L’Île-de-France menace de casser la grève des conducteurs de bus Transdev

Les conducteurs de bus de la société Transdev en Seine-et-Marne et dans le Val d’Oise sont en grève contre l’ouverture à la concurrence du réseau francilien. Alors qu’ils entament leur sixième semaine de grève, rejoints par de nouveaux dépôts et menaçant une contagion dans toute la région Ile-de-France, les autorités régionales appellent les forces de l’ordre à intervenir et casser les piquets de grève établis par les conducteurs.

Le Conseil d’administration d’Île-de-France Mobilités s’est réuni lundi, présidé par la présidente de la région Île-de-France, l’ex-ministre de l’Enseignement et puis du Budget Valérie Pécresse. Dans un communiqué, ce conseil d’administration a demandé « à l’État d’intervenir dans les conditions les plus opportunes pour assurer le déblocage des dépôts de bus et permettre ainsi la réalisation du service minimum légitimement attendu par les usagers ».

En même temps, l’ex-président de la RATP et de La Poste Jean-Paul Bailly dirigera « une mission pour faire converger les points de vue » entre les grévistes et la direction de Transdev.

L’appel de Pécresse à une intervention policière pour écraser les piquets de grève est une attaque frontale contre le droit de grève. Cela rejoint les déclarations provocatrices et fausses de Transdev, selon lesquelles la grève aurait créé un « climat de guérilla urbaine » dans la région parisienne. Le but est d’escamoter les revendications légitimes des travailleurs face aux attaques sociales menées contre eux, et de préparer le terrain médiatique pour un assaut policier contre les grévistes.

L’État craint une éruption de la lutte des classes face aux attaques menées contre les travailleurs pendant la pandémie de Covid-19, alors que la combativité ouvrière monte dans les transports. Les cheminots allemands ont mené plusieurs semaines de grève cet été, et les conducteurs de bus privés en Grande-Bretagne sont en lutte. Des grèves des transports, annoncées ou non par les appareils syndicaux, ont éclaté à Lyon comme à Chambéry en France, alors que la grève des éboueurs de la métropole Aix-Marseille a commencé le 30 septembre contre l’augmentation du temps de travail.

A Transdev, les travailleurs s’opposent à la nouvelle organisation du travail, issue d’un accord-socle négocié avec les principaux appareils syndicaux de la société. Cet accord prévoit l’allongement du temps de travail au volant, le gel des salaires et une perte de jours de RTT.

L’ouverture à la concurrence en Île-de-France doit durer 20 ans. Elle a commencé cette année par les réseaux de bus Optile dans la grande couronne parisienne. Elle continuera par les bus RATP (2025), les trains de banlieue SNCF (2023 à 2033), les tramways (2030), et finalement les métros et les RER (2040).

Patricia, gréviste, explique à France-Bleu que l’accord socle est « totalement en désavantage pour le personnel. Auparavant, on était à 39 heures payées 39 et on avait 22 jours de RTT. Maintenant, on est à 37 heures et on nous a retiré 11 jours de RTT ». Les chèques vacances passent «de 750 euros par an à 250 euros».

Freddy, conducteur de bus « depuis 15 ans dans le groupe », déplore un « allongement du temps de travail passé au volant », tandis que celui alloué aux « prises de service » (notamment pour vérifier le véhicule) a été réduit, passant «de 20 minutes à 10 minutes ». Il ajoute: « Dès la prise de service, on est sous tension … Avant, quand j'avais un service de 7 heures, je travaillais deux heures de plus, ça me faisait deux heures supplémentaires. Maintenant, avec des semaines de 42, 43, 45 heures, je n'ai plus envie de travailler plus. Tout a été fait pour geler nos salaires ».

De nouveaux dépôts ont récemment rejoint la lutte, comme à Rambouillet. Si certains privilégient des grèves perlées (comme à Nemours ou à Rambouillet), beaucoup se maintiennent en grève continue (Chelles, Marne-la-Vallée, Saint-Gratien, Vulaines-sur-Seine, Vaux-le-Pénil).

La lutte des travailleurs de Transdev ne peut être laissée aux mains des organisations syndicales. Celles-ci se sont vues forcées à appeler à une grève dans les dépôts de Transdev alors qu’elles avaient négocié l’accord-socle avec la direction qui prévoit les augmentations du temps de travail.

A présent, les organisations syndicales démoralisent les travailleurs en les isolant, dépôt par dépôt, afin de fragiliser le mouvement. Jamel Abdelmoumni, délégué central Transdev Île-de-France pour Sud-Rail, déclare: « La stratégie de la direction est d’abord de jouer le pourrissement, en essayant d’essouffler le mouvement. Puis, de trouver des accords au cas par cas afin de faire reprendre le travail aux plus précaires ».

Mais en fait, cette stratégie de la direction bien décrite par Sud-Rail est mise en œuvre par les directions syndicales elles-mêmes.

A Sénart, un protocole a été signé par deux organisations syndicales sur trois. Le lundi 11 octobre, une réunion pour le dépôt de Vaux-le-Pénil s’est tenue à la Cité administrative de Melun. Le mardi 12 octobre, c’est au tour de Marne-la-Vallée, toujours en présence de l’Inspection du travail. Pour Vulaines-sur-Seine, deux rendez-vous sont programmés – l’un ce mardi 12 octobre, l’autre le 14, sans médiateur cette fois. Sur les autres dépôts en lutte à Fontainebleau, Melun et Marne le Vallée, les syndicats poursuivent les négociations.

Alors que la grève de Transdev a commencé début septembre, les syndicats l’ont isolée des luttes à Lyon, `à Aix-Marseille, ou à Chambéry, et surtout de leurs frères et sœurs de classe à l’international. Au Royaume-Uni, les chauffeurs routiers ont fait grève une journée au mois d’août pour protester contre l’allongement des heures de travail, les bas salaires, les conditions intolérables et les conséquences d’une crise de recrutement et de rétention qui a causé une pénurie de 100.000 chauffeurs. En prévision de la grève, l’armée britannique a été placée en état d’alerte.

Pour lever le diktat des appareils syndicaux sur la grève, et mobiliser plus largement les travailleurs en soutien contre les menaces de l’appareil d’État, il faut lutter pour établir des comités de base sur les dépôts en lutte et les autres lieux de travail. Les grévistes Transdev disposent d’un soutien puissant à travers la France et à l’échelle internationale. Mais pour unifier et mobiliser ce soutien, les travailleurs ne peuvent pas laisser l’initiative aux appareils syndicaux.

Le mouvement des « gilets jaunes », organisé sur les réseaux sociaux et suivi par la pandémie, a discrédité les organisations syndicales, qui ont collaboré à la reprise du travail et à la réouverture des écoles dans des conditions de danger mortel. La classe dirigeante elle-même n’est plus sûre de la capacité des appareils syndicaux à contenir la grève et à imposer la reprise du travail aux salariés. C’est pour cela que ses représentants font appel de plus en plus à la police et à l’armée.

C’est un avertissement de l’incompatibilité de l’ordre capitaliste avec les luttes des travailleurs pour défendre leurs acquis sociaux et leurs droits démocratiques et se protéger du coronavirus. Il est essentiel d’organiser les travailleurs indépendamment des syndicats pour briser les attaques sociales menées contre les travailleurs, déjouer les menaces de répression qui pèsent sur eux, et imposer une stratégie scientifique pour stopper la pandémie et éradiquer le virus. Ceci implique de forger l’unité de la classe ouvrière internationale dans la lutte pour le socialisme.

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