Les « Pandora Papers » indiquent une évasion fiscale majeure de l'oligarchie financière mondiale

Le 3 octobre, le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), en coordination avec 600 journalistes de 117 pays, a commencé à publier les « Pandora Papers ». Il s’agit d’une série d'articles basés sur 11,9 millions de fichiers de services financiers divulgués, pour un total de près de trois téraoctets de données, provenant de 14 entreprises qui fournissent des services d'évasion fiscale et de blanchiment d'argent à l'oligarchie financière.

Une vue de l’entrée du Chateau Bigaud à Mougins, dans le sud de la France, acheté secrètement par le premier ministre tchèque Andrej Babis, lundi 4 octobre 2021. (AP Photo/Daniel Cole)

L'ICIJ affirme avoir « découvert les secrets financiers de 35 dirigeants mondiaux actuels et anciens, plus de 330 politiciens et fonctionnaires dans 91 pays et territoires, et une liste mondiale de fugitifs, d'escrocs et d’assassins». Cette liste comprend 130 milliardaires figurant sur la liste Forbes, ainsi que des célébrités, des athlètes et des membres de familles royales. Rien que 100 des milliardaires identifiés dans les Pandora Papers avaient une fortune combinée de plus de 600 milliards de dollars en 2021.

Quelque 150 organes de presse ont participé à l'enquête, dont le Washington Post, la BBC, le Guardia, Le Desk deRadio France Maroc et Diario El Universo del'Équateur.

L'analyse de l'ICIJ a identifié 956 entreprises spécialisées dans les paradis fiscaux offshore ayant des liens avec 336 « hommes politiques et fonctionnaires de haut niveau, y compris des dirigeants de pays, des ministres, des ambassadeurs et autres ». L'ICIJ a constaté que « plus des deux tiers » des entreprises identifiées étaient « établies dans les îles Vierges britanniques ».

C'est le troisième grand exposé sur les agissements financiers de la bourgeoisie internationale publié par l'ICIJ. En 2016, l'ICIJ a publié les Panama Papers et en 2017 les Paradise Papers. Ce dernier contenait en réalité plus de fichiers, 13,4 millions contre 11,9 millions, mais la quantité de données contenues dans les Pandora Papers est supérieure à celle des fuites Panama ou Paradise.

Alors que les Panama Papers traitaient principalement du fournisseur de services aux entreprises panaméen Mossack Fonseca, les Pandora Papers englobent les dossiers de 14 sociétés de services financiers opérant dans le monde entier, notamment en Suisse, au Belize et au Royaume-Uni. La fuite montre également le rôle clé que les États américains tels que le Dakota du Sud, la Floride, le Nevada et le Delaware ont assumé dans le programme mondial d'évasion fiscale.

Les dossiers ont été analysés pendant près de deux ans et comprennent des e-mails privés, des contrats secrets, des relevés bancaires, des passeports et des feuilles de calcul confidentielles révélant les stratagèmes complexes de blanchiment d'argent employés par les princes, les rois, les premiers ministres, les présidents du monde entier afin de protéger leur richesse mal acquise et la transmettre à leurs héritiers. Parmi les instruments financiers examinés par l'ICIJ figurait l'utilisation de fondations par la bourgeoisie pour s'assurer que les biens restent dans ses familles, exonérés d'impôt, pendant des générations.

Cependant, à l'instar des précédentes révélations de l'ICIJ, il existe un écart surprenant entre les détails financiers révélés concernant ceux qui sont des ennemis officiels de l'impérialisme américain, par rapport à ceux concernant des Américains. Sur les 336 hommes politiques identifiés dans les fuites, aucun n’est ressortissant des États-Unis, tandis que 19 hommes politiques russes et 38 hommes politiques ukrainiens ont été identifiés. Le manque de politiciens américains nommés est encore plus frappant si l'on considère que l'ICIJ a trouvé plus d'un milliard de dollars détenus dans des fondations basées aux États-Unis, des instruments indispensables à l'évasion fiscale et au blanchiment d'argent.

L'ICIJ a collaboré pour la rédaction du rapport avec le Projet de signalement du crime organisé et de la corruption (OCCRP). Selon l'ICIJ, plus de « 75 journalistes » du réseau de l'OCCRP ont aidé à passer les données au peigne fin. L'OCCRP est soutenu par des subventions de l'Agence pour le développement international des Etats-Unis, du Département d'État américain, de Google Ideas ainsi que de l'Open Society Foundations de George Soros.

