Le bilan de l’attaque terroriste de l’aéroport de Kaboul s’élève à 170 morts, l’armée américaine poursuit les évacuations

Le bilan officiel de l’attentat terroriste perpétré jeudi à l’extérieur de l’aéroport international de Kaboul s’est considérablement alourdi vendredi, passant à plus de 160 morts. Le nombre de victimes afghanes a presque triplé et le ministère américain de la Défense a confirmé la mort d’un militaire supplémentaire, ce qui porte à 13 le nombre total de victimes militaires américaines.

Des Afghans blessés sont allongés sur un lit d’hôpital après l’explosion meurtrière devant l’aéroport de Kaboul, en Afghanistan, le 26 août 2021. (AP Photo/Mohammad Asif Khan)

Lors d’un point de presse du ministère de la Défense vendredi matin, le major général Hank Taylor a déclaré qu’un seul kamikaze était impliqué dans l’assaut. À l’origine, les informations indiquaient qu’une deuxième explosion avait eu lieu dans un hôtel voisin. Après l’explosion de la bombe au milieu d’une grande foule qui attendait de pouvoir voyager à l’Abbey Gate de l’aéroport, d’autres attaquants de l’État islamique Khorazan (ISIS-K) ont ouvert le feu. Les troupes américaines ont également tiré dans la foule pour dégager la zone. On ignore encore combien de vies ont été perdues à la suite de ces tirs.

Taylor a également déclaré que l’évacuation des responsables, des agents et des citoyens américains et alliés, ainsi que des collaborateurs afghans de l’occupation néocoloniale qui dure depuis deux décennies, se poursuivait. Il a indiqué que 89 vols avaient quitté Kaboul au cours des 24 heures précédentes, transportant au total quelque 12.500 personnes. Parmi elles se trouvaient 300 Américains, ce qui porte à plus de 5.100 le nombre total d’Américains partis depuis l’arrivée au pouvoir des talibans. Deux vols ont transporté 18 soldats américains blessés. Ils sont partis pour la base aérienne de Ramstein en Allemagne.

Depuis le début des évacuations le 14 août, quelque 111.000 personnes ont été évacuées par avion. Taylor a confirmé que 5.400 autres personnes sont à l’intérieur de l’aéroport et attendent de partir.

Lors d’un point de presse à la Maison-Blanche plus tard dans la journée, Jen Psaki, porte-parole de la Maison-Blanche, a confirmé que l’équipe de sécurité nationale du gouvernement Biden pensait qu’une nouvelle attaque terroriste avant la date limite du 31 août pour la fin de l’évacuation et le retrait des troupes américaines était «probable». Elle a ajouté que des mesures de «protection maximale des forces» étaient prises à l’aéroport.

Lors des deux briefings, on a précisé que le nombre d’évacués dans les prochains jours diminuerait fortement lorsque les troupes américaines commenceront à se retirer. Taylor a cependant déclaré qu’il serait possible d’évacuer les gens «jusqu’à la fin».

Cela reste à voir, un porte-parole des talibans ayant affirmé vendredi dernier que ceux-ci avaient pris le contrôle de certaines parties de l’aéroport. Bien que le Pentagone ait rapidement démenti cette information, la correspondante internationale de la BBC Lyse Doucet, actuellement à Kaboul, a été informée par des sources que les troupes américaines et britanniques allaient remettre le contrôle de l’aéroport aux talibans dans les quelques heures.

Combien Washington dépend de la coordination et de la coopération avec les talibans dans les dernières étapes de son retrait montre l’ampleur de la débâcle subie par l’impérialisme américain avec l’effondrement de son régime fantoche à Kaboul. Même les responsables du gouvernement Biden ont été contraints de reconnaître que l’issue du reste de la mission dépendait dans une large mesure du soutien des talibans.

Lorsqu’on lui a demandé si la coordination avec les taliban était la meilleure des nombreuses mauvaises options, ou la seule option, Psaki a répondu franchement: «Peut-être les deux.» Elle a ajouté que «par nécessité, c’est notre option», car les taliban contrôlaient de «larges pans» de l’Afghanistan et de la zone entourant l’aéroport. Les jours à venir seraient la «période la plus dangereuse à ce jour» de l’opération militaire américaine, a-t-elle ajouté dans une déclaration préparée.

De leur côté, les talibans semblent offrir un rameau d’olivier à Washington avec leur appel, rapporté hier par le département d’État, pour que les États-Unis maintiennent une présence diplomatique à Kaboul après le 31 août. Un porte-parole des talibans a également déclaré à Al-Jazeera que le mouvement prévoyait d’annoncer un «gouvernement intérimaire inclusif», comprenant des membres des minorités ouzbèkes et tadjikes.

Interrogés, des responsables du ministère de la Défense et du département d’État ont fait tout leur possible pour rejeter les accusations de complicité ou de responsabilité des taliban dans l’attaque de jeudi, dont le contexte reste obscur.

