Les médias allemands sur la voie de la guerre contre la Russie

En suivant les médias allemands ces derniers jours, on pourrait croire que leurs commentateurs ont perdu la tête. Ils semblent déterminés à faire la guerre à la Russie ou à l’Union soviétique pour la troisième fois en un peu plus d’un siècle, comme si la Première et la Deuxième Guerre mondiale n’avaient pas apporté suffisamment de souffrances et de destruction à l’Europe.

Le magazine Der Spiegel a publié ce week-end un éditorial intitulé «Traitons Poutine comme un adversaire et non comme un partenaire». Le magazine d’information appelle l’OTAN à «livrer enfin des armes létales à l’Ukraine». Américains et Européens ont «longtemps essayé de contenir le président russe par le dialogue», peut-on lire. «En vain. Il est temps de changer radicalement de stratégie: l’Occident doit augmenter le prix d’une invasion de l’Ukraine au point qu’il soit trop élevé même pour Poutine. Et cela n’est possible qu’en recherchant la confrontation: sur le plan diplomatique, économique et indirectement aussi sur le plan militaire».

Combattants SSO des Forces armées ukrainiennes lors d’un entraînement [Photo: Wikipédia/ArmyInform]

Le Frankfurter Allgemeine Zeitung a accusé la Russie de rechercher «l’hégémonie sur toute l’Europe». Le journal a comparé la «prétention au pouvoir» de Moscou à la politique d’Hitler, qui a soutenu le putsch fasciste de 1936 en Espagne et a ensuite écrasé l’Autriche, la Tchécoslovaquie et la Pologne.

La réponse du FAZ est la dissuasion nucléaire. Le président de la France, puissance nucléaire, Emmanuel Macron, a déjà proposé aux partenaires de l’UE de discuter d’une stratégie nucléaire en 2020, note le journal. Cette offre est toujours «sur la table». Elle est associée à des risques sérieux: «Au final, un conflit à la frontière orientale de la Lettonie pourrait alors conduire à une frappe contre Paris».

C’est pourquoi, selon le FAZ, «il faut tout d’abord créer les conditions pour que tous les participants soient prêts à prendre ce risque». Pour ce faire, l’unification de l’Europe doit progresser rapidement. Dans cet esprit, la coalition tricolore de Berlin parle de l’objectif d’un «État fédéral européen» et Macron d’une «Europe souveraine».

Die Zeit a publié un article invité d’Ulrike Franke intitulé: «Les difficultés du monde ne sont pas pour les mauviettes.» Cette employée du Conseil européen des relations étrangères, âgée de 34 ans, qui a rédigé sa thèse de doctorat sur l’utilisation des drones dans les armées occidentales, se plaint amèrement que les membres de sa génération qui deviennent aujourd’hui politiquement actifs en Allemagne ont de la difficulté avec la «politique du pouvoir».

«Un scepticisme à l’égard de la géopolitique, une réticence à penser en termes de pouvoir et d’intérêts, et un rejet de l’armée en tant qu’élément déterminant l’influence géopolitique» dominent, déplore Franke. «Ma génération a développé une idée presque romantique des relations internationales».

Pour que «nos» intérêts soient entendus, conclut-elle, «nous devons penser davantage à la puissance et à l’influence de l’Europe et de l’Allemagne. Nous devons réapprendre la géopolitique.» Il s’agit aussi «de la question de savoir comment la Bundeswehr doit être équipée et gérée afin d’être à nouveau prise au sérieux en tant que force de dissuasion».

Il n’y a guère de journal ou d’émission d’information qui ne préconise pas quelque chose de similaire. Les rumeurs propagées par la CIA et le gouvernement américain qui concernent une attaque imminente de la Russie contre l’Ukraine dominent toutes les informations comme s’il s’agissait de faits établis. Elles sont à peu près aussi crédibles que les faux rapports sur les armes de destruction massive avec lesquels les États-Unis ont justifié la guerre contre l’Irak en 2003.

La ministre allemande des Affaires étrangères a également durci le ton à l’égard de la Russie après le changement de gouvernement en décembre. Hier, la ministre verte des Affaires étrangères Annalena Baerbock a de nouveau menacé à Kiev que Moscou paierait un «prix élevé» en cas d’agression. On ne doit pas s’attendre à ce qu’elle adopte un ton différent lors de sa visite inaugurale à Moscou aujourd’hui.

Baerbock a également déclaré qu’elle s’efforçait de désamorcer la situation très dangereuse par la voie diplomatique et a rejeté la demande ukrainienne de livraisons d’armes allemandes. Mais cette tâche est actuellement assumée par les États-Unis, qui arment massivement l’Ukraine et menacent ouvertement de déclencher une guérilla sanglante en Ukraine, comme ils l’ont fait en Syrie et dans de nombreux autres pays.

Selon un reportage du New York Times, le secrétaire à la défense Lloyd Austin et le président des chefs d’état-major interarmées Mark Milley ont prévenu leurs homologues russes par téléphone que la CIA et le Pentagone soutiendraient une insurrection sanglante contre une invasion russe en Ukraine.

