Perspectives

Quelles conclusions tirer de la campagne du polémiste raciste Eric Zemmour?

Eric Zemmour n’a pas encore annoncé sa candidature à l’Élysée, mais sa campagne met déjà en lumière une profonde crise politique.

Une femme passe devant des affiches montrant Eric Zemmour, vedette d'un talk-show politique d'extrême droite, à Biarritz, dans le sud-ouest de la France, le 26 octobre 2021 (AP Photo/Bob Edme)

Zemmour s’est fait connaître en tant que tête parlante richement payée sur CNews, la chaîne d’extrême-droite du milliardaire Vincent Bolloré. Défenseur de longue date du régime de Vichy, il s’est vu condamné pour incitation à la discrimination raciale en 2011 et à la haine des musulmans en 2018. Il est sceptique envers les vaccins et hostile envers la distanciation sociale pour lutter contre la pandémie. C’est l’un des égouts par lesquels la haute bourgeoisie vomit ses haines nationalistes à travers les écrans télévisés sur les Français.

Alors que commence la campagne présidentielle, les dénonciations par Zemmour des «élites de gauche», des immigrés et des réfugiés, sont massivement relayées par tous les médias. Ceci l’a propulsé à 18 pour cent dans certains sondages, dépassant la candidate néofasciste Marine Le Pen et devenant pour l’instant le premier opposant électoral de Macron.

Cette tonitruante promotion de Zemmour marque une nouvelle étape dans la crise de la démocratie française. La classe dirigeante est assiégée par des conflits internationaux pour lesquels elle n’a pas de solution. Elle subit des défaites en Afghanistan et au Mali. Surtout, elle craint la colère ouvrière que provoquent les morts et la dévastation sociale produites par sa politique de «vivre avec le virus» pendant la pandémie de Covid-19, qui a fait 1,3 millions de morts en Europe.

Dans ce contexte, les articles et les provocations télévisées de Zemmour provoquent une fascination malsaine dans l’élite dirigeante. Il est actuellement devant les tribunaux suite à sa vitupération contre les enfants réfugiés isolés: «Ils n'ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs». Mais il est néanmoins régulièrement invité sur les plateaux de télévision et commenté avidement dans les journaux.

Pour comprendre le phénomène Zemmour, on peut rappeler certaines de ses déclarations ces dernières années, cachées par des médias qui parlent de son «amour de l’histoire de France».

Il a mis en doute l’innocence du capitaine Alfred Dreyfus, un officier juif faussement condamné en 1894 pour espionnage par une cabale d’officiers antisémites. Il critiquait ainsi l’effort d’innocenter Dreyfus mené contre l’Action française par le mouvement ouvrier socialiste sous Jean Jaurès. «Beaucoup étaient prêts à dire Dreyfus innocent, même si c’est trouble», a-t-il affirmé.

Tout en étant juif, il défend le régime de Vichy et la participation de la police de Vichy à la déportation des Juifs vers les chambres à gaz. Il a dit: «Les fonctionnaires de Vichy n’étaient pas coupables, ils devaient obéir à l’État. Sinon il n’y a plus d’autorité, plus d'obéissance, vous vous rendez compte?» Interrogé sur une éventuelle déportation en masse des musulmans de France, il a refusé de condamner une telle atrocité et a déclaré: «L’histoire est surprenante.»

Zemmour condamne aussi la résistance au régime de Vichy et à sa collaboration avec l’occupation nazie. Se faisant l’écho de Vichy, qui réagissait à la prédominance d’ouvriers communistes dans la Résistance en traitant les résistants de «terroristes bolchéviks», il a dit: «La guerre civile, c’est des communistes qui l’ont commencée, en exécutant des Français qui étaient des collaborateurs».

Ce recours à la falsification historique pour dénoncer le socialisme et défendre le génocide a valeur d’avertissement: le capitalisme subit une crise mortelle. Le 21e siècle ne répétera pas le 20e. Mais après l’autorisation accordée en 2019 à l’armée de tirer sur les «gilets jaunes», et l’indifférence officielle aux millions de morts causées par la pandémie de Covid-19, il serait d’une inconscience criminelle que d’oublier les leçons de l’histoire.

Pourquoi la démagogie fascisante fascine-t-elle l’élite dirigeante? Ce n’est pas qu’elle organise un débat historique abstrait. La classe dirigeante, se sachant isolée et haïe, réfléchit à la dictature, à la répression politique et aux tueries de masse en tant qu’outils pratiques de sa politique.

