Les États-Unis étendent contre la Chine leur présence militaire en Micronésie

Des entretiens de haut niveau ont eu lieu à Honolulu en juillet entre le président de la Micronésie, David Panuelo, et l’amiral John C. Aquilino, chef du commandement Inde-Pacifique des États-Unis (INDOPACOM). Ces entretiens portaient sur «le dispositif de défense et de forces des États-Unis dans le Pacifique» ainsi que sur des questions de «sécurité» liées au changement climatique, à la formation des forces de l’ordre et aux opérations de recherche et de sauvetage.

Une déclaration du gouvernement micronésien dit: «Les États fédérés de Micronésie (FSM) et les États-Unis ont collaboré sur des plans qui visent à assurer une présence plus fréquente et permanente des forces armées américaines, et ont convenu de coopérer sur la manière dont cette présence sera mise en place de manière à la fois temporaire et permanente au sein des FSM, dans le but de servir les intérêts de sécurité mutuels des deux nations.» On a fourni peu de détails, mais il est question d’une base et d’autres installations militaires.

Le porte-avions américain USS NIMITZ à Guam [Crédit: US Navy].

Les FSM sont un archipel stratégiquement situé de 600 îles, avec une population de 58.000 habitants, dans le Pacifique nord-ouest près de la mer des Philippines. L’expansion de la présence militaire américaine intervient suite à la débâcle de Washington en Afghanistan, et alors que le gouvernement Biden intensifie son renforcement militaire visant la Chine, qu’elle considère comme le principal obstacle à son hégémonie mondiale.

Si la Chine n’est pas explicitement nommée dans le communiqué, elle en est clairement la principale cible. Le renforcement de la présence américaine en Micronésie fait partie d’une militarisation plus large du Pacifique. Celle-ci pousse toute la région dans une confrontation qui s’amplifie entre puissances nucléaires, aux conséquences potentiellement dévastatrices.

Les FSM, ainsi que les Palaos et les îles Marshall voisines, avaient conclu avec Washington des accords de libre association (COFA), un arrangement semi-colonial qui permet aux îles de recevoir des fonds américains en échange de l’accès exclusif de l’armée américaine à l’espace aérien et aux eaux territoriales de la vaste région maritime micronésienne.

Ces traités d’une durée de 20 ans expireront en 2023 pour les FSM et les Îles Marshall, et en 2024 pour les Palaos. En vertu du COFA, les États-Unis fournissent plus de 60 pour cent du budget national des FSM. Ce financement était censé diminuer progressivement pendant la durée de l’accord, mais cela a été mis en suspens dû à la stagnation économique de la région et à l’influence croissante de la Chine.

La législation, actuellement examinée par le Congrès américain, propose de dépenser 1 milliard de dollars US par an dans 14 nations souveraines du Pacifique. Dans un article du Guardian du 7 septembre, les universitaires américains Gerard Finin et Terence Wesley-Smith décrivent les initiatives de financement prévues par Washington comme «motivées par des préoccupations de sécurité que ne partagent pas nécessairement les dirigeants des îles. Ces derniers considèrent le changement climatique, et non la Chine, comme la principale menace pour l’avenir du Pacifique».

Sur fond d’aggravation des tensions géostratégiques et d’inquiétudes quant à sa «souveraineté», le congrès des FSM avait demandé en 2018 la résiliation du COFA et que la Chine soit le seul pays autorisé à pêcher dans la zone économique exclusive des FSM. Un rapport de 2019 de la RAND Corporation alléguait que Pékin avait payé des maisons pour les fonctionnaires du gouvernement, des navires inter-îles et des bourses d’études pour les étudiants. La Chine avait également proposé de construire deux casinos en Micronésie et accueilli la visite d’État du président de l’époque à Pékin en 2017.

En août 2019, Mike Pompeo fut le premier secrétaire d’État américain à se rendre en Micronésie pour entamer des négociations visant à renouveler les pactes COFA, dont une extension des garanties de financement. «Je suis ici pour confirmer que les États-Unis vous aideront à protéger votre souveraineté, votre sécurité, votre droit de vivre en liberté et en paix», avait-t-il annoncé. La prolongation des pactes, soutiendrait «la démocratie face aux efforts de la Chine pour redessiner le Pacifique».

Une autre visite sans précédent aux îles Marshall, du ministre japonais des Affaires étrangères Taro Kono, eut lieu peu de temps après. Promettant des millions de dollars pour une série de projets d’aide et d’infrastructure, Kono déclara que le Japon avait décidé «d’accroître son soutien aux pays de la région pour un Indo-Pacifique libre et ouvert».