L’ancien commandant en chef de l’OTAN James Stavridis a également averti: «Si Poutine envahit l’Ukraine avec une force militaire importante, l’assistance militaire des États-Unis et de l’OTAN – renseignement, cybernétique, armes antichars et antiaériennes, missiles navals offensifs – augmenterait de manière significative».

La guerre contre la Russie que préparent les gouvernements de Washington et de Berlin et les médias serviles est une pure folie. Il est peu probable qu’un seul des auteurs qui prêchent aujourd’hui la confrontation, la politique de puissance et la dissuasion nucléaire ait réfléchi une seule seconde aux conséquences catastrophiques de la voie qu’ils suivent.

Dans leur empressement à diaboliser le président russe Vladimir Poutine, ils négligent complètement le fait qu’aucun gouvernement russe, quel que soit son dirigeant, ne serait désireux ou capable de tolérer l’avancée constante de l’OTAN. Dans l’État successeur de l’Union soviétique, qui a joué un rôle décisif dans la défaite de la barbarie nazie lors de la Seconde Guerre mondiale et a perdu 25 millions de personnes, le souvenir de cette horrible expérience est toujours présent.

Il n’a pas échappé à l’opinion publique russe qu’en Lettonie, pays membre de l’OTAN et de l’UE, chaque année, le 16 mars, jour de la «Journée des légionnaires», on célèbre les vétérans SS qui ont commis des crimes innommables aux côtés des nazis, et que des statues de collaborateurs des nazis comme Stepan Bandera, qui a participé à des meurtres de masse, sont érigées dans l’Ukraine prétendument démocratique.

Le mythe des aspirations hégémoniques de la Russie renverse également la réalité. Depuis que Mikhaïl Gorbatchev et Boris Eltsine, le mentor politique de Vladimir Poutine, ont dissous le Pacte de Varsovie et l’Union soviétique il y a 30 ans, l’OTAN a de plus en plus encerclé la Russie, malgré les promesses du contraire. Elle se trouve désormais directement à la frontière russe.

Elle a démembré la Yougoslavie, au mépris flagrant des frontières existantes, qu’elle déclare maintenant inviolables dans le cas de la Crimée. Elle a même mené une guerre illégale pour séparer le Kosovo de la Serbie, en collaborant avec des éléments qui ont depuis été accusés ou condamnés pour crimes contre l’humanité et crime organisé.

Les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN ont également mené des guerres contre l’Afghanistan, l’Irak, la Libye et la Syrie afin de défendre leur hégémonie géostratégique. Mais chacune de ces guerres s’est terminée par un désastre. Des dizaines de millions de personnes ont dû fuir, des millions de personnes sont mortes et des sociétés entières ont été détruites. Les États-Unis et leurs alliés n’ont même pas pu vaincre les talibans afghans, bien qu’ils aient investi des milliers de milliards en armes et en bombes. Une guerre autour de l’Ukraine entraînerait un désastre encore plus grand, détruisant une grande partie de l’Europe.

En Europe de l’Est, l’expansion de l’UE et de l’OTAN n’a pas conduit à la prospérité et à la démocratie. Au contraire, les bas salaires et la pauvreté prévalent, tandis qu’une élite corrompue s’enrichit de façon incommensurable. Les gouvernements polonais et hongrois bafouent si ouvertement les droits démocratiques élémentaires que même l’Union européenne s’est sentie obligée d’agir.

Le régime de Kiev a été porté au pouvoir en 2014 par un coup d’État soutenu par les États-Unis et l’Allemagne qui s’est appuyé sur des milices fascistes.

Le jour même où la ministre allemande des Affaires étrangères Baerbock s’est rendue à Kiev, l’ancien président ukrainien Petro Porochenko est également rentré dans le pays pour y être jugé. L’oligarque milliardaire est arrivé au pouvoir à la suite du coup d’État de 2014 et est resté président du pays pendant cinq ans. Aujourd’hui, son successeur Volodymyr Zelensky le poursuit pour haute trahison. Il aurait passé des accords lucratifs avec des séparatistes prorusses pendant sa présidence tout en soutenant les nationalistes de droite, ce que Porochenko dément.

L’âpre lutte pour le pouvoir entre les différentes cliques d’oligarques ukrainiens est un autre facteur qui augmente le risque de guerre. Les préparatifs de guerre contre la Russie reviennent à jouer avec le feu dans un dépôt de munitions. Seule une classe dirigeante qui a complètement perdu la tête peut mener des politiques aussi aventureuses.

En fin de compte, l’incitation à la guerre est le résultat de la faillite d’un système capitaliste déchiré par des contradictions insolubles. La pandémie a poussé les contradictions sociales à l’extrême. Alors qu’au moins 15 millions de personnes dans le monde sont mortes du virus et que 163 millions ont été plongés dans la pauvreté à cause de la pandémie, les 10 plus gros milliardaires du monde ont doublé leur richesse pour atteindre 1500 milliards de dollars, selon le dernier rapport d’Oxfam. D’autre part, la résistance dans la classe ouvrière grandit.

La classe dirigeante réagit à cela – comme en 1914 et 1939 – par une politique de guerre insensée. Seul un mouvement uni de la classe ouvrière internationale, luttant contre les inégalités sociales, la guerre et le capitalisme, et pour une société socialiste, peut mettre fin à cette folie.

(Article paru en anglais le 18 janvier 2022)

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