Chasse aux sorcières anti-Chine: Un professeur de chimie de Harvard condamné pour avoir menti aux autorités fédérales

Mardi, un jury fédéral de Boston a reconnu Charles Lieber, professeur à l’université de Harvard et ancien président du département de chimie et de biologie chimique de cette université, coupable d’avoir menti aux autorités fédérales et d’avoir fait une fausse déclaration fiscale, actions qui, selon le ministère de la Justice (DOJ), visaient à dissimuler ses liens étroits avec la Chine.

Lieber, âgé de 62 ans, ainsi que deux ressortissants chinois ont été inculpés de trois chefs d’accusation distincts en janvier 2020 pour «aide à la République populaire de Chine», selon un communiqué publié par le bureau des affaires publiques du ministère de la Justice. Ce ne sont toutefois pas les charges pour lesquelles il a été jugé et condamné.

Lieber a été reconnu coupable de deux chefs d’accusation pour avoir fait de fausses déclarations aux autorités fédérales, de deux chefs d’accusation pour avoir soumis une fausse déclaration de revenus et de deux chefs d’accusation pour avoir omis de déclarer des comptes bancaires et financiers étrangers au Service des impôts (l’Internal Revenue Service – IRS).

Charles Lieber, professeur à l’Université de Harvard, quitte le tribunal fédéral, à Boston, le 30 janvier 2020, après son arrestation suite à des allégations selon lesquelles il aurait caché sa participation à un programme destiné à recruter des personnes ayant des connaissances en matière de technologie étrangère et de propriété intellectuelle pour la Chine. (AP Photo/Charles Krupa, dossier)

Les allégations du DOJ citent des documents judiciaires démontrant que depuis 2008, le Dr Lieber a reçu plus de 15 millions de dollars de subventions des National Institutes of Health (NIH) et du département de la Défense américain (DOD). Selon les autorités, la possession de ces subventions exigeait «la divulgation de conflits d’intérêts financiers étrangers importants, y compris le soutien financier de gouvernements étrangers ou d’entités étrangères». Une accusation de fausse déclaration est passible d’une peine maximale de cinq ans de prison.

Le jury a constaté que Lieber avait menti aux autorités fédérales et à Harvard au sujet de son affiliation à l’Université de technologie de Wuhan en Chine et d’un contrat qu’il avait passé avec un plan de recrutement de talents pour la Chine qui visait à attirer des scientifiques de haut niveau dans le pays. Lieber a été un participant contractuel du plan chinois de recrutement «Mille Talents» de 2012 à 2017 environ. Il s’agit de l’un des programmes de recherche les plus importants de la Chine, conçu pour attirer et recruter des scientifiques de haut niveau afin de servir les intérêts des appareils scientifiques, économiques et de sécurité nationale du pays.

La question centrale de l’affaire était la coentreprise que le Dr Lieber a lancée en 2011 avec l’Université de technologie de Wuhan, où l’un de ses anciens étudiants occupait un poste. Les emplois extérieurs sont monnaie courante pour les chercheurs de haut niveau, qui passent souvent des contrats avec des entreprises du secteur privé ou des universités à l’étranger pendant une partie de l’année universitaire. Le Dr Lieber a reçu un contrat de trois ans de l’université de Wuhan en 2012, dans un courriel qui a été montré au jury par les procureurs. Le contrat lui donnait droit à 50.000 dollars par mois, plus environ 150.000 dollars de frais de subsistance et plus de 1,5 million de dollars pour un laboratoire, appelé le WUT-Harvard Joint Nano Key Laboratory.

En 2018, alors que l’initiative chinoise était en cours, des enquêteurs du ministère de la Défense et des NIH ont interrogé le Dr Lieber pour savoir s’il avait pris part aux programmes «Mille Talents». Les jurés ont entendu une série de témoins qui ont déclaré que dans les deux cas, le Dr Lieber avait nié avoir participé. Ils ont également regardé des extraits vidéo d’un interrogatoire du FBI, mené le 28 janvier 2020, le matin où on a arrêté le Dr Lieber à 6h30 à son bureau à Harvard.

Après avoir initialement demandé un avocat, le Dr Lieber a répondu aux questions des agents pendant environ trois heures, niant avoir reçu des revenus de l’université de Wuhan ou avoir participé au programme de recrutement chinois. Les agents ont ensuite produit une série de documents, dont des contrats de 2011 et 2012. Le professeur est alors revenu sur ce qu’il avait dit et a fait l’aveu suivant: «Je devrais faire plus attention à ce que je signe… Maintenant que vous en parlez, oui, je m’en souviens», selon les enquêteurs.

Le chercheur a expliqué aux agents fédéraux ses arrangements financiers avec l’université de Wuhan. Une partie de son salaire était déposée sur un compte bancaire chinois et le reste – un montant qu’il estime entre 50.000 et 100.000 dollars – était payé en billets de 100 dollars, qu’il emportait chez lui dans ses bagages. «Ils me donnaient un paquet, un truc marron avec des caractères chinois dessus, je le jetais dans mon sac», a-t-il dit. Après être rentré chez lui, il a déclaré: «Je ne l’ai pas déclaré, et c’est illégal».

Le Dr Lieber a également reconnu qu’il «n’était pas complètement transparent, loin de là», lorsqu’il a été interrogé par les enquêteurs du DOD en 2018 et qu’il savait que des accusations pouvaient être portées contre lui. «J’avais peur d’être arrêté, comme je le suis maintenant», a-t-il ajouté. Alors que le jury se préparait à délibérer, Jason Casey, un procureur américain adjoint, a demandé aux jurés de se souvenir du comportement du Dr Lieber lors de l’entretien avec le FBI. Casey leur a demandé «d’utiliser leur bon sens».

