Dopesick: Un drame puissant sur la crise des opioïdes

Kaitlyn Dever dans Dopesick

La minisérie Hulu Dopesick, créée par Danny Strong, est basée sur le livre documentaire de 2018 Dopesick: Dealers, Doctors and the Drug Company that Addicted Americade Beth Macy.

La série de huit épisodes est un réquisitoire dévastateur contre l’industrie pharmaceutique américaine. Près d’un million de personnes sont mortes aux États-Unis depuis 1999 à la suite d’une surdose de médicaments et plus de 70 % de ces décès impliquaient un opioïde, selon le National Center for Drug Abuse Statistics. Au cours de la période de 12 mois se terminant en avril 2021, première année de la pandémie, plus de 100.000 personnes ont succombé à une overdose aux États-Unis. Cent mille personnes... en un an.

«Dopesick» est un terme utilisé par les toxicomanes pour décrire le processus physique et mental infernal du sevrage des opiacés, ce qui ne fait qu’encourager la poursuite de la consommation de drogues pour éviter cette agonie.

La série Hulu explique comment la prescription excessive de l’analgésique OxyContin, impitoyablement imposée à la population par Purdue Pharma, a contribué à déclencher l’épidémie mortelle d’opioïdes aux États-Unis.

Dopesickcouvre la période allant du milieu des années 1990 au milieu des années 2000 et est implacable dans sa critique de Purdue et dans sa compassion pour les victimes de l’épidémie. La série ne se contente pas d’étoffer une collection de statistiques: les créateurs, les scénaristes et les acteurs ont produit un drame social véritablement puissant.

Macy, dans son livre, souligne les dimensions sociales et de classe de l’épidémie. «Les Appalaches ont été parmi les premiers endroits où le malaise des pilules opioïdes a frappé la nation au milieu des années 1990, prenant au piège les mineurs de charbon, les bûcherons, les fabricants de meubles et leurs enfants», écrit-elle.

À cet égard, la réaction générale des médias et des critiques à Dopesick, qui s’élève au niveau d’un léger intérêt, est révélatrice. Ce n’est pas ce qui les passionne, pour ainsi dire. La minisérie se concentre sur une région démographique et géographique qui n’intéresse pas vraiment les couches aisées des grandes villes. Un drame ou un film d’horreur à caractère racial ou sexiste, comme Dear White People(2014), Get Out(2017), Promising Young Woman (2020) ou Them(2021), enflamme les critiques. La dévastation des communautés de la classe ouvrière est une autre affaire.

Dopesick

Dopesicks’ouvre en 1986. Richard Sackler (Michael Stuhlbarg), l’un des dirigeants de la société pharmaceutique familiale Purdue, expose sa mission: «Le temps est venu de redéfinir la nature de la douleur. Pendant trop longtemps, la communauté médicale américaine a ignoré la douleur chronique et cela a créé une épidémie de souffrance.» Sackler poursuit dans la même veine: «Lorsque nous vivons avec la douleur, nous ne vivons pas notre véritable moi. Nous ne vivons pas le meilleur de nous-mêmes. Nous ne vivons même pas du tout parce que la douleur prend le pas sur notre capacité à penser, à ressentir et même à aimer.» Le lecteur peut déterminer par lui-même les proportions ici de l’auto-illusion et de la justification grossière du profit. Sackler deviendra l’un des archanges de la mort les plus rapaces.

À Finch Creek, une petite ville minière des Appalaches, le docteur Sam Finnix (Michael Keaton) s’occupe avec dévouement de ses habitants dont beaucoup souffrent de blessures résultant de leurs occupations laborieuses et dangereuses. En 1996, Billy Cutler (Will Poulter), représentant de Purdue, présente l’OxyContin à Sam, en affirmant que cet analgésique rend moins d’un pour cent de ses utilisateurs dépendants et que son étiquette spéciale, approuvée par la Food and Drug Administration (FDA), confirme ses dires. Sam est sceptique, car aucun narcotique de l’annexe II (une substance à fort potentiel de dépendance) n’a jamais reçu un tel imprimatur auparavant. Lorsque la jeune Betsy Mallum (Kaitlyn Dever) se blesse gravement au dos lors d’un accident minier, elle devient la première patiente de Sam à se voir prescrire de l’OxyContin.

