Le gouvernement québécois a laissé les résidences pour aînés sans protection au début de la pandémie

Le directeur de la santé publique du Québec, le Dr Horacio Arruda, a admis que les autorités n’étaient nullement préparées à la pandémie de COVID-19 et ont gaspillé un temps précieux dans les premières semaines critiques.

Cet aveu involontaire est survenu dans un long témoignage, livré les 12 et 15 novembre derniers, sur la première vague de la pandémie dans les CHSLD (Centres d’hébergement et de soins de longue durée) publics et les établissements privés pour personnes âgées du Québec. Ce témoignage avait lieu dans le cadre d’une enquête publique ordonnée par la coroner en chef du Québec.

Cette enquête vise en premier lieu des établissements spécifiques où la première vague a eu des conséquences particulièrement horribles – dont le CHSLD Herron de Dorval sur la Rive-Nord de Montréal, où 51 des 150 résidents sont décédés. Mais elle comprend aussi un «volet national de gestion de la pandémie dans les CHSLD» au cours duquel la coroner Géhane Kamel a entendu Arruda, d’autres hauts fonctionnaires et la ministre de la Santé de l’époque, Danielle McCann.

Entre mars et août 2020, 5.200 personnes sont décédées dans les établissements pour personnes âgées du Québec, ce qui a grandement contribué à ce que la province ait l’un des taux de mortalité par habitant les plus élevés au monde pendant la première vague de la pandémie. Malgré ce bilan accablant, Arruda a utilisé son témoignage pour défendre la gestion de la pandémie par le gouvernement de droite de la Coalition avenir Québec (CAQ). Cela n’est pas surprenant dans la mesure où la pandémie a révélé qu’il était un simple laquais du gouvernement et non un scientifique intègre.

Le directeur de la santé publique du Québec, Horacio Arruda (Wikimedia Commons)

Volontairement ou non, Arruda et les autres témoins ont révélé l’absence totale de préparation à la pandémie. Arruda a admis qu’aucune mesure concrète n’avait été mise en place dans les centres pour personnes âgées avant le mois de mars 2020. Et ce, malgré le fait que les personnes âgées formaient un groupe particulièrement vulnérable (d’autant plus qu’elles étaient logées jusqu’à six par chambre dans les centres), et malgré le fait que des discussions sur les risques potentiels pour les aînés avaient eu lieu au plus haut niveau du gouvernement dès le mois de janvier. Par exemple, ce n’est que le 12 mars que les CHSLD ont reçu un guide de planification pour la COVID-19 et ce n’est que le 8 avril que le port du masque a été rendu obligatoire dans ces établissements.

En réponse, la coroner Kemel a déclaré qu’elle était «troublée» d’apprendre qu’il y avait eu des discussions à haut niveau avant le 13 mars puisque jusqu’à cette date «la préparation est zéro pis une barre». Elle a ajouté qu’il était évident des témoignages entendus que les CHSLD étaient «tout sauf prêts».

Les témoins ont aussi décrit un manque criant et généralisé de masques, d’équipements de protection individuels (EPI) et d’employés qualifiés. Laissés à eux-mêmes par un gouvernement qui n’avait constitué aucune réserve et qui n’a pas passé de commande importante avant le 18 février 2020, les hôpitaux et les autres établissements du système devaient se livrer une intense compétition pour obtenir le peu de masques et d’EPI disponibles.

On a également appris que la Santé publique du Québec avait ordonné aux CHSLD de ne pas transférer des patients COVID vers les hôpitaux pour éviter de les surcharger, ce qui a eu pour résultat que ces patients n’ont pas eu accès à des soins ou équipements de santé adéquats.

Ce portrait de complaisance criminelle des autorités est confirmé dans un rapport spécial déposé le 23 novembre par le Protecteur du citoyen, un organisme indépendant du gouvernement, qui conclut qu’«aucune action concrète et spécifique de préparation des CHSLD [n’a été prise] sur le terrain avant la mi-mars 2020».

Dans son témoignage à l’enquête du coroner, Arruda a plaidé l’impossibilité de se préparer à un évènement «historique», comparable à la pandémie de grippe espagnole de 1918, qui a frappé le Québec au moment où son système de santé était déjà «fragile». Il n’a pas mentionné que ce sont des décennies de coupures et d’austérité capitaliste par les gouvernements successifs, tant au niveau fédéral que provincial, qui ont rendu le système à peine capable de répondre aux besoins courants de la population, sans parler de faire face à une pandémie.

