Le lock-out des enseignants de Chicago se poursuit alors que les hospitalisations d’enfants augmentent

Un expert en maladies infectieuses de l’université Northwestern: «Il n’est pas sûr d’ouvrir les écoles».

Le lock-out des enseignants des Chicago Public Schools (CPS) s’est poursuivi un troisième jour vendredi. Les enseignants restent tenaces dans leur effort pour empêcher l’aggravation de la pandémie tandis que le syndicat enseignant CTU (Chicago Teachers Union) poursuit ses négociations avec les responsables du district afin de rouvrir les écoles à l’enseignement en présentiel le plus vite possible, dès l’obtention d’un accord ou au plus tard d’ici le 18 janvier.

Des enseignants du quartier de Pilsen à Chicago manifestent contre la réouverture non sécurisée des Chicago Public Schools l’année dernière [Crédit : Twitter, @rcoppo1].

Le lock-out des enseignants de la ville a créé une situation chaotique, provoquant la colère de nombreux parents. La maire démocrate Lori Lightfoot a déclaré vendredi soir que les négociations en cours avec le syndicat restaient « productives mais [devaient] être conclues ce week-end.» Le district a annoncé que les cours seraient à nouveau annulés lundi, mais que les administrateurs étaient «déterminés à travailler jour et nuit pour que nos élèves puissent retourner à l’école la semaine prochaine, si possible lundi», laissant entrevoir la possibilité de rouvrir les écoles avec peu de préavis au début de la semaine prochaine s’il parvient à un accord avec le CTU.

Vendredi, des parents et des enseignants ont déclaré au World Socialist WebSite que le lock-out empêchait les enseignants de communiquer les résultats des tests COVID-19 sur leurs comptes CPS en ligne. Ceux dont le test est positif ne peuvent donc pas être approuvés actuellement pour le télétravail pour cause de maladie et devront donc se présenter en personne si les cours reprennent lundi ; une possibilité qui suscite une indignation croissante parmi les enseignants et les parents.

Le district scolaire a tenté de mentir, de menacer et d’intimider les enseignants pour qu’ils retournent en classe. Immédiatement après que les éducateurs aient voté pour enseigner à distance, les avocats de la ville auraient déposé une plainte pour pratiques de travail déloyales auprès de l’Illinois Educational Labor Relations Board, afin que cette action soit déclarée illégale.

Jeudi, les écoles publiques de Chicago ont publié un message sur Facebook pour tenter de briser les rangs des enseignants qui protestent contre l’enseignement en présentiel. Le message affirmait qu’un enseignant sur dix s’était présenté au travail le 5 janvier, et un sur huit le 6 janvier. Après les protestations des enseignants, on a supprimé le post sur les réseaux sociaux.

Les effectifs de certaines écoles sont trop faibles pour permettre aux établissements de rester ouverts. Alors que les enseignants restent bloqués hors de leurs comptes scolaires et incapables de donner des cours à distance, les écoles CPS ont contacté les parents jeudi soir pour annoncer que les bâtiments scolaires, dont ils avaient dit qu’ils seraient ouverts au moins en partie, seraient fermés dû au manque de personnel de surveillance et de sécurité.

Les parents sont en colère contre le refus des CPS d’offrir des cours à distance pendant le lock-out et contre le fait de devoir prendre des décisions importantes sur la santé de leurs familles avec peu ou pas d’informations. Une mère de deux enfants qui fréquentent l’Inter-American Elementary, une école du nord de la ville, a dit au World Socialist Web Site: «Nous ne devrions pas être dans cette situation en ce moment, mais ce n’est pas la faute des enseignants. J’aimerais que nous puissions rester avec un enseignement à distance. Les enfants devraient recevoir un enseignement. Nous devrions pouvoir joindre les enseignants et ils n’auraient pas dû les lock-outer».

«Mes enfants sont différents. L’un se débrouille très bien avec l’enseignement à distance, l’autre a plus de mal. Ce n’est pas l’idéal, mais c’est mieux que rien».

«Mon fils a été exposé à la COVID et est en quarantaine, mais mon autre enfant ne l’est pas. Je ne peux pas déposer l’un et pas l’autre! L’un a été testé à l’école, mais pas l’autre et je ne comprends pas pourquoi. Il n’y a aucun moyen de les éloigner l’un de l’autre, alors je les garde les deux à la maison. Je reçois des appels téléphoniques disant “l’assiduité est importante”, mais je ne pense pas qu’il soit prudent de les envoyer à l’école. Il est possible que les absences ne soient pas excusées».

