Washington étrangle l'économie afghane alors que des millions de personnes sont menacées de famine

Deux mois après la chute de Kaboul aux mains des talibans, le 15 août, et la fin ignominieuse des 20 ans de guerre et d’occupation de l’Afghanistan par Washington, le pays est au bord de la catastrophe humanitaire.

Les mesures prises par le gouvernement Biden pour étrangler l’économie du pays menacent d’infliger le plus grand crime contre l’humanité commis en Afghanistan au cours des décennies d’intervention impérialiste américaine.

Un enfant afghan déplacé à l’intérieur du pays cherche du plastique et d’autres articles qui peuvent être utilisés pour remplacer le bois de chauffage, dans une décharge à Kaboul, en Afghanistan, dimanche 15 décembre 2019 (AP Photo/Altaf Qadri) [AP Photo/Altaf Qadri]

Les agences de l’ONU avertissent que plus de neuf familles afghanes sur dix ne sont déjà pas en mesure d’obtenir suffisamment de nourriture et que plus d’un million d’enfants pourraient faire face à la malnutrition aiguë et même à la mort par famine au cours de l’année à venir. Près de la moitié des enfants du pays souffrent déjà de malnutrition, tandis que le danger de voir des maladies comme la rougeole et la polio se propager dans la population augmente.

Les conditions étaient déjà désastreuses avant le retrait définitif des troupes américaines et l’effondrement du régime fantoche américain de Kaboul, l’Afghanistan occupant la 169e place sur 189 pays selon l’indice de développement humain des Nations unies. Une sécheresse a détruit une grande partie de la récolte de blé et l’inflation a fait monter en flèche les prix des denrées alimentaires.

Depuis la fin de la débâcle américaine, cependant, le pays a subi deux coups durs. Premièrement, toutes les aides étrangères et les fonds de développement ont été sommairement coupés. Bien qu’une grande partie de cet argent allait directement dans les poches de fonctionnaires corrompus soutenus par les États-Unis, il représentait environ 80 pour cent du budget du gouvernement et constituait le pilier de l’économie du pays qui, en 20 ans d’occupation américaine, n’a jamais développé la moindre industrie significative.

Deuxièmement, et c’est encore plus dévastateur, les États-Unis ont imposé des sanctions unilatérales à l’encontre du gouvernement contrôlé par les talibans, prétendument en raison de la classification de l’ancien mouvement insurrectionnel des talibans comme groupe terroriste spécialement désigné (SDGT). Cela fait que toute personne aux États-Unis – et, compte tenu des sanctions secondaires, toute personne dans le monde – pourrait commettre un crime en traitant avec lui.

Entre-temps, les États-Unis ont gelé quelque 9,5 milliards de dollars d’actifs du gouvernement afghan, dont la plupart sont détenus par la Federal Reserve Bank of New York. Sous la pression du gouvernement Biden, le Fonds monétaire international a également coupé l’accès de Kaboul à des centaines de millions de dollars de réserves d’urgence.

La coupure des avoirs en dollars de l’économie afghane, qui est «dollarisée», entraîne un arrêt brutal de l’activité économique et prive le gouvernement de l’argent nécessaire pour payer les salaires des enseignants, des professionnels de la santé et des autres travailleurs des services publics essentiels, dont certains n’ont pas été payés depuis des mois. Les organismes d’aide non gouvernementaux sont également dans l’incapacité de payer leurs employés ou de financer leurs opérations.

Également sous la pression des États-Unis, la Banque mondiale a coupé 600 millions de dollars de financement qui sous-tendaient le système de soins de santé du pays. Les ONG responsables d’une grande partie des soins de santé du pays étant également privées de fonds, quelque 2.000 hôpitaux et cliniques, y compris ceux qui se consacrent au traitement des patients atteints de la COVID-19, ont été contraints de fermer leurs portes dans tout l’Afghanistan, selon la Croix-Rouge.

«Si l’argent ne commence pas à affluer rapidement, un effondrement économique total plongera les Afghans dans une catastrophe humanitaire», a averti Jan Egeland, secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés, après une visite en Afghanistan la semaine dernière.

Egeland a indiqué que la coupure des liquidités avait laissé son organisation dans l’incapacité de payer le personnel ou les fournisseurs en Afghanistan. «Au lieu de cela, nous sommes obligés d’acheter des tentes, des couvertures et de la nourriture au Pakistan voisin. Imaginez maintenant ce dilemme multiplié pour chaque employeur en Afghanistan.»

Les politiques du gouvernement Biden représentent un acte de pure vengeance pour la débâcle qui a mis fin à la guerre américaine de 20 ans, un acte de punition collective contre toute une population de 40 millions de personnes pour ne pas avoir soutenu la tentative de l’impérialisme américain d’imposer une domination de type colonial. En même temps, ils sont motivés par des considérations géostratégiques précises. Washington s’oppose à la consolidation de tout régime à Kaboul qui ne soit pas sous sa coupe, et en particulier un régime qui se rapprocherait de la Chine.

