La santé et la vie des conducteurs de poids lourds britanniques menacées par des niveaux de fatigue «épidémiques»

Une enquête s’est conclue au début du mois sur la mort d’Arron Middleton, 31 ans, chauffeur de poids lourds employé par DHL.

Le 12 janvier, il arrivait à la fin de son service et rentrait au dépôt situé près de l’aéroport d’East Midlands. Le coroner a conclu que la fatigue était la cause probable de l’accident. On pense que Middleton s’est endormi au volant avant de percuter l’arrière d’un véhicule à l’arrêt sur l’A50 dans le Derbyshire. Il est décédé sur place des suites de ses blessures.

Un chauffeur de poids lourd travaillant à l'extérieur d'un point de déchargement à Manchester, septembre 2021. (WSWS Media)

La mort de Middleton et la conclusion de l’enquête du tribunal de coroner de Derby mettent en évidence les graves dangers que représentent pour les chauffeurs de poids lourds le surmenage et les mauvaises conditions de travail.

S’adressant au World Socialist Web Site, James, chauffeur de poids lourds, l’un des organisateurs d’une grève nationale « rester chez soi » en août dernier et co-auteur d’une charte des droits des chauffeurs routiers a expliqué: «Si vous venez depuis la Russie ou la Lituanie, ces gars-là seront morts sur pied. Les autres, qui font un maximum d’heures sans période de repos appropriée, vont aussi être fatigués».

«Je dis aux gens: essayez! Essayer de transporter une remorque de 14 mètres à travers les montagnes, sur des routes pourries, sous la pluie battante, pour un salaire horrible...»

«Ensuite, il y a les terribles installations que les conducteurs doivent endurer. Je connais quelqu’un qui, après un accident, a dû s’arrêter pour la nuit avec seulement un tracteur et un chauffage. Pas de lit, pas de douche, rien».

Le mois dernier, Sarah-Louise Murray, 24 ans, lourdement enceinte, s’est endormie au volant alors qu’elle conduisait de nuit pendant plus de 10 heures entre l’Écosse et le Somerset. Elle avait essayé de se rendre à une station-service dont les installations étaient, selon les termes de son avocat, plus «salubres pour les conductrices».

Selon une enquête menée par la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETWF) en juin, près d’un chauffeur de poids lourd sur trois a déclaré s’être endormi au volant au cours de l’année écoulée. L’enquête a révélé que 60 pour cent des chauffeurs de poids lourds ont déclaré qu’ils devaient régulièrement conduire alors qu’ils étaient fatigués. Tandis que 52 pour cent ont déclaré vouloir s’arrêter et faire une pause, mais ne pas pouvoir le faire. L’ETWF a averti que la fatigue des conducteurs professionnels atteignait des niveaux «épidémiques».

L’enquête a interrogé 2.861 conducteurs de camions, de bus et d’autocars de 28 pays européens, la plupart des réponses des conducteurs de poids lourds provenant du Royaume-Uni, ainsi que de Belgique, de France, d’Allemagne, d’Italie et d’Espagne. Selon l’ETWF, 772 conducteurs ont admis qu’ils avaient failli avoir un accident et causer un grave accident de la route à cause de la fatigue. Les principaux facteurs contributifs cités sont les longues heures de travail, les bas salaires, les schémas de travail imprévisibles, le manque de sommeil adéquat et les mauvaises installations de repos.

Une fiche d’information sur la fatigue au volant publiée en juillet 2020 par la Royal Society for the Prevention of Accidents  (RoSPA) déclare que, bien qu’il ne soit pas possible de calculer le nombre exact d’accidents liés au sommeil sur les routes, la recherche montre que la fatigue au volant peut être un facteur contributif dans jusqu’à un cinquième des accidents de la route, et jusqu’à 25 pour cent des accidents mortels et graves. «Ces types d’accidents sont environ 50 pour cent plus susceptibles d’entraîner la mort ou des blessures graves, car ils ont tendance à être des impacts à grande vitesse parce qu’un conducteur qui s’est endormi ne peut pas freiner ou faire un écart pour éviter ou réduire l’impact», ajoute la fiche.

La RoSPA a souligné la prévalence des troubles du sommeil dans le secteur, citant une étude menée auprès de plus de 900 chauffeurs des camions italiens. Celle-ci révèle que 43 pour cent d’entre eux risquent de souffrir d’apnée obstructive du sommeil (constriction de la gorge pendant le sommeil, perturbant la respiration) en raison de la nature largement sédentaire du travail. Elle conclut que les entreprises de transport routier «devraient procéder à des examens obligatoires pour détecter les troubles du sommeil, car le risque pour les chauffeurs des camions est intrinsèquement plus élevé que celui de la population générale».

