Dr Eric Feigl-Ding: L’exposition des enfants à la COVID est «dangereuse et moralement répréhensible»

Le Dr Eric Feigl-Ding est un fervent défenseur de la fin rapide de la pandémie de la COVID en mettant en œuvre de multiples stratégies d’atténuation et d’élimination. Grâce à ses interventions sur les médias sociaux, il a fourni des informations essentielles tout en sensibilisant le public aux dangers du virus et à l’inaction du gouvernement. Scientifique de la santé publique et épidémiologiste, il est actuellement chercheur principal de la Federation of American Scientists. Le WSWS s’est entretenu avec le Dr Feigl-Ding vendredi dernier sur l’évolution de la pandémie et la question de la COVID et des enfants. L’entretien ci-dessous a été édité dans un souci de brièveté et de clarté. Des remarques explicatives sont fournies entre crochets lorsque cela est nécessaire.

Eric Feigl-Ding

Benjamin Mateus (BM): Dr Feigl-Ding, bonjour. Merci d’avoir accepté l’invitation du WSWS une fois de plus. Nous avons expliqué que les enfants meurent de la COVID-19 à un taux plus élevé que précédemment dans la pandémie. Vous avez également souligné ce problème sur les médias sociaux. C’est une question cruciale, mais peu de gens y prêtent suffisamment attention. Pouvez-vous nous en parler?

Eric Feigl-Ding (EFD): Avec plaisir. Hier, j’ai publié deux graphiques sur un fil de discussion sur Twitter. L’un d’eux est le taux de mortalité par cas (CFR) en Floride par groupe d’âge. La vague Delta a balayé l’État au cours de l’été. Le graphique montre que depuis début août, le taux de mortalité des enfants de moins de 16 ans a vraiment augmenté. Si on le compare à l’ensemble de la période de pandémie, il est environ six à huit fois plus élevé en termes de décès réels.

Figure 1 - Taux de mortalité en pourcentage par âge en Floride, phase Delta vs Pandémie

[Le Tweet dit: Alors que les enfants meurent à un taux de 1 sur 10.000 cas infectés… c’est assez élevé! De plus, il est 6 à 8 fois plus élevé en Floride durant la vague #DeltaVariant que durant les 18 derniers mois avant Delta! (Remarquez le ROUGE par rapport au BLEU). Le Dr Feigl-Ding a également souligné les données de l’Académie américaine de pédiatrie (AAP) qui démontrent que les enfants représentent désormais près de 25 pour cent de tous les cas].

Ainsi, le CFR a définitivement augmenté récemment. C’est parce que sous Delta, nous savons que la situation est beaucoup plus grave. Nous savons que Delta est beaucoup plus grave, même en dehors des enfants [la population générale], grâce à d’innombrables autres études et points de données.

Maintenant, avec ces chiffres, d’une certaine manière, vous devez… Comment dire? Je suis épidémiologiste, et nous parlons généralement de risque relatif et de statistiques. Mais cela ne capte pas l’imagination des gens parce que cela ne correspond pas à ce qu’ils savent déjà ou à un principe moral établi.

Prenons l’exemple des cancers pédiatriques. Des tonnes d’associations différentes existent pour les cancers pédiatriques, et personne ne débat pour savoir si les enfants devraient ou non mourir du cancer. C’est un de ces sujets bipartisans. Pour capter l’attention du public, vous devez le placer dans cette lumière.

Personne n’accepte les cancers pédiatriques, n’est-ce pas? Si vous dites «Les enfants ne devraient pas mourir du cancer» lors d’une conférence de presse ou d’une audience, vous obtiendrez surtout des hochements de tête dans la salle. Et puis vous ajoutez que les cancers pédiatriques sont la principale cause de décès chez les enfants après la petite enfance. Aux États-Unis, les cancers pédiatriques entraînent environ 1.200 décès [par an]. Si vous divisez ce chiffre par 52 semaines, cela fait environ 23 décès par semaine.

Ce chiffre est comparable à celui des enfants qui meurent de la COVID-19 aux États-Unis. Nous avons enregistré plus de 100 décès au cours des cinq dernières semaines, soit environ 20 décès par semaine. Et ces données proviennent de l’Académie américaine de pédiatrie, qui compte 45 États. Avec 50 États, c’est probablement égal, voire supérieur, aux décès par cancer. Mais personne ne considère les décès par cancer pédiatrique comme acceptables.

[Selon l’Institut national du cancer, bien que le cancer chez les enfants soit rare, il s’agit de la principale cause de décès par maladie après la petite enfance chez les enfants aux États-Unis. En 2021, parmi les enfants de 0 à 19 ans, on estime que 15.590 seront diagnostiqués avec un cancer et que 1.780 en mourront. Parmi les moins de 15 ans, 10.500 seront diagnostiqués, et 1.190 mourront de leur maladie].

