Après l’entente pourrie imposée par la FIQ: des infirmières du Québec multiplient les sit-in

Des dizaines d’infirmières ont pris part à des sit-in au cours des derniers jours dans plusieurs villes du Québec. Ces refus de travail ont été lancés de manière spontanée par des travailleurs de la base pour protester contre les conditions de plus en plus dangereuses, pour les travailleurs et leurs patients, que créent le manque chronique de personnel dans les établissements de santé et le recours systématique au temps supplémentaire obligatoire (TSO).

Ces actions militantes interviennent seulement quelques jours après que la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) a fait entériner une nouvelle convention collective que la direction syndicale a pompeusement qualifiée de «levier» contre la «pénurie de professionnelles en soins dans le réseau de la santé».

En réalité, ce nouveau contrat de travail ne répond en rien aux demandes de longue date des infirmières (salaires décents, baisse des ratios, fin du TSO et abolition des décrets ministériels). Il n’a été approuvé que par 54% des membres. Conscients que la FIQ n’allait pas mener la lutte nécessaire contre le gouvernement provincial de François Legault et ses lois anti-ouvrières, nombreux sont ceux qui ont voté par dépit, alors que plus de la moitié a simplement refusé de voter.

Des infirmières lors d’une manifestation organisée par la FIQ devant l’Assemblée nationale du Québec le 11 juin (crédit photo: FIQ)

Le dimanche 22 août, vingt-cinq infirmières et infirmiers du Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL), à Québec, ont refusé de débuter leur quart du matin un peu avant 8h. Ils ont occupé un corridor de leur unité de néonatalogie pour dénoncer les pressions qu’ils subissent faute de personnel. La veille, un autre groupe d’infirmières de l’urgence du CHUL avait organisé un sit-in avant le quart débutant à 16h alors qu’il manquait quatre employés sur une équipe de quinze.

Le 23 août, des infirmières de nuit de l’Unité mère-enfant de l’Hôtel-Dieu de Lévis, en banlieue de Québec, ont fait un sit-in pour dénoncer notamment le TSO. Cette pratique, devenue la norme, force des infirmières à travailler jusqu’à 16 heures d’affilée. Des manifestantes ont expliqué qu’elles s’inquiètent pour la santé de leurs patients, principalement des mères et des poupons. Une d’elles a déclaré: «On leur a mentionné à maintes reprises (à la direction) qu'on était fatiguées. On a même fait un sit-in il y a près d'un an pour dire comment on était épuisées. On a proposé des solutions et ils ont refusé. Je n'ai pas le goût de perdre un enfant parce que je n'ai pas été capable d'être à temps dans une salle d'accouchement».

Au cours du même weekend, deux sit-in ont eu lieu devant l’Hôpital de Granby en Montérégie, forçant le CIUSSS de l’Estrie-CHUS à réorganiser des services, y compris en détournant des ambulances vers d’autres hôpitaux de la région. À Granby comme ailleurs, les actions n’ont duré que quelques heures, après quoi les infirmières ont repris le travail. Cependant, la direction du CIUSSS de l’Estrie a fait appel au Tribunal administratif du travail (TAT) pour criminaliser l’action de ses employées. Sans surprise, le TAT, un organisme gouvernemental qui penche systématiquement du côté patronal, a tranché que le moyen de pression était «illégal».

En plus de l’intervention rapide du tribunal en plein dimanche et du dispositif sévère du jugement, une ordonnance de retour au travail immédiat a été émise aux six infirmières de Granby. Un autre sit-in serait considéré comme un outrage au tribunal, passible d’une «amende allant jusqu’à 10.000$ ou un emprisonnement d’un maximum d’une année».

La décision du TAT a été prise sans aucun doute avec la bénédiction du gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ). Au cours des négociations, le premier ministre François Legault a menacé à maintes reprises d’imposer une loi spéciale si les 600.000 travailleurs du secteur public refusaient ses demandes de concessions. Le jugement du TAT montre que la classe dirigeante est prête à mobiliser tout l’appareil répressif de l’État pour imposer son programme d’austérité et criminaliser l’opposition ouvrière.

Les sit-in font partie d’une opposition montante parmi les infirmières et le personnel médical non seulement au Québec, mais partout au Canada et dans le monde. Comme ailleurs, les employés de la santé et de tout le secteur public au Québec ont subi les conséquences désastreuses des décennies de coupes budgétaires et de privatisations, imposées par les gouvernements provinciaux successifs (PQ, libéraux et la CAQ) avec le plein appui des gouvernements fédéraux, autant les libéraux que les conservateurs. Ce démantèlement des programmes sociaux a permis de financer de généreuses baisses d’impôts pour les riches et la grande entreprise.