L’affirmation d’Arruda que la pandémie de COVID-19 était un évènement imprévisible est, quant à elle, complètement frauduleuse. Cela fait des années que des experts scientifiques, et même le forum économique mondial, avertissent du danger d’une pandémie.

Les gouvernements au Canada, en particulier, n’ont aucune excuse pour ne pas avoir été mieux préparés puisque l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003 avait fourni un sérieux avertissement aux autorités publiques. Après que le Canada a été le pays le plus touché par le SRAS en dehors de l’Asie, une série de rapports avaient mis en lumière les graves lacunes dans le système de santé publique et recommandé des mesures en prévision de la prochaine pandémie. Or, les gouvernements provinciaux et fédéral ont ignoré ces leçons, refusé de mettre les recommandations en place et continuer les coupures dans les soins de santé. Les problèmes décriés dans les rapports sur l’épidémie de SRAS de 2003 – pénurie de personnel, insuffisance des infrastructures hospitalières et manque d’EPI – se sont tous reproduits pendant la pandémie de COVID-19, au Québec comme à travers le Canada.

Le Plan québécois de lutte à une pandémie d’influenza préparé en 2006 prévoyait que 30% du personnel de la santé serait contaminé et devrait être remplacé en cas de pandémie. Or, rien n’a été fait pour se préparer à tel taux d’attrition de sorte que le système de la santé fait face à une grave pénurie de personnel depuis le début de la pandémie de COVID-19.

Dans son témoignage, Arruda a admis que la santé publique du Québec avait entendu parler du nouveau coronavirus dès le 30 décembre 2019 et qu’elle a été officiellement avisée par le gouvernement fédéral le 2 janvier 2020. Pourtant rien n’a été fait avant le 12 mars 2020, alors qu’une série de grèves sauvages de travailleurs à travers le monde a provoqué la fermeture d’usines et forcé les gouvernements, dont celui du Québec, à ordonner un confinement limité. Malgré cela, Arruda a qualifié la réaction du gouvernement Legault de «rapide».

Plutôt que de mettre l’intervalle entre l’apparition du coronavirus en Chine et son arrivée au pays à profit, l’élite dirigeante a publiquement minimisé le danger afin de préserver les profits des entreprises et d’éviter un effondrement des marchés boursiers. Une fois que la propagation au Canada est devenue impossible à nier, causant une crise financière, le gouvernement fédéral libéral de Justin Trudeau s’est empressé de donner 650 milliards de dollars aux banques et aux grandes entreprises. Il a ensuite lancé, avec les gouvernements de toutes les provinces, une campagne agressive de retour à l’école et au travail afin de faire payer à la classe ouvrière le renflouage de l’oligarchie financière.

Le témoignage d’Arruda a confirmé que la réaction du gouvernement du Québec à la pandémie était fondée non pas sur la science, mais sur les intérêts politiques et matériels de la classe dirigeante.

Par exemple, ce n’est que le 18 mars 2020 qu’il a demandé au Comité des infections nosocomiales du Québec d’effectuer une veille scientifique sur la COVID-19. Il a mentionné s’être tout de même fié à l’affirmation faite par cette même organisation avant le début de sa veille scientifique que la maladie se transmettait essentiellement par gouttelettes et non par aérosols.

Pour expliquer que le port du masque n’a été rendu obligatoire que le 9 avril 2020, Arruda a prétendu que jusqu’à la fin du mois de mars 2020, il n’existait pas de consensus sur le fait que le virus pouvait être transmis par des personnes asymptomatiques.

En réalité, Arruda et le gouvernement de la CAQ ont sciemment ignoré les avertissements de nombreux scientifiques à travers le monde qui, déjà en février 2020 mettaient garde contre la transmission par aérosols et par les personnes asymptomatiques. Ils ont également refusé de mettre en place le principe de précaution qui aurait voulu que l’on fasse preuve de la plus grande prudence, y compris en mettant en place des mesures qui se seraient ensuite avérées inutiles, le temps d’en savoir plus sur le virus.

Arruda a défendu ses actions en disant: «Il n’y a pas juste la science qui décide. […] Il y a des éléments environnementaux, sociaux, éthiques par rapport aux choix qu’on peut faire». Difficile de mieux décrire la politique de l’élite dirigeante: celle du «choix social» de faire passer les profits avant les vies humaines.

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