Ce contre quoi les travailleurs font grève: un profil mondial de la société Kellogg’s

«La pandémie nous a présenté un échantillon d’événement comme aucun autre et nous avons vu des augmentations de la pénétration des ménages qui ont dépassé la plupart de nos catégories…». C’est ainsi que le PDG de Kellogg, Steve Cahillane, a résumé la performance de l’entreprise en 2020. Lorsque les fermetures généralisées ont stimulé la demande d’aliments emballés alors que des millions de personnes se réfugiaient chez elles, le bénéfice net du géant des céréales pour petit-déjeuner a augmenté de 30 pour cent, pour atteindre 1,25 milliard de dollars, et les recettes ont légèrement augmenté pour atteindre 13,77 milliards de dollars.

Cette description optimiste de la pandémie de coronavirus, qui a tué 800.000 personnes rien qu’aux États-Unis, est un exemple de la logique froide qui pousse l’entreprise à tenter de briser la grève de deux mois des 1.400 travailleurs des céréales aux États-Unis. Les travailleurs ont rejeté massivement un contrat de concession négocié par le syndicat international de la boulangerie, de la confiserie, du tabac et de la minoterie (BCTGM), qui aurait éliminé les restrictions à l’embauche de travailleurs de second rang, moins bien payés. La compagnie a répondu à ce rejet en déclarant qu’elle allait accélérer ses plans de licenciement et de remplacement massif des grévistes. Cette mesure autocratique a suscité l’indignation des travailleurs du pays et du monde entier.

Siège mondial de Kellogg’s, Battle Creek, Michigan, États-Unis (source: Wikpedia)

Mais cette campagne impitoyable n’est pas le produit d’une entreprise luttant pour sa survie. En effet, Kellogg’s reste aussi rentable qu’il l’a été au cours de ses plus de 110 ans d’histoire, et il a considérablement développé ses activités ces dernières années, grâce à une réduction impitoyable des coûts. En effet, les céréales pour petit-déjeuner font partie des segments les plus rentables de l’industrie agroalimentaire, que Yahoo! a récemment classée comme la 14e industrie la plus rentable au monde.

En 1995, lorsque le Comité international a lancé une campagne contre les suppressions d’emplois opérées par Kellogg’s à l’échelle mondiale à l’époque, nous avons constaté que Kellogg’s avait déjà considérablement accru son envergure internationale. Sur ses 15.000 employés dans le monde à l’époque, 7.000 vivaient en dehors des États-Unis, et l’entreprise se développait de manière agressive sur les marchés émergents tels que l’Asie du Sud-Est et l’ancienne Union soviétique. L’année précédente, la société avait réalisé 705 millions de dollars de bénéfices nets, sur des ventes mondiales de 6,6 milliards de dollars.

À la même époque, la société contrôlait 42 pour cent du marché mondial des céréales et se livrait à une lutte acharnée pour les parts de marché avec son rival General Mills.

Depuis lors, les recettes et les bénéfices de la société ont pratiquement doublé. Le bénéfice avant intérêts et impôts (EBIT) de Kellogg était de 1,6 milliard de dollars, avec une marge bénéficiaire de 11,6 pour cent. À titre de comparaison, Ford Motor Company a déclaré un bénéfice de 1,63 milliard de dollars pour un chiffre d’affaires de 115,8 milliards de dollars, ce qui fait que le quatrième plus grand constructeur automobile du monde est à peine plus d’un dixième aussi rentable que Kellogg.

Les dividendes, quant à eux, ont augmenté pendant des décennies et s’élèvent désormais à 2,31 cents par action. Pour une valeur d’action de 63,37 dollars, cela signifie que le rendement du dividende de Kellogg est de 3,5 pour cent, soit plus du double de la moyenne du S&P 500. Même si de nombreuses autres grandes entreprises ont suspendu le versement de leurs dividendes l’année dernière pour conserver des liquidités pendant la pandémie, Kellogg a continué à distribuer des dizaines de millions de dollars à ses actionnaires.

Une entreprise alimentaire mondialisée

Malgré cela, la part de marché de Kellogg dans le secteur des céréales pour petit-déjeuner n’a cessé de s’éroder depuis les années 1990. Sa part de marché aux États-Unis est passée de 36 pour cent en 1995 à 30 pour cent en 2017. C’est un des facteurs de la diversification croissante de l’entreprise dans différents segments du marché des aliments préparés. Elle l’a fait par le biais d’une série de fusions et d’acquisitions très médiatisées qui continueront à jouer un rôle essentiel dans la stratégie actuelle de l’entreprise intitulée «Déployer pour la croissance», qui vise des taux de croissance accélérée compris entre 1 et 3 pour cent.

