Grève à l’usine De Havilland Aircraft à Toronto

Unifor se plie à l’ordonnance du tribunal soutenant l’opération de briseurs de grève

Les droits de piquetage des 700 travailleurs de l’aérospatiale de De Havilland en grève au complexe de fabrication de Downsview à Toronto ont été sévèrement limités au point d’être rendus sans valeur par la Cour supérieure de l’Ontario. La semaine dernière, le juge Fred Myers a confirmé la plainte déposée par l’entreprise contre les travailleurs, membres d’Unifor, dans une autre décision draconienne qui fait écho à des décisions judiciaires défavorables aux travailleurs dans tout le pays.

Les travailleurs des installations de De Havilland et de Bombardier à Toronto ont débrayé ensemble le 27 juillet, mais Unifor a rapidement conclu un contrat avec Bombardier qui entraînera une nouvelle réduction des salaires réels des travailleurs.

L’injonction est intervenue en réponse aux actions des grévistes visant à faire cesser le travail effectué par les briseurs de grève sur un avion presque terminé. Des briseurs de grève ont été amenés dans l’usine pour préparer les avions à livrer aux clients. Le 5 août, lors d’une action citée dans la plainte déposée par l’entreprise, des grévistes, aidés par des travailleurs de Bombardier se trouvant à proximité, ont franchi une clôture et bloqué la tentative de sortie d’un avion terminé d’un hangar.

La décision du tribunal interdit aux travailleurs d’effectuer pratiquement toute activité sur le piquet de grève. Elle interdit aux grévistes «d’interférer, de bloquer, d’obstruer ou de retarder de quelque manière que ce soit l’entrée des véhicules ou des personnes à la porte est des installations de Bombardier et de De Havilland à l’aéroport de Downsview». Il est également précisé que «les piqueteurs ne peuvent pas s’approcher dans un rayon de 20 mètres des tourniquets de la Porte Est. À titre exceptionnel, une fois toutes les cinq minutes, un seul piqueteur peut traverser les entrées et les sorties qui constituent la Porte Est, à condition qu’il le fasse en marchant sans interruption et qu’il termine de traverser les entrées ou les sorties en une minute.»

Dans un geste presque aussi scandaleux que la décision du tribunal elle-même, Unifor a docilement accepté l’ordonnance après avoir qualifié, pour la forme, le jugement d’«abominable».

La prosternation d’Unifor devant les tribunaux ne devrait pas être une surprise. Une fois après l’autre, les tribunaux se sont rangés du côté des employeurs et des gouvernements pour interdire les actions des travailleurs contre les reculs et les suppressions d’emplois, et le syndicat s’est invariablement plié à leurs diktats anti-ouvriers. Unifor se vante d’être «le plus grand syndicat du secteur privé au Canada». Pourtant, il n’a jamais appelé à des mobilisations et à des grèves de solidarité de la part des 300.000 membres d’Unifor ou d’une partie d’entre eux pour défier les décisions de justice réactionnaires, et encore moins cherché à mobiliser d’autres travailleurs qui ont été soumis de la même manière à une justice de classe capitaliste impitoyable.

L’injonction De Havilland démontre une fois de plus que les tribunaux ne sont rien de plus qu’un mécanisme de domination de classe par lequel les grandes entreprises font valoir leurs intérêts, tandis que les syndicats désamorcent et étouffent la lutte des classes.

De Havilland est un holding de Longview Aviation Capital, une société d’investissement appartenant à Sherry Brydson, une descendante de la famille la plus riche du Canada – les Thomson – et la femme la plus riche du pays. L’entreprise a récemment abandonné son turbopropulseur Q400 Dash 8, autrefois rentable, car la demande s’est tarie pour ce jet de transport régional. Elle a déjà licencié des centaines de travailleurs à l’usine de Downsview. Il reste environ 700 travailleurs pour terminer les commandes déjà existantes. L’entreprise a annoncé qu’elle ne renouvellerait pas son bail au complexe de Downsview lorsqu’il expirera plus tard cette année. Bien qu’aucun plan de relocalisation n’ait été officiellement annoncé, l’entreprise a signalé qu’elle avait l’intention de s’installer en Alberta pour profiter de salaires et de taxes moins élevés, et qu’elle voulait rendre les droits de relocalisation prévus dans la convention collective pour les travailleurs expérimentés pratiquement impossibles à réaliser.

Longview Aviation Capital exerce également ses activités à Calgary (Alberta) et à Victoria (Colombie-Britannique), et Unifor est l’agent négociateur des travailleurs de ces deux villes. Cependant, Unifor est amèrement hostile à la mobilisation de ces travailleurs pour s’opposer à la campagne de réduction des coûts de De Havilland, qui les touchera tous en fin de compte si elle réussit. Au lieu de cela, l’orientation d’Unifor a été de supplier le gouvernement provincial ontarien ultraconservateur dirigé par Doug Ford et le gouvernement libéral propatronal de Justin Trudeau de fournir aux riches propriétaires et investisseurs de De Havilland des incitations à maintenir la production dans la région du Grand Toronto. C’était le message central délivré par le président d’Unifor, Jerry Dias, lors d’un rassemblement de grève mardi dernier, où les inquiétudes légitimes des travailleurs de perdre leur emploi ont été exploitées par Unifor pour soutenir ses appels au premier ministre Ford de subventionner les profits de Longview.

