Pérou : Castillo remporte le vote de censure après avoir déployé l'armée dans la rue

Soldats péruviens dans les rues de Lima (source : Andina)

Le gouvernement du président Pedro Castillo a survécu à une motion de censure du Congrès péruvien jeudi après avoir procédé à un remaniement radical de son cabinet et avoir lancé des appels de plus en plus directs à l'élite dirigeante péruvienne et à ses représentants de droite.

L'ascension de Castillo, un ancien dirigeant d'un syndicat d'enseignants ruraux, à la présidence en juillet a été saluée par la pseudo-gauche comme une victoire majeure pour les masses péruviennes et même un renouveau de la soi-disant « Marée rose » – l'arrivée au pouvoir des gouvernements bourgeois nationalistes de gauche et populistes dans un certain nombre de pays d'Amérique du Sud pendant le boom des matières premières du début des années 2000.

Depuis qu'il a pris ses fonctions au milieu d'un torrent de démagogie populiste, le gouvernement Castillo s’est précipité convulsivement vers la droite.

Deux jours seulement avant le vote de censure du Congrès, Castillo a publié un décret déployant des soldats de l'armée péruvienne dans les rues de la capitale, Lima, et dans la ville portuaire voisine de Callao, qui comptent ensemble 11 millions d'habitants, soit un tiers de la population péruvienne.

Bien qu'effectué sous le prétexte d'aider la police péruvienne à lutter contre une criminalité croissante, ce déploiement militaire est intervenu dans le contexte d'une marée montante de protestation sociale et de lutte des classes, entraînée par l'aggravation de la pauvreté et des inégalités sociales dans des conditions de propagation incontrôlée de la COVID-19. Avec plus de 200 000 décès dus à la COVID, le Pérou a le taux de mortalité par habitant le plus élevé au monde.

Il y a également eu un certain nombre de grèves de communautés paysannes appauvries contre l'accaparement des terres et la destruction de l'environnement par les grandes transnationales minières. Après qu'un barrage routier eut imposé la fermeture de la plus grande mine de cuivre du pays, Antamina, détenue en copropriété par Glencore et BHP Billiton, et secoué les marchés financiers, le gouvernement a envoyé un groupe de ministres négocier une trêve basée sur des promesses de « dialogue ».

Lors d'une autre manifestation minière à Ayacucho on dépêcha la police nationale péruvienne qui utilisa balles en caoutchouc, gaz lacrymogènes et matraques pour disperser les membres de la communauté. Entre-temps, les chauffeurs de bus, de camions et d'autres transports ont menacé de faire grève le 8 novembre contre la hausse des prix du carburant.

Autre concession à la droite péruvienne, Castillo a limogé un autre de ses ministres à la veille même de la motion de censure. Le ministre de l'Intérieur Luis Barranzuela, dont un certain nombre de députés de droite demandaient la destitution, comme condition d'un vote en faveur du gouvernement, a été démis de ses fonctions. Cela, au motif qu'il aurait organisé le 31 octobre une fête d'Halloween après une directive du gouvernement disant à la population de ne pas organiser de tels rassemblements. Barranzuela a affirmé, de manière peu plausible, qu'il avait convoqué une réunion officielle.

Barranzuela a été associé au parti Pérou Libre, qui nomma Castillo à la présidence, même s'il ne l'avait rejoint qu'en 2020. Il avait été l'avocat de Vladimir Cerrón, dirigeant de Pérou Libre et ancien gouverneur régional de Junín, qui fut condamné à la prison pour corruption.

Cerrón et Pérou Libre combinent démagogie populiste et rhétorique pseudo-marxiste à une politique régionaliste. Ils font appel aux ressentiments envers la domination de Lima. Sa corruption est commune à tous les partis bourgeois du Pérou ; quatre de ses ex-présidents vivants ont été condamnés à la prison; un cinquième s’est suicidé pour ne pas se rendre à la police.

Le matin du vote du Congrès, Castillo a fait prêter serment au remplaçant de Barranzuela, Avelino Guillén, un procureur principal avec une carrière de 40 ans au gouvernement péruvien. Il a mené l'enquête et l'inculpation de l'ancien dictateur péruvien Alberto Fujimori pour son rôle dans les massacres de Barrios Altos et La Cantuta perpétrés par l'escadron de la mort militaire de Colina en 1991 et 1992. Fujimori purge actuellement une peine de 25 ans en lien avec ces crimes.

Si la nomination de Guillén a été accueillie favorablement par la majeure partie du Congrès, elle n'a obtenu aucun soutien du parti d’extrême droite Fuerza Popular, dirigé par la fille de Fujimori, Keiko Fujimori. Celle-ci a perdu de justesse l'élection présidentielle face à Castillo.