Dans un commentaire de la chaîne russe RT, Kit Klarenberg a demandé: « La CIA pourrait-elle être à l'origine de la fuite des Pandora Papers, étant donné leur curieux manque de concentration sur les ressortissants américains? De même, le rédacteur en chef du Global Times basé en Chine, Hu Zijin, a suggéré que les « agences de renseignement » américaines et occidentales étaient impliquées dans les fuites et écrit sur Twitter qu'« elles créent de nouveaux outils pour leur intervention politique dans les pays en développement ».

Appuyant apparemment le point de vue de Zijin, dans un communiqué publié lundi, l'attachée de presse de la Maison Blanche, Jen Psaki, a réitéré l'engagement du président Joe Biden à « lutter contre la corruption en tant qu'intérêt fondamental de la sécurité nationale ».

Psaki a également réitéré l'engagement de Biden à « travailler avec des partenaires et des alliés pour résoudre des problèmes tels que l'abus de sociétés écrans et le blanchiment d'argent… ». Venant de l'ancien sénateur du Delaware, l'un des États les plus favorables aux entreprises et les plus opaques du pays en ce qui concerne la protection des dossiers financiers des riches – il offre toutes les niches fiscales et tous les avantages aux sociétés de cartes de crédit et éliminant les protections contre les faillites pour défauts de paiement des cartes de crédit et des prêts étudiants – cette déclaration est plus que juste hypocrite.

Si l'ICIJ n'a pas réussi à trouver de politiciens « corrompus » aux États-Unis, il a découvert un grand nombre de fondations établies aux États-Unis, utilisées par la bourgeoisie pour protéger leurs actifs contre les impôts exigibles. Dans le Dakota du Sud, où les républicains contrôlent le gouvernement de l'État depuis les années 1970, les fondations ont été autorisées à prospérer. L'oligarchie financière a ainsi pu y dissimuler près de 360 milliards de dollars d'actifs par le biais de fondations opaques.

Dans un contexte d'inégalités sociales toujours croissantes et de formes plus ouvertes de parasitisme financier, le recours aux fondations, populaire au Moyen Âge pour les aristocrates anglais, a explosé ces dernières années, en particulier aux États-Unis, où plusieurs États ont adopté des lois éliminant les règles d’interdiction des perpétuités et permettant la création de « fondations de dynasties ». Parmi les fondations identifiées dans les documents, le Dakota du Sud en avait le plus (81), suivi de la Floride (37), du Delaware (35), du Texas (24) et du Nevada (14).

Parmi les politiciens nommés jusqu'à présent dans l'enquête figurent :

  • Le roi Abdullah II, 59 ans, qui règne en Jordanie depuis 1999 et est un proche allié des États-Unis. Les dossiers révèlent qu'Abdullah II possédait « 36 sociétés écrans au Panama et dans les îles Vierges britanniques ». Ces sociétés ont été utilisées pour dissimuler l'achat « d’au moins 14 maisons de luxe au Royaume-Uni, aux États-Unis ». Ces holdings comprenaient l’achat secret d’une villa de 33,5 millions de dollars à Malibu, en Californie, ainsi que des propriétés à Londres et Washington D.C. pour une somme globale de plus de 106 millions de dollars entre 2003 et 2017.
  • Nirupama Rajapaksa, une ancienne députée et vice-ministre de l'approvisionnement en eau et du drainage de 2010 à 2015. Elle est la cousine de l'actuel président sri lankais, Gotabaya Rajapakse. Nirupama, avec son mari Thirukumar Nadesan, contrôle une société écran utilisée pour acheter des appartements de luxe à Londres et à Sydney, tandis qu'une autre société, Pacific Commodities, a été utilisée pour transférer 31 tableaux et autres œuvres d'art au Geneva Freeport, un complexe d'entrepôts à Genève en Suisse où la bourgeoisie stocke ses biens pour éviter les impôts. Selon la revue spécialisée d'art Connaissances des Arts, le Port franc de Genève détenait en 2013 environ 1,2 million d'œuvres d'art.
  • Tony Blair, ancien premier ministre britannique de 1997 à 2007. Blair, avec son épouse Cherie, a enregistré une société britannique nommée Harcourt Ventures Ltd pour acheter une entité des îles Vierges britanniques nommée Romanstone International Ltd., qui possédait un immeuble à Londres d'une valeur de 8,8 millions de dollars. La propriété de Romanstone était une filiale d'une société immobilière appartenant à la famille de Zayed bin Rashid al-Zayani, ministre de l'Industrie et du Tourisme de Bahreïn. En achetant simplement la société propriétaire de la propriété, les Blair n'étaient pas obligés de payer des impôts fonciers, ce qui leur a permis d'économiser plus de 400 000 $ selon le Guardian.

(Article paru en anglais le 5 octobre 2021)

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