L’ISIS-K prétend être un affilié régional de l’État islamique et a perpétré une série d’attentats qui ont renforcé le régime fantoche soutenu par les États-Unis. Quelle que soit l’affiliation actuelle de cette organisation, qui compterait moins de 2.000 adeptes en Afghanistan, il n’en reste pas moins que toutes les milices islamistes, y compris l’État islamique et les talibans, sont le produit de la rencontre tragique de l’Afghanistan et de toute la région avec les intrigues impérialistes américaines et une guerre néocoloniale brutale qui a duré plus de quatre décennies.

Soulignant le résultat désastreux de ces politiques pour les stratèges impérialistes de Washington, même certains des critiques les plus féroces de Biden ont tacitement accepté que les États-Unis n’avaient d’autre alternative que de se retirer. Lors d’une conférence de presse organisée vendredi en réponse à l’attaque terroriste de la veille, le chef de la minorité à la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, a dénoncé Biden pour sa «faiblesse et son incompétence» et pour avoir accepté une «date limite imposée par les talibans». Mais lorsqu’il a du expliquer son plan d’action d’alternative, tout ce qu’il a pu offrir, c’est un appel à reconvoquer la Chambre pour un briefing confidentiel du renseignement et pour adopter un projet de loi qui interdirait le retrait des troupes américaines tant qu’on n’aurait pas évacué «chaque Américain».

Le maintien d’une présence militaire américaine dans ce pays ravagé par la guerre nécessiterait le déploiement de dizaines, voire de centaines de milliers de soldats. Biden et ses conseillers de politique étrangère et de sécurité nationale ont exclu cette possibilité car ils considèrent qu’une telle dépense de ressources militaires et financières serait une diversion par rapport aux principaux conflits auxquels ils font face, contre la Russie et surtout la Chine.

Ces considérations géostratégiques sont noyées dans la couverture médiatique qui présente les soldats américains et alliés comme des sauveurs qui accourent à la rescousse du peuple afghan pour le protéger de la barbarie et de la mort. Les soldats américains sauvaient « autant de personnes que possible», a clamé Taylor lors du point de presse du Pentagone de vendredi, et étaient engagés dans une «noble mission».

Cette rengaine militariste a été répétée ad nauseam par les médias et l’establishment politique aux États-Unis, au Canada et en Europe occidentale. Alors que l’Allemagne terminait vendredi sa mission d’évacuation avec l’arrivée d’environ 300 soldats dans le pays, les médias parlaient à n’en plus finir de héros de retour. Les soldats avaient «amené des milliers de personnes hors d’Afghanistan en sécurité», a écrit le président allemand Frank-Walter Steinmeier. «Notre pays est fier de vous».

En réalité, les soldats américains et leurs alliés européens laissent derrière eux un pays ravagé par la guerre dans lequel des centaines de milliers d’Afghans ont été massacrés et mutilés par les frappes aériennes, les raids nocturnes, la torture et les abus perpétrés par les puissances impérialistes et leurs collaborateurs locaux.

Le «Projet sur le coût de la guerre» (Cost of War Project) estime que 700 civils ont été tués par des frappes aériennes alliées au cours de la seule année 2019, le chiffre le plus élevé depuis le début de la guerre. Bien que les frappes aériennes américaines aient diminué en 2020 après que le gouvernement Trump eut signé un cessez-le-feu avec les talibans, celles menées par l’armée de l’air afghane, qui dépend entièrement des États-Unis pour ses munitions et sa maintenance, ont augmenté. On estime que quelque 3.000 civils ont perdu la vie dans le conflit en 2020.

Le régime de larbins pro-impérialistes qui supervisait ces horribles conditions était plongé jusqu’au cou dans la corruption. Alors que l’ancien président afghan Ashraf Ghani fuyait le pays avec plus de 150 millions de dollars en liquide, l’ensemble ou presque de la population afghane vivait, après deux décennies d’occupation militaire dirigée par les États-Unis, avec moins de 2 dollars par jour.

Dans une note d’information publiée vendredi qui reçut bien moins d’attention des médias que le sort du nombre tout relatif des personnes qui se pressent autour de l’aéroport de Kaboul, les Nations unies ont indiqué que près d’un demi-million de personnes pourraient fuir le pays d’ici la fin de 2021 en raison d’une crise alimentaire imminente. Selon l’ONU, avant l’arrivée au pouvoir des talibans, la moitié de la population nécessitait une forme ou une autre d’aide humanitaire et la moitié des enfants de moins de cinq ans souffraient de malnutrition aiguë.

Depuis le début de 2021, 560.000 personnes ont été enregistrées comme déplacées à l’intérieur du pays. Elles s’ajoutent aux 2,9 millions de personnes déplacées dans le pays à la fin de 2020. Plus de 80 pour cent des personnes déplacées depuis le début de l’année sont des femmes et des enfants.

(Article paru d’abord en anglais le 28 août 2021)

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