Chelsea Manning conteste la tentative de lui interdire définitivement l’accès au Canada en vertu des lois d’Ottawa sur le secret d’État

Chelsea Manning s’adresse aux médias le vendredi 11 mai 2018, à Washington. (AP Photo/Jacquelyn Martin)

Une fois de plus, la lanceuse d’alerte américaine Chelsea Manning se lève pour défendre les principes démocratiques fondamentaux attaqués par un gouvernement capitaliste déterminé à dissimuler ses actions au public.

Le gouvernement canadien a l’intention de faire valoir que Manning devrait se voir interdire de façon permanente l’accès au pays lors d’une audience de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), prévue le 7 octobre. Le gouvernement affirme que Manning est inadmissible au Canada pour «motifs de grande criminalité», citant l’article 16(2) de la Loi sur la protection de l’information de 1985, qui considère comme un crime le fait de «communiquer à une entité étrangère ou à un groupe terroriste des renseignements à l’égard desquels le gouvernement fédéral ou un gouvernement provincial prend des mesures de protection... s’il en résulte un préjudice pour les “intérêts canadiens”». Manning prévoit de contester la constitutionnalité de la loi, quelle que soit l’issue de l’audience de la CISR.

Dans le monde à l’envers habité par les avocats du gouvernement canadien, la «grande criminalité» fait référence à «l’utilisation d’un ordinateur» par Manning pour mettre à nu les crimes de l’impérialisme canadien et américain en Afghanistan, crimes que l’État canadien préférerait garder cachés au lendemain de l’humiliante retraite de Kaboul le mois dernier.

En 2010, Manning, qui travaillait comme analyste pour l’armée américaine, a divulgué à l’organisation médiatique WikiLeaks des centaines de milliers de documents militaires américains et de câbles diplomatiques relatifs aux guerres d’Afghanistan et d’Irak. Parmi ces révélations figure la tristement célèbre vidéo «Collateral Murder», dans laquelle on voit l’équipage d’un hélicoptère de combat américain massacrer un groupe d’Irakiens en exprimant sa soif de sang effrénée.

Plus de 250.000 câbles diplomatiques divulgués par Manning ont jeté la lumière sur les rouages de l’impérialisme américain et canadien. Les documents qu’elle a partagés, notamment les rapports sur les massacres par des soldats américains, la torture et la corruption massive, ont révélé que les affirmations du gouvernement canadien selon lesquelles il était en Afghanistan pour défendre les «droits de l’homme» et la «démocratie» n’étaient qu’un tissu de mensonges. Les révélations de Manning, ainsi que celles du lanceur d’alerte de la NSA Edward Snowden, ont également mis à nu les opérations d’espionnage mondial des puissances impérialistes, dans lesquelles le Canada, en tant que membre de l’alliance «Five Eyes» dirigée par les États-Unis, joue un rôle clé.

Pour ses «crimes», Manning a été condamnée à 35 ans de détention dans la prison militaire américaine de haute sécurité de Fort Leavenworth et a été soumise à des conditions proches de la torture pendant sept ans, notamment à l’isolement. Sa peine a été commuée par le président américain sortant Barack Obama en 2017. Manning a ensuite été réincarcérée à deux reprises pendant plus d’un an, les autorités américaines tentant de la forcer à témoigner dans le cadre d’un procès secret devant un grand jury contre le fondateur et journaliste de WikiLeaks, Julian Assange, qui est emprisonné. Des amendes de 1.000 dollars par jour ont été imposées à Manning pour la forcer à collaborer. Manning a fermement refusé de succomber à la pression, déclarant: «Rien ne me convaincra de témoigner devant ce grand Jury ou tout autre grand Jury.» Cette expérience torturante a conduit Manning à plusieurs tentatives de suicide, et elle a été libérée peu après.

