, était cinq à dix fois plus élevé que le chiffre officiel de 235.000 décès dus au COVID-19 avancé par le gouvernement. Sur la base de l’analyse de trois ensembles de données distincts, l’étude du Center for Global Development a conclu qu’il y a eu entre 1,5 et 3,4 millions de décès liés au COVID-19 au cours de ces trois mois, et que le nombre total de décès excédentaires en Inde pendant la pandémie se situe entre 3,4 et 4,9 millions.

Le gouvernement Modi, avec l’aide des médias bourgeois et des partis d’opposition, cherche à empêcher tout examen sérieux des causes et de l’impact catastrophique de la deuxième vague indienne. Au lieu de cela, il a donné la priorité au démantèlement rapide de toutes les mesures anti-COVID restantes, en se fondant sur le mensonge selon lequel le pire est passé; il insiste sur le fait que la population doit, de toute façon, apprendre à vivre avec le virus; et il défend une série de nouvelles mesures favorables aux investisseurs pour «relancer» l’économie.

Au moins 11 des 28 États indiens ont rouvert leurs écoles, et de nombreux autres États ont annoncé des dates de réouverture. Comme dans tous les autres pays, l’empressement à rouvrir les écoles n’est pas motivé par un quelconque souci de l’éducation et du bien-être des enfants, mais vise plutôt à libérer les parents pour le marché du travail afin qu’ils puissent continuer à produire des profits pour les grandes entreprises.

Toutes les personnes de moins de 18 ans n’étant actuellement pas admissibles à la vaccination, une troisième vague menace d’affecter particulièrement les enfants. Le Dr Devi Shetty, cardiologue à Narayana Health et conseiller auprès du gouvernement de l’État du Karnataka pour la planification de la réponse à la pandémie, a déclaré à Reuters: «Si les enfants sont infectés en grand nombre et que nous ne sommes pas préparés, il n’y a rien que l’on pourra faire à la dernière minute». Elle a ajouté: «Ce sera un tout autre problème (par rapport aux deux vagues précédentes), car le pays dispose de très, très peu de lits dans les unités de soins intensifs pédiatriques, et cela va être une catastrophe.»

Quelques jours seulement après la réouverture des écoles, un certain nombre d’étudiants ont été infectés par le COVID-19, selon les médias.

Le gouvernement Modi et ses homologues des États ne font aucun effort sérieux pour renforcer le système de santé délabré, alors qu’il est confronté à un afflux massif potentiel de patients en raison des politiques homicides de la classe dirigeante. L’Inde fait partie des pays dont les dépenses de santé publique en pourcentage du PIB sont les plus faibles au monde. Pendant des décennies, les gouvernements indiens ont dépensé l’équivalent de 1,5% du PIB ou moins en soins de santé par an.

Les gouvernements des États dirigés par l’opposition poursuivent essentiellement la même politique de pandémie désastreuse que Modi et son BJP suprématiste hindou. Cela inclut le gouvernement du Kerala, dirigé par le Parti communiste indien (marxiste) stalinien. Pendant des semaines, le Kerala a enregistré 15.000 à 20.000 nouveaux cas par jour, conséquence directe de la décision du gouvernement de rouvrir l’économie, y compris toutes les industries d’exportation, et d’autoriser les rassemblements de masse lors des récents festivals religieux musulmans et hindous. Mardi, le Kerala a signalé 24.296 nouveaux cas et un taux de positivité des tests de plus de 18%. Au début du mois, une équipe de six membres nommés par le gouvernement central pour étudier la situation du COVID-19 dans l’État a critiqué le gouvernement du Kerala pour avoir limité les tests aux personnes présentant des symptômes et pour avoir utilisé le test antigène, moins fiable, plutôt que les tests RT-PCR.

En plus de la levée de presque toutes les restrictions relatives au COVID-19 et de l’incapacité à effectuer des tests adéquats et à surveiller la propagation de la maladie, la campagne de vaccination désordonnée de l’Inde menace d’aggraver encore la troisième vague qui se profile. Selon Our World in Data, au 23 août, seuls 9,4% des Indiens avaient été entièrement vaccinés contre le COVID-19, et 23,4% avaient reçu une seule injection de vaccin. En d’autres termes, plus de 60% de la population n’a pas encore reçu une seule dose alors que la troisième vague s’accélère. Ces chiffres montrent que le gouvernement indien est loin d’avoir atteint son objectif de vacciner la population adulte du pays, soit plus de 900 millions de personnes, d’ici décembre. Pour atteindre cet objectif, l’Inde devrait vacciner environ 8,8 millions de personnes par jour en moyenne. Actuellement, environ 4 millions de personnes sont vaccinées quotidiennement.

(Article paru en anglais le 25 août 2021)

Loading