On se remplit les poches: la domination du marché des vaccins COVID par Pfizer

Pfizer, le géant pharmaceutique qui domine le marché des vaccins COVID dans les pays impérialistes d’Amérique du Nord, d’Europe et du Japon grâce à des accords bilatéraux portant sur plus de six milliards de doses, est également en passe de devenir le principal fournisseur de COVAX, le programme mondial de vaccination des pays les plus pauvres du monde.

Il a supplanté AstraZeneca dont les vaccins sont moins chers et plus faciles à administrer malgré que de nombreux pays destinataires ne disposent pas des installations frigorifiques nécessaires à la conservation du vaccin Pfizer/BioNTech. Sur les 600 millions ou plus de vaccins livrés à près de 150 pays, plus de 220 millions sont ceux d’AstraZeneca et environ 160 millions ceux de Pfizer/BioNTech. Mais selon Gavi, l’alliance pour les vaccins qui gère le COVAX, Pfizer est loin devant en termes de vaccins «attribués». Il a environ 470 millions de doses livrées ou prêtes à l’être dans les prochains mois, contre 350 millions pour AstraZeneca.

Le vaccin Pfizer-BioNTech (crédit : WSWS media)

Alors qu’AstraZeneca, mis au point par l’université d’Oxford, a accepté de vendre son vaccin au prix coûtant pendant la pandémie, soit moins de 4 dollars la dose, Pfizer a cherché à maximiser ses profits en le vendant au plus offrant, généralement à environ 20 dollars la dose. Un expert en génie biologique a expliqué dans une émission «Dispatches» de Channel 4 intitulée «La guerre des vaccins: la vérité sur Pfizer» que la fabrication du vaccin ne coûtait que 76 pence par dose, sans compter les frais de distribution, de marketing et autres. Le gouvernement britannique paye 22 livres par dose, une majoration de près de 3.000 pour cent du prix de fabrication.

Pfizer a nié ces faits, affirmant que sa marge bénéficiaire avant impôt se situait dans les «20 pour cent», un chiffre impossible à vérifier, sur des recettes prévues cette année de 36 milliards de dollars pour 2,3 milliards de vaccins. De son propre aveu, les bénéfices sont d’au moins 10 milliards de dollars.

Le mois dernier, le PDG Albert Bourla a déclaré aux investisseurs que la société s’attendait à réaliser un chiffre d’affaires de 80 milliards de dollars cette année, un record pour toute société pharmaceutique. Le vaccin représente plus d’un tiers de ce chiffre. Cela en fait l’un des produits pharmaceutiques les plus vendus cette année et peut-être le produit le plus vendu de l’histoire de l’industrie pharmaceutique.

Comme l’a noté le Financial Timesdans un article intitulé «Les dessous du vaccin Pfizer: une manne unique en son genre», «le vaccin a transformé l’influence politique de Pfizer». Depuis l’approbation du vaccin à la fin de l’année dernière, ses décisions avaient « contribué à façonner le cours de la pandémie. Il a le pouvoir de fixer les prix et de choisir quel pays sera le premier dans un système de file d’attente opaque, y compris pour les programmes de rappel que les pays riches s’empressent maintenant d’accélérer».

Ce n’est pas Pfizer mais BioNTech qui a développé le vaccin avec un financement de 375 millions d’euros du gouvernement allemand. Ne disposant pas des ressources nécessaires pour fabriquer et commercialiser le vaccin, BioNtech a fait appel à Pfizer pour gérer les opérations commerciales. Comme l’a déclaré au Financial Timesun ancien fonctionnaire du gouvernement américain impliqué dans l’achat de vaccins, le fait que le vaccin soit désormais connu sous le nom de Pfizer est «le plus grand coup de marketing de l’histoire des produits pharmaceutiques américains».

Si BioNTech devait recevoir la moitié des bénéfices, Pfizer devait contrôler la commercialisation du vaccin partout sauf en Allemagne et en Turquie, pays d’origine des fondateurs de BioNTech, et en Chine où BioNTech avait déjà signé un accord avec Fosun Pharma. Pfizer, contrairement à Moderna, a délibérément refusé le financement public pour garder le contrôle du vaccin et de la politique des prix. Il a d’abord cherché à faire payer au gouvernement américain la somme obscène de 100 dollars par dose, ou 200 dollars par traitement, avant de se contenter de 19,50 dollars par dose. Cela, après que Moderna ait accepté un prix nettement inférieur, s’étant rendu compte que le fait de réclamer un prix plus élevé nuirait à sa réputation.

Même ce prix était quatre fois supérieur à celui du vaccin unidose de Johnson & Johnson et cinq fois supérieur à celui du vaccin d’AstraZeneca. Jetant la lumière sur les intérêts commerciaux qui se cachent derrière la politique d’immunité collective, Pfizer avait rassuré ses investisseurs en leur garantissant qu’il serait en mesure d’augmenter le prix lorsque le virus deviendrait endémique, assurant ainsi un flux de bénéfices indéfini.

Pfizer a profité de sa position de force pour négocier de manière agressive des accords bilatéraux entourés de secret avec les nations riches, liant même les scientifiques indépendants par des accords de non-divulgation et insistant pour que les gouvernements lui fournissent une indemnité contre les poursuites judiciaires. Des gouvernements comme ceux du Liban et des Philippines ont dû modifier leur législation pour obtenir des contrats avec Pfizer.