Carte des usines internationales de Kellogg (source: Kellogg's)

Ces fusions ont permis à Kellogg’s de passer du statut de fabricant de céréales principalement centré sur le marché américain à celui de multinationale qui produit une grande variété d’aliments emballés pour différents marchés dans le monde. La plus médiatisée de ces acquisitions est sans doute l’achat de la marque de chips Pringles à Proctor & Gamble en 2012, pour 2,7 milliards de dollars. La plupart de ses acquisitions récentes se sont toutefois concentrées sur des marques internationales et des coentreprises.

Parmi celles-ci:

  • Une coentreprise annoncée en 2012 avec la société Wilmar International, basée à Singapour, axée sur le marché croissant des snacks chinois;
  • Une autre coentreprise annoncée en 2015 avec Tolaram Africa axée sur l’Afrique de l’Ouest. Kellogg’s a ensuite investi 420 millions de dollars supplémentaires dans cette entreprise;
  • L’achat de participations majoritaires dans les entreprises alimentaires égyptiennes Bisco Misr et Mass Food Group, également en 2015;
  • L’acquisition en 2016 d’une participation majoritaire dans l’entreprise alimentaire brésilienne Parati pour 429 millions de dollars.

À la suite de ces mouvements, les céréales pour petit-déjeuner occupent une part nettement moins importante des ventes de l’entreprise qu’il y a moins de 20 ans. Selon un diaporama de 2018 destiné aux investisseurs, la part des céréales dans le total des ventes nettes est passée d’environ deux tiers en 2005 à moins de la moitié en 2017. Tandis que les snacks, une catégorie qui comprend des produits comme les Cheezits, les Pringles, les crackers Town House et les barres Nutri-grain, ont doublé pour atteindre 52 pour cent. Le volume des produits vendus aux États-Unis par rapport au monde entier a également diminué au cours de cette période.

Les effectifs de l’entreprise ont également doublé depuis 1995 pour atteindre environ 30.000 personnes aujourd’hui. Actuellement, elle exploite 52 usines dans le monde, dont la moitié est située en dehors de l’Amérique du Nord. Il s’agit notamment de trois usines en Russie, trois en Amérique du Sud, trois en Afrique et deux en Inde. Un peu moins de la moitié, soit 25 de ces usines, produisent effectivement des céréales, les autres produisant des aliments surgelés et des collations préemballées. Seules cinq des 26 usines de l’entreprise aux États-Unis et au Canada, dont quatre se trouvent concernées par la grève actuelle, produisent des céréales (la cinquième, une nouvelle usine située à Belleville, au Canada, n’est pas partie du même contrat de travail que les usines américaines).

Les 1.400 travailleurs en grève dans les quatre usines de céréales américaines représentent moins de 5 pour cent de la main-d’œuvre mondiale de Kellogg. Cette situation est, en partie, le résultat de campagnes incessantes de réduction des effectifs, comme celle de 1995 qui a supprimé 1.075 emplois dans le monde entier. Les coupes ont réduit les effectifs de ces usines à une fraction de ce qu’ils étaient il y a une génération. L’usine phare de l’entreprise à Battle Creek, dans le Michigan, n’emploie actuellement que 410 personnes, soit moins d’un quart des 1.700 personnes qui y travaillaient en 1995.

L’usine Kellogg de Querétaro, au Mexique (source: Kellogg’s)

La main-d’œuvre mondiale de Kellogg s’est réduite due à des suppressions d’emplois répétées. La dernière en date, le «projet K» qui s’est achevé juste avant la pandémie de 2019, a supprimé 7 pour cent de la main-d’œuvre mondiale, ce qui a permis de réaliser des économies estimées à 700 millions de dollars par an, selon l’entreprise.

En même temps, Kellogg's a exigé des concessions répétées sur les salaires et les avantages des travailleurs, prétendument au nom de la «sauvegarde» des emplois. Avant et pendant les négociations contractuelles de 2015, elle a mis en lock-out les travailleurs de l'usine de Memphis et a menacé de fermer une usine américaine non nommée si les travailleurs n'acceptaient pas la création d'un nouveau deuxième niveau de travailleurs 'transitoires', moins bien payés. Le BCTGM s'est exécuté et a fait passer le contrat, mais son acceptation répétée de concessions n'a pas sauvé un seul emploi.