Ce n'était là que le dernier d'une longue série de remaniements ministériels. Ils ont commencé moins d'un mois après le début de la présidence de Castillo, lorsque son ministre des Affaires étrangères, Hector Bejar, 85 ans, a été chassé de ses fonctions par les médias de droite, qui avaient déterré une déclaration incontestable, faite plus tôt, que l'armée avait commis des actes de terreur contre la population civile sous Fujimori. La marine péruvienne a dénoncé la déclaration comme une «insulte »; le premier ministre d’alors, Guido Bellido, a publié une déclaration louant les forces armées pour « les efforts qu'elles ont déployés dans la lutte contre le terrorisme et pour la pacification nationale ».

Bellido a lui-même été démis de ses fonctions après avoir proféré des menaces démagogiques de nationaliser la compagnie gazière Camisea, détenue conjointement par Hunt Oil aux États-Unis et l'Argentin Pluspetrol. Castillo s'était lui aussi livré à une rhétorique similaire.

Cependant, son ministre des Finances Pedro Francke a rapidement « clarifié » ces déclarations, déclarant qu'il s'agissait de s'assurer que l'entreprise fonctionnait « au service des Péruviens » et, « en aucun cas, cela ne signifie que l'État prenne le contrôle d’une activité privée ».

Cela faisait écho à des promesses faites par Castillo et Francke lors de leur voyage aux États-Unis en septembre, où ils avaient assuré les investisseurs privés, le gouvernement américain, le FMI et la Banque mondiale de leur engagement à défendre les profits des investisseurs transnationaux et du capital péruvien.

La remplaçante de Bellido fut Mirtha Vasquez, soi-disant gauchiste modérée et avocate à laquelle on pouvait faire confiance ayant occupé le poste de présidente par intérim du Congrès durant la crise de 2020, déclenchée par le coup d'État parlementaire qui renversa le président Martín Vizcarra.

Parmi les autres ministres limogés pour apaiser la droite péruvienne figurait le ministre du Travail Iber Maraví, accusé par la presse de droite d'association avec le mouvement de guérilla maoïste Sendero Luminoso, une accusation qu'il a réfutée et dont il n'existe aucune preuve.

Un autre sacrifié a été le ministre des Mines Iván Merino, qui, malgré ses efforts pour assurer aux sociétés minières qu'elles ne couraient aucun risque de nationalisation, s’est vu remplacer par Eduardo González, ancien directeur général d'une entreprise technologique.

Un poste où il n'y a eu aucun changement est celui de président de la Banque centrale de réserve du Pérou. Castillo y a maintenu l'économiste de droite Julio Velarde, qui occupait déjà ce poste depuis 2006. Champion des intérêts capitalistes transnationaux et péruviens, Velarde a averti, après avoir prêté serment pour un nouveau mandat mardi, que les protestations minières du Pérou « affectaient la perception du pays en termes d'investissements futurs », et fit siens les appels des sociétés minières au « rétablissement de l'ordre » par le gouvernement.

La trajectoire droitière du gouvernement Castillo a divisé Pérou Libre. Lors du vote de censure, le gouvernement a obtenu 68 voix, soit quatre de plus que la majorité nécessaire (64), 56 votant contre. La délégation de Pérou Libre au congrès s'est divisée en deux, 19 députés votèrent pour le gouvernement et 16 contre.

Parmi ceux qui ont voté contre il y avait l'ancien premier mnistre Guido Bellido, qui a déclaré que Castillo n'était ni un socialiste ni de gauche, mais juste un « syndicaliste de base ».

La pseudo-gauche, y compris le magazine Jacobinaffilié aux Socialistes démocrates d'Amérique (DSA), a assidûment promu des illusions sur Castillo et sur la perspective d'un gouvernement bourgeois conduit par un dirigeant syndical et menant une transformation socialiste du Pérou. Cette perspective réactionnaire sert à subordonner la classe ouvrière péruvienne à l'État capitaliste et à ouvrir la voie à des défaites sanglantes.

Le déploiement de l’armée dans les rues de Lima par Castillo s’est produit quelques semaines seulement après la déclaration d'un « état d'exception » et le déploiement de l'armée en Équateur, également au nom de la lutte contre la criminalité. Que le dirigeant syndical soi-disant « de gauche » et le président équatorien Guillermo Lasso, banquier de droite et ex-dirigeant de Coca Cola, en arrivent à la même décision de déployer l’armée montre la désintégration de toute base pour des formes démocratiques de gouvernement dans une Amérique latine déchirée par d'intenses divisions de classe et des inégalités sociales, fortement intensifiées par la pandémie de COVID-19.

Au Pérou, comme dans toute l'Amérique latine, la question brûlante est celle de la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière contre toutes les sections de la bourgeoisie et tous ses partis politiques et contre les syndicats pro-patronat. Cela ne peut être réalisé que sur la base d'un programme socialiste et internationaliste visant à renverser la dictature du capital industriel et financier et à réorganiser la vie socio-économique sur des bases socialistes. Cela nécessite avant tout la construction d'un parti révolutionnaire de la classe ouvrière – une section péruvienne du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 6 novembre 2021)

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