«Quel genre de société inhumaine est-ce là?»

Indignation des travailleurs américains suite à la décision des CDC de réduire les directives de quarantaine

La colère monte dans la classe ouvrière aux États-Unis en réponse à l’annonce faite lundi par les Centres de contrôle et prévention des maladies (CDC) de raccourcir de dix à cinq jours ses directives de quarantaine pour les cas positifs. Dans leurs remarques à la presse, la directrice des CDC Rochelle Walensky et le principal conseiller de Biden pour le COVID, Anthony Fauci, ont admis que l’assouplissement des restrictions étaient pour garantir l’approvisionnement en main-d’œuvre des entreprises américaines. Cela intervient alors que la vague du variant Omicron devrait infecter 140 millions d’Américains dans les trois prochains mois, soit plus de 40 pour cent de la population.

Cette annonce équivaut à une abdication par le gouvernement de toute prétention à vouloir contenir la pandémie. On dit au contraire aux travailleurs qu’ils doivent apprendre à vivre – et à mourir – avec le virus, au nom de la protection de l’«économie», un euphémisme pour les marges bénéficiaires et les valeurs des actions des grandes entreprises. Cette déclaration fait suite à un discours télévisé du président Biden la semaine dernière où celui-ci rejetait tout nouveau confinement des écoles et des lieux de travail, et encourageait même les Américains à ne pas annuler leurs projets de voyage pour les vacances.

Mais la propagation du virus même parmi les travailleurs des compagnies aériennes força l’annulation de milliers de vols. C’est un appel lancé au CDC par les dirigeants des principales compagnies aériennes qui a immédiatement entraîné la modification des directives de quarantaine.

Travailleurs de Stellantis à l’usine de camions Warren dans la banlieue de Détroit (WSWS Media)

L’annonce a stupéfié et mis en colère les travailleurs qui sont confrontés au fait que les entreprises et l’establishment politique considèrent que leurs vies et celles de leurs amis et parents sont remplaçables. Le tweet d’un travailleur qui avait reçu l’ordre de venir travailler alors que son colocataire avait testé positif a reçu plus de 360.000 «likes» et a été ‘retweeté’ 44.000 fois. Les travailleurs ont inondé les réponses à ce tweet avec leurs propres histoires d’horreur au travail et à l’école.

L’un d’eux disait: «Je suis professeur de lycée et lorsqu’on m’a dit, il y a deux semaines, pendant le déjeuner, que le groupe de personnes avec qui je dînais avait testé positif, j’ai dit à mon administration que je partais me faire tester. Le [département de l’éducation de la ville de New York] m’a dit que si je ne présentais aucun symptôme, on me retiendrait une demi-journée. J’étais positif».

Un autre tweet disait: «La garderie de ma petite-fille a envoyé un texte hier soir disant qu’une des soignantes avait testé positif, mais qu’elle était asymptomatique et qu’elle viendrait quand même travailler. Juste un avertissement au cas où quelqu’un ne voudrait pas que son enfant soit exposé. Incroyable». Un autre déclarait: «Le travail de ma sœur lui a dit de venir travailler parce qu’on pouvait être testé positif pendant 3 mois, alors ça n’avait pas d’importance si on venait travailler. Ils n’ont pas prévenu les autres employés quand quelqu’un était contaminé par le virus».

Des travailleurs de tout le pays ont parlé au World Socialist Web Site.

Une infirmière de Californie du Sud a déclaré: «Pour être honnête, j’ai perdu toute confiance dans les CDC. C’est la même organisation qui nous a dit qu’il n’y avait pas de problème à venir travailler avec un bandana [dans les premières semaines de la pandémie, en réponse à la pénurie généralisée de masques]. Je comprends que le pays n’était pas préparé et qu’il n’y avait pas assez de N95, mais ils nous ont fait courir des risques et beaucoup de gens sont tombés malades».

«Ensuite, Fauci nous a dit: “Si vous êtes vaccinés, vous ne l’attraperez pas et vous ne le propagerez pas”. C’était aussi un mensonge et ils ont vraiment sapé la légitimité des CDC. C’est un gros problème parce que cela a fait le jeu des gens qui nient l’existence de la COVID».

Elle conclut: «Vous jouez avec la vie des gens et c’est impardonnable. Ce que je veux savoir, c’est sur quelles données ils se basent? Où sont les données?»