En partie pour détourner l’attention de ce bilan, le BCTGM promeut une féroce campagne anti-mexicaine, appelant Kellogg’s et d’autres entreprises à cesser la production au Mexique et accusant les travailleurs étrangers d’être responsables de la perte d’emplois et de salaires aux États-Unis. Le média d’extrême droite Breitbart s’est joint à cette agitation raciste. Celui-ci est un promoteur médiatique clé des tentatives actuelles de Trump de construire un mouvement fasciste et extra-constitutionnel. En fait, les tirades nationalistes de Trump «L’Amérique d’abord», dirigées contre le Mexique, ont été le fonds de commerce des syndicats américains depuis des décennies, avant que Trump n’émerge comme une figure politique majeure du Parti républicain.

En réalité, la présence de Kellogg’s au Mexique remonte à plusieurs décennies, et c’est le premier marché non anglophone sur lequel l’entreprise s’est développée. L’usine Kellogg de Querétaro, au Mexique, a été construite en 1951, ce qui la rend plus ancienne de plusieurs décennies que l’usine américaine de Lancaster, en Pennsylvanie.

Si l’entreprise a, presque depuis le début, mené ses activités à l’échelle multinationale, l’expansion internationale de Kellogg’s et l’intégration mondiale de la production capitaliste au cours des quatre dernières décennies ont rendu la stratégie nationale du BCTGM et des syndicats dans leur ensemble, désespérément obsolète. Elle ne sert qu’à isoler les travailleurs en grève aux États-Unis de leurs plus forts alliés dans la main-d’œuvre mondiale de Kellogg’s et dans la classe ouvrière internationale en général, qui seraient tous outrés d’apprendre les efforts de l’entreprise pour briser la grève. Kellogg’s tente en effet de surmonter celle-ci en utilisant ses chaînes d’approvisionnement internationales pour compenser la perte de production aux États-Unis.

Usine de Kellogg à Lagos, au Nigeria (source: utilisateur du forum Nairaland)

Mais la dimension internationale des opérations de Kellogg’s est une source de force pour les travailleurs, et non de faiblesse. Kellogg’s, comme toute autre grande entreprise internationale, est extrêmement vulnérable aux perturbations de ses chaînes d’approvisionnement dans le monde et une campagne mondiale parmi les travailleurs de Kellogg’s pour s’unir aux travailleurs des États-Unis aurait un puissant impact.

Les travailleurs du Mexique ont démontré à maintes reprises leur détermination à s’opposer à leur exploitation. En janvier 2019, des travailleurs des pièces automobiles et de l’électronique à Matamoros, à la frontière avec les États-Unis, juste en face de la ville de Brownsville (Texas), se sont révoltés contre les salaires de misère et les conditions de misère des ‘maquiladoras’ appartenant à des firmes américaines ou étrangères. Ils ont organisé une série de grèves sauvages en défiant les syndicats contrôlés par les entreprises et ont marché jusqu’à la frontière où ils ont appelé leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis à les rejoindre.

Au cours de l’été et de l’automne 2019, les travailleurs de l’usine General Motors de Silao, au Mexique, ont refusé de faire des heures supplémentaires pendant la grève des 45.000 travailleurs de GM aux États-Unis. Pour leur action courageuse de solidarité de classe, GM a licencié et mis sur liste noire les leaders de la lutte. En réponse, les travailleurs américains de la base ont demandé leur réintégration et ont donné de l’argent pour soutenir les travailleurs mexicains victimisés.

Les médias américains, le BCTGM, l’United Auto Workers et d’autres syndicats américains ont occulté toute information sur ces luttes afin de perpétuer le mensonge empoisonné que travailleurs mexicains et américains sont ennemis.

Chez les grévistes de Kellogg’s aux États-Unis il y a une énorme sympathie pour leurs collègues du Mexique et des pays en développement, qu’ils considèrent comme un «troisième niveau» de travailleurs surexploités.

Kellogg’s a mis en place une stratégie internationale visant à dresser les travailleurs les uns contre les autres dans une course vers le bas. Pour vaincre cette stratégie, les travailleurs ont besoin de leur propre stratégie internationale. Cela signifie qu’ils doivent rejeter le nationalisme du ‘diviser pour régner’ promu par le BCTGM et tendre la main à leurs frères et sœurs de classe dans le monde entier, pour défendre les emplois, le niveau de vie et les conditions de travail de tous les travailleurs.

Cela exige de retirer la conduite de la grève des mains du syndicat pro-entreprise en formant un comité de grève de la base, indépendant du BCTGM, pour établir lignes de communication et action conjointe des travailleurs dans tout l’empire mondial de Kellogg’s.

(Article paru d’abord en anglais le 15 décembre 2021)

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