Pensez même aux nouvelles diffusées hier sur NPR [National Public Radio] concernant le rappel de coussins d’allaitement pour bébés. [Boppy Company, fabricant d’un assortiment de porte-bébés et de coussins d’allaitement, a rappelé près de 3,3 millions de ses chaises longues pour nouveau-nés qui sont liées à la mort de huit bébés. Ces décès, selon la Commission américaine des produits de consommation et de la sécurité, se sont produits sur la période allant de décembre 2015 à juin 2020].

Personne n’accepte que nous devions apprendre à vivre avec des enfants qui meurent étouffés par des oreillers. Personne ne dit que nous devons apprendre à vivre avec des enfants qui meurent du cancer, n’est-ce pas? C’est moralement inacceptable dans notre société si nous nous soucions des autres autour de nous.

Et donc, si on fait d’abord adhérer les gens à quelque chose qui n’est pas controversé, mais qu’ensuite on explique que les taux de décès par COVID chez les enfants sont les mêmes que les taux de décès par cancers pédiatriques, et qu’on n’accepte pas les cancers pédiatriques, alors on ne peut pas accepter les décès par COVID pédiatriques!

J’essaie de réfléchir à la meilleure façon de le formuler. D’autres arguments moraux peuvent être avancés, mais faites-moi savoir si vous avez des questions sur ces statistiques.

BM: Je pense que ce que vous dites est quelque chose comme si nous comparions les décès par COVID chez les enfants avec les décès par arme à feu. Ce serait moralement répréhensible de tolérer les premiers et de ne pas accepter les seconds.

EFD: Oui, exactement. Shannon Watts a également soulevé ce point. [Watts est une militante anti-armes à feu et la fondatrice de «Moms Demand Action». Elle a lancé un mouvement populaire après les événements tragiques de l’école Sandy Hook à Newtown, au Connecticut, en décembre 2012, lorsqu’un tireur dérangé a ouvert le feu, tuant 26 enfants et éducateurs]. Lorsque j’ai tweeté au sujet des huit décès de nourrissons et du rappel des oreillers, elle a demandé pourquoi il était normal que des enfants meurent à cause d’armes de poing. Cette même corrélation est importante. La même analogie est importante parce qu’elle est efficace [pour attirer l’attention du public]. Et nous faisons quelque chose à ce sujet dans notre société. Nous faisons des rappels de berceaux et d’oreillers.

Il y a ensuite les éléments de la société qui tentent de rejeter ces questions. Ils disent que ces enfants qui sont morts de la COVID avaient des facteurs de risque. Vous avez entendu cette phrase, n’est-ce pas?

BM: Oui.

EFD: Ils essaient de dire que ces enfants sont morts à cause de ces conditions préexistantes et non de leur infection. Ce que je veux dire, c’est que lorsqu’ils sont aux soins intensifs, c’est clair qu’ils ne sont pas morts de leur diabète. Les soins intensifs ne sont pas soudainement surchargés à cause du diabète pédiatrique ou quelque chose comme ça. C’est la COVID.

Quand des enfants meurent du cancer, personne ne dit qu’ils ont un facteur de risque sous-jacent pour le cancer. Pensez-y. Si quelqu’un meurt dans un accident de berceau, personne ne dit que cet enfant a suffoqué ou…

BM: Je pense que ce que vous essayez de dire, c’est qu’en laissant entendre qu’ils ont des facteurs de risque ou des conditions qui les prédisposent à une maladie respiratoire, cela signifie en quelque sorte que leur mort due à la COVID était inévitable, ce qui lui donne une légitimité, ce qui est une façon répugnante de voir les choses. Mais c’est précisément ce qui se passe.

Peut-être pouvons-nous changer un peu de sujet. Que pensez-vous des écoles de Floride qui ne sont pas mises en quarantaine? Elles disent que les parents des élèves exposés peuvent décider si leur enfant doit rester à la maison ou retourner à l’école.

EFD: C’est très dangereux. Oui. Il y a tellement de choses qui ne vont pas. Nous ne recherchons pas les contacts. Nous n’isolons pas les positifs. On ne met pas assez en quarantaine. En gros, c’est le genre d’approche «ne voyez pas le mal et n’entendez pas le mal, et, alors, y a-t-il un mal?». Ils ne font pas de tests. S’il n’y a pas de tests, alors il n’y a pas de pandémie.

[Le gouverneur] DeSantis essaie de gagner en jouant à ce jeu bizarre de «n’identifions pas tous les cas qui existent», et bien sûr nous connaissons son algorithme de déclaration tardive des décès qui est très peu conventionnel. Et je pense que c’est très trompeur de rapporter les décès de cette manière en se basant sur la semaine en cours, même si la semaine récente des décès est entièrement retardée.

