Les médias canadiens et les conservateurs font la promotion d'une manifestation de camionneurs d'extrême droite pour pousser à l'abandon des dernières mesures contre la COVID-19

Des manifestants montrent leur soutien aux camionneurs du convoi de la liberté qui se rendent à Ottawa pour protester contre l’imposition du vaccin contre la COVID-19 par le gouvernement canadien, le jeudi 27 janvier 2022, à Vaughan. (Photo: Arthur Mola/Invision/AP)

Tous ceux qui ont suivi la couverture de presse des médias canadiens contrôlés par la grande entreprise ces derniers jours ont été bombardés de reportages sur une manifestation relativement modeste initiée et menée par des camionneurs-propriétaires d’extrême-droite contre une obligation vaccinale imposée par le gouvernement fédéral.

Les grands médias ont rapporté avec excitation la progression du «convoi de la liberté», lors de son parcours à travers le pays de Vancouver, sur la côte du Pacifique, à Ottawa, où la manifestation s’est terminée samedi. Des politiciens de premier plan du Parti conservateur, l’opposition officielle, se sont rendus en pèlerinage auprès du convoi lors de son passage dans les villes du pays, le saluant comme un mouvement pour la «liberté».

La manifestation vise une obligation vaccinale du gouvernement libéral fédéral pour les camionneurs traversant la frontière canado-américaine, qui est entré en vigueur, après des mois d’avertissement, le 15 janvier. Cette obligation n’a que peu, voire pas du tout, d’importance pratique pour la plupart des camionneurs, y compris ceux qui possèdent leur propre camion, puisque près de 90% d’entre eux sont déjà entièrement vaccinés. De plus, l’administration Biden a imposé une obligation vaccinale similaire, interdisant l’entrée aux États-Unis aux camionneurs canadiens qui ne sont pas entièrement vaccinés.

Néanmoins, l’obligation vaccinale a été amèrement dénoncée par une petite minorité de propriétaires-exploitants de camions, dont beaucoup sont déjà actifs dans la politique d’extrême droite et se distinguent par leur opposition à toutes les mesures en lien avec la COVID-19, y compris le port du masque obligatoire. Encouragés par d’autres forces d’extrême-droite et carrément fascistes, dont Rebel Media, ils ont lancé leur convoi de la liberté à travers le pays.

Les revendications de cette minorité non représentative, composée en grande majorité de militants d’extrême-droite, de théoriciens du complot et d’anti-vaxx, sont futiles et absurdes. Tamara Lich, une responsable du Maverick Party, parti d’extrême-droite séparatiste de l’Ouest, et organisatrice d’une campagne GoFundMe qui a recueilli à ce jour plus de 6 millions de dollars pour soutenir le convoi (dont une grande partie provient de donateurs anonymes), s’insurge contre l’«exagération» et la «tyrannie» du gouvernement quant aux mesures élémentaires de santé publique.

En réalité, aucun individu n’a le «droit» ou la «liberté» d’infecter les autres avec un virus potentiellement mortel. Dans la mesure où les vaccins sont librement disponibles, il n’y a aucune raison légitime pour que les travailleurs les refusent. Les arguments contraires reposent sur une combinaison d’absurdités non scientifiques et de conceptions darwinistes et fascistes de la «survie du plus fort».

Les seules «libertés» que les manifestants soutiennent sont la liberté du virus de se propager et la «liberté» des grandes entreprises de continuer à fonctionner à plein régime, en rassemblant les travailleurs sur des lieux de travail dangereux au milieu d’une pandémie qui fait rage, afin de maximiser les profits.

C’est la raison pour laquelle la manifestation est claironnée par de larges sections de l’élite dirigeante, qui considère comme intolérable toute entrave à l’accumulation de profits, aussi minime soit-elle. Pour les grands médias, le Parti conservateur de l’opposition et les chefs d’entreprise qui ont soutenu la manifestation, l’obligation vaccinale des camionneurs n’est pas le véritable enjeu. Ils se sont plutôt ralliés au «convoi de la liberté» dans le but d’utiliser l’extrême-droite comme un bélier dans leurs efforts pour mettre fin à toutes les restrictions en lien avec la pandémie. Ils sont profondément frustrés par le fait qu’en dépit de leurs efforts incessants pour promouvoir le mensonge selon lequel il n’y a pas d’autre possibilité que «vivre avec le virus» et l’élimination de la plupart des aides au revenu mises en place durant la pandémie, la majorité de la population continue de soutenir les mesures de confinement pour arrêter la propagation de la COVID-19.