Dans sa contestation constitutionnelle de la Loi sur la protection de l’information du Canada, Manning, une personne d’un courage politique et personnel stupéfiant, agit une fois de plus par principe, en défendant des droits démocratiques fondamentaux. Son cas a des répercussions non seulement sur sa propre liberté de mouvement, qu’elle a tout à fait raison de défendre, mais aussi sur la pratique du journalisme d’enquête au Canada et dans le monde entier.

Les avocats de Manning écrivent: «Une grande partie de ce que le public sait aujourd’hui sur la réalité de la “guerre contre le terrorisme” menée par les États-Unis et sur les crimes perpétrés en Irak et en Afghanistan serait restée entièrement secrète sans l’alerte lancée par Manning. Les actions de la défenderesse s’inscrivent dans une longue tradition d’alertes lancées dans l’intérêt public, sans laquelle de nombreux crimes et abus perpétrés par des États et d’autres acteurs puissants ne verraient jamais la lumière du jour.»

L’approche changeante du gouvernement canadien concernant l’admissibilité de Manning est, en revanche, totalement dépourvue de principes et réactionnaire.

Manning a tenté pour la première fois d’entrer au Canada en 2017, et a été refusée après avoir informé les agents frontaliers canadiens de sa condamnation. Ceux-ci ont assimilé les crimes dont elle était accusée en vertu du droit américain à une «trahison» en vertu du droit canadien, et lui ont refusé l’entrée.

En 2018, Manning est entrée dans le pays pour quelques jours dans le cadre d’une visite personnelle et pour s’exprimer lors d’une conférence. Une évaluation de Manning par le gouvernement à l’époque indiquait que ses révélations «étaient d’un temps et d’un lieu, peu de dommages réels en ont résulté.» Après son retour aux États-Unis, les services frontaliers canadiens l’ont de nouveau déclarée inadmissible après l’intervention de responsables gouvernementaux anonymes.

L’audience d’immigration du 7 octobre prochain a été demandée par Manning elle-même. Les services frontaliers canadiens détiennent son dossier depuis 2018, refusant de le transmettre à la CISR pour l’audience d’admissibilité prévue par la loi. L’agence a également secrètement changé sa justification juridique pour l’interdire du pays, passant de «trahison» à «violation de la loi sur la protection de l’information.» Ce changement de justification n’a été révélé que par une demande d’accès à l’information déposée par ses avocats.

La tentative du gouvernement libéral canadien dirigé par Justin Trudeau de dépeindre Manning comme une sorte de «criminelle» malfaisante est à la fois absurde et hypocrite. Pour des milliards de travailleurs dans le monde, elle est une héroïne. Elle est aujourd’hui employée par la start-up technologique Nym Technologies, où elle conçoit des logiciels inviolables pour les communications privées, en utilisant la technologie blockchain.

Manning n’est pas le genre d’immigrant pour lequel Ottawa a fait des exceptions en matière de sécurité par le passé, ou auquel il accorde la priorité aujourd’hui. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’État canadien a accordé des dérogations au niveau du Cabinet permettant à d’anciens scientifiques nazis d’entrer au Canada, ainsi qu’à d’anciens membres de la «division Galicie» ukrainienne de la Waffen SS. L’un des principaux architectes du génocide rwandais, Leon Mugesera, a vécu en liberté au Canada pendant des années avant d’être déporté. En août, l’État canadien s’est empressé d’évacuer de Kaboul ses milliers de collaborateurs et de béni-oui-oui de la guerre d’Afghanistan. Cette foule comprenait sans doute un certain nombre d’arracheurs d’ongles professionnels, ainsi que des interprètes, secrétaires et assistants ayant une connaissance directe des actions du Canada en Afghanistan. L’État canadien tente désespérément de dissimuler ses propres crimes, afin de pouvoir en préparer de nouveaux.