C’est dans ce contexte que les pays du G20 se sont réunis mardi pour examiner la crise en Afghanistan. Les divisions entre les États-Unis, l’Europe et la Chine sur cette question sont apparues clairement.

Avant la réunion, l’Union européenne a entamé les discussions en annonçant un milliard d’euros «pour éviter un effondrement humanitaire et socio-économique majeur», a déclaré la chef de l’UE, Ursula von der Leyen. Ce geste exprime sans doute les inquiétudes des capitales européennes qui craignent que l’effondrement économique du pays ne déclenche un flux de réfugiés encore plus important que celui de 2015.

En même temps, cependant, le plan européen était bien moins important qu’il n’y paraît. Il comprend 300 millions d’euros déjà promis, auxquels s’ajoutent seulement 250 millions d’euros pour l’Afghanistan, le reste allant aux pays voisins pour gérer les flux de réfugiés. Sachant qu’environ 50 pour cent de l’aide est consacrée aux frais administratifs, cela signifie qu’à peine plus de 125 millions d’euros parviendront au peuple afghan affamé. Cela après une guerre de 20 ans dans laquelle Washington a dépensé quelque deux mille milliards de dollars et ses alliés européens, des dizaines de milliards de dollars.

Dans une condamnation à peine voilée de la politique américaine en Afghanistan, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré aux journalistes qui couvraient le G20: «Regarder sans rien faire 40 millions de personnes plonger dans le chaos parce que l’électricité ne peut être fournie et qu’aucun système financier n’existe, cela ne peut et ne doit pas être l’objectif de la communauté internationale».

Ni le président chinois Xi Jinping ni le président russe Vladimir Poutine n’ont participé au sommet virtuel du G20. Pékin doit participer la semaine prochaine à une réunion à Moscou à laquelle participeront les pays voisins de l’Afghanistan ainsi qu’une importante délégation des talibans.

Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a toutefois déclaré lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères du G20 que les sanctions contre le gouvernement de facto de l’Afghanistan devaient être levées et les avoirs du pays dégelés. Participant au sommet virtuel, il a souligné que les pays qui ont «provoqué la situation actuelle» avaient la responsabilité d’empêcher une catastrophe humanitaire.

Le compte rendu de la Maison-Blanche sur la réunion du président Joe Biden avec les dirigeants du G20 sur l’Afghanistan a souligné la détermination des États-Unis à «maintenir une attention particulière à nos efforts constants de lutte contre le terrorisme, y compris contre les menaces de l’ISIS-K, et à garantir un passage sûr aux ressortissants étrangers et aux partenaires afghans munis de documents qui cherchent à quitter l’Afghanistan», tout en mentionnant l’aide humanitaire après coup.

Pour sa part, le porte-parole du département d’État, Ned Price, a esquivé une question sur la possibilité pour les États-Unis de permettre à l’Afghanistan d’accéder à ses avoirs gelés, affirmant que Washington attendrait de voir ce que les talibans feraient «dans six semaines, dans six mois» pour déterminer «à quoi ressembleront nos mesures incitatives – le bâton, la carotte et tout ce qu’il y a entre les deux – avec le futur gouvernement afghan».

Washington justifie sa politique qui consiste à affamer la population afghane en faisant référence aux «droits de l’homme» et en invoquant la politique des talibans à l’égard des femmes. Répondant à cette ligne de propagande, le porte-parole des talibans, Inamullah Samangani, a déclaré: «S’ils interdisent nos biens, 90 pour cent du peuple afghan tombera dans la pauvreté. N’est-ce pas également en contradiction avec les principes des droits de l’homme?»

Il ne fait aucun doute que la politique meurtrière des États-Unis envers l’Afghanistan est motivée dans une large mesure par la confrontation toujours plus belliqueuse de Washington avec la Chine. Le gouvernement taliban a décrit la Chine, avec laquelle l’Afghanistan partage une frontière étroite, comme son «partenaire le plus important» et un «ami fiable».

Coupés de l’aide et des réserves du pays par Washington et ses alliés, les talibans considèrent que la Chine peut potentiellement combler ce vide, notamment par des investissements liés à son initiative de la «Nouvelle route de la soie».

Les investissements chinois dans le pays ont augmenté de près de 12 pour cent en 2020 et Pékin souhaite exploiter les métaux de terres rares de l’Afghanistan, dont la valeur est estimée entre 1000 et 3000 milliards de dollars. Mercredi, les médias chinois ont attribué la chute du cours des actions liées au lithium à la perspective que l’exploitation des réserves de lithium de l’Afghanistan, les plus importantes au monde, fasse baisser le prix de ce minéral, crucial pour le développement de l’industrie chinoise des voitures électriques.

Après avoir mené pendant deux décennies une sale guerre qui a fait des centaines de milliers de morts avant de se terminer en débâcle, Washington se lance dans des politiques qui menacent de condamner des millions d’Afghans à la famine, tout en transformant le pays ravagé en champ de bataille dans une guerre des États-Unis contre la Chine.

(Article paru en anglais le 15 octobre 2021)

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