Québec: enseignante victime de la Loi 21 anti-démocratique – retirée de sa classe à cause de son hijab

Il a été révélé plus tôt ce mois-ci qu’une enseignante de troisième année d’une école primaire de Chelsea, une petite municipalité du Québec située à la frontière avec l’Ontario, a été retirée de sa classe parce qu’elle porte le hijab, un foulard islamique qui lui couvre la tête, mais pas le visage.

Cette mesure discriminatoire mettant en péril la carrière d’une enseignante à cause de ses choix religieux personnels est une sérieuse attaque sur les droits démocratiques, qui met à nu le caractère réactionnaire de la Loi 21 adoptée en 2019 par le gouvernement de la CAQ (Coalition avenir Québec). L’abrogation immédiate de cette loi doit être exigée par tous les travailleurs conscients.

Message de soutien à l’enseignante injustement retirée de sa classe, où l’on peut lire: «Le personnel et les élèves de l’école secondaire de Ridgemont vous appuient, Fatemeh Anvari». (source: Facebook)

En 2019, la CAQ du multimillionnaire et ancien PDG François Legault a fait adopter la Loi 21 qui interdit aux employés du secteur public dits «en position d’autorité» – y compris les enseignants – de porter des signes religieux. Le but visé est de limiter ou interdire les pratiques religieuses des minorités musulmanes, juives, sikhes et autres, tout en laissant le champ libre à la religion catholique en tant que «patrimoine historique des Canadiens français», selon l’expression régulièrement utilisée par le premier ministre Legault.

La Loi 21 prescrit également que les services publics, y compris les soins de santé, doivent être donnés et reçus «à visage découvert», une attaque explicite contre l’infime minorité de femmes musulmanes québécoises qui portent le voile intégral.

L’enseignante en question, Fatemeh Anvari, occupait son poste depuis le 25 octobre 2021 après avoir été suppléante. Le 3 décembre dernier, le Western Quebec School Board (WQSB) a informé les parents de la décision de retirer Anvari de la classe. Selon le président par intérim du WQSB, Wayne Daly, l’organisme n’avait d’autre choix puisqu’Anvari contrevient à la Loi 21 en portant le hijab.

Rappelons qu’en novembre, la Cour d’appel du Québec a refusé de suspendre l’application de la loi aux commissions scolaires anglophones en attendant que soit décidé l’appel logé par le Procureur général du Québec. Cet appel conteste la décision de la Cour supérieure du Québec prise en avril dernier que la loi ne devrait pas s’appliquer aux commissions scolaires anglophones du Québec, au motif que la constitution canadienne protège leur droit d’exercer un certain contrôle sur l’instruction dans leur langue.

La décision de retirer Anvari de sa classe met en lumière le véritable objectif de la Loi 21, qui est de fomenter la haine et les préjugés envers les immigrants et les minorités religieuses afin de diviser la classe ouvrière et de détourner l’attention de la véritable cause de l’immense crise sociale qui s’accentue avec la pandémie de COVID-19: le système de profit.

L’attisement de l’islamophobie et d’autres préjugés par la classe dirigeante sert aussi à justifier les guerres de l’impérialisme américain, appuyé par l’impérialisme canadien, au Moyen-Orient et en Asie centrale, ainsi que les mesures répressives instaurées au nom de la «guerre contre le terrorisme».

La Loi 21 n’est cependant pas simplement l’acte isolé d’un gouvernement particulièrement chauvin et réactionnaire. Depuis la commission Bouchard-Taylor de 2007 sur les supposés excès dans les «accommodements raisonnables» accordés aux minorités, l’ensemble de l’establishmentpolitique québécois a préparé le terrain où Legault a ensuite planté sa Loi 21.

Celle-ci est d’ailleurs grandement inspirée de la Charte des valeurs québécoises déposée par le gouvernement péquiste de Pauline Marois en 2013 et du projet de Loi 62 du Parti libéral du Québec qui, le premier, a proposé l’interdiction de donner ou de recevoir des services publics à «visage couvert». Les réactions de la classe politique à l’incident de Chelsea démontrent que ce tournant vers le chauvinisme s’est depuis accéléré.

En réaction au retrait d’Anvari, le critique du Parti québécois en matière de laïcité, le député et ancien chef par intérim du parti Pascal Bérubé, a affirmé que le PQ appuie la Loi 21 parce qu’elle est «nécessaire». De façon odieuse, il a jeté le blâme sur Anvari, déclarant sans aucune preuve qu’elle voulait «faire une déclaration» politique en portant le hijab et qu’elle devait «choisir entre son emploi et sa religion».

De son côté, Québec solidaire (QS) – qui a légitimé la campagne chauvine sur les accommodements «excessifs» tout en appuyant la recommandation anti-démocratique de la commission Bouchard-Taylor de restreindre les droits religieux des employés de l’État dits «en position d’autorité» – a désapprouvé le renvoi d’Anvari du bout des lèvres, pour des raisons purement pragmatiques (ne pas aggraver la «pénurie de personnel» dans les écoles), et sans dire un mot sur le caractère xénophobe de la Loi 21.