Un chirurgien généraliste du Midwest a déclaré: «Lorsque j’ai demandé à ma collègue ce qu’elle pensait des lignes directrices des CDC, elle a éclaté en disant: “C’est un ramassis de conneries!” Elle a une jeune famille et son mari travaille au service des urgences, alors elle entend tout».

«Je sais que beaucoup de gens plaisantent sur eux, mais ils créent un dangereux précédent. Cela va coûter des vies, et peut-être beaucoup de jeunes vies. Le nombre d’enfants qui sont hospitalisés est remarquable». Il a ajouté: «J’ai fait un test ce matin parce qu’on m’a dit que la personne dans ma salle d’opération qui avait une mauvaise toux avait testé positif la nuit dernière. Je ferai un nouveau test demain, mais je devrai aller travailler malgré tout, à moins que je ne développe des symptômes».

Un agent de bord a réagi avec colère au fait que les CDC s’étaient pliés aux exigences des compagnies aériennes. «Je ne vois pas comment les compagnies aériennes sont autorisées à dicter ce que les CDC décident», a-t-elle déclaré. «Leurs décisions sont strictement basées sur l’économie et le marché boursier. Mon amie a été triplement vaccinée, elle souffre d’emphysème, et Southwest Airlines l’a fait travailler. Maintenant, ils lui disent qu’elle ne doit rester en quarantaine que cinq jours».

Cette décision aura des conséquences particulièrement graves pour les écoles, qui ont été les principaux vecteurs de transmission tout au long de la pandémie. Le nombre d’enfants qui présentent des cas graves n’a cessé d’augmenter au cours des derniers mois.

Un enseignant de Philadelphie a déclaré: «En tant qu’enseignant, je suis préoccupé des changements incessants de protocole qui ne semblent pas justifiés par des données scientifiques. [Parallèlement] on assiste à une augmentation du nombre de cas, d’hospitalisations et de décès… et les variants les plus contagieux se propagent plus rapidement que tous les [autres] variants ne l’ont fait auparavant. Si la voix du peuple était prise en compte dans cette décision gouvernementale prétendument démocratique, on n’aurait pris de telles décisions», a-t-il déclaré. Mais en l’état actuel des choses, «nos voix sont étouffées par celles des entreprises et de leurs complices au sein du gouvernement. Au lieu de cela, nous avons un meurtre sociétal».

Un enseignant du Massachusetts a déclaré au World Socialist Web Site: «S’il subsistait un doute sur le fait que les CDC s’inspirent des lobbies des entreprises plutôt que de la science, les nouvelles directives de quarantaine l’ont éliminé. Le plus effrayant est que le gouvernement Biden a rencontré si peu de résistance de la part [des syndicats] tout au long de la pandémie qu’il ne se sent plus obligé de cacher cette réalité. Les PDG des compagnies aériennes ont demandé des quarantaines plus courtes, les CDC ont accédé à leur demande, et maintenant les substituts de Biden sont partout dans les journaux pour expliquer comment on l’a fait pour que les travailleurs retournent au travail plus rapidement».

«Quel genre de société inhumaine verrait le nombre d’hospitalisations liées au COVID se multiplier et déciderait précisément au même moment de raccourcir les directives de quarantaine?» s’interroge un enseignant du comté de Westchester, à New York. «Ils ont même eu l’audace d’admettre qu’ils avaient changé les règles du jeu “en pleine partie” uniquement pour maintenir les effectifs en place. Pour moi, cela ressemble à la mentalité des “Hunger Games” où des pans de notre population sont considérés comme sacrifiables. Nous sommes arrivés à un carrefour remarquablement horrible de l’histoire, où notre incapacité à nous battre pour les plus jeunes membres [de notre société] nous fera passer pour des barbares dans les générations à venir».

Des ouvriers de l’automobile de tout le pays ont parlé au World Socialist Web Site de la situation dans leurs usines, où les infections sont hors de contrôle. Un ouvrier de l’usine Ford de Kansas City a déclaré qu’il soupçonnait que les cas de COVID étaient en augmentation dans cette usine, car lui et d’autres sont toujours appelés en remplacement pour des équipes. Il a ajouté que d’autres travailleurs lui avaient dit que c’était parce que davantage de travailleurs étaient mis en quarantaine. Cependant, ni le syndicat United Auto Workers ni la direction ne disent jamais aux travailleurs la vérité sur pourquoi leurs collègues ne viennent pas travailler ou comment ils sont morts.