Les Palaos, Nauru, les îles Marshall et Tuvalu sont les seuls États du Pacifique à conserver des relations diplomatiques avec Taïwan. Si les FSM entretenaient des liens diplomatiques avec Pékin, il ne pensait pas qu’une nouvelle base américaine nuirait à ces relations, a déclaré Panuelo à l’Australian Broadcasting Corporation. «Nous avons le droit de déléguer une partie des responsabilités en matière de défense à un allié proche et, dans ce cas, aux États-Unis».

Entre-temps, Les Palaos ont officiellement demandé à l’armée américaine de construire de nouveaux ports, pistes d’atterrissage et bases sur ses îles. Le président Surangel Whipps Jr. a pris ses fonctions en janvier avec un programme agressif dirigé contre Pékin, en déclarant que les Palaos s’opposeraient à l’«intimidation» chinoise dans la région et soutiendraient leurs «vrais amis», les États-Unis et Taiwan.

L’importance stratégique cruciale pour les États-Unis des nations insulaires du Pacifique Nord-Ouest a été soulignée dans un rapport de la Rand de 2019, préparé à la demande du Congrès pour le ministère de la Défense.

Ce rapport décrit sans détours les États librement associés (EFA) comme «équivalant à une super-autoroute de projection de puissance traversant le cœur du Pacifique Nord jusqu’en Asie. Ils relient efficacement les forces militaires américaines de Hawaï à celles des théâtres d’opération, en particulier aux bases d’opérations avancées sur le territoire américain de Guam».

Le rapport recommande à Washington «d’ouvrir un nouveau chapitre productif» avec les EFA pour mieux affronter la Chine. «L’histoire souligne que les EFA jouent un rôle vital dans la stratégie de défense américaine», indique le rapport. «S’ils sont ignorés ou subvertis, ils pourraient devenir, comme par le passé, une vulnérabilité critique.»

Une tribune publiée dans Defense One en avril de cette année par Abraham Denmark, secrétaire adjoint à la Défense pour l’Asie de l’Est sous l’ancien président Obama, et Eric Sayers, ancien assistant spécial de l’INDOPACOM, a en outre fait valoir que pour dissuader la Chine, les États-Unis devaient construire des installations militaires sur des «îles clés du Pacifique». Il s’agit notamment de Tinian, dans les îles Mariannes du Nord, des Palaos et de Yap, la grande île la plus occidentale de Micronésie.

Guam et les Mariannes du Nord, deux possessions coloniales américaines depuis 1898, ont une importance stratégique et historique dans la progression de l’impérialisme américain dans le Pacifique occidental. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les forces américaines ont repris Guam aux Japonais et l’ont transformé en un énorme dépôt de ravitaillement pour soutenir les invasions des Philippines, d’Iwo Jima et d’Okinawa. Des milliers de raids de bombardement B-29 ont décollé à partir de la base aérienne Andersen de Guam dans le cadre d’opérations au-dessus du Japon.

En août 1945, l’aérodrome de Tinian est devenu le point de départ des attaques nucléaires dévastatrices sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. Pendant la guerre du Vietnam, 150 B-52 ont été regroupés sur la base d’Andersen pour le bombardement intensif du Nord-Vietnam. Andersen est restée une base stratégique de B-52 jusqu’à la dissolution de l’URSS en 1991, date à laquelle elle a été déclassée.

Depuis 2015, Guam a bénéficié de coûteuses mises à niveau des installations de la marine et de l’armée de l’air pour accueillir des navires de guerre et des avions de pointe, ainsi que du transfert de milliers de Marines américains depuis l’île japonaise d’Okinawa.

Poussés par l’intensification de l’offensive diplomatique, économique et stratégique menée par les États-Unis contre la Chine, les États du Pacifique sont entraînés dans de féroces rivalités géostratégiques. Le Forum des îles du Pacifique, le principal organe de direction de la région, reste en crise depuis que le sous-groupe micronésien (Palaos, Îles Marshall, FSM, Kiribati et Nauru) plus ouvertement pro-Washington, a quitté l’organisation au début de l’année. La scission était prétendument due au refus de l’organisation d’attribuer le poste de secrétaire général à leur candidat. Derrière ces fractures se cachent toutefois des tensions croissantes liées à l’escalade de la confrontation avec la Chine et à ses conséquences.

(Article paru d’abord en anglais le 15 septembre 2021)

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