Le procureur a poursuivi en disant, «ce n’est pas que le défendeur n’a pas de mémoire. Il ne veut pas se souvenir parce qu’il sait qu’il a accepté ce contrat, qu’il a participé au programme “Mille Talents”, qu’il a emporté des sacs d’argent liquide dans un avion et qu’il ne les a jamais signalés à l’IRS».

Dans un article qui annonce la condamnation de Lieber, le New York Timesa qualifié le verdict de «victoire» pour la soi-disant «Initiative chinoise», un programme agressivement anti-chinois qui a été concocté en novembre 2018 par le gouvernement Trump et le procureur général Jeff Sessions et dirigé par la Division de la sécurité nationale du ministère de la Justice. Le programme a pour objectif de mettre un frein au supposé «espionnage chinois contre les États-Unis».

Au cours de l’été dernier, une demi-douzaine d’affaires relevant de l’«Initiative chinoise» ont été rejetées, tandis que la première affaire à atteindre le stade du procès, contre le chercheur de l’Université du Tennessee Anming Hu, s’est soldée par un acquittement. Les milieux scientifiques ont suivi le procès de Lieber de près, y voyant un indicateur de la volonté du ministère de la Justice de poursuivre d’autres chercheurs. On a ouvert des dizaines d’affaires similaires à l’encontre de chercheurs universitaires, la plupart d’entre elles, comme celle du Dr Lieber, ne portant pas sur des accusations d’espionnage ou de vol de propriété intellectuelle, mais sur la non-divulgation de financements chinois.

Parmi les dizaines de chercheurs qui ont fait l’objet d’enquêtes et de poursuites pour leurs liens avec la Chine, le Dr Lieber est reconnu comme le plus éminent. Outre son poste universitaire à Harvard, le Dr Lieber était une autorité internationale de premier plan dans le domaine des nanosciences et des nanotechnologies, et il a publié un grand nombre de recherches. Lieber figure en tant qu’inventeur principal sur plus de cinquante brevets américains et applications de la nanotechnologie et des nanodispositifs dans les matériaux et la biologie.

Si Lieber a admis avoir fraudé le fisc et a manifestement cherché à le dissimuler aux agents fédéraux, rien ne prouve qu’il se soit livré à des activités d’espionnage ou qu’il ait fourni à la Chine des informations militaires sensibles.

Lors de la plaidoirie finale de l’audience de mardi, l’avocat du Dr Lieber, Marc Mukasey, a déclaré que le gouvernement ne disposait que de peu ou pas de preuves crédibles que le professeur s’était livré à des actes répréhensibles.

Mukasey a également mis en garde contre les implications inquiétantes pour le discours scientifique en cause dans cette affaire. «N’est-il pas troublant que personne dans cette salle d’audience n’ait expliqué ce qu’est le Plan Mille Talents et qui en fait partie?» a-t-il déclaré. «N’est-il pas troublant de constater que les travaux du Dr Lieber étaient tous publics, qu’ils étaient destinés au monde entier, et que pourtant il fait l’objet de poursuites pénales pour cela?» Il a ajouté: «Pas de méchants, pas de victimes, personne n’a été volé, personne ne s’est enrichi, mais pour quelques secondes de conversation – l’agent spécial Mousseau a parlé d’un bip sur le radar – le plus grand nanoscientifique du monde fait face à de multiples crimes.»

Bien qu’un verdict de culpabilité ait été rendu, et qu’une date de condamnation pour le Dr Lieber reste à être déterminée, il ne fait aucun doute que la persécution du célèbre professeur de Harvard est liée aux intérêts géopolitiques de la classe dirigeante américaine, qui considère la technologie scientifique de plus en plus sophistiquée de la Chine et le développement de la recherche comme une menace existentielle pour l’hégémonie mondiale de l’impérialisme américain.

La persécution de Lieber a pour but de favoriser une atmosphère d’intimidation parmi les universitaires et les chercheurs qui participent à des projets scientifiques avec leurs collègues chinois. L’appareil de renseignement militaire cherche à intimider les scientifiques américains en les menaçant de les renvoyer de leur poste permanent, de les poursuivre au pénal ou de leur retirer leur statut d’immigrant s’ils collaborent avec leurs homologues chinois.

La menace de persécution a sans aucun doute joué un rôle dans le cas du Dr Lieber, qui a choisi de dissimuler son affiliation avec la Chine afin d’éviter d’être la cible de la chasse aux sorcières xénophobe lancée par le gouvernement américain contre les chercheurs. Peter Zeidenberg, un avocat de Washington DC qui représente certaines des dizaines de chercheurs qui font l’objet d’enquêtes similaires, a déclaré que le cas du Dr Lieber était remarquable parce qu’il a nié sa participation au programme chinois quand les autorités l’ont interrogé.

«La raison pour laquelle des gens comme Lieber mentent est qu’ils ont peur», a déclaré Zeidenberg. «C’est vraiment triste. Ils ont peur de répondre honnêtement à la question “Êtes-vous un membre du programme de talent?” Je suis sûr que pendant la Peur rouge, les gens disaient qu’ils n’étaient pas membres du Parti communiste.»

(Article paru en anglais le 23décembre 2021)

Loading