La menace de licencier les travailleurs en grève de Kellogg's suscite une déclaration nerveuse du gouvernement Biden

Le président Biden a publié vendredi une déclaration nerveuse critiquant la décision de Kellogg’s de commencer à embaucher des remplaçants permanents dans le but de briser la grève de plus de deux mois des 1.400 travailleurs du secteur des céréales. L’entreprise a annoncé cette décision après que les travailleurs eurent rejeté de façon retentissante un contrat de concessions à l’entreprise soutenu par le syndicat de l’alimentaire BCTGM (Bakery, Confectionery, Tobacco Workers and Grain Millers) le week-end dernier.

Le siège de Kellogg à Battle Creek, Michigan [WSWS media].

Cette courte déclaration de huit phrases est un signe clair de la nervosité des milieux dirigeants, qui craignent que la décision de Kellogg’s ne déclenche une explosion sociale dans la classe ouvrière. Une première indication du soutien aux grévistes contre cette mesure est apparue en début de semaine lorsque des utilisateurs de Reddit ont organisé une manifestation en ligne qui a submergé les serveurs que Kellogg’s utilisait pour embaucher des remplaçants, les inondant de fausses demandes d’emploi.

Capture d’écran de la déclaration du président américain Joe Biden

Traduction :

Déclaration du président Joe Biden sur les négociations collectives de Kellogg

La négociation collective est un outil essentiel pour protéger les droits des travailleurs qui doivent être à l’abri des menaces et des intimidations des employeurs.

C’est pourquoi je suis profondément troublé par les informations qui font état de l’intention de Kellogg de remplacer définitivement les travailleurs en grève [du syndicat] Boulangerie, Confiserie, Tabac et Meunerie International pendant les négociations en cours.

Le remplacement permanent de travailleurs en grève constitue une attaque existentielle contre le syndicat et les emplois et moyens de subsistance de ses membres. Je m’oppose depuis longtemps aux remplacements permanents de grévistes et je soutiens fermement une législation qui interdirait cette pratique.

Une telle action sape le rôle essentiel que joue la négociation collective en donnant aux travailleurs une voix et la possibilité d’améliorer leur vie tout en contribuant pleinement à la réussite de leur employeur.

Les syndicats ont construit la classe moyenne de ce pays. Mon soutien indéfectible aux syndicats inclut le soutien à la négociation collective, et je les défendrai tous deux énergiquement.

Je demande instamment aux employeurs et aux syndicats de s’engager pleinement dans la tâche difficile qui consiste à régler leurs différends à la table des négociations d’une manière qui favorise équitablement les intérêts des deux parties.

Le gouvernement a publié cette déclaration le jour même où il a annoncé que le taux d’inflation officiel des États-Unis avait atteint le chiffre impressionnant de 6,8 pour cent en novembre, le taux le plus élevé depuis 40 ans. L’érosion considérable du niveau de vie des travailleurs par l’inflation, elle-même une conséquence de la dislocation économique et sociale causée par le refus de la plupart des gouvernements du monde de contenir et stopper la pandémie, est un facteur essentiel de la très forte montée des grèves et menaces de grève des derniers mois, dont fait partie la grève de Kellogg’s.

Toutefois, la lettre de Biden n’annonçait pas de décret ou autre mesure de la Maison-Blanche pour bloquer la décision de Kellogg’s ou intervenir directement. Il a au contraire appelé l’entreprise et le BCTGM à se réunir pour mettre fin au conflit: « Mon soutien indéfectible aux syndicats inclut le soutien à la négociation collective, et je les défendrai tous deux énergiquement. Je demande instamment aux employeurs et aux syndicats de s’engager pleinement dans la tâche difficile qui consiste à régler leurs différends à la table des négociations d’une manière qui favorise équitablement les intérêts des deux parties. »

Que Biden ne soit pas motivé à s’exprimer par le souci de défendre les droits des travailleurs est mis en évidence par le fait qu’il n’a fait aucune déclaration de ce type lorsque les syndicats ont imposé des contrats au rabais chez John Deere, Kaiser ou aux travailleurs du syndicat du cinéma IATSE, au cours du dernier mois. En fait, Biden s’est joint au président de l’UAW Ray Curry pour une séance photos le lendemain du jour où ce syndicat a «ratifié» le contrat de Deere, forçant les travailleurs en grève à revoter sur un contrat qu’ils avaient déjà rejeté.

Biden n’a pas non plus soulevé la question, il y a plusieurs mois, lorsque la direction de l’hôpital Saint-Vincent de Worcester (Massachusetts) a commencé à embaucher des remplaçants permanents pour mettre fin à une grève de plusieurs mois des infirmières ; ou bien lorsque le fabricant de bourbon Heaven Hill a menacé de faire de même pour casser une grève des ouvriers de la distillerie. En fait, la lenteur de la lettre de Biden, qui est arrivée trois jours après l’annonce de Kellogg’s, suggère que le gouvernement attendait de voir si une reconnaissance directe était nécessaire.

Biden, un défenseur multimillionnaire des privilèges de l'oligarchie des entreprises, n'a aucune opposition de principe à l'écrasement de la résistance des travailleurs. En fait, il la soutient. Mais tout au long de sa présidence, il a cherché à s'assurer les services des syndicats corrompus et favorables aux entreprises pour supprimer la lutte des classes. C'est pourquoi il a envoyé son ministre du Travail, Marty Walsh, lui-même ancien syndicaliste, sur les piquets de grève de Kellogg's à Lancaster (Pennsylvanie).