Il y a eu contre les enseignants de Chicago un gangstérisme virulent des responsables démocrates et républicains dans les médias d’information nationaux. Leur refus courageux de rentrer soulève la possibilité d’une mobilisation plus large contre la politique d’infection massive du gouvernement Biden.

Le magnat milliardaire des médias Michael Bloomberg a publié un éditorial sur le site Bloomberg intitulé «Les enfants ne peuvent pas se permettre les grèves des enseignants». Il y accuse essentiellement les enseignants de déserter. Comme si ceux-ci étaient des conscrits, il écrit: «La décision des enseignants de Chicago de laisser tomber leurs élèves et de refuser de retourner en classe mercredi est un manquement profondément troublant au devoir qui devrait susciter l’indignation du public, et une opposition nationale à ce qu’il se propage… Nous devons dire haut et fort – en tant que démocrates, républicains et indépendants – que les enseignants sont des travailleurs essentiels. Nous avons besoin de leur présence physique dans les salles de classe et nous ne tolérerons pas les débrayages».

Dans cet article d’opinion, Bloomberg a également fait la promotion de sa propre initiative de 750 millions de dollars en faveur des écoles à charte. On peut se demander combien il faudrait des 70 milliards de dollars de Bloomberg pour améliorer l’enseignement à distance des écoliers.

Malgré les efforts de l’establishment politique et des médias d’entreprise pour diaboliser les enseignants, le combat tenace des éducateurs de Chicago a reçu un large soutien des travailleurs et des élèves, tant dans la ville même qu’à l’étranger.

Nathan, un étudiant en deuxième année au lycée Dunbar, dans le quartier de Bronzeville, a déclaré au World Socialist Web Site: «Non, nous devrions faire les choses ici, apprendre à la maison. L’apprentissage à distance n’est pas difficile. Je ne veux pas du tout attraper la COVID. Pas du tout. Je ne veux pas que quelqu’un de ma famille, de mes amis ou de ma communauté attrape la COVID. Il n’en est pas question».

A la rentrée scolaire de l’automne dernier, avant le dernier pic, a-t-il déclaré «j’ai eu l’impression d’un nouveau départ, mais ensuite la COVID a commencé à se répandre. Ce n’était pas sûr. Personne n’était à deux mètres l’un de l’autre. Quand vous êtes à l’école, vous êtes avec vos amis, vous êtes occupés, vous ne pensez pas à la COVID».

Loin d’être isolée, l’action des enseignants de Chicago visant à imposer le passage à l’enseignement à distance s’inscrit dans un mouvement de plus en plus large des éducateurs et des travailleurs pour arrêter la propagation de la pandémie. Cette semaine, les enseignants ont organisé des arrêts maladie massifs à San Francisco et à Oakland, en Californie. Environ 20 pour cent de la main-d’œuvre de ces deux villes était absente vendredi, entraînant la fermeture de 12 écoles à Oakland.

Alors même que les négociations pour la réouverture des écoles se poursuivent et que les dirigeants de la ville de Chicago maintiennent une position intransigeante, la situation pandémique s’aggrave rapidement, les hospitalisations d’enfants augmentant de manière significative.

L’Illinois a enregistré 42.903 cas vendredi, soit un peu moins que le précédent record journalier établi la veille. Selon les données du Département de la santé publique de l’Illinois, 9 pour cent seulement des lits des unités de soins intensifs étaient encore disponibles à Chicago jeudi. Cela fait 63 lits pour une ville de près de 3 millions d’habitants.

Vendredi, le Chicago Tribune a rapporté que les hôpitaux de la région accueillaient de plus en plus de patients dans les salles d’urgence, faute de lits plus adaptés ailleurs dans leurs établissements. Les ambulanciers signalent également des temps d’attente dans les salles d’urgence qui peuvent durer jusqu’à 15 heures, selon le Tribune.