BM: DeSantis joue un jeu politique dangereux avec la vie des Floridiens et de la population en général. Et il est à la pointe d’une approche très irresponsable de la pandémie qui tente de minimiser la catastrophe.

Ce qui m’amène peut-être à l’autre développement politique. La vice-présidente Kamala Harris a récemment déclaré: «Alors que nous mettons fin à cette pandémie, nous devons nous préparer à la prochaine». Eh bien, plus de 2.000 personnes meurent chaque jour. Nous sommes loin d’en avoir fini…

EFD: Je pense que ce commentaire est correct. Je le dis tout le temps, moi aussi. Travaillons ensemble et mettons fin à la pandémie. Il ne s’agit pas de déclarer que la pandémie est terminée. Je pense qu’on essaie de trop faire dire à cette déclaration.

BM: Vous avez récemment fait des commentaires sur les injections de rappel et vous avez affirmé avec force que la population avait besoin d’une troisième injection en raison de la baisse de l’immunité. Avez-vous été déçu par les positions de la FDA (Administration fédérale des médicaments aux États-Unis) et des CDC (Centres de contrôle et de prévention des maladies aux États-Unis)?

Figure 2 – Message Twitter d’Eric Feigl-Ding sur l’impact des rappels sur la baisse de l’immunité. (Booster – Données de la 3e dose présentées au panel de la @US_FDA – montrent une augmentation de la neutralisation de 17x et de +2000 avec une 3e dose, après le déclin observé après 2 doses. Je ne voudrais pas rester au niveau de neutralisation 136 – j’aimerais mieux une protection de neutralisation autour des 2300. #BoosterShots)

EFD: Je l’ai été. Mais, au fait, avez-vous vu les derniers développements?

BM: Non. [L’interview a été réalisé à 8 h, le vendredi 24 septembre 2021. Dans une décision surprise, la directrice des CDC, Rochelle Walensky, est allée à l’encontre des conseillers de l’agence et a approuvé des doses supplémentaires du vaccin Pfizer pour les groupes fortement exposés, notamment les enseignants et les travailleurs de la santé].

EFD: D’accord. Donc, le comité du CDC n’a pas voté pour recommander des rappels pour les personnes âgées de 18 à 64 ans qui répondent aux critères d’exposition à haut risque. Mais cette nuit, vers 2h ou 3h, Walensky est passé outre et a autorisé [les rappels] pour les personnes à haut risque d’exposition âgées de moins de 64 ans. Ce que le comité des CDC a voté n’est pas ce que Walensky a approuvé. En plus d’approuver les deux critères du comité, elle en a ajouté un troisième.

Un risque élevé est différent d’une exposition élevée. Un risque élevé signifie que vous avez un facteur de risque important [de complications graves liées à la COVID]. Une exposition élevée signifie que vous ne présentez pas de facteur de risque, mais que vous travaillez dans un milieu professionnel à haut risque. Je pense que cela inclut probablement les enseignants.

Elle a ajouté ses critères pour qu’ils correspondent mieux à ceux de la FDA. [La FDA n’a voté que pour fournir des injections de rappel aux personnes âgées de 65 ans ou plus et aux personnes âgées de 18 à 64 ans présentant un risque élevé de la COVID grave en raison de conditions préexistantes, les deux critères sur lesquels le comité des CDC a voté pour approuver. Lors d’une question posée au comité consultatif de la FDA, il a été convenu à l’unanimité que les personnes exposées à un risque élevé pourraient se voir offrir un rappel, mais cette question n’a jamais été votée].

La formulation du troisième critère de la FDA pour la catégorie d’exposition élevée est exhaustive à certains égards. Elle n’est pas explicite quant à la nature de ces professions à haut risque d’exposition.

Et de nombreux États peuvent déterminer eux-mêmes [comment définir l’exposition à haut risque]. Mais dans la situation actuelle, les enseignants peuvent avoir droit à un rappel après six mois sur la base de ce type de critères. Je pense que le champ d’application est suffisamment large pour laisser une grande place [à la réflexion].

Et il s’agit plutôt d’une autodéclaration. Il n’y a aucune recommandation selon laquelle vous devez avoir une licence d’enseignement pour être qualifié [pour un rappel] ou travailler dans une prison. Cela ne dit rien de tel. D’une certaine manière, je préfère les rappels pour tous après six mois. Mais je pense que ces critères ajoutent beaucoup de flexibilité, et je les accueille.

BM: Vous aviez mentionné dans un récent Tweet que nous devrions toujours viser le zéro. Je suppose que c’est toujours votre position: nous devons essayer d’éliminer ce virus de notre communauté.

