Le sommet de l’UE menace la Russie

L’escalade de la pandémie de coronavirus et les menaces à l’encontre de la Russie étaient au centre du sommet européen qui s’est réuni jeudi à Bruxelles. Les deux questions sont étroitement liées. Plus l’insouciance criminelle avec laquelle les gouvernements européens sabotent toute protection sérieuse de la population contre ce virus mortel est palpable, plus ils battent le tambour de guerre pour détourner les tensions sociales vers l’extérieur.

Les dirigeants réunis ont convenu qu’avec le variant Omicron, une cinquième vague se développait désormais, qui éclipserait toutes les précédentes. En Grande-Bretagne, qui ne fait plus partie de l’UE, les taux d’infection doublent tous les deux jours. À la mi-janvier, Omicron sera également dominant dans l’UE, rapporte le Wiener Standard, citant des cercles du conseil de l’UE: «Personne n’a remis en cause ce diagnostic».

Néanmoins, les participants au sommet n’ont rien fait pour enrayer la catastrophe qui s’annonce. Même la décision de l’Italie d’exiger des personnes entrant dans le pays qu’elles fournissent un test PCR négatif a suscité de vives critiques. La Commission européenne s’est plainte que cela portait atteinte à la liberté de circulation dans l’espace Schengen. Le premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel a également affirmé que les restrictions de voyage n’étaient pas une solution.

Les deux parties se sont finalement mises d’accord sur un appel platonique à des «efforts coordonnés» sur la base de résultats scientifiques. L’une d’elles a souhaité procéder de manière «coordonnée» et «conjointe», tant pour l’augmentation des taux de vaccination que pour l’approvisionnement en médicaments, et procéder aux vaccins de rappel. Avant tout, il était important de veiller à ce que les restrictions ne compromettent pas le fonctionnement du marché intérieur et n’entravent pas de manière disproportionnée la libre circulation au sein de l’UE, peut-on lire dans le projet final de déclaration.

En d’autres termes, malgré la menace d’un tsunami Omicron, le sommet a poursuivi la politique actuelle consistant à subordonner la protection de la vie et de la santé aux intérêts lucratifs des grandes entreprises.

Plusieurs participants ont souligné que la vaccination était de toute façon la meilleure arme contre la pandémie. Mais outre le fait que les taux de vaccination varient considérablement dans l’UE – de 80 pour cent au Portugal à 30 pour cent en Bulgarie – et que même une double vaccination n’offre pas une protection suffisante contre Omicron, la vaccination seule ne peut pas contenir la pandémie. Elle ne peut le faire qu’en combinaison avec des mesures de confinement, de recherche des contacts et autres, que le sommet a catégoriquement rejetées.

Le chancelier allemand Olaf Scholz au sommet de l’UE à Bruxelles le 16 décembre [Photo: Kenzo Tribouillard, dossier photo via AP]

Il n’y a eu qu’un bref débat sur la pandémie, le jeudi matin. Le sommet a consacré beaucoup plus de temps au conflit avec la Russie. Une réunion des participants avec le «Partenariat oriental» (Ukraine, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan et Moldavie) et des entretiens entre le président Emmanuel Macron et le chancelier Olaf Scholz et le président ukrainien Volodymyr Zelensky avaient déjà eu lieu mercredi. Jeudi, la confrontation avec la Russie a de nouveau été le principal sujet du sommet, qui s’est prolongé jusque dans la nuit.

Les dirigeants européens avaient déjà menacé la Russie de mesures punitives à l’approche du sommet. «Toute nouvelle agression militaire contre l’Ukraine entraînera des conséquences massives et des coûts élevés», a écrit le président du Conseil Charles Michel dans la lettre d’invitation. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a menacé que l’UE allait «prendre des mesures supplémentaires, sans précédent et lourdes de conséquences pour la Russie» en cas de nouvelle escalade du conflit en Ukraine.

Le chancelier Scholz a déclaré: «Toute violation de l’intégrité territoriale aura un prix élevé». Dans la déclaration finale, les dirigeants ont averti la Russie des «conséquences massives et des coûts élevés» d’une nouvelle agression militaire contre l’Ukraine.

L’accusation selon laquelle la Russie planifie une incursion militaire en Ukraine est portée par les gouvernements et les médias des pays de l’OTAN depuis des semaines. Elle n’a aucune base factuelle. Néanmoins, elle est diffusée de manière aussi agressive que le mensonge sur les armes de destruction massive irakiennes qui a servi de prétexte à la guerre d’Irak en 2003. L’accusation repose sur des rapports des services de renseignement américains, difficiles à vérifier, selon lesquels la Russie rassemblerait des troupes près de la frontière orientale de l’Ukraine; on parle de 100.000 à 175.000 soldats.

Des émissaires du gouvernement Biden ont systématiquement fait valoir cette thèse auprès de leurs alliés européens, comme le rapporte l’hebdomadaire Der Spiegeldans son dernier numéro.