Québec solidaire, qui se présente comme étant «de gauche», a annoncé lors de son congrès «pré-électoral» tenu à la fin novembre qu’il ne ferait pas de son «opposition» à la Loi 21 un enjeu de la prochaine campagne électorale et qu’un gouvernement QS n’abrogerait pas cette loi, mais y apporterait des amendements non spécifiés.

Au niveau fédéral, autant les libéraux au pouvoir que les sociaux-démocrates du NDP ont réagi au renvoi d’Anvari de sa classe par des condamnations verbales de la Loi 21, qu’ils jugent contraire au muli-culturalisme qui est devenu un élément clé du nationalisme canadien véhiculé par l’État fédéral.

Le premier ministre canadien Justin Trudeau a déclaré que «personne au Canada ne devrait perdre son emploi à cause de ce qu’il porte ou de ses croyances religieuses». Mais soucieux de préserver de bonnes relations avec le gouvernement caquiste de droite, Trudeau a jusqu’ici évité de prendre part à une contestation de la Loi 21 devant les tribunaux – tout en laissant la porte ouverte à une telle possibilité, comme il l’a réitéré depuis l’affaire Anvari.

L’«opposition» de Trudeau à la Loi 21 sous une posture démocratique est totalement hypocrite. Ses six années au pouvoir ont été marquées par une hausse drastique des dépenses militaires, une participation accrue du Canada aux guerres néocoloniales au Moyen-Orient, une complicité dans la chasse-aux-sorcières lancée par l’administration Trump contre les immigrants et l’expulsion d’un nombre record de réfugiésen pleine pandémie de COVID-19.

Au niveau de l’appareil judiciaire, s’il existe un certain malaise envers la Loi 21, il cède le pas à l’impuissance due au caractère intrinsèquement anti-démocratique de la constitution canadienne – y compris telle que révisée suite à son rapatriement en 1982.

Dans la décision initiale de la Cour supérieure du Québec rendue le 21 avril 2021, le juge Marc-André Blanchard avait certes noté que la Loi 21 «transmet le message que les personnes qui exercent leur foi ne méritent pas de participer à part entière dans la société québécoise»; qu’elle «déshumanise» les personnes portant des signes religieux; et qu’elle cible les femmes musulmanes qui forment un groupe particulièrement vulnérable de la société (ayant d’ailleurs subi une augmentation des insultes et du harcèlement à leur égard depuis l’adoption de la loi).

Malgré l’admission des éléments discriminatoires de la Loi 21, le juge Blanchard l’avait déclarée en grande partie valide puisque le gouvernement du Québec y a inséré une clause dérogatoire, un mécanisme prévu par la Constitution canadienne pour qu’une loi ne puisse pas être annulée par les tribunaux, même si elle viole les droits fondamentaux prévus à la Charte canadienne des droits et libertés.

Dans un contexte de profonde crise du capitalisme mondial, la classe dirigeante cherche à empêcher l’unification de la classe ouvrière internationale dans une lutte commune contre l’austérité et l’exploitation accrue. Partout dans le monde – de Biden, qui emprisonne des milliers d’immigrants dans des camps à la frontière avec le Mexique, à l’AfD néofasciste en Allemagne, qui dicte les politiques hostiles aux réfugiés du gouvernement – elle se tourne ouvertement, comme dans les années 30, vers le chauvinisme, la xénophobie et le racisme.

En réponse aux critiques, Legault a déclaré que sa Loi 21 est «raisonnable» et qu’elle vise à confirmer le «choix» fait par le Québec d’un État laïque. Cette affirmation est frauduleuse.

Comme l’ont fait remarquer plusieurs professeurs qui se sont exprimés sur les médias sociaux en appui à Anvari, la plupart des écoles du Québec se préparent actuellement à célébrer Noël, y compris en présentant des spectacles mettant en scène des personnages bibliques et des chansons aux thèmes religieux, et ce, dans la plus grande indifférence ou avec le support tacite des autorités chargées de surveiller la «laïcité de l’État».

Au nom de la préservation du «patrimoine culturel québécois», la Loi 21 protège l’héritage catholique du Québec, y compris la toponymie inspirée de la religion catholique et les crucifix sur les murs des écoles et des hôpitaux. Le gouvernement continue de financer les écoles privées religieuses, qui sont catholiques à forte majorité.

De leur côté, les élèves, les parents et les autres enseignants ont réagi avec colère et indignation. Plusieurs ont attaché des rubans verts et des mots d’appréciation à une clôture qui se trouve près de l’école pour démontrer leur solidarité avec Anvari, décrite comme une enseignante compétente et dévouée. Un père a résumé l’impact sur la communauté, déclarant qu’il «avait honte que ça arrive dans notre école. Comment va-t-on expliquer à nos enfants?» En appui à sa professeure, un élève de la classe d’Anvari a dessiné une carte sur laquelle il a écrit «injuste». Daly a raconté avoir été inondé d’appels et de courriels, la vaste majorité en opposition au retrait de l’enseignante.

La seule force sociale capable de défendre les droits démocratiques est la classe ouvrière. Pour accomplir cette tâche essentielle, les travailleurs – francophones, anglophones et immigrés – du Canada doivent se mobiliser au sein d’un mouvement politique indépendant visant à lutter contre la source première des attaques sur les minorités, à savoir le système de profit.

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