La conduite de camions sur de longues distances est l’un des domaines de travail les plus dangereux. Le poids moyen d’un véhicule long-courrier est de 44 tonnes avec 6 essieux. Plus de 4.000 conducteurs ou passagers de véhicules de transport de marchandises auraient été blessés dans un accident de la route en 2020, dont 674 grièvement et 54 mortellement.

Bien que les conducteurs se trouvent clairement sur leur lieu de travail lorsque ces accidents souvent mortels se produisent, ceux-ci ne sont pas considérés comme des accidents sur le lieu de travail et font plutôt l’objet d’une enquête en tant qu’accidents de la route. Toutes les questions qui auraient pu contribuer à l’accident — longues heures de conduite, conditions de travail et autres facteurs liés au travail — sont passées sous silence dans les rapports d’accident.

Dans cette situation déjà dangereuse, le gouvernement a considérablement affaibli les restrictions de sécurité qui protègent les conducteurs de poids lourds et les autres usagers de la route en réponse à une pénurie de main-d’œuvre créée par des décennies de baisse des salaires et de détérioration des conditions de travail, mettant ainsi les vies encore plus en danger.

Entre le 12 juillet et le 31 octobre, la limite de 10 heures de conduite par jour a été portée à 11 heures, et la stipulation limitant la conduite à un maximum de 90 heures sur deux semaines a été portée à 99 heures. Ces assouplissements «temporaires» ont été prolongés du 1er novembre au 9 janvier 2022.

Dans de nombreux cas, le gouvernement a donné le feu vert à des entreprises qui ignoraient déjà les directives de conduite et faisaient pression sur les conducteurs pour qu’ils déconnectent leur tachygraphe — l’appareil embarqué qui enregistre la vitesse et la distance parcourue par un véhicule.

À la question de savoir si les conducteurs subissaient des pressions pour travailler au-delà des limites de sécurité, James répond: «Absolument. Cela dépend de l’entreprise et de la relation que vous avez avec le responsable du transport».

«La pression ne s’exerce pas seulement sur les chauffeurs de poids lourds, mais aussi sur les transporteurs et sur toute personne impliquée dans le réseau de transport et de livraison. Il m’est souvent arrivé de venir chercher une palette [de livraison] et qu’elle ne soit pas prête ou qu’il n’y ait tout simplement pas d’espace sûr pour la transporter. Alors tout le monde est obligé d’ignorer le Code de la route pour faire son travail».

Le gouvernement a apporté des changements aux tests nécessaires à l’obtention des permis de conduire des poids lourds. La RoSPA s’est dite «profondément déçue» par cette décision qui, selon elle, «aura un impact négatif sur la sécurité routière».

James a commenté: «Ces permis sont mis en place pour éduquer les nouveaux conducteurs, pour aider à prévenir les accidents, etc.… Ce que vous devez aussi vraiment apprendre, c’est le poids. Il varie, mais vous pouvez transporter de 18 tonnes à plus de 40 tonnes. Vous transportez de la pierre, de l’eau, du carburant (une bombe mobile en fait) et du combustible nucléaire. Ce sont des poids énormes. La responsabilité est énorme».

«Pourquoi le gouvernement pense-t-il que vous avez besoin de toute cette formation pour piloter un avion ou conduire un train alors que n’importe qui peut conduire un camion? Pourquoi pensent-ils que les conducteurs devraient être moins compétents? Ils veulent juste boucher les emplois».

Le fait que le gouvernement déchire les directives de sécurité démasque la campagne frauduleuse du syndicat Unite appelant à une amélioration des conditions des chauffeurs de poids lourds. Lancée en octobre à la suite d’un mouvement indépendant de protestation, cette initiative visait à dissimuler le fait que les syndicats avaient laissé les salaires et les conditions de travail se détériorer de façon aussi brutale, et à reprendre le contrôle d’une main-d’œuvre rétive. «Unite» a ainsi produit un manifeste des chauffeurs pour établir une relation corporatiste avec les employeurs à travers laquelle ils pourraient limiter les demandes des travailleurs.

Le seul résultat de cette campagne fut un arrêt de travail symbolique, encourageant les conducteurs à prendre leur pause légale d’une heure à 11 heures, le 1er novembre.

Bien que le syndicat ait averti que les actions du gouvernement dans ce secteur étaient «dangereuses, imprudentes et potentiellement illégales» et qu’elles «augmenteraient les pressions sur les conducteurs et menaceraient la sécurité publique sur les routes britanniques», rien n’a été fait depuis. Unite est constant sur cette question ; au début de l’année dernière, il s’est servi de

Pour mener une véritable lutte pour leurs intérêts contre les entreprises de transport et le gouvernement, les chauffeurs de poids lourds doivent former des comités de la base, indépendants des syndicats pro-entreprises ; ils doivent s’organiser avec d’autres travailleurs à travers et au-delà de leur secteur, et rejoindre la résurgence mondiale des luttes de la classe ouvrière.

(Article paru d’abord en anglais le 29 décembre 2021)

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