Jarbas Barbosa, directeur adjoint de l’Organisation panaméricaine de la Santé, a déclaré au Financial Times que les conditions de Pfizer étaient «abusives, à un moment où, en raison de l’urgence, les [gouvernements] n’ont pas la possibilité de dire non».

L’entreprise a refusé de livrer des doses tant qu’elle n’était pas sûre que les pays disposaient des capacités de stockage frigorifique nécessaires. Ses négociations avec l’Afrique du Sud ont été particulièrement belliqueuses ; Pfizer a été jusqu’à exiger que des biens publics soient mis de côté comme garantie pour couvrir toute demande légale de compensation, une demande décrite comme «équivalente à l’abandon de la souveraineté nationale».

Dans le cas de la Grande-Bretagne, de grandes parties des contrats ont été expurgées. En cas de litige, Pfizer ne pourra pas être poursuivi devant les tribunaux, mais uniquement dans le cadre d’une procédure d’arbitrage qui sera tenue secrète, ce qui est apparemment le seul accord de ce type avec un pays à revenu élevé. Le gouvernement conservateur de Boris Johnson, les États-Unis et les principaux pays européens bloquent les efforts de plus de 130 pays visant à augmenter la production de vaccins et faire baisser les prix en levant les règles de propriété intellectuelle de l’Organisation mondiale du commerce (OMS) sur les vaccins et les traitements COVID-19 pour le reste de la pandémie.

Le National Health Service (NHS) britannique a payé 2,57 milliards de livres sterling pour 135 millions de vaccins Pfizer – 18 livres sterling la dose pour les 100 premiers millions et 22 livres sterling la dose pour les 35 millions suivants – la marge bénéficiaire étant de 1,903 milliard de livres sterling au-dessus du coût de production. Cette marge de près de 75 pour cent aurait pu financer une augmentation de salaire six fois supérieure aux 302 millions de livres sterling autorisés par le gouvernement pour les quelque 300.000 infirmières du NHS cette année. Après inflation, l’augmentation de 1.000 livres des infirmières représente en fait une baisse de salaire.

Selon l’Alliance populaire pour les vaccins (People's Vaccine Alliance), ce n'est pas seulement Pfizer, mais aussi Moderna et BioNTech qui engrangent des bénéfices astronomiques. L'Alliance estime que ces trois sociétés fixent le prix de leurs vaccins à 41 milliards de dollars au-dessus du coût de production estimé, tout en payant peu d'impôts. Elle estime que Moderna a réalisé 4,3 milliards de dollars de bénéfices sur des revenus de plus de 6 milliards de dollars au deuxième trimestre de cette année, soit une marge bénéficiaire obscène de 69 pour cent. Moderna prévoit que les ventes totales de vaccins atteindront 20 milliards de dollars en 2021. Sans autres produits commerciaux que leurs vaccins COVID, leurs bénéfices proviennent uniquement des vaccins.

L’Alliance affirme qu’au premier semestre 2021, Moderna a payé des impôts américains à hauteur de 7 pour cent et Pfizer à hauteur de 15 pour cent, bien en dessous du taux d’imposition américain de 21 pour cent, grâce à un système qui permet aux sociétés gagnant des milliards de dollars de payer un taux d’imposition nettement inférieur à celui des familles qui travaillent.

Depuis l’identification du variant Omicron en novembre, les principaux dirigeants et actionnaires des grandes entreprises pharmaceutiques ont vu leur fortune monter en flèche à mesure que le prix de leurs actions augmentait ; huit des actionnaires de Pfizer et Moderna ont augmenté leur fortune d’un total massif de 10,31 milliards de dollars. Cette situation a suscité des accusations selon lesquelles les dirigeants des entreprises pharmaceutiques «tirent profit d’une crise qu’ils ont contribué à créer» en refusant de renoncer à leurs droits de brevet et de partager la technologie des vaccins.

L’année dernière, l’OMS a mis en place le Covid-19 Technology Access Pool (C-TAP) pour faciliter le transfert de la technologie et du savoir-faire en matière de vaccins aux fabricants accrédités, mais la grande entreprise pharmaceutique a boycotté le projet, Bourla, le patron de Pfizer, le qualifiant de «non-sens». Cette attitude, ainsi que la pratique consistant à vendre au plus offrant et à créer des niveaux grotesques d’inégalité en matière de vaccins, a été l’un des facteurs qui a permis aux conditions du variant Omicron d’émerger.

Aujourd’hui, ces entreprises s’apprêtent à créer une nouvelle manne de profits avec le développement de la nouvelle pilule COVID. Pfizer devrait dominer ce marché de 20 milliards de dollars l’année prochaine alors que les pays riches s’empressent de s’approvisionner, les pays pauvres devant attendre les médicaments génériques, qui ne sont pas attendus avant 2023. La société devrait engranger des recettes de 17 milliards de dollars grâce à son traitement expérimental Paxlovid en 2022, le Molnupiravir de Merck rapportant lui, environ 2,5 milliards de dollars, alors que les nouveaux médicaments remplaceront les traitements existants, plus coûteux, pour les patients à haut risque.

(Article paru d’abord en anglais le 28 décembre 2021)

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