La division par Unifor des travailleurs par région et même par lieu de travail et sa stratégie propatronale de «défense des emplois» en réclamant des subventions et des allégements fiscaux pour De Havilland ont même permis à Ford, homme d’affaires multimillionnaire et ancien partisan de Donald Trump, de se poser en défenseur des grévistes. Ford, dont le gouvernement a vidé de leur substance les normes du travail et les règlements environnementaux au nom de l’ouverture de l’Ontario aux affaires, sabré les services publics et interdit les grèves des enseignants du postsecondaire, a cyniquement déclaré mardi, à propos des plans de relocalisation de De Havilland: «Ils prennent l’argent et partent. Je pense que c’est dégoûtant. Nous devons nous battre.»

Le syndicat isole systématiquement les grévistes de De Havilland. 1500 travailleurs de Bombardier, également représentés par Unifor, ont débrayé au même endroit à Downsview et le même jour, le 27 juillet. Les deux groupes de travailleurs étaient tous deux sous l’égide de Bombardier jusqu’en 2019, lorsque Bombardier a violé les engagements qu’elle avait pris envers le syndicat et le gouvernement et a vendu le programme Dash 8 à De Havilland. Plutôt que de chercher à unifier les luttes des travailleurs de Bombardier et de De Havilland, qui sont confrontés essentiellement aux mêmes problèmes de détérioration du niveau de vie et des conditions de travail, Unifor a réussi à faire passer un accord de concessions pourri pour les travailleurs de Bombardier après cinq jours de grève.

La ratification du contrat a laissé les travailleurs de De Havilland à eux-mêmes. Les travailleurs de Bombardier ont subi d’importants reculs sur les salaires. Alors que l’inflation au Canada s’élève actuellement à 3,7 % par an, le nouveau contrat prévoit des augmentations de seulement 0,5 % la première année, de 0,75 % la deuxième année et de 1 % la troisième année, ce qui représente une réduction importante des salaires réels.

Les travailleurs de De Havilland devraient réfléchir au fait que la capitulation d’Unifor devant l’injonction du tribunal et ses appels au gouvernement pour qu’il subventionne les profits des sociétés ne sont que les derniers exemples d’un processus qui dure depuis quatre décennies et qui a vu Unifor se transformer en partenaire junior des sociétés. En octobre dernier, le président d’Unifor, Jerry Dias, a célébré un investissement du gouvernement dans l’usine d’assemblage de Ford à Oakville – obtenu en imposant un nouveau contrat qui renforce les salaires à plusieurs niveaux et l’utilisation de travailleurs temporaires – en déclarant aux côtés du premier ministre Ford, du premier ministre Trudeau et du PDG de Ford Canada qu’ils «ramaient tous dans la même direction».

S’opposer au gangstérisme patronal-syndical et défendre tous les emplois sur le site de Downsview dépend avant tout des travailleurs de De Havilland qui mènent une lutte politique contre l’austérité capitaliste et les lois anti-ouvrières, y compris l’interdiction effective du droit de grève, imposées par tous les partis de l’establishment politique, des conservateurs de Ford aux libéraux de Trudeau et aux néo-démocrates nominalement «de gauche».

Pour mener ce combat, les travailleurs de De Havilland doivent se tourner vers la classe ouvrière canadienne et internationale pour obtenir son soutien. Ils doivent exiger que les dizaines de milliers de travailleurs d’Unifor dans la région du Grand Toronto soient mobilisés pour participer activement à leur lutte. Ceci doit être combiné avec un appel aux 2200 travailleurs employés par Longview Aviation Capital à travers le Canada pour lancer une action de grève solidaire afin de forcer l’entreprise à réintégrer tous les travailleurs licenciés, à supprimer toutes les menaces de pertes d’emploi et à révoquer tous les reculs imposés en collaboration avec Unifor ces dernières années.

Une telle lutte s’appuierait sur un courant de sympathie parmi les travailleurs du Canada et du monde entier. La grève de De Havilland fait partie d’une vague croissante de luttes au cours des derniers mois, impliquant des dizaines de milliers de travailleurs au Canada, aux États-Unis et à l’étranger. Bon nombre de ces grèves visaient à inverser, du moins en partie, des décennies de reculs ou à s’opposer à de nouvelles concessions, et beaucoup ont éclaté en rébellion contre des contrats provisoires de capitulation approuvés par les syndicats. C’est le cas de la grève de deux mois menée par les mineurs de Vale à Sudbury et de la grève d’un mois des travailleurs de Volvo Trucks en Virginie.

L’unification de toutes ces luttes en une contre-offensive menée par les travailleurs pour des emplois décents et sûrs et pour mettre fin à l’austérité capitaliste sera âprement combattue à chaque étape par Unifor et toute la bureaucratie syndicale. C’est pourquoi les travailleurs de De Havilland, et leurs homologues sur les lieux de travail à travers le Canada, doivent établir des comités de la base pour faire avancer leur lutte indépendamment des syndicats propatronaux et nationalistes et en opposition à eux.

(Article paru en anglais le 28 août 2021)

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