Zemmour et la cabale de militaires putschistes

Le 22 octobre, le collectif «Militaires avec Zemmour» a publié dans le magazine d’extrême-droite Valeurs actuelles une tribune qui l’appelle à se porter candidat. Le traitant de «futur chef des armées», la tribune rappelle que «l’armée est considérée comme le dernier recours pour maintenir l’ordre». Elle poursuit sur le ton d’un marchandage entre l’état-major et Zemmour:

«Vous montrez une grande force de caractère. Accepterez-vous que les militaires et leurs chefs en fassent autant? Car ils n’ont qu’un seul intérêt, celui de la France, et aimeraient être écoutés lorsqu’ils donnent leur avis sur le budget ou la stratégie. Une défense forte suppose des moyens financiers et humains à la hauteur de ses ambitions. Aurons-nous les moyens de vos ambitions? … L’intérêt que nous vous portons est réel, et nous espérons de votre part un engagement et un soutien total.»

Valeurs actuelles est devenu l’organe de presse d’une cabale militaire autour de l’ex-chef d’état major Pierre de Villiers. A sa retraite, le général de Villiers s’est vu attribuer une sinécure par la société de conseil Boston Consulting Group. Son bureau à Paris, consulté par «60 pour cent des entreprises du CAC-40», dont Danone et L’Oréal, lui paie pas moins de 5.000 euros par demi-journée de travail, selon Le Monde. Fort des dizaines de conférences payées qu’il prononce devant les directions des grandes entreprises, il fait une propagande continue sur le danger de révolution.

En 2019, avant la pandémie, la vague de grèves et de luttes sociales aux USA, en Allemagne, en Pologne, en Belgique, au Portugal et en France a terrifié de Villiers. Appelant à plus de «fermeté» contre grévistes et «gilets jaunes», il a déclaré: «Il y a un fossé qui s’est creusé entre ceux qui dirigent et ceux qui exécutent. Ce fossé est profond. Les 'gilets jaunes' étaient déjà une première manifestation. … Il faut remettre de l’ordre, on ne peut pas continuer comme ça.»

La pandémie a été un événement déclencheur, intensifiant la crise du capitalisme mondial. Des grèves ont éclaté en Italie, aux USA et à travers l’Europe en mars 2020, les travailleurs exigeant le droit de s’abriter chez-eux pour se protéger du virus. Des manifestations contre les violences policières ont secoué le monde en juin après le meurtre de George Floyd à Minneapolis. La pandémie a également intensifié les appels à des coups d’état et à la dictature au sein de l’élite dirigeante, avant tout en Amérique.

Trump a menacé d’envoyer l’armée illégalement contre les manifestations pour George Floyd. Il a ensuite mené campagne pour délégitimer les élections de 2020 et lancer un coup d’état facilité par des sections de l’armée américaine. Le 6 janvier, une foule de néofascistes pro-Trump a tenté de prendre d’assaut le Capitole à Washington et bloquer la certification de la victoire de Biden, mais elle s’est finalement vue refoulée par l’envoi très retardé de la Garde nationale.

La préparation du coup par Trump a été suivie d’une explosion de complots militaires à travers l’Europe. En Espagne, des officiers déclaraient sur WhatsApp qu’ils sont de «bons fascistes» et qu’ils voulaient faire fusiller «26 millions» de personnes. En France, un dialogue fiévreux entre Zemmour et le clan Villiers s’engagea dans les pages de Valeurs actuelles. Zemmour a traité les manifestations pour Floyd en France de «guerre raciale importée d’Amérique par nos élites», alors que de Villiers appelait à préparer la suspension de l’État de droit.

«Aujourd'hui, à la crise sécuritaire s'ajoute la pandémie, le tout sur fond de crise économique, sociale et politique avec une confiance qui n'existe plus dans les dirigeants», a écrit de Villiers dans Valeurs actuelles. Craignant «que ces colères rentrées explosent en même temps», il a dit: «Il faut penser l'impensable ... L'État de droit est évidemment respectable, mais à un moment, il faut aussi élaborer une réflexion stratégique.»