Biden préfère de loin un règlement par le biais d’un contrat de concessions imposé par le syndicat. Un contrat semblable à ce que le BCTGM a déjà accompli chez Nabisco et Frito-Lay au début de l’année, lorsqu’il a mis fin aux grèves par des accords qui ne répondaient à aucune des revendications des travailleurs. Depuis la fin de la grève chez Nabisco, les travailleurs ont signalé au World Socialist Web Site qu’ils continuaient à travailler 80 heures par semaine, exactement comme avant.

La difficulté de la stratégie de Biden, cependant, est que la colère monte face à ces trahisons de plus en plus éhontées des syndicats, qui n’ont pas réussi à endiguer la vague d’opposition des travailleurs. Le contrat que ceux-ci ont rejeté la semaine dernière chez Kellogg’s aurait inclus des hausses de salaire de juste 3 pour cent, moins de la moitié de l’inflation. Le BCTGM aurait éliminé les restrictions au nombre de travailleurs «transitoires» de deuxième niveau, moins bien payés, que l’entreprise pouvait embaucher. Les travailleurs ont dénoncé comme un «cheval de Troie» ce contrat que le syndicat avait présenté malhonnêtement comme offrant une «voie» vers le niveau supérieur pour les transitoires.

La page du contrat provisoire montre les hausses annuelles pour les travailleurs «transitoires» pendant les premiers six ans pour les nouveaux embauchés. Le taux horaire, actuellement de 22,76 dollars (20,17 euros) inclut un ajustement en une fois pour l’inflation de 1,80 dollars [1,59 euros]), une augmentation annuelle fixe sur le taux horaire de 90 cents américains (80 centimes d’euro). La page du contrat dit aussi qu’il n’y aura aucune autre augmentation pour des nouveaux embauchés pendant la durée du contrat.

La frustration à l’égard du BCTGM ne cesse de croître parmi les travailleurs de Kellogg. «Nous sommes fatigués d’être dans l’ignorance, ce qui explique pourquoi nous sommes si divisés», a déclaré un travailleur. Faisant référence au fait que certains grévistes ont cédé à la pression ces derniers jours et ont franchi le piquet de grève, il a ajouté: «Vous ne perdez pas des gens par peur, vous les perdez parce qu’ils n’ont que la moitié des informations et qu’ils sont prêts à reprendre le travail».

Un travailleur de Kellogg’s à Battle Creek a déclaré au World Socialist Web Site: «Avec 105 dollars par semaine [d’indemnités de grève], sans chômage, les travailleurs sont obligés de travailler ailleurs ou de prendre de l’argent sur leurs économies ou leur plan d’épargne retraite. On pourrait penser que notre organisation internationale [BCTGM] serait capable de contribuer davantage. Je pense aussi que c’est de la folie que nous ayons travaillé pendant toute la pandémie alors que la plupart des Américains touchaient le chômage, et maintenant nous en avons besoin et nous n’y avons pas droit».

Le soutien se poursuit pour les travailleurs en grève de Kellogg’s

Des travailleurs de tous les États-Unis continuent d’envoyer au World Socialist Web Site des déclarations de soutien à la grève de Kellogg’s. Tonya Osborne, une hôtesse de l’air de Southwest Airlines que le WSWS l’a récemment interviewée au sujet de l’impact des uniformes contenant des produits chimiques toxiques, s’est exprimée contre les mesures briseuses de grève de Kellogg’s. «Je pense que davantage de travailleurs dans toutes les industries qu’il s’agisse de Kellogg’s, de John Deere, des compagnies aériennes, etc. ne devraient pas avoir à subir de menaces d’aucune sorte. Ils ne devraient pas avoir à se battre ou à faire grève pour obtenir ce qui leur est dû pour leur dur travail et leur engagement envers le géant de la grande entreprise».

Quant au syndicat, elle a ajouté: «Leurs cotisations syndicales sont déduites mensuellement de leurs chèques de salaire. La nôtre est de 50 dollars par mois… et pour QUOI, pour qu’ils puissent nous jeter sous le bus? Pourquoi rejeter un accord de principe et être obligé de voter le même jour? Votre propre syndicat vous intimide, celui que vous payez? Ces menaces d’embaucher des employés [de second rang] qui gagnent moins et n’ont pas d’avantages sociaux, pour mettre cet argent dans les poches des géants de l’entreprise, c’est une véritable gifle».

Un travailleur de Deere à Des Moines, dans l’Iowa, a déclaré: «À tous mes frères et sœurs travailleurs actuellement en grève contre Kellogg’s: Salutations de l’Iowa, mon admiration, mon soutien, mes prières et mon amour vont à vous tous. Le fait que vous n’étiez pas prêts à accepter l’accord de capitulation malgré la pression du syndicat en dit long sur votre courage et votre détermination».

«Si je ne peux pas parler de votre situation chez Kellogg’s, je peux vous dire ce qui nous est arrivé à nous qui travaillons chez John Deere. L’entreprise nous a menacés avec sa “dernière, meilleure et ultime offre”, et les dirigeants syndicaux au niveau local et international ont fait de même. Ils nous ont dit à de nombreuses reprises que si nous n’acceptions pas leur offre, ils nous remplaceraient définitivement».

«La majorité des travailleurs n’étaient pas en faveur du contrat, mais ils ont succombé aux menaces de perdre leur emploi et ont voté oui dans des circonstances très louches… L’espoir était d’écrire l’histoire pour tous les travailleurs et travailleuses des États-Unis et du reste du monde. Aujourd’hui, les yeux des travailleurs et des travailleuses de tous les États-Unis ne sont dirigés que vers vous, dans l’espoir que vous gagniez ce que vous méritez légitimement et que vous établissiez la norme pour le reste d’entre nous, afin que nous puissions apprendre de votre lutte. Alors, protégez-vous, soyez forts, restez unis et restez informés, car c’est votre plus grande force en ce moment».

(Article paru d’abord en anglais le 11 décembre 2021)

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