«Depuis des semaines, les États-Unis poussent les Européens en coulisses à adopter une ligne plus dure à l’égard de Moscou», écrit le magazine d’information. En novembre, Avril Haines, la directrice du renseignement national de Biden, était apparue avec une phalange d’assistants dans une salle de réunion à l’abri des micros à Bruxelles et avait montré aux ambassadeurs de l’OTAN «des images de renseignement du déploiement russe, sans grand préambule.» Les diplomates auraient été surpris.

Des briefings similaires avaient eu lieu pour les différents alliés dans les jours qui ont suivi. «En Allemagne, outre les agences de renseignement, les États-Unis ont également informé en détail le ministère des Affaires étrangères, comme rarement auparavant». Deux semaines plus tard, lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN à Riga, le secrétaire d’État Antony Blinken a ensuite rejoint son homologue britannique pour faire pression en faveur de sanctions plus sévères contre la Russie.

«Les ministres ont été surpris par la véhémence des Américains», rapporte Der Spiegel. «De nombreux Européens, quant à eux, réagissent avec hésitation. Ils ne voient aucune preuve que la Russie prépare réellement une invasion de l’Ukraine.» Ce qui ne les a pas empêchés de soutenir les menaces américaines.

Même si les rapports sur les déploiements de troupes étaient vrais, ils n’indiquent pas que la Russie a l’intention d’envahir. Les mouvements de troupes ont lieu sur le territoire de la Russie, ce qu’elle a le droit de faire en tant que pays souverain.

Moscou a toutes les raisons de se sentir menacé. Le président Zelensky, qui subit des pressions politiques internes en raison de la pandémie de coronavirus et de la situation économique désastreuse, menace depuis des mois de reconquérir la Crimée par la force. En août, il a déclaré aux représentants de 40 pays à Kiev, dont le ministre allemand de l’Économie de l’époque, Peter Altmaier, qu’à partir de maintenant, le «compte à rebours de la désoccupation» de la Crimée était enclenché.

À l’époque, l’OTAN menait les plus grandes manœuvres militaires de son histoire dans la région de la mer Noire, impliquant 32 pays – dont l’Ukraine – avec 5.000 soldats, 32 navires, 40 avions et 18 unités de forces spéciales. Au cours de ces manœuvres et d’autres, des incidents ont été évités de peu contre des troupes russes.

À l’instigation du président George W. Bush, l’OTAN avait fait miroiter l’adhésion de l’Ukraine dès 2008, sans la lier à un calendrier précis, sur l’insistance de l’Allemagne et de la France. Après le coup d’État de 2014, qui a porté un régime pro-occidental au pouvoir à Kiev avec le soutien des États-Unis et de l’Allemagne, l’Ukraine a ensuite été systématiquement réarmée et intégrée toujours plus étroitement à l’OTAN.

L’aide militaire fournie par les États-Unis uniquement se chiffre à 2,5 milliards de dollars. Le budget militaire américain approuvé mercredi prévoit 300 millions de dollars supplémentaires à cette fin.

Le président Vladimir Poutine et son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, ont clairement indiqué à plusieurs reprises ces derniers jours que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN constituait une «ligne rouge» qu’ils ne pouvaient accepter. Ils exigent une garantie formelle que l’OTAN et son infrastructure militaire ne s’étendront pas plus à l’est.

Le président Biden et d’autres dirigeants de l’OTAN ont rejeté cette demande avec indignation, invoquant la souveraineté de l’Ukraine. En fait, une telle demande n’a rien d’extravagant. Lorsque l’Union soviétique a déployé des missiles à portée intermédiaire à Cuba en 1962, le président John F. Kennedy a pris le risque d’une guerre nucléaire pour obliger l’Union soviétique à retirer les missiles, même si Cuba est également un État souverain.

L’acceptation de l’Ukraine dans l’OTAN rendrait la Russie pratiquement sans défense sur le plan militaire. Les deux États partagent une frontière de 2.300 kilomètres qui ne passe qu’à 500 kilomètres de Moscou.

Lorsque Moscou a donné son feu vert à la dissolution du Pacte de Varsovie en 1990, l’OTAN s’était engagée à ne pas s’étendre vers l’est. Entre-temps, presque tous les anciens États du bloc de l’Est et les trois anciennes républiques soviétiques baltes sont devenus membres de l’OTAN, qui encercle militairement la Russie de plus en plus étroitement. Elle effectue régulièrement des manœuvres à la frontière russe, le long de laquelle elle fait voler des bombardiers stratégiques, et a constitué une force de réaction rapide qui peut être déployée à la frontière russe au pied levé.

Le régime de Poutine n’a pas de réponse à cette menace. Il hésite entre des gestes militaires menaçants et la soumission à un camp impérialiste ou à un autre, en essayant de les monter les uns contre les autres. Il est totalement incapable de faire appel à la classe ouvrière internationale, la seule force sociale qui puisse mettre fin à la menace de guerre, car il représente lui-même les intérêts d’une caste oligarchique capitaliste réactionnaire.

(Article paru en anglais le 18décembre 2021)

Loading