Au cours des trois dernières semaines, dit-il, deux travailleurs de l’usine sont décédés, l’un de 46 ans et l’autre de 51 ans, sans qu’aucune cause de décès ne soit indiquée. Le travailleur de 51 ans est mort à la porte de l’usine, mais personne n’a donné la cause du décès. «Il semblait être en bonne santé auparavant. Son quart de travail commençait à 11h30 le soir et ses horaires changeaient souvent. Il est tombé et s’est mis à rouler sur le sol. Ils ont dit qu’il ne pouvait pas respirer. Le temps que l’ambulance arrive, il était mort».

Un travailleur d’un entrepôt de pièces détachées de General Motors à Memphis, dans le Tennessee, a déclaré au WSWS: «Depuis que la COVID a commencé, nous sommes condamnés si nous faisons et si nous ne faisons pas de déclaration de cas. Les personnes qui sont testées positives sont envoyées à l’extérieur, mais les autres qui ont travaillé à côté d’elles ne sont jamais prévenues. Tout est secret, et on nous dit de nous occuper de nos affaires».

Un travailleur de l’usine de pièces automobiles Dana à Fort Wayne, dans l’Indiana, a déclaré: «La COVID se répand dans l’usine. Je crois qu’elle se propage plus rapidement à cause de la politique de Dana en matière de COVID. Les gens sont obligés de retourner au travail et je pense qu’ils sont encore contagieux. Vous n’avez pas besoin d’un résultat négatif pour revenir au travail. Les Ressources humaines traitaient cela plus sérieusement au début, mais maintenant elles essaient [de] minimiser la situation».

Un jeune travailleur de l’usine Stellantis Warren Truck, dans la banlieue de Détroit, a déclaré: «La décision des CDC montre simplement qu’ils ne se soucient pas de nos vies. Tant de travailleurs sont malades dans mon usine. L’entreprise fait travailler les TPT (travailleurs temporaires à temps partiel) 12 heures ou plus pour compenser tous les travailleurs malades».

«Maintenant, ils parlent de convertir d’autres usines de la région en “statut critique”, afin de pouvoir vous faire travailler 90 jours d’affilée. Pour moi, la seule raison pour laquelle vous devriez désigner une usine comme “critique” est lorsqu’elle atteint un nombre critique de cas de COVID, et elle devrait être fermée immédiatement. C’est ce qui se passe actuellement».

Une ouvrière du secteur des pièces automobiles de l’usine Faurecia de Saline, dans le Michigan, a expliqué qu’un conducteur de chariot élévateur infecté avait transmis le virus à plusieurs collègues, et que maintenant la moitié de la ligne de l’ouvrier est hors service sans aucune explication de la part de la direction ou de l’UAW.

«Ils se trouvent infectés, et l’entreprise l’a dissimulé. Ils n’ont même pas désinfecté leurs postes de travail. Ils ont juste envoyé des gens pour les remplacer». Elle a ensuite opposé le mépris total pour la vie humaine aux États-Unis à la situation en Chine, où on a pris des mesures de santé publique, y compris le confinement temporaire des écoles et des entreprises, pour empêcher la transmission du virus.

«En Chine, le gouvernement a vraiment pris des mesures pour stopper la propagation, et la population a suivi et soutenu ces mesures. Ce sont les entreprises qui dirigent notre pays. Elles essaient de faire du profit. En Chine, on dirait qu’elles se préoccupent de la santé de la population. Donc, ils s’assurent que les gens suivent les règles. Dans notre pays, le gouvernement fait ce que les grandes entreprises disent, et non le peuple. C’est ce que je crains».

«Je ne soutiens pas le gouvernement de la Chine. Mais cela montre que l’on peut arrêter le virus. La classe ouvrière doit se mobiliser. Nous devons trouver comment, car nous travaillons tous pour les entreprises et nous devons nous serrer les coudes pour ne pas nous sentir menacés».

«Nous savons que le syndicat n’est pas pertinent pour nous aider. Nous devons le faire par nous-mêmes, la classe ouvrière et nos communautés, y compris les écoles et les petites entreprises, par opposition aux grandes sociétés

Nous invitons les travailleurs à contacter le WSWS avec des informations sur la propagation des infections sur vos lieux de travail. Toutes les informations seront gardées anonymes.

(Article paru d’abord en anglais le 29 décembre 2021)

Loading