Michael Keaton et Cory Scott Allen dans Dopesick

En 2002, le procureur John Brownlee (Jake McDorman) et son équipe, Rick Mountcastle (Peter Sarsgaard) et Randy Ramseyer (John Hoogenakker), commencent à enquêter sur cet opioïde mortel. Bridget Meyer (Rosario Dawson), de la Drug Enforcement Administration (DEA), a découvert que le responsable de l’examen médical de la FDA, Curtis Wright, avait approuvé l’étiquette trompeuse du médicament, contribuant ainsi à perpétuer un énorme mensonge pour lequel il a reçu un salaire de 400.000 dollars par an de Purdue.

«Il y a quelques mois, nous avons attrapé un médecin qui vendait des pilules dans sa voiture à une fillette de 11 ans... et quand nous l’avons arrêté, il nous a remerciés», raconte le procureur Randy à Bridget. «À ce moment-là, nous avons su que ce qui se passait dans le pays du charbon ressemblait à San Francisco au début de la crise du sida... Notre communauté est l’épicentre d’une catastrophe nationale qui prend de l’ampleur.»

Sackler et Purdue sont déterminés à faire de l’OxyContin «le plus grand analgésique de l’histoire de l’humanité... en prenant sa place après la pénicilline, le médicament le plus important de l’histoire de la médecine». La force de vente agressive et obsédée par l’argent est armée de profils psychologiques des médecins de son territoire et de la capacité de leur offrir des avantages et des primes illimités. D’autres outils de vente incluent l’utilisation de formules réconfortantes – par exemple, que «la douleur est le cinquième signe vital», ce qui lui confère un statut égal à celui de la pression sanguine, de la fréquence cardiaque, de la fréquence respiratoire et de la température, que «la douleur est insuffisamment traitée», etc.

Des «experts» charlatans comme le Dr David Haddox (Aaron Serotsky), qui a inventé l’expression «pseudo-dépendance», soutiennent que la dépendance est un fantasme. Lorsqu’on découvre que l’antidouleur «miracle» peut durer moins de 12 heures, Purdue invente le terme «douleur aiguë» et recommande de doubler la dose. La société commence par un comprimé de 10 mg, puis de 40 mg, et finit par fabriquer un comprimé de 160 mg! «Individualiser la dose, c’est individualiser votre prime», est un euphémisme pour vendre des quantités toujours plus importantes d’OxyContin. Comme l’a noté le WSWS, «entre 2006 et 2012, les sociétés pharmaceutiques – Purdue en tête – ont déversé 76 milliards de pilules d’oxycodone et d’hydrocodone dans les quartiers américains, assez pour fournir à chaque adulte et enfant du pays 36 pilules par an.»

L’auteur Macy écrit que «les documents internes qualifiaient les représentants de Croisés royaux et de Chevaliers, et les superviseurs étaient surnommés le Magicien de l’OxyContin, le Souverain suprême de la gestion de la douleur et l’Impératrice de l’analgésie. Le directeur des ventes de Purdue pour le traitement de la douleur signait ses notes de service simplement “King”...

«Dans l’ensemble de l’industrie, les sociétés pharmaceutiques ont dépensé 4,04 milliards de dollars en marketing direct auprès des médecins en 2000, soit 64 % de plus qu’en 1996.»

Sam assiste à un séminaire Purdue sur la gestion de la douleur en Arizona, où il parle naïvement avec son cœur de ce qu’il croit être les avantages du médicament. Le veuf solitaire est séduit par les promotions éblouissantes de la société, ainsi que par une employée rousse de la pharmacie. Rien n’est trop sournois pour les pièges axés sur le profit que tend Purdue. Lorsque Sam devient lui-même dépendant après un accident de voiture, il commence à voyager hors de l’État à la recherche désespérée de prescriptions d’OxyContin.