Dans une interview accordée à WGN News vendredi, le Dr Robert Murphy, de l’école de médecine Feinberg et de l’institut de santé mondiale de l’université Northwestern, a donné une évaluation sans détour. À la question de savoir si «les écoles publiques de Chicago étaient suffisamment sûres pour ouvrir et permettre un enseignement en présentiel», le Dr Murphy, un expert en maladies infectieuses, a répondu:

« Il n’est pas sûr d’ouvrir les écoles. Je suis désolé. C’est très mauvais de faire de l’apprentissage à domicile. Je veux dire, cela ne fonctionne pas aussi bien, tout le monde le sait. Mais regardez ce qui se passe. Ils ne peuvent même pas garder les écoles ouvertes. Ils n’avaient pas assez d’employés pour travailler et garder les écoles ouvertes. Nous étions juste en train d’interviewer ce professeur. Ce n’est simplement pas sûr maintenant. Pourquoi ne peuvent-ils pas juste dire, OK, janvier est une annulation? Pourquoi ne pas arrêter d’aller à l’école, travailler à distance pendant un mois, jusqu’à ce que les choses se calment, jusqu’à ce qu’on se remette de la crise des vacances? Les écoles ne sont pas sûres en ce moment ».

Alors que la commissaire à la santé publique de Chicago Allison Arwady affirme que les hospitalisations d’enfants «restent très rares», des données récentes provenant de plusieurs hôpitaux pour enfants de la région font état d’une forte augmentation, en particulier chez les plus jeunes.

L’hôpital pour enfants Lurie, associé à l’université Northwestern, a déclaré avoir reçu 10 fois plus de patients atteints de la COVID-19 au cours des deux dernières semaines qu’à la fin novembre. Au cours de ces deux dernières semaines, l’hôpital a traité 110 enfants atteints de COVID-19, dont la plupart ont dû être hospitalisés spécifiquement pour une infection par le virus. Seuls 20 à 25 pour cent des enfants hospitalisés ont testé positifs à la COVID-19 après on les a admis pour autre chose.

L’une des évolutions les plus alarmantes est l’augmentation des hospitalisations chez les enfants de moins de cinq ans, qui ne peuvent actuellement pas recevoir de vaccin. Cette population comprend environ la moitié des enfants hospitalisés pour la COVID à Advocate Aurora, le plus grand système de santé de l’Illinois , plus de la moitié au Lurie Children’s Hospital et un tiers des hospitalisations au Comer Children’s Hospital, affilié à l’Université de Chicago.

À l’Advocate, environ un quart des enfants ont eu besoin de soins intensifs, et le docteur Nekaiya Jacobs a noté: «Nous commençons à voir de plus en plus de patients d’âge pédiatrique souffrant de complications graves liées soit à leur infection initiale par COVID, soit à des syndromes post-COVID».

Alors que les CPS et le Chicago Teachers Union (CTU) travaillent sur un plan de réouverture, les enseignants doivent se préparer à élargir leur lutte. Les principales demandes du CTU – que le district accepte un taux de positivité pour mettre les écoles en enseignement à distance, la disponibilité de masques KN95 pour les enseignants et le personnel et l’augmentation des tests –  sont totalement inadéquates pour arrêter une infection massive, même si l’on pouvait compter sur les Chicago Public Schools pour respecter un accord.

Le World Socialist Web Site appelle les enseignants de Chicago à rejoindre le Chicago Educators Rank-and-File Safety Committee, fondé il y a un an pour s’opposer à la campagne de réouverture menée par les démocrates avec l’aide du CTU. Le comité fournira les moyens de relier la lutte des enseignants de Chicago à celles de New York, de Detroit, de la Californie du Nord, et d’autres villes des États-Unis, ainsi qu’à celle d’enseignants d’autres pays où on a formé ces comités contre la réouverture dangereuse des écoles.

Ces organisations, formées indépendamment des syndicats, sont guidées par ce qui est nécessaire pour sauver des vies et empêcher la débilitation à vie des enfants, et non par ce qui est bon pour la grande entreprise qui, tout au long de la pandémie, a déterminé la politique des démocrates et des républicains, ainsi que celle de l’American Federation of Teachers et des autres syndicats.

Pour contenir la pandémie, il est urgent de mettre en place une politique «Zéro COVID». Cela implique des tests universels, la recherche des contacts, l’isolement des patients infectés, le masquage et les vaccinations ainsi que la fermeture temporaire des écoles et des lieux de travail non essentiels, pour briser la chaîne d’infection et le revenu complet pour toutes les personnes touchées. De telles mesures ne pourront cependant être mises en place qu’à travers le développement d’un mouvement de masse de la classe ouvrière internationale, l’écrasante majorité de la population mondiale, basé sur la science et luttant pour placer ses besoins au-dessus de ceux de l’aristocratie financière.

(Article paru d’abord en anglais le 8 janvier 2022)

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