En acceptant le débat, Mélenchon met en avant le néofasciste Zemmour

Le 23 septembre Eric Zemmour, polémiste d’extrême-droite pas officiellement déclaré candidat pour la présidentielle de 2022 a débattu avec Jean Luc Mélenchon de la France Insoumise (LFI).

L’identité politique de Zemmour est bien établie. Il a profité d’une large couverture médiatique de par ses rôles d’éditorialiste pour le journal Le Figaro de l’industriel Dassault, puis de commentateur lors d’une émission qui lui sert de tribune sur la chaîne d’info CNews du milliardaire Bolloré. Il est condamné pour incitation à la haine raciale pour ses commentaires anti-musulmans en 2019. Il est violemment hostile envers l’historien Robert Paxton et son œuvre célèbre parue en 1972, La France de Vichy, contre laquelle Zemmour défend la politique de déportation des Juifs par Vichy.

Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon

La décision de Mélenchon, qui est candidat présidentiel de LFI, de débattre avec un criminel politique toujours non-déclaré candidat pour 2022 est méprisable. Le débat entre les deux hommes s’est entièrement focalisé sur le terrain réactionnaire de l’identité nationale, où Mélenchon a servi de faire-valoir à Zemmour.

Mélenchon justifie sa participation au débat en déclarant: «J'ai souhaité ce débat parce qu'on est à sept mois d'une élection présidentielle, je suis candidat et les occasions de convaincre doivent être toutes saisies en particulier quand le pays est contaminé par les perspectives incroyables d'un homme qui est devenu le penseur de la droite et de la droite extrême». Il a ajouté, en adressant Zemmour:  «Vous êtes un danger pour notre pays, vous avez une vision rabougrie de la France, vous êtes un raciste, vous avez été condamné pour ça».

Malgré cette boutade, le débat a mis en évidence surtout les nombreux terrains sur lesquels les deux hommes, qui sont d’anciens amis, se trouvent d’accord. Mélenchon n’a pas critiqué la violente hostilité de Zemmour envers les confinements et autres mesures de santé publique pouvant stopper la pandémie en éradiquant le coronavirus, alors que plus de 1,2 millions d’Européens sont morts du virus. Il n’a pas non plus de critiqué la guerre au Mali, qu’il a soutenue.

Mélenchon a commencé le débat en avertissant que «la France entre dans sa plus terrible crise sociale et financière depuis des décennies ».  Mentionnant rapidement au passage les 10 millions de pauvres et les 6 millions de chômeurs en France, il s’est posé en lanceur d’alerte face au danger d’une explosion de la colère des travailleurs: «Seuls les fous peuvent croire qu’une situation comme celle-là peut perdurer sans chaos».  

Face au danger ainsi évoqué, Zemmour a réagi en incitant la haine contre les immigrés, comme ce à quoi on s’attendrait d’un intellectuel profasciste qui prétend que l’immigration opère un «grand remplacement» des Français par des étrangers.

Mélenchon a tenté de répondre à Zemmour sur cette question en évoquant brièvement les menaces de Zemmour de déporter les 5 millions de musulmans de France et en affirmant : « M. Zemmour, nous serons nombreux à ne pas vous laisser faire. L'avalanche de chiffres que donne monsieur Zemmour pour créer une ambiance de cauchemar ne tient pas debout. Vous ne chasserez pas les musulmans, vous ne les obligerez pas à choisir entre l'islam et la France ».

Zemmour lui a répondu en rappelant toutes les déclarations islamophobes de Mélenchon lui-même et en l’accusant ainsi d’hypocrisie et de manque de constance : « Vous disiez vous-même, monsieur Mélenchon, jadis, l'autre Mélenchon, que le voile islamique était une auto-stigmatisation. Qu'est devenu ce Mélenchon-là ? [...] Mélenchon a trahi Mélenchon. Vous vous êtes converti à l'idéologie que vous combattiez dans les années 80. [...] Monsieur Mélenchon est contre monsieur Mélenchon. [...] Vous vous trompez tout le temps et vous vous reniez tout le temps ». 

Mélenchon a défendu face à Zemmour, une notion de créolisation de la France par l’immigration : « Nous sommes le pays qui pratique une forme de créolisation assumée. Ce n'est pas autre chose que la création d'une culture commune de gens qui habitent ensemble. Depuis le début, les cultures arrivent et forment une culture commune. … Les êtres humains se rassemblent et forment quelque chose en commun. Ce qui a fécondé la France c'est cette immense idée de l'être humain qui est créateur de cette histoire ».

Or, les positions islamophobes de Mélenchon sur le voile soulignent que cette conception de « créolisation » n’est pas une défense des droits démocratiques contre Zemmour. Elle marque un pas en arrière depuis les conceptions démocratiques bourgeoises, selon lesquelles la citoyenneté est un droit de ceux qui vivent en France et qui acceptent les principes de Liberté, Égalité et Fraternité proclamés par la Révolution de 1789. Pour pouvoir se déplacer, travailler, étudier ou vivre où ils voulaient, les immigrés n’étaient pas obligés de se conformer à une culture nationale commune.