Finalement, le frère de Pierre de Villiers, Philippe, a lancé un «appel à l’insurrection» fascisant en avril qui rendait l’industrie pharmaceutique et la «Big Finance» responsables de la pandémie. Le 21 avril, 60 ans après le putsch des généraux en 1961 à Alger qui visait à renverser le gouvernement français et arrêter l’indépendance de l’Algérie, un groupe d’officiers retraités a réagi en publiant un article dans Valeurs actuelles qui appelle de fait à un coup d’État. Quelques semaines plus tard, des milliers d’officiers d’active ont signé une lettre pour témoigner de leur soutien à cet article.

Dénonçant la «guerre raciale» menée selon eux par les banlieues ouvrières, l’article avertit quand sans éradication du «laxisme», il y aura «l’intervention de nos camarades d’active … sur le territoire national.» Il continue, «il n’est plus temps de tergiverser, sinon, demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts … se compteront par milliers.»

Zemmour a réagi dans Valeurs actuelles et Le Figaro en prodiguant des mensonges fascisants, en déclarant que ce n’était «pas un appel au putsch mais à la sécurité». Il a ajouté, «Quand ces généraux à la retraite appellent leurs camarades d’active à protéger les Français et la civilisation française, quand ils dénoncent des hordes fanatiques … qui peut leur donner tort? Qui peut nier leur patriotisme sincère et leur légitime inquiétude?»

Les avertissements les plus sérieux sont de mise quant à la propagande imposée aux Français par les médias capitalistes.

La montée du néofascisme en France s’est déroulée sur 35 ans. L’extrême-droite obtient des voix à présent parmi les travailleurs. La dissolution stalinienne de l’URSS en 1991 a facilité son ascension, en gommant la mémoire qui existait parmi les travailleurs dans les décennies d'après la Deuxième Guerre mondiale du conflit irréconciliable entre le fascisme et le mouvement communiste dans la classe ouvrière. Mais, comme les mouvements fascistes petit-bourgeois sur lesquels s’appuyaient Hitler et Mussolini au 20e siècle, le néofascisme du 21e siècle sert le grand capital.

La vie politique officielle est centrée sur l’appel de l’aristocratie financière à «vivre avec le virus» et à garder les travailleurs au travail et les jeunes à l’école, quelle que soit la situation sanitaire, afin de faire des milliers de milliards de profits pour les banques. Les stratèges politiques de l’élite dirigeante sont conscients de mener une lutte mortelle contre les travailleurs. Derrière l’écran de fumée de la «dédiabolisation» du fascisme, selon l’expression de Marine Le Pen, ils planifient la dictature pour imposer la guerre, l’austérité et l’infection de masse.

Pourquoi Zemmour et l’extrême-droite obtiennent-ils un vote ouvrier?

La montée de Zemmour dans les sondages nécessite une explication sérieuse. Prétendre que «Zemmour dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas» n’est pas expliquer, mais mentir. Le génocide industriel, l’antisémitisme politique et des coups d’état militaires n’ont pas le soutien des Français. Ceux qui prétendent le contraire minimisent le gouffre de classe qui sépare les travailleurs de forces comme les de Villiers, et cachent ainsi le danger qu’ils posent à la classe ouvrière.

En réalité, un des aspects progressiste de la mondialisation est qu’elle encourage des attitudes plus ouvertes parmi les travailleurs. Au printemps, un sondage Harris Interactive a trouvé que 89 pour cent des Français, un record, s’opposeraient à toute politique de préférence nationale au travail. De nombreux sondages ont établi que les inégalités, le chômage et la pauvreté dominent les inquiétudes des Français. Il faut se poser la question: pourquoi ces sentiments ne se traduisent-ils pas par un déplacement de l’échiquier politique vers la gauche?

Pour répondre à cette question, il faut examiner sans détour ce que l’élite dirigeante fait passer pour «la gauche» en France.

Depuis la grève générale de Mai 1968, cela a été l’alliance du PCF stalinien et des groupes issus du mouvement étudiant soixante-huitard avec le PS lancé par François Mitterrand en 1971. Fondée sur la politique postmoderniste de genre et de race du milieu soixante-huitard, «l’Union de la gauche» s’est vite révélée hostile envers les travailleurs. Sa ligne politique et son «tournant de la rigueur» après l’élection de Mitterrand en 1981 étaient pilotés par les banquiers, les chefs d’entreprise et les hauts fonctionnaires dans l’entourage de Mitterrand, un ex-collaborationniste.