EFD: Je le formulerais ainsi:

Je ne pense pas que nous devions agiter le drapeau blanc en disant «Oh, nous sommes à des niveaux endémiques. Abandonnons. On doit apprendre à vivre avec le virus». Le mantra «apprendre à vivre avec le virus» est l’immunité collective de l’infection naturelle de l’année dernière. Et maintenant, c’est apprendre à vivre avec le virus. Et je ne pense pas que nous devrions y aller maintenant. Je ne pense pas que nous devrions en arriver là du tout, surtout lorsque les enfants ne sont pas encore vaccinés.

Nous devrions viser zéro; nous devrions viser le niveau le plus bas possible sur le plan humain. Comme ajouter toutes les mesures d’atténuation que nous pouvons pratiquement faire pour réduire le nombre de cas; pour éviter les hospitalisations et les décès; et pour éviter la COVID de longue durée et le COVID de longue durée chez les enfants. Je pense que c’est tout à fait essentiel.

Avec la COVID de longue durée, le brouillard cérébral, les déficits neurologiques et cognitifs sont quelques-uns des effets. Une étude britannique a révélé que si vous vous faisiez intuber à l’hôpital, vous aviez une baisse équivalente de 7 points de QI. Si vous vous êtes fait hospitaliser, mais non intuber, vous pouvez quand même avoir une baisse de 3 à 4 points de QI. Mais même si vous n’avez pas été hospitalisé, si vous aviez une COVID légère, vous pourriez avoir une baisse de QI de deux à trois points.

Mais je demande: «Acceptez-vous l’empoisonnement au plomb pour les enfants?» Si vous demandez à la plupart des gens, ils diront: «Non, le saturnisme n’est pas acceptable.» Maintenant, les dégâts du saturnisme sont de 2 points de QI. Si aucun pays dans le monde n’accepte l’empoisonnement au plomb ou la détérioration de deux points du QI due à l’empoisonnement au plomb comme acceptable, pourquoi acceptons-nous la baisse d’un à trois points du QI des enfants non hospitalisés qui souffrent de la COVID de longue durée? Même si tous les enfants infectés n’en souffrent pas, pourquoi acceptons-nous cette possibilité pour nos enfants?

Si nous n’acceptons pas qu’un enfant soit victime d’un empoisonnement au plomb, pourquoi accepterions-nous le risque qu’un enfant sur huit à un sur dix soit atteint de la COVID de longue durée? [Plus de 5,5 millions d’enfants ont été infectés par le coronavirus. La semaine dernière, 226.000 enfants supplémentaires ont été infectés, ce qui représente 25,7 pour cent des cas signalés chaque semaine]. Cela nous ramène à notre argument ou discussion initiale sur les décès d’enfants. Pourquoi admettrions-nous comme acceptables des déclins cognitifs potentiels dus à la COVID de longue durée qui sont équivalents à ceux observés dans le cas du saturnisme? Le mantra «apprendre à vivre avec la COVID» et «apprendre à vivre avec le virus» est déconcertant. C’est tellement dangereux et moralement répréhensible.

C’est pourquoi je préconise que nous devions réduire les cas au maximum. Et, bien sûr, déployer les vaccins pédiatriques dès qu’ils seront autorisés.

BM: Alors, où voyez-vous les États-Unis dans les trois à six prochains mois, pendant la pandémie?

EFD: Je suis inquiet pour l’hiver. Traditionnellement, le mois d’août est la période la plus basse pour les hospitalisations pédiatriques. Mais nous avons toutes ces admissions dans ce qui devrait être la période la plus basse de l’année. Si nous regardons ces chiffres… Je suis vraiment inquiet pour l’hiver.

L’hiver arrive, et il y a une accalmie en ce moment, mais l’hiver arrive. Certaines personnes disent que nous aurons des vaccins pour les enfants de 5 à 11 ans d’ici Halloween. Donc, j’ai d’espoir.

Mais ensuite, bien sûr, il y a la prise en charge [du vaccin]. Et puis on doit laisser au moins un mois avant la deuxième injection. Et puis un mois et demi avant que l’immunité complète de la vaccination ne se manifeste. Cela nous amènera à début décembre, juste avant Noël. On suppose que les vaccins seront administrés rapidement. Mais les États-Unis ont connu un ralentissement dans les vaccinations. Nous étions en tête au début, mais je pense que nous sommes presque au 50e rang en termes de vaccins administrés par habitant. Nous avons essentiellement plafonné.

Cependant, s’ils sont approuvés, nous pourrions voir une vague de vaccinations. C’est difficile à dire. Les maladies respiratoires aérogènes, en particulier chez les enfants… les vaccins n’arrivent jamais assez tôt.

BM: Dr Feigl-Ding, merci d’être accessible et de vouloir discuter de ces questions. Cela a été très instructif.

EFD: Bien sûr, merci. Bonne chance.

(Article paru en anglais le 28 septembre 2021)

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