La colère des employés de la santé est exacerbée par la gestion catastrophique de la pandémie de COVID-19 par les gouvernements au Québec et dans le reste du Canada. Faisant passer les profits des riches avant la santé et les vies humaines, leurs politiques ont entraîné des dizaines de milliers de décès au pays, ainsi que la contamination de milliers de travailleurs de la santé mal protégés.

Les conditions pénibles en santé ont poussé un grand nombre d’infirmières à quitter la profession ou à se tourner vers les agences privées. Selon la FIQ, il manquerait 4000 infirmières dans le réseau, plusieurs ayant quitté durant la pandémie. La décision de Legault de rouvrir les écoles et toute l’économie en pleine quatrième vague de la pandémie, avec la pleine collaboration des appareils syndicaux, va entraîner une surcharge des hôpitaux (certains frôlant déjà le point de rupture) et empirer la pénurie de personnel.

Les sit-in se sont multipliés dans les 18 derniers mois. Souvent, ils représentent une tentative des infirmières d’affirmer leurs intérêts de classe face aux mesures d’austérité, et de briser la camisole de force imposée par la bureaucratie syndicale. Par contre, ces actions demeurent isolées et non-coordonnées. En tant que gestes de protestation, ils sont insuffisants pour renverser la situation causée par des décennies de coupes sociales, comme en témoignent le sabotage de la lutte des infirmières et l’imposition d’un contrat pourri par la FIQ.

Comme l’a expliqué le World Socialist Web Site dans son analyse de la nouvelle convention collective imposée par la FIQ: «Alors que les infirmières étaient déterminées à lutter et avaient un grand appui populaire, la FIQ a … cherché à conclure une entente séparée (supposément plus avantageuse) avec le gouvernement de droite de la CAQ, coupant ainsi les infirmières des autres travailleurs du secteur public sous le prétexte qu’elles formaient un 'cas spécial'».

La FIQ, et tous les syndicats du secteur public, n’ont rien fait pour préparer les travailleurs à faire face aux lois spéciales qui ont été maintes fois utilisées pour briser des grèves dans le secteur public – y compris la grève des infirmières de 1999 – malgré le fait que le gouvernement Legault n’a pas caché son intention d’y recourir si les travailleurs ne se plient pas à ses demandes de concessions.

Les infirmières et l’ensemble des travailleurs de la santé doivent développer une nouvelle stratégie, basée sur la compréhension qu’ils sont engagés dans une lutte politique qui dépasse le simple cadre des négociations collectives.

Les travailleurs ne sont pas seulement aux prises avec de mauvais gestionnaires dans les CIUSSS. Ils ont en face d’eux le gouvernement de droite de Legault, qui s’appuie sur des lois anti-démocratiques et des décrets anti-ouvriers, et est soutenu par les autres partis politiques et les grands médias. En fait, les travailleurs sont confrontés à tout le programme d’austérité capitaliste de la classe dirigeante.

Les infirmières ont, cependant, de puissants alliés: les travailleurs de la santé et l’ensemble de la classe ouvrière au Québec, au Canada et dans tous les pays. C’est vers cette force sociale qu’il faut se tourner, en opposition à la FIQ qui tente par tous les moyens d’empêcher une telle unité.

La tâche de l’heure pour les infirmières est de bâtir de nouvelles organisations pour défendre leurs intérêts de classe: des comités de la base, indépendants de la FIQ et de toute la bureaucratie syndicale pro-capitaliste. Ces comités devront lutter pour mobiliser l’ensemble des travailleurs de la santé et lancer un puissant appel à toute la classe ouvrière pour contrer le programme d’austérité de l’élite dirigeante et les lois anti-ouvrières.

L’établissement d’un réseau de comités de la base dans les milieux de travail soulèvera des questions fondamentales. Quelle classe sociale doit contrôler les ressources de la société? Comment ces ressources doivent-elles être distribuées pour répondre aux besoins de tous, et non aux profits d’une minorité d’ultra-riches et de leurs valets au gouvernement?

Nous appelons les infirmières et autres travailleurs de la santé qui sont intéressés à bâtir des comités de lutte de la base à nous contacter.

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