Le dernier président PS de France, François Hollande, a bien résumé son bilan pendant la campagne électorale de 2012, lorsqu'il s'est expliqué sur son «socialisme» en disant au New York Times: «De nos jours, il n’y a plus de communistes en France. La gauche a libéralisé l’économie et ouvert les marchés à la finance et à la privatisation. Il n’y a rien à craindre.»

Après l’élection de Hollande, des millions de travailleurs dépités ont appris de sa maîtresse, Valérie Trierweiler que ce «socialiste» se moquait des travailleurs en privé en les traitant de «sans-dents», car les soins dentaires sont hors de prix pour des couches de plus en plus larges de travailleurs.

Après l’effondrement électoral du PS en 2017, le ministre de l’Économie de Hollande, Emmanuel Macron, a pu se faire élire. Avec son «salut républicain» aux néofascistes le soir de son élection, il a continué la guerre de Hollande au Mali et accéléré les attaques contre les retraites, les salaires et les droits sociaux. Il a lancé une violente répression policière des «gilets jaunes», avec plus de 10.000 arrestations et 4.400 blessés, Macron a salué le traître et dictateur collaborationniste Philippe Pétain en tant que «grand soldat.»

La lutte des classes démasque aussi les alliés petit-bourgeois du PS et de Macron, notamment ceux qui descendent de forces qui, il y a des décennies, ont rompu avec le trotskysme et le Comité international de la IVe Internationale (CIQI). Ces forces, comme le NPA d’Olivier Besancenot, ont non seulement répété la fausse dénonciation des «gilets jaunes» par les appareils syndicaux qui les traitaient de néofascistes. Ils se sont aussi accommodés du rejet d’une politique d’éliminer le virus et son appel à «vivre avec le virus», et ont minimisé les dangers posés par le coup de Trump.

Ils ont donné le feu vert à Zemmour en 2019, quand Roman Polanski a fait un film sur l’Affaire Dreyfus, J’Accuse. Le film a fait plus 1,5 millions d’entrées en France, mais la pseudo-gauche a dénoncé le film sur des bases féministes. Prétextant sa condamnation en 1977 pour abus sexuel sur mineur, ils ont apporté leur soutien à une campagne féministe de droite #MeToo qui envoyait des militants aux cinémas scander: «Polanski violeur, public complice.» La pseudo-gauche démontrait ainsi qu’elle ne défendrait pas l’Affaire Dreyfus, ni rien d’autre, contre l’extrême-droite.

Les vitupérations de Zemmour contre les «élites» de gauche l’aident, sans doute, à constituer son audience. Des masses de travailleurs détestent et se méfient de l’hypocrisie de la pseudo-gauche. Les médias traitent faussement Zemmour d’«anti-système» parce qu’il thématise un de ses secrets de Polichinelle – que ce qu’elle traite de «gauche» est un mouvement petit-bourgeois hostile à la masse travailleuse de la population. Mais Zemmour ne s’oppose pas au système capitaliste; il manie les haines raciales et le mensonge historique pour le défendre.

Une opposition explosive monte parmi les travailleurs de l’Europe et du monde contre la gestion officielle de la pandémie, l’austérité, la guerre et l’État policier. La classe dirigeante est très isolée. La question décisive en France et dans tous les pays est de construire un mouvement marxiste et internationaliste, c’est-à-dire trotskyste, parmi les travailleurs et les jeunes, qui s’oppose aux social-démocrates et à la pseudo gauche depuis la gauche, en représentant les travailleurs.

La classe ouvrière ne surmontera pas les obstacles posés par les appareils syndicaux et la pseudo gauche et les menaces de coup d’État par un mouvement spontané. Pour cela, il faut alerter les travailleurs sur les dangers auxquels ils sont confrontés, et les unir en un mouvement international, pénétré de la conscience des liens qui les unissent avec les luttes historiques de la classe ouvrière et du mouvement marxiste pour transférer le pouvoir aux travailleurs et bâtir le socialisme.

La construction d’un mouvement trotskyste dans la classe ouvrière et parmi les jeunes est une tâche politique urgente. Nous en appelons aux sympathisants et aux lecteurs du WSWS à tirer les conclusions qui s’imposent et à rejoindre le Parti de l’égalité socialiste en France ou les autres sections du CIQI à travers le monde.

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