De plus, en utilisant une interprétation extrêmement large de la Loi sur la protection de l’information, sa cible ultime n’est pas Manning, mais la classe ouvrière et les droits démocratiques conquis au fil des siècles. Alors que la crise du capitalisme mondial s’intensifie en raison des conséquences sociales, économiques et politiques de la pandémie de COVID-19, la classe dirigeante canadienne devient de plus en plus hostile aux normes démocratiques bourgeoises qui ont servi de base à son pouvoir dans une période antérieure. Comme tout autre gouvernement capitaliste, afin de défendre le système de profit, ses politiques prennent un caractère de plus en plus ouvertement criminel et autoritaire.

La nouvelle interprétation que fait le gouvernement de la Loi sur la protection de l’information est si large que le signalement de pratiquement n’importe quel fait pourrait être criminalisé s’il mettait le gouvernement dans l’embarras ou s’il nuisait à une entreprise canadienne ou à un intérêt stratégique. Que se passerait-il si un fonctionnaire d’Ottawa révélait des déclarations embarrassantes ou incriminantes faites par des ministres du Cabinet sur la gestion de la pandémie de COVID-19? Par exemple, l’équivalent canadien de l’aveu de Boris Johnson «laissez les corps s’empiler par milliers!»

Les gouvernements fédéral et provinciaux canadiens sont responsables d’une politique criminelle de meurtre social sous la forme des campagnes de retour au travail et de retour à l’école, qui ont coûté jusqu’à 50.000 vies à ce jour. Et alors que l’armée canadienne se retire de l’Afghanistan, l’État canadien et ses alliés américains et britanniques se préparent ouvertement à une guerre mondiale contre la Russie et la Chine.

Les commanditaires politiques de ces politiques sont des criminels. À mesure que l’ampleur de leurs crimes s’accroît, les criminels seront de plus en plus contraints de garder secrètes leurs décisions et leurs actions. En contestant la constitutionnalité de la Loi sur la protection de l’information que le gouvernement utilise pour l’empêcher de se rendre au Canada, Manning défend le droit des travailleurs canadiens de connaître la vérité sur les actions du gouvernement. Ce principe démocratique de base, qui est essentiel au développement d’un mouvement de masse de la classe ouvrière contre la guerre impérialiste, est maintenant considéré comme tout simplement intolérable dans les cercles de la classe dirigeante.

Parmi les 338 politiciens élus au Parlement lundi dernier, il n’y a pas une seule personnalité publique qui soit près de se comparer à Manning en termes de principes politiques, de bravoure personnelle ou d’intégrité.

Le Nouveau Parti démocratique (NPD), qui se présente comme un parti de «gauche», est resté silencieux sur la persécution de Manning qui dure depuis dix ans, tout comme sur celle d’Assange, qui est lentement torturé à mort dans la prison de Belmarsh, en Angleterre, tandis que les gouvernements britannique et américain tentent de concocter un prétexte bidon pour son extradition vers les États-Unis.

Le NPD, qui a mené une campagne électorale totalement frauduleuse en lançant des appels à «taxer les riches», a soutenu toutes les mesures du gouvernement libéral qui les enrichissent et leur donnent du pouvoir. En ce qui concerne les questions de guerre et de paix, le NPD a facilité chaque augmentation des dépenses militaires du gouvernement libéral et appelle l’État canadien à «être ferme avec la Chine.» Ce pilier politique du capitalisme et de l’impérialisme ne mènera jamais un défi de principe à ses impératifs de plus en plus criminels.

Le Parti de l’égalité socialiste (Canada) condamne l’utilisation par le gouvernement canadien de la Loi sur la protection de l’information pour interdire Manning. Nous exigeons qu’elle soit autorisée à voyager et à parler librement comme elle l’entend. Les travailleurs et les étudiants qui sont d’accord avec nous doivent nous contacter aujourd’hui et se joindre à la lutte pour une société socialiste, qui exige l’abolition des frontières artificielles du système d’État-nation, et la libre circulation des travailleurs et de l’information.

(Article paru en anglais le 24 septembre 2021)

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