La « créolisation » souhaitée par Mélenchon est en fait un compromis avec l’assimilation prônée par Éric Zemmour, qui exige de franciser l’Islam et les musulmans et d’interdire les prénoms, tels que Mohamed, que Zemmour déclarerait arbitrairement ne pas être français.

Mélenchon n’a mis en accusation Zemmour ni sur ses déclarations pétainistes sur le meurtre de masse au 20e siècle, ni sur son soutien pour ce que le British Medical Journal a appelé le « meurtre social » pendant la pandémie de coronavirus au 21e siècle. Zemmour est farouchement opposé à une politique sanitaire scientifique, louant la politique de Boris Johnson en Grande-Bretagne, qui a exigé « qu’il n’y ait plus de pu*ain de confinement, que les corps s’entassent par milliers ».

Mélenchon ne pouvait pas attaquer Zemmour, car Mélenchon et LFI ont appelé aux manifestations contre le passe sanitaire et la vaccination organisées par des politiciens néofascistes proches de Zemmour, dont Florian Philippot et Marion Maréchal Le Pen. Mélenchon n’a pas averti dans ce débat du danger de putsch dont menacent des officiers néofascistes face à la montée de la colère sociale sur la pandémie. Sur tous ces sujets, il a préféré faire le silence.

Ce débat lamentable démontre que dans la mesure où la classe ouvrière veut lutter, il lui faudra s’opposer à Mélenchon, qui est totalement intégré dans les crimes de la bourgeoisie française.

Le fait qu’un criminel politique comme Zemmour puisse s’avancer en tant que candidat présidentiel est le produit d’une vaste dégénérescence de l’élite dirigeante, et avant tout des forces qui ont rompu avec le trotskysme pour faire une politique petite-bourgeoise de pseudo-gauche. En effet, Mélenchon a rejoint l’Organisation communiste internationaliste (OCI) de Pierre Lambert peu après sa rupture avec le Comité international de la IVe Internationale (CIQI) en 1971 pour se ranger derrière l’Union de la gauche entre le PS et le PCF stalinien. Il a fini par être ministre PS.

Alors que le PCF était ébranlé par sa trahison ouverte de la grève générale de mai 68, l’OCI a soutenu l’alliance du PCF avec le PS dirigé par l’ex-collaborationniste François Mitterrand. Cette alliance, présentée sous les traits d’une lutte pour le socialisme, était en fait une alliance entre le stalinisme et des forces bourgeoises complices des crimes du fascisme européen. Même si le PS était un parti social-démocrate, Mitterrand faisait fleurir la tombe de Pétain à l’île d’Yeu et disait qu’il fallait «comprendre Vichy» quand Mélenchon était encore son conseiller.

Depuis presque un demi-siècle, Mélenchon lutte pour étouffer une opposition trotskyste, sur leur gauche, contre les politiques d’austérité et de guerre des social-démocrates et des staliniens. Mais ceci a impliqué également une répudiation de toute opposition de principe à l’héritage de la collaboration, comme on le voit à travers le débat Mélenchon-Zemmour. En effet, les deux hommes se connaissent, et Mélenchon a assisté à la fête du 50e anniversaire de Zemmour en tant qu’ami.

Depuis la dissolution de l’URSS, le milieu du PS et de ses satellites a énormément évolué à droite en France et à travers l’Europe. Ce débat Mélenchon-Zemmour doit servir d’avertissement que le milieu de pseudo-gauche auquel appartient Mélenchon se rapproche de plus en plus de positions néofascistes, emporté par un mouvement toujours plus violent de l’ensemble de l’élite dirigeante vers la droite.

Un gouffre de classe sépare les travailleurs de cette élite dirigeante réactionnaire. Les millions de morts évitables en Europe dans la pandémie de Covid-19 et la crainte d’une explosion sociale évoquée par Mélenchon face aux politiques d’austérité et de militarisme voulues par l’Union européenne en soulignent l’étendue. En effet, le débat Mélenchon-Zemmour fournit un exemple de plus du fait que la montée de l’extrême-droite est impulsée avant tout par l’élite dirigeante.

La mise en avant de Zemmour par Mélenchon peut arranger de nombreux candidats présidentiels éventuels, y compris le président sortant. En effet, Mitterrand s’était faire élire pour un second mandat en 1988 en divisant le vote de droite grâce à une mise en avant du Front national néofasciste de Jean-Marie Le Pen. A présent, alors que Macron espère se faire réélire face à la candidature néofasciste de Marine Le Pen, Mélenchon et LFI, qui maintiennent des liens étroits avec Macron, lancent une manœuvre qui pourrait diviser le vote néofasciste.

Les questions politiques de vie ou de mort auxquelles sont confrontés les travailleurs sur fond de pandémie mondiale ne seront pas résolues par les urnes, mais par la mobilisation politique consciente de la classe ouvrière à l’échelle internationale contre toute la classe dirigeante. Cette perspective anime la lutte du Parti de l’égalité socialiste (PES), section française du CIQI pour le socialisme et contre la pseudo-gauche corrompue représentée par Mélenchon.

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