La liste des politiciens éminents du Parti conservateur qui soutiennent le convoi s’est allongée tout au long de la semaine. Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, notoirement connu pour avoir comparé la COVID-19 à la grippe et déclenché une vague dévastatrice d’infections et de décès en éliminant toutes les restrictions en lien avec la pandémie l’été dernier, a affirmé que l’obligation vaccinale créait «une crise» dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire et s’est solidarisé avec le convoi. L’ancien chef conservateur fédéral Andrew Scheer, qui a participé à un rassemblement lors du passage du convoi dans sa ville natale de Regina, en Saskatchewan, a attaqué Trudeau en le qualifiant de «plus grande menace pour la liberté au Canada». Le porte-parole conservateur en matière de finances, Pierre Poilievre, a affirmé que des «autorités assoiffées de pouvoir» utilisaient la COVID-19 pour «remplacer notre liberté par leur contrôle», et a accusé Trudeau d’imposer une «vendetta vaccinale» qui «vide les rayons des épiceries» et «affame» les Canadiens.

Après avoir été critiqué pour son refus de soutenir explicitement le convoi, le chef des conservateurs, Erin O’Toole, a annoncé jeudi qu’il rencontrerait les manifestants à Ottawa, tout en affirmant de manière absurde qu’il ne s’entretiendrait pas avec des «extrémistes».

Le soutien au convoi de la liberté est également venu des plus hautes sphères des conseils d’administration du Canada. Perrin Beatty, chef de la Chambre de commerce du Canada, a accusé le gouvernement de ne pas avoir prouvé, statistiques à l’appui, que les camionneurs sont une source majeure de transmission de la COVID-19 et a demandé un «report» de l’obligation vaccinale. La Coalition des manufacturiers du Canada, qui représente plus de 30 associations du secteur manufacturier, a demandé que l’obligation soit abandonnée. Le président de la Coalition, Dennis Darby, a affirmé qu’il aggravait «les goulots d’étranglement de la chaîne d’approvisionnement» et a demandé «des mesures concrètes de la part du gouvernement ... en commençant par l’annulation de l’obligation vaccinale des camionneurs».

Ces balivernes inversent la réalité. La véritable source des problèmes de la chaîne d’approvisionnement n’est pas une obligation vaccinale qui touche moins de 10% des camionneurs du pays, mais l’infection massive de millions de travailleurs chaque jour dans le monde par un virus potentiellement mortel, en raison des politiques dangereuses des élites dirigeantes de presque tous les pays.

L’accueil réservé par les grands médias à l’assemblée hétéroclite de militants d’extrême-droite et de négationnistes de la COVID-19 n’a pas été moins enthousiaste. Les journaux de droite, le Toronto Sun et le National Post, ont rempli leurs pages de reportages enthousiastes sur les «travailleurs de première ligne» qui protestent contre les politiques «autoritaires» du gouvernement.

Le radiodiffuseur d’État CBC (Canadian Broadcasting Corporation) a donné à Tamara Lich une tribune de choix pour apaiser les inquiétudes concernant les «extrémistes» du convoi de la liberté. Le reportage de la CBC a opportunément omis des informations essentielles sur la carrière politique d’extrême-droite de Tamara Lich, qui a notamment représenté le parti Wexit, un parti séparatiste albertain d’extrême-droite aujourd’hui disparu. En sa qualité de responsable des Gilets jaunes à Medicine Hat en 2019, elle s’est sentie obligée de proposer que le groupe change de nom parce qu’il avait été associé à un grand nombre de menaces de mort contre le premier ministre Justin Trudeau.

Les opinions antidémocratiques, antiouvrières et carrément autoritaires qui animent le convoi de la liberté sont soulignées par un soi-disant «protocole d’entente» publié par les organisateurs de la manifestation. Il appelle le gouverneur général – représentant non élu de la reine, chef d’État du Canada – et le Sénat, chambre haute non élue du parlement canadien, à se joindre au «peuple du Canada» pour usurper les pouvoirs du gouvernement et abolir les obligations vaccinales.

Les publications en ligne des participants à la manifestation ont exhorté les militaires à respecter leur «serment» envers le «peuple canadien» et à rejeter les ordres du gouvernement civil élu. D’autres participants ont explicitement comparé la manifestation des camionneurs, qui a culminé par un rassemblement samedi sur la colline du Parlement, à la prise d’assaut du Capitole à Washington D.C., le 6 janvier 2021, par des partisans d’extrême-droite et fascistes de Trump. La prise du Capitole faisait partie d’une tentative de coup d’État soigneusement préparée, soutenue par des sections substantielles du Parti républicain et de l’appareil militaire et de sécurité, visant à renverser l’élection présidentielle de 2020 et à installer Trump comme un homme fort autoritaire.

L’un des principaux groupes du convoi est United We Roll, un regroupement de camionneurs d’extrême-droite précédemment utilisé pour intimider les travailleurs. Pendant le lock-out de sept mois des travailleurs d’une raffinerie de pétrole par FCL (Federated Co-operatives Limited) à Regina, les voyous de United We Roll ont été encouragés par la police, la direction de l’entreprise et le gouvernement provincial à violer les piquets de solidarité dans des stations-service isolées et à provoquer les travailleurs qui faisaient du piquetage à l’extérieur de l’installation principale de FCL.

Trudeau et d’autres ministres libéraux ont dénoncé la manifestation du convoi de la liberté comme une mobilisation d’«extrême-droite» et ont fustigé les conservateurs pour avoir courtisé de telles forces dans le cadre d’une concurrence inconvenante avec Maxime Bernier, l’ancien ministre conservateur de Harper qui dirige maintenant le Parti populaire du Canada, un parti d’extrême-droite et anti-vaxx.

Mais c’est le gouvernement libéral de Trudeau qui porte la responsabilité principale d’avoir encouragé l’extrême-droite et les fascistes. Tout au long de la pandémie, le gouvernement libéral a donné la priorité à la protection des profits des entreprises et de la richesse des investisseurs plutôt qu’à la protection des vies. Il a fait pression pour une «réouverture» rapide de l’économie, ce qui a entraîné des vagues successives d’infections et de morts de masse, tout en canalisant un approvisionnement ininterrompu de liquidités vers les banques et les grandes entreprises. Pendant ce temps, l’aide aux travailleurs en cas de pandémie, à l’accès plus que limité, a été réduite à un maigre 300$ par semaine, et les propriétaires de petites entreprises ont été largement laissés à eux-mêmes.

Le gouvernement Trudeau a effectivement laissé le virus se propager, surtout depuis l’émergence du variant Omicron, plus infectieux. Il a permis à des gouvernements de droite comme celui de Doug Ford en Ontario et celui de Kenney en Alberta d’abolir pratiquement toutes les mesures de protection de la santé publique et de mettre en œuvre l’essentiel de la politique meurtrière d’«immunité collective» préconisée depuis longtemps par Trump, le Britannique Boris Johnson et leurs partisans d’extrême-droite.

La promotion de la manifestation des camionneurs indépendants d’extrême-droite par des sections substantielles de l’élite dirigeante du Canada marque une intensification supplémentaire de ce processus. Alors que le nombre de décès quotidiens dus à la COVID-19 approche des niveaux jamais vus durant la pandémie, l’establishment politique veut créer les conditions qui lui permettront d’abolir tous les rapports réguliers sur la propagation et l’impact de la COVID-19, la reléguant au rang de la grippe et d’autres maladies respiratoires endémiques. Cette politique meurtrière, qui entraînera des infections et des morts en masse à perpétuité, nécessite des bandes violentes de brutes d’extrême-droite pour la faire respecter face à une opposition populaire massive.

Les manifestations d’extrême-droite ont été utilisées de la même manière par les élites capitalistes au niveau international. En Allemagne, durant l’été 2020, les manifestations des soi-disant «penseurs latéraux», menées par des forces fascistes autour de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), un parti d’extrême-droite, ont été systématiquement promues par les médias et des sections de l’establishmentpolitique pour imposer l’abandon des mesures de confinement. Cela a ouvert la voie à la deuxième vague pandémique du pays, qui a tué plus de 60.000 personnes au cours de l’hiver 2020-21. Les manifestants ont bénéficié d’un tel soutien au sein de la police et des forces de sécurité qu’ils ont pu monter les marches du bâtiment du Reichstag, qui abrite le parlement fédéral allemand, tout en brandissant le drapeau de l’Empire allemand.

Aux États-Unis, de petites manifestations anti-confinement en avril 2020, dominées par des activistes d’extrême-droite, ont été grandement exagérées par les médias de la grande entreprise pour peindre une fausse image d’un mouvement de masse réclamant la «liberté» contre les restrictions de la pandémie. En vérité, ces mobilisations théâtrales de fascistes, de vétérans de l’armée et de théoriciens du complot ont servi de terreau à des complots violents, notamment le projet d’une milice fasciste d’enlever et de tuer la gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer. Nombre des forces impliquées ont ensuite joué un rôle de premier plan dans la prise du Capitole le 6 janvier 2021, servant de troupes de choc pour la tentative de coup d’État de Trump.

(Article paru en anglais le 29 janvier 2022)

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