Maintenant, plusieurs des patients de Sam sont également dépendants. Betsy, qui avait envisagé une vie loin de Finch Creek avec sa petite amie Grace (Cleopatra Coleman), commence à financer sa dépendance en volant ses parents, Jerry et Diane (Ray McKinnon et Mare Winningham). Désemparés par la dépendance aiguë de leur fille à la drogue, ils mettent de côté leurs croyances religieuses profondément ancrées et acceptent l’homosexualité de Betsy tout en luttant pour sa vie.

Walt le dealer (Nicholas Logan) apprend à Sam comment se défoncer plus rapidement en léchant l’enrobage, en le frottant et en réduisant l’Oxy en poudre pour le renifler, ce qui donne tristement au médecin l’impression qu’il danse avec sa femme décédée. Finalement en cure de désintoxication, Sam est averti que l’alternative est «la prison ou la morgue».

Betsy, qui essaie elle aussi désespérément de se débarrasser de sa dépendance à la drogue, accepte de se faire aider. Mais les dealers sont partout, même dans la prétendue sainteté d’une réunion de Narcotiques Anonymes. Purdue s’obstine à jeter de l’huile sur le feu de l’épidémie d’OxyContin. Des charlatans comme Haddox promeuvent la fable selon laquelle les toxicomanes souffrent d’un trouble génétique qui nécessite des doses croissantes pour faire face à la «torture» du sevrage. Richard Sackler insiste sur le fait que «les symptômes de la dépendance sont en réalité les symptômes d’une douleur non traitée». Alors qu’il prodigue une attention affectueuse à son chien de compagnie, l’imperturbable baron de la drogue ne cesse de répéter qu’il faut «s’en prendre aux toxicomanes».

Dans une scène notable, lors d’une présentation du musée de la DEA, la «célébrité du 11 septembre» Rudy Giuliani (Trevor Long), ancien maire de New York, est l’un des invités vedettes. Il distingue Bridget et la félicite d’être l’une des femmes les plus haut placées au sein de la DEA. Elle est impressionnée et flattée jusqu’à ce que Giuliani lui apprenne que Purdue est le principal client de son cabinet d’avocats. Entre le «service public» et les entreprises pharmaceutiques, il y a moins une porte tournante qu’une porte grande ouverte.

Un autre exemple est celui du procureur américain du Maine, Jay McCloskey (David Alexander), qui, en 2000, a envoyé une lettre à tous les médecins du Maine, les mettant en garde contre l’abus de médicaments sur ordonnance, y compris les opioïdes. Il n’a pas fallu longtemps pour que McCloskey devienne un défenseur rémunéré de Purdue.

D’autre part, le Dr Van Zee (Raymond Dooley), un médecin de Pennington Gap, en Virginie, considéré comme l’un des tout premiers professionnels à tirer la sonnette d’alarme sur le problème de la dépendance aux opioïdes, apparaît également dans la série et dans le livre de Macy.

Il explique que l’OxyContin modifie la chimie du cerveau de l’utilisateur. «Il ne se passe pas une semaine sans que je parle avec des parents de leurs jeunes enfants adultes qui perdent leur emploi, leur conjoint, leurs enfants et leur maison à cause de cette dépendance», écrivait M. Van Zee dans une lettre adressée en 2000 aux dirigeants de Purdue, soulignant que 20 % des lycéens de la région avaient déclaré avoir essayé l’Oxy. Et dans une autre lettre de la même année: «Ma crainte est que ces [communautés rurales touchées par la dépendance] soient des zones sentinelles, tout comme San Francisco et New York l’ont été dans les premières années du VIH.»

Van Zee a écrit ce poème, «OxyContin», publié dans les Annals of Internal Medicine:

Cela aurait peut-être été plus facile

si l’OxyContin avait avalé les montagnes, et pris

les promesses de dizaines de milliers de jeunes vies,

Lentement, comme un kudzu qui grandit sans relâche.

Au lieu de cela,

il nous a engloutis,

doucement comme le napalm

le ferait pour une cour d’école.

Maman a dit

Aussi difficile que ça ait été d’enterrer Papa

après que le plafond soit tombé

dans la mine de Caney Creek,

c’était encore plus dur de trouver Soeurette ce matin-là

froide et bleue,

avec une aiguille plantée dans le bras.

Première de sa classe,

avec rien d’autre que des promesses pour l’avenir

jusqu’à ce qu’elle soit kidnappée par

le tourment de l’aiguille et de la cuillère.

En septembre 2019, Purdue Pharma a déposé une faillite pour se protéger de 2600 poursuites judiciaires. Chaque État du pays avait une réclamation contre la société, pour un total de plus de 2000 milliards de dollars.

Dans un accord de règlement de 2021, la famille Sackler a accepté de payer 4,3 milliards de dollars pour atténuer le mauvais usage de l’OxyContin et de renoncer à la propriété de Purdue Pharma.

Cependant, l’accord a également accordé aux Sackler l’immunité contre les poursuites en responsabilité.

La famille, qui a gagné plus de 10 milliards de dollars en vendant de l’OxyContin, n’a reconnu aucun méfait et n’a présenté aucune excuse aux victimes de son médicament et de sa commercialisation.

«C’est scandaleux», a déclaré Macy à Healthline. «Il y a deux systèmes de justice – le gars qui vendait de l’herbe est en prison, et les Sackler non seulement ne vont pas aller en prison, mais même après le règlement, la famille s’en sortira encore plus riche qu’elle ne l’est maintenant.»

Dans une interview de 2019 incluse à la fin de son livre, Macy a déclaré que la crise a continué à s’aggraver dans la plupart des États. Les Américains sont désormais plus susceptibles de mourir d’une overdose accidentelle d’opioïdes (1 sur 96) que d’un accident de voiture (1 sur 103).

Dopesickest inhabituel par son hostilité sans fard à l’égard de l’usine à pilules légale, présidée par la famille Sackler et les trois cadres de Purdue qui ont réalisé que l’OxyContin était source de dépendance au début de la crise. Les enquêteurs ont la preuve que Howard Udell (Brendan Patrick Connor), Michael Friedman (Will Chase) et Curtis Wright ont menti au Congrès en 2000, car ils disposent de courriels montrant que le trio était au courant de la létalité du médicament dès 1997.

Richard Sackler est bien interprété par Stuhlbarg comme un fou obsédé par le profit, tandis que le Sam Finnix de l’extrêmement talentueux Keaton, un médecin qui quitte la Pennsylvanie pour diriger un petit cabinet au milieu des mineurs, est l’axe moral sur lequel tourne la série. Dopesickmet en valeur les gens décents et travailleurs, qui sont pris au piège par les criminels de la grande entreprise et leurs agents de vente qui travaillent à créer une «grande nation zombie avaleuse de pilules».

Michael Stuhlbarg dans Dopesick

Sarsgaard, Cutler, Hoogenakker, Dever et Dawson apportent également des contributions remarquables. Les acteurs et l’équipe se donnent à fond pour exposer ce que le créateur Danny Strong, dans une interview au New York Times en octobre 2021, a appelé «le côté obscur du capitalisme américain, où il y a la collusion entre le gouvernement et l’industrie». Sont portées à l’écran les vies de personnes qui ne comptent pas en Amérique, sauf – littéralement – dans les données de mortalité des Centers for Disease Control and Prevention.

Si les Sackler portent évidemment une responsabilité majeure, ils ne sont guère les seuls. La pandémie a été le témoin d’une vaste et légale augmentation des prix et des profits de la part de l’industrie pharmaceutique. L’industrie n’a aucun intérêt à renforcer la capacité de production de vaccins qui ferait baisser les prix pour les nations plus pauvres ni à éradiquer un virus qui s’est révélé être une mine d’or. Dopesickprésente un argumentaire sans appel pour le contrôle de ces entreprises dirigées par des requins et leur transformation en services publics exploités en fonction des besoins de santé de la population.

(Article paru en